Tu te dis peut-être que j’ai l’air un peu con, comme ça, assis seul sur mon petit banc, à nourrir les piafs. Mais au moins, il fait plein soleil, et le cadre est pas dégueulasse. Un petit parc tout ce qu’il y a de plus pénard, il y a pire, non? Je suis bien, moi. Et toi, tu peux en dire autant? Sûrement pas, t’es dans ma tête, et dans ma tête ça ressemble sûrement pas à un petit parc. Le cadre, c’est important quand on se traîne une filature interminable. Ce commodore Vandersky, on peut dire qu’il sait profiter de ses permissions. Du coup, faut bien apprendre à profiter des petits plaisirs. Sauf que là, on dirait que ça va être gâché par ce vieux type qui s’approche. Dégarni sur le dessus, il a quand même laissé pousser ses cheveux grisonnants au lieu de tout raser pour éviter une catastrophe. Il ressemble à n’importe quel papy. Forcément, ça me met la puce à l’oreille.
« Je peux m’asseoir, jeune homme?
- ‘Sûr. »
Il fixe les oiseaux, l’air perdu. On attends comme ça bien quelques minutes. C’est normal, il faut que ça soit crédible quand même. Là, normalement, il va dire un truc énigmatique, genre leçon de vie.
« C’est pas la fiente, le problème.
- Ah. »
Ah.
« Ce sont les pigeons semeurs de fiente.
- Je vois.
- Ce que je veux dire, c’est qu’il faut voir plus loin que les symptômes.
- D’accord.
- Vous avez le bonjour de K.
- Ça, je m’en doutais. »
Et il se lève, comme ça, et puis s’en va vers l’horizon. Je me demande toujours ce qu’ils font, en rentrant chez eux, ces types. Être agent fixe, ça doit être vachement chiant. J’attends un peu, je jette quelques miettes, je déplie le journal que j’ai récupéré à un kiosque, et puis, d’un geste travaillé, je choppe la petite enveloppe que le vieux a collé sous le banc avant de partir. Parait qu’à un moment, on vous file un escargophone modifié qui vous file les messages avant de les détruire, mais c’est quand même moins marrant. Bref, laisse moi lire. Mise à jour de mission. Changement de cible. Ou plutôt, non, ajout de cible. Parce qu’évidement, surveiller une personne, ça suffit pas. Deux Vandersky? Me dit pas qu’ils se sont planté de mec. Non, c’est pas ça. Y’a bien deux Vandersky ici.
A la base, je suis là parce que ce nom est ressorti plusieurs fois, ces derniers temps. Des rumeurs, ou dans certains rapports bien enfouis. Visiblement, c’est plus que ça. Si j’en crois ce que je lis, mon commodore est bien impliqué dans la Révolution, et je parle de celle avec un R majuscule. Et quand je dis bien impliqué, je veux dire bien perché dans la hiérarchie. En somme, quelqu’un d’important. Ou en tout cas, si je suis pas trop con et que je comprend ce que je lis, ce quelqu’un d’important, c’est soit lui, soit son homonyme. Warren Wandersky. Tenancier.
Deux Wandersky, une île. Un ponte de la Révolution. Pas plus d’infos. Et moi, au milieu. L’avantage, c’est que je suis sûrement loin d’être seul. Si l’info est fiable, pour les agents du coin, ça doit être l’effervescence. C’est quand même pas tout les jours qu’on choppe le nom d’un chef de cellule.