Mon gars, je crois que j’ai des pouvoirs surnaturels. Ou alors une relation privilégiée avec Dieu. J’y crois pas, à ces conneries, mais là c’est une sacrée coïncidence, écoute celle-là : l’exercice de mes fonctions, souvent, c’est chiant comme la mort. Tellement que parfois, je prie pour qu’un truc intéressant se passe, là, pile devant moi, pour me détourner de mon ennui mortel. C’est ce que je viens de faire y’a pas cinq minutes, tellement ce caporal m’exaspère. Tu sais pourquoi? Il est parfait. On m’avait dit que la régulière, maintenant, à Las Camp, c’était « un exemple pour le reste de la profession ». Ben, c’est malheureux à dire, mais c’est vrai. J’ai pas grand-chose à foutre là. Alors j’ai prié. Deux minutes après, explosion à quelques pâtés de maison.
Mon rapport est quasiment terminé, trois pages de vide stellaire, ça suffira bien. Alors je fonce vers le lieu de l’incident. Certains paniquent et se précipitent dans le sens inverse, d’autres n’en ont rien à cirer. Ça doit être leur train-train habituel, c’est vachement triste. Ou alors c’est peut-être parce que le bâtiment qui vient d’être réduit en cendre, c’était un machin administratif. Je suis passé devant tout à l’heure, je m’en souviens vite fait. Un centre de taxe. Tu m’étonnes que ça les dérange pas.
Les bleus sont déjà sur les lieux, comme d’habitude, efficace. Et puis, j’ai lu les rapports. C’est loin d’être leur première. Ça fait des mois que ça dure. Et c’est dommage, parce que la toute nouvelle belle réputation des gardiens de la paix est entrain d’en pâtir ; pas moyen d’arrêter les terroristes derrière tout ça. En fouinant un peu dans les archives, je suis tombé sur des tas de dossiers. La manière de procéder est toujours la même. Ils ont même un coupable. Nivel. Un rouquin borgne, dont la trogne est placardée un peu partout en ville.
Tout est bien huilé, les civils sont escortés en dehors d’un périmètre qui a été délimité autour du lieu du crime, et y’a même déjà des jolies banderoles qui indique aux curieux que c’est une zone interdite, c’est bien fait. Je vois un groupe de soldats qui baillent, un peu plus loin. Je soulève le cordon et je passe en dessous, en prenant un regard grave et expert. J’ai à peine posé un pied sur les lieux du crime qu’un gradé m’interpelle.
« Hop là mon gars, vous pouv-
- Si, je peux. Mon gars. »
Je lui montre mon insigne tout fait par les petites mines du Cipher Pol. En cas de besoin, Thomas Lewis l’agent secret fouille-merde devient Edward McCane, noble soldat d’élite, et fouille-merde lui aussi.
« Vous voulez noter mon matricule pour demander aux renseignement si c’est bien moi?
- Euh…
- Franchement, allez-y, je vous en prie. Les Niveleurs attendront. »
Bingo. Grâce à mon jeu d’acteur et à mes souvenirs des rapports que j’ai fouillé en arrivant ici, il me prend au sérieux. Je savais que s’inscrire à ces « cours Florent » pendant ma formation servirait un jour. Je crois que parler des Niveleurs l’a fait tiquer. C’est un nom qui ressort partout, ça, que ce soit dans leurs dossiers, ou de la bouche des gens.
En fait, je crois bien que tout le monde ici sait qui a fait le coup, et que le seul problème, c’est de mettre la main sur ces types. Faudra que je demande aux bureaux si y’a pas deux trois bruits de couloirs sur ces terroristes. Normalement, c’est pas mon boulot de faire ça, mais ça m’étonnerait que ces bureaucrates essaient de m’empêcher de coincer des révolutionnaires. Dissidents, ou non.
Le soldat me laisse passer, et me dit juste de toucher à rien. Il me prend pour un amateur? Y’a encore de la fumée qui s’échappe des ruines. L’étage s’est complètement effondré, et il ne reste quasiment plus rien du rez-de-chaussé, à part des restes de bureaux et de guichets. Par contre, pas de cadavre. Tant mieux, mais étrange quand même. La plupart des employés sont indemne, entrain d’être interrogés à l’extérieur du périmètre. J’espère qu’on leur a donné des petits cafés avec des couvertures.
« Salut, les gars, » que je fais à un groupe de soldat examinant une partie des ruines.
L’un d’eux jette un regard à l’officier en charge de surveiller les lieux, qui lui fait signe que tout va bien.
« Je peux vous aider, qu’il me demande.
- Peut-être bien. Du nouveau? Je veux dire, de l’inédit?
- Ben, comme d’hab m’sieur, non.
- Même mode opératoire? Les Niveleurs?
- Comme d’hab, m’sieur. En fait, il est encore trop tôt pour le dire, mais franchement…
- … franchement?
- On a retrouvé de la poudre près de chaque explosions. A la brigade scientifique, ils vont nous dire que c’est le même composé que pour les autres, et, regardez… Là, c’est l’épicentre de l’explosion principale. La colonne centrale. Et c’est pas tout. Les autres explosions ont ciblé les endroits les plus faible, structurellement parlant, j’veux dire. C’est du beau boulot, pas des débutants. C’est toujours pareil.
- Et le manque de victime?
- Ça, par contre, c’est nouveau.
- Donc y’en a, de l’inédit.
- C’est peut-être juste une coïncidence, j’en sais rien. Le patron de l’endroit est entrain de se faire interroger, là-bas, z’avez qu’à lui demander. »
Effectivement. Un petit homme un peu gras, avec un beau costume trois pièce. Ça jure un peu avec les ruines qui nous entourent, mais bon. Un grand type en uniforme lui serre la main, puis vient vers moi.
« Je peux vous aider? »
Il me dépasse d’au moins une tête, et franchement, je suis pas si petit.
« Lieutenant McCane. Elite. Votre subalterne est au courant de mon arrivée. Désolé de débarquer comme ça, mais j’me suis dis que vous auriez peut-être besoin d’un coup de main.
- L’élite, hein. Lieutenant Wallace. Régulière. »
Je lui serre la main. Sacrée poigne. Non, je suis pas jaloux, arrête.
« Si on avait la localisation des suspects, reprend-il, vous auriez pu être d’une grande aide, mais là, pas sûr.
- J’ai cru comprendre que ça patinait un petit peu. Sans vouloir vous manquer de respect.
- Y’a pas de mal, ça patine même sévère. Même si cette fois, c’est un peu différent.
- Parce qu’il n’y a pas de victime?
- C’est ça. Aucune. Une demie-heure avant l’explosion, le patron a reçu un appel escargophonique anonyme. On l’a prévenu que les bureaux avaient été piégés, qu’il avait une demie-heure pour tout faire évacuer, et que si il mettait au courant qui que ce soit, ou qu’il essayait de sortir quoi que ce soit, documents, ou argent, et bien, boom.
- Et il a préféré obéir et sauver ses employés?
- C’est ça.
- Il est vraiment huissier?
- Hinhin. Faut croire que c’est pas encore des cas désespérés.
- C’est intéressant, comme piste, non?
- Bof. Pas moyen de tracer l’appel, ni d’identifier la voix. Au final, on va arriver à la même conclusion que d’habitude.
- C’est-à-dire?
- C’est-à-dire que c’est un cul de sac.
- Pas de suspect?
- Quelques noms qui ressortent.
- Mais?
- Pas moyen de les localiser. Écoutez, je vais être clair. Notre principal souci, ce n’est ni notre efficacité, ni nos effectifs, ni un éventuel génie de la part des terroristes. Le problème, ce sont les civils. Nos terroristes sont bons, mais c’est impossible de s’évanouir en pleine nature, comme ça, à chaque fois. On a beau verrouiller le quartier, contrôler les entrées et sorties, rien. Et quand on se met à questionner trop de monde, les bouches se ferment mystérieusement. On a beau s’être fait plus ou moins acceptés des locaux depuis peu, on efface pas des années de haine comme ça. Une bonne partie des gens d’ici serait plus qu’heureux d’aider les dissidents, si vous voulez mon avis. Et resserrer les contrôles et conduire des fouilles en masse, ça ruinerait nos efforts de ces derniers temps.
- Donc vous préférez laisser faire?
- Non. Mais les types d’en-haut, si. Si je me permets ne serait-ce qu’un écart de procédure, je suis bon pour me faire rétrograder.
- Vous voyez que je peux être utile.
- Hm?
- Moi, la procédure, et les menaces de supérieurs, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. Je suis pas sous vos ordres. D’ailleurs, je suis même pas censé être ici. Si je fais quoi que ce soit, ce sera en mon nom.
- Vous savez, McCane, je crois qu’on va bien nous entendre, vous et moi. »