- Le corps est encore tout chaud ! Faut y aller !
- Inutile de se presser, le cadavre ne va pas s’enfuir, si ? Laissez-moi terminer mes brochettes.
- On vous a pas invité pour vous empiffrer !
- La ferme Lieutenant, c’est Jay-jay qui l’a invité.
Loth dégusta entièrement ses brochettes de seiches au miel avant de se mettre en branle pour la scène de crime. La cariole filait à toute allure sur la rue G, la principale avenue sise dans le quartier chaud de la ville. Il était minuit passé. Une foule dense des fêtards aurait déjà dû s’y agglutiner, attirée par les lieux de plaisirs, les restaurants et la musique trop forte, remarqua le Moine Hérétique. Habituellement, ils auraient été pris dans un embouteillage monstre de voitures hippomobiles en tout genre.
- Au moins les commerces sont ouverts, c’est juste que les gens n’osent plus trop sortir, déclara tristement Davina Grantz. J’espère que tu vas régler ça rapidement, le binocle !
- Hmph…
- Toujours aussi bavard. On est encore loin, Lieutenant ?
- On a trouvé le corps à la 8e Tranche.
- C’est une des nouvelles cités extramuros qui ont poussé comme des champignons ces derniers temps. On y sera en moins d’une demi-heure. Ça remonte à quand ta dernière visite à Bliss ?
- Les funérailles de feu de ton père.
- Ah. Sept mois ont passé depuis. C’est la première crise qu’affronte Jay-jay depuis qu’il a été couronné. Il pense que si tu avais accepté le poste proposé, il n’y aurait rien eu de tel.
Il fallut un moment à Loth pour comprendre à quoi elle faisait allusion. Cette information, il l’avait archivée quelque part, très loin dans son cerveau. Au lendemain de son couronnement, le nouveau roi l’avait effectivement prié d’accepter le poste de conseiller royal. Il aurait volontiers accepté, si le prérequis n’incluait pas de se sédentariser à Bliss. Loth aimait beaucoup cette île -dont il était d’ailleurs le citoyen naturalisé- tout autant que l’hivernale Boréa dans North Blue, mais son cœur était celui d’un nomade. Très peu de ses voyages à Bliss avaient eu pour thème congés ou villégiature, constata-t-il. Lutte contre les syndicats ouvriers, contre Ashura et son réseau de blanchiment d’argent, chasse au trésor s’étant transformé en combat contre un révolutionnaire cannibale où le précédent souverain a trouvé la mort…
- Vrai qu’à chaque fois que tu te pointes, y a un truc chelou qui se passe ici, le binocle, déclara Davina comme si elle avait lu ses pensées.
- Rappelle-toi : vous m’avez invité. Je n’y suis pour rien cette fois-ci.
- On est arrivé; déclara le lieutenant. Pour votre sécurité, princesse…
- N’essayez même pas Roches, je viens. Jay m’a dit de coller à Loth comme un cataplasme sur une plaie.
- C’est toi la plaie.
Le corps n’avait pas été dissimulé. Un long couteau planté dans l’abdomen, il gisait sur le sol au milieu de la ruelle piétonne. De part et d’autre s’élevaient les immeubles d’habitations gris qui formaient cette banlieue étendue et laide. La mare de sang qui entourait le corps indiquait que la victime avait été tuée là. Loth jeta un regard aux immeubles. Très peu de lumières, personne aux balcons. Pas très étonnant à cette heure de la nuit. L’odeur de tripes due à la l’éventration saturait l’air. Il s’approcha puis s’agenouilla pour humer la victime, ignorant les regards ronds que lui lancèrent les Marines. Davina l’imita dans ses œuvres.
Si près, le cou de la femme embaumait l’essence de pétunia, un parfum bas de gamme à l’instar des bijoux en toc et des friperies qu’elle portait. Il nota mentalement : femme de la tribu des longs-bras, blanche, blonde, yeux verts éclatants -enfin plus maintenant-, pommettes relevées, taille fine, 1m79 maximum. Elle était belle malgré tout. Des hématômes cerclaient ses poignets, signe que quelqu’un l’avait fortement agrippée. Il s’arma de sa loupe et son flash dial. Sur le manteau en peau de vision de la victime, il releva un long poil brun. « Chien ? » demanda Davina. Loth acquiesça du chef et enchaina : « Rien sous ses ongles, dommage. Elle n’a pas pu blesser son agresseur ». Il porta son attention sur le couteau qu’il mesura minutieusement avec mon mètre ruban. Le manche mesurait dix centimètres et semblait être fait d’un bois couleur noire avec des motifs naturels bruns pâles entrelacés. « On dirait du palmier... » murmura le Moine.
- Faux ! rétorqua la princesse à quatre pattes, contente de corriger ce monsieur-je-sais-tout. C’est de la Morta.
- Vraiment ? fit Loth, sincèrement surpris. Comment peux-tu le savoir sans aucune analyse ?
- Parce que nous en avons une collection au palais. En plus, les couteaux, c’est mon dada, répondit-elle en montant l’intérieur de sa veste où étaient rangés une trentaine de couteaux de toutes tailles.
- C’est peut-être toi le meurtrier, tiens. Tu étais où ce soir ?
- Avec toi, triple andouille.
- Pardon, mais c’est quoi cette morta ? demanda Roches en interrompant leur rigolade.
- Quand elle vivante, cette plante est appelée chêne des marais, répondit Loth. La morta est un chêne mort, qui a séjourné des milliers d’années piégé dans les tourbières. En exploitant les tourbières, les hommes ont excavé cette matière qui est très prisée pour sa robustesse. Qui vend ce genre de couteau, Davina ?
- Aucune idée, je vais demander au maître d’armes du palais royal. Ça peut être une bonne piste. Quid des couteaux qui ont servi à tuer les précédentes victimes, lieutenant ?
- Pour nous, c’étaient de banals couteaux de boucher...
- Je dois réexaminer tout ce que vous avez, déclara Loth.
- T’inquiète, ils ont déjà préparé ça, j’y ai veillé. Le Colonel Dickson, maudit soit-il, n’a formé personne pour prendre sa relève. Quand il a démissionné, il a laissé la 19è dans un putain de désordre. Ils ont tous fait du travail d’amateur. Tu pourrais rester après pour les former à mener une enquête en bonne et due forme, Binocle.
- Terminons déjà ce que nous avons commencé ici.
- La lame est en inox et non gravée, constata la princesse. Etrange... l’artisan n’a laissé sa signature nulle part. Ni sur la lame, ni sur le manche.
- C’est pour ça que pour nous, c’étaient juste des banals couteaux de bouchers, se défendit le lieutenant, piqué à vif par les remarques acerbes de Davina Grantz.
- Et bien sûr, vous avez passé votre temps à interroger tous les bouchers de Portgentil ?!
- Pas que, Princesse, on a également interrogé les associations de chasseurs, les ménagères et tous ceux qui peuvent utiliser ce genre de couteaux.
- Ce que je dis. De l’amateurisme. Taisez-vous et apprenez du meilleur ! A-t-elle été abusée ? demanda-t-elle en se retournant vers Loth occupé à farfouiller sous les jupes du cadavre.
- Pas de viol, apparemment. Correction, je ne suis pas le meilleur. Dickson était bien au-dessus, les détails qu’il repérait et les déductions qu’il en faisait... dieu ! C’était de l’art !
- C'était aussi un lâche et j'en suis pas fan.
- Il avait ses raisons.
- Sinon, cette éventration tout de même ! Le tueur a embroché la pauvre dame dans l’aine puis a remonté jusqu’au sternum. Il l’a sacrément ouverte, comme un putain de poisson ! Regarde, le premier coup était si violent que la pointe du couteau est ressortie dans son dos.
- Soit ce type est un monstre, soit, il ne connait pas sa force.
- T’inquiète binocle, il va bientôt apprendre à connaitre la nôtre.
- Inutile de se presser, le cadavre ne va pas s’enfuir, si ? Laissez-moi terminer mes brochettes.
- On vous a pas invité pour vous empiffrer !
- La ferme Lieutenant, c’est Jay-jay qui l’a invité.
Loth dégusta entièrement ses brochettes de seiches au miel avant de se mettre en branle pour la scène de crime. La cariole filait à toute allure sur la rue G, la principale avenue sise dans le quartier chaud de la ville. Il était minuit passé. Une foule dense des fêtards aurait déjà dû s’y agglutiner, attirée par les lieux de plaisirs, les restaurants et la musique trop forte, remarqua le Moine Hérétique. Habituellement, ils auraient été pris dans un embouteillage monstre de voitures hippomobiles en tout genre.
- Au moins les commerces sont ouverts, c’est juste que les gens n’osent plus trop sortir, déclara tristement Davina Grantz. J’espère que tu vas régler ça rapidement, le binocle !
- Hmph…
- Toujours aussi bavard. On est encore loin, Lieutenant ?
- On a trouvé le corps à la 8e Tranche.
- C’est une des nouvelles cités extramuros qui ont poussé comme des champignons ces derniers temps. On y sera en moins d’une demi-heure. Ça remonte à quand ta dernière visite à Bliss ?
- Les funérailles de feu de ton père.
- Ah. Sept mois ont passé depuis. C’est la première crise qu’affronte Jay-jay depuis qu’il a été couronné. Il pense que si tu avais accepté le poste proposé, il n’y aurait rien eu de tel.
Il fallut un moment à Loth pour comprendre à quoi elle faisait allusion. Cette information, il l’avait archivée quelque part, très loin dans son cerveau. Au lendemain de son couronnement, le nouveau roi l’avait effectivement prié d’accepter le poste de conseiller royal. Il aurait volontiers accepté, si le prérequis n’incluait pas de se sédentariser à Bliss. Loth aimait beaucoup cette île -dont il était d’ailleurs le citoyen naturalisé- tout autant que l’hivernale Boréa dans North Blue, mais son cœur était celui d’un nomade. Très peu de ses voyages à Bliss avaient eu pour thème congés ou villégiature, constata-t-il. Lutte contre les syndicats ouvriers, contre Ashura et son réseau de blanchiment d’argent, chasse au trésor s’étant transformé en combat contre un révolutionnaire cannibale où le précédent souverain a trouvé la mort…
- Vrai qu’à chaque fois que tu te pointes, y a un truc chelou qui se passe ici, le binocle, déclara Davina comme si elle avait lu ses pensées.
- Rappelle-toi : vous m’avez invité. Je n’y suis pour rien cette fois-ci.
- On est arrivé; déclara le lieutenant. Pour votre sécurité, princesse…
- N’essayez même pas Roches, je viens. Jay m’a dit de coller à Loth comme un cataplasme sur une plaie.
- C’est toi la plaie.
Le corps n’avait pas été dissimulé. Un long couteau planté dans l’abdomen, il gisait sur le sol au milieu de la ruelle piétonne. De part et d’autre s’élevaient les immeubles d’habitations gris qui formaient cette banlieue étendue et laide. La mare de sang qui entourait le corps indiquait que la victime avait été tuée là. Loth jeta un regard aux immeubles. Très peu de lumières, personne aux balcons. Pas très étonnant à cette heure de la nuit. L’odeur de tripes due à la l’éventration saturait l’air. Il s’approcha puis s’agenouilla pour humer la victime, ignorant les regards ronds que lui lancèrent les Marines. Davina l’imita dans ses œuvres.
Si près, le cou de la femme embaumait l’essence de pétunia, un parfum bas de gamme à l’instar des bijoux en toc et des friperies qu’elle portait. Il nota mentalement : femme de la tribu des longs-bras, blanche, blonde, yeux verts éclatants -enfin plus maintenant-, pommettes relevées, taille fine, 1m79 maximum. Elle était belle malgré tout. Des hématômes cerclaient ses poignets, signe que quelqu’un l’avait fortement agrippée. Il s’arma de sa loupe et son flash dial. Sur le manteau en peau de vision de la victime, il releva un long poil brun. « Chien ? » demanda Davina. Loth acquiesça du chef et enchaina : « Rien sous ses ongles, dommage. Elle n’a pas pu blesser son agresseur ». Il porta son attention sur le couteau qu’il mesura minutieusement avec mon mètre ruban. Le manche mesurait dix centimètres et semblait être fait d’un bois couleur noire avec des motifs naturels bruns pâles entrelacés. « On dirait du palmier... » murmura le Moine.
- Faux ! rétorqua la princesse à quatre pattes, contente de corriger ce monsieur-je-sais-tout. C’est de la Morta.
- Vraiment ? fit Loth, sincèrement surpris. Comment peux-tu le savoir sans aucune analyse ?
- Parce que nous en avons une collection au palais. En plus, les couteaux, c’est mon dada, répondit-elle en montant l’intérieur de sa veste où étaient rangés une trentaine de couteaux de toutes tailles.
- C’est peut-être toi le meurtrier, tiens. Tu étais où ce soir ?
- Avec toi, triple andouille.
- Pardon, mais c’est quoi cette morta ? demanda Roches en interrompant leur rigolade.
- Quand elle vivante, cette plante est appelée chêne des marais, répondit Loth. La morta est un chêne mort, qui a séjourné des milliers d’années piégé dans les tourbières. En exploitant les tourbières, les hommes ont excavé cette matière qui est très prisée pour sa robustesse. Qui vend ce genre de couteau, Davina ?
- Aucune idée, je vais demander au maître d’armes du palais royal. Ça peut être une bonne piste. Quid des couteaux qui ont servi à tuer les précédentes victimes, lieutenant ?
- Pour nous, c’étaient de banals couteaux de boucher...
- Je dois réexaminer tout ce que vous avez, déclara Loth.
- T’inquiète, ils ont déjà préparé ça, j’y ai veillé. Le Colonel Dickson, maudit soit-il, n’a formé personne pour prendre sa relève. Quand il a démissionné, il a laissé la 19è dans un putain de désordre. Ils ont tous fait du travail d’amateur. Tu pourrais rester après pour les former à mener une enquête en bonne et due forme, Binocle.
- Terminons déjà ce que nous avons commencé ici.
- La lame est en inox et non gravée, constata la princesse. Etrange... l’artisan n’a laissé sa signature nulle part. Ni sur la lame, ni sur le manche.
- C’est pour ça que pour nous, c’étaient juste des banals couteaux de bouchers, se défendit le lieutenant, piqué à vif par les remarques acerbes de Davina Grantz.
- Et bien sûr, vous avez passé votre temps à interroger tous les bouchers de Portgentil ?!
- Pas que, Princesse, on a également interrogé les associations de chasseurs, les ménagères et tous ceux qui peuvent utiliser ce genre de couteaux.
- Ce que je dis. De l’amateurisme. Taisez-vous et apprenez du meilleur ! A-t-elle été abusée ? demanda-t-elle en se retournant vers Loth occupé à farfouiller sous les jupes du cadavre.
- Pas de viol, apparemment. Correction, je ne suis pas le meilleur. Dickson était bien au-dessus, les détails qu’il repérait et les déductions qu’il en faisait... dieu ! C’était de l’art !
- C'était aussi un lâche et j'en suis pas fan.
- Il avait ses raisons.
- Sinon, cette éventration tout de même ! Le tueur a embroché la pauvre dame dans l’aine puis a remonté jusqu’au sternum. Il l’a sacrément ouverte, comme un putain de poisson ! Regarde, le premier coup était si violent que la pointe du couteau est ressortie dans son dos.
- Soit ce type est un monstre, soit, il ne connait pas sa force.
- T’inquiète binocle, il va bientôt apprendre à connaitre la nôtre.
Dernière édition par Loth Reich le Lun 11 Jan 2021 - 23:45, édité 2 fois