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Le toit du monde.

Rappel du premier message :


_____Nous voici donc sur le toit du monde, là où la terre rejoint le ciel. Red Line, une immense falaise de plus de dix kilomètres qui fait le tour du monde, le coupant littéralement en deux. Et à son sommet, une équipe de six personnes, six intrépides aventuriers recrutés par une tête brûlée qui n’a peur de rien, pas même que le ciel lui tombe sur la tête. La tête brûlée, c’est moi, et même si je peux vous paraître folle, dit comme ça, j’ai les idées bien en place. Après avoir sauté sur le haut de la falaise grâce à la puissance de Reverse Mountain et du fruit du démon d’une mercenaire que j’ai recrutée tout exprès pour cela, nous avons subi un atterrissage catastrophique où nous avons bien failli y laisser notre peau. Enfin, surtout moi, et d’ailleurs j’en ai laissé, de ma peau. Les nombreuses coupures et contusions qui me picotent en sont témoins. Heureusement, il n’y a rien de grave, et après m’avoir inspectée, mon ex-marine préférée, j’ai nommée Svinette Biffrine, m’a confirmé qu’il n’y a pas de risque d’infection.

_____Au début, le haut de Red Line s’est révélé particulièrement inhospitalier. Il faisait froid. La terre était complètement aride et craquait sous nos pas, comme si elle s’apprêtait à tomber en lambeaux. Le sol, lui, était complètement accidenté. Du relief, des rochers de toutes formes qui sortent dans toutes les directions et qui gênent la progression, voilà le paysage cauchemardesque qui nous a accueillis. Ajoutez à ça les nuages de poussière qui se soulèvent à chaque pas et qui tourbillonnent presque indéfiniment, en absence de vent, et vous obtenez un tableau complètement surréaliste. Mais voyant cela, nous n’avons pas fait demi-tour pour autant. Nous avons continué. Nous avons emprunté une sorte de canyon où nous avons progressé dans une obscurité quasi-insupportable, et dans un silence morbide. De temps en temps, un bruit d’écoulement parvenait à nos oreilles, et nous donnait l’espoir qu’un jour nous apercevrions un semblant de vie au milieu de cet enfer.

_____Pourquoi nous sommes-nous entêtés et que faisons-nous ici ? Nous sommes à la recherche d’un trésor. Un trésor qui aurait été laissé par un certain Jérôme, un homme bien mystérieux qui est venu s’échouer sur l’île de Clare, amputé de ses deux jambes. Bien qu’il comprenait parfaitement la langue, il n’a jamais prononcé le moindre mot et s’est éteint une bonne vingtaine d’années plus tard, emportant el secret de son histoire dans sa tombe. Mais Jérôme, il a écrit une lettre, que la petite-fille de la femme qui a l’accueilli a pu lire avant de la brûler. Et cette lettre nous a menés ici, sur Red Line, où vivrait un peuple dont il serait originaire. Lui seul possède les réponses à nos questions, questions qui prennent la forment d’une petite plaquette de granite que nous avons trouvée en fouillant l’île de Clare. Sur cette plaquette, plusieurs paragraphes sont gravés de manière compacte, mais dans une langue inconnue. C’est dans l’espoir de la déchiffrer, et accessoirement d’en apprendre plus sur le légendaire Jérôme de Clare, que nous avons accédé à l’inaccessible.

_____Au bout d’un moment, le canyon s’est estompé. Petit à petit, les deux parois rocheuses qui nous entouraient se sont enfoncées dans la terre et nous avons atteint une sorte de plateau, où la terre est à peu près plate. Et là, nous l’avons vu. Un arbre ! Seul, au milieu de nulle part, habillé de milliers de petites feuilles mauves à la limite de la flétrissure, il nous attendait calmement, comme pour nous indiquer que nous étions arrivés à destination. Je me suis précipitée dessus et nous avons touché son tronc, son sol, ses feuilles. Motivés par cette découverte, nous avons continué de plus belle et nous avons compris l’origine de ce phénomène : une île climatique. Red Line en est entièrement constituée. Il s’agit en fait d’une chaîne d’îles climatiques qui se touchent, et qui chacune accueille son propre climat. Et si la première île était particulièrement hostile, la deuxième est bien plus propice à la subsistance : déjà, la température y est à peu près supportable, et je me sens peu à peu réchauffée ; je revis ! Ensuite, un mince filet d’eau coule du flanc gauche du canyon : c’était donc ça, les bruits de ruissellement ! Plus loin, de l’herbe, et un champ de fleurs ! Des petites fleurs violettes tachetées de blanc.

_____À l’horizon, nous repérons un timide filet de fumée.
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_____Astrif, un jeune garçon d'une douzaine d'années, regarde ses parents avec inquiétude. Il est habillé avec tout ce que sa famille a pu réunir, bouts de tissus par-dessus bouts de tissus. D'une main, il tient précieusement un coffre renfermant les quelques possessions qu'il a pu emporter. Un jouet, peut-être ? Une figurine sculptée dans le bois, un caillou rigolo, ou que sais-je...

— Papa, il y a quoi en bas ?
— Je ne sais pas, avoua son père, contemplatif.

_____En bas, une mer de nuages. Nous descendons à toute allure, à peine freinés par les innombrables voiles qui s'accrochent à notre radeau de fortune. Ici, là, des amarrages approximatifs permettent au vent de nous porter. Grâce à un ingénieux jeu de cordes, nous pouvons tendre ou refermer certaines voiles, ce qui nous permet de contrôler un peu notre descente et surtout de garder un semblant d'horizontalité.

— En bas, il y a la mer !, répondit Svinette qui a entendu leur conversation.
— La mer ?, reprit le garçon, étonné. Mais en-dessous, il y a quoi ?

_____Notre vitesse semble s'être stabilisée : entre le vent qui arque notre vaisseau et celui qui gonfle nos voiles, forte est la résistance que les éléments offrent à notre chute. Tant bien que mal, nous arrivons à garder le contrôle, surtout à l'aide d'Yzora dont les capacités démoniaques sont exactement ce dont on a besoin. Cependant, je ne sais pas si notre construction va tenir et, à voir l'angle inquiétant que prend le bois soumis à des contraintes et des tensions inimaginables, je commence sérieusement à en douter...

— En-dessous des nuages, il y une autre mer... un océan, même. C'est une vaste étendue d'eau, qui est tellement grande qu'on a l'impression qu'elle est sans fin ! On peut naviguer dessus, et y découvrir des choses.
— Mais il y aura de la terre, aussi ?
— Bien sûr. Il y aura des îles, avec tous les climats possibles. Désertique, tropical, hivernal, tempéré... il y en a pour tous les goûts !

_____En parlant de nuages, les voilà qui arrivent ! Nous les transperçons telle la lance d'un chevalier au galop, laissant derrière nous un trou béant d'où un immense rayon de lumière jaillit, comme pour nous accompagner. L'impact est brutal, sournois, déstabilisant. Ces doux amalgames de coton sont bien plus solides qu'il n'y parait, surtout à cette vitesse. Heureusement, il en faut plus pour menacer notre bâtiment et nous continuons notre descente sans encombre. Déjà, la mer se dessine.

— Euh, il faudra peut-être penser à ralentir, non ?

_____Yzora ne m'accorde à peine un regard, complètement débordée. Concentrée dans l'effort, elle canalise des tourbillons si violents que personne ne peut les approcher à moins d'un mètre, de peur d'être happé dans ce maelstrom chaotique et tout-puissant. Crispée, elle dirige de grandes quantités d'air droit vers les voiles les plus solides, les gonflants à la limite de la rupture. Toute la structure est tendue à l'extrême, et nous entendons parfois le bois se plaindre dans de longs bruits sourds et inquiétants. Malgré tout, notre chute ne ralentit pas, c'est à peine si nous changeons de direction.

— Pas d'inquiétudes, me crie Christobald entre deux respirations : en bas, l'air est plus dense ! Nous allons ralentir.

_____Et comme de fait, les voiles se tendent de plus en plus, le vacarme se fait de plus en plus assourdissant et nous nous cramponnons du mieux que nous pouvons, là où nous le pouvons, conscients que nous vivons peut-être nos derniers instants. Sur quoi reposait notre espoir, déjà ? Quelques informations glanées ici et là, à peine de quoi penser que la réponse était en haut. Et moi, la bouche en cœur, j'ai monté cette expédition ! Mais quelle folie, quelle folie mesdames et messieurs. Parfois, mon regard s'accroche à un autre regard, et je vois dans l'intensité de ce que nous échangeons que nous allons vivre. Je vois nos vies défiler, mais pas nos vies passées ; nos vies futures. Je vois ce peuple gagner la terre, hébété de se retrouver sur une île à peine plus grande que celle qu'il a quitté. J'anticipe leur excitation alors qu'ils découvriront la mer, la technologie, la civilisation. Mais aussi leur amertume quand ils verront qu'ils ne pourront pas se servir dans la nature comme ils l'ont fait jusque-là, leur déception quand ils comprendront que l'entre-aide et la solidarité ne suffiront pas à leur trouver une place dans la société, leur découragement lorsqu'il leur faudra tout reconstruire.

_____Reconstruire, ils le sauront. Ils sauront se relever après cette interminable chute. Ils se trouveront un coin de terre inoccupé quelque part sur Grand Line, sur une des innombrables îles qui ne sont pas encore sur la carte. Ils navigueront, ils exploreront, ils découvriront. Il leur faudra apprendre, réapprendre. Mais ils feront face. Aujourd'hui, leur épopée commence.
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