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Convoi 01 - A New Rope

Convoi 01 - A New Rope Prison10

A New Rope, le navire spécialement affecté au transport des condamnés, vogue à vive allure sur les Blues. C'est un bâtiment de petite taille, à peine plus armé qu'un navire marchand. L'espace d'habitude dédié à l'artillerie est, ici, réservé à une suite de cellules surchargées de gibier de potence. Le convoi traite sa marchandise avec les égards habituels, ni plus ni moins. Le service comprend gruau, bassine d'eau pour les ablutions et un demi citron chacun pour éviter les maladies en cours de route. La traversée est longue, mais aucun prisonnier ne trouve le voyage interminable. Leur Koneashima leur manque. Ancien berceau de culture féodale, l'île était peu à peu devenue une zone régie par le Gouvernement Mondial. Et lorsque la loi martiale fut votée par l'Assemblée des Nations, Mint Figura, une des Etoiles du conseil des Cinq, en profita pour faire le ménage sur son terrain.

La quasi totalité des prisonniers viennent de l'île et une majorité d'entre eux sont les vestiges de la Patrie, une des plus anciennes familles mafieuses des Blues. En dépit de leurs tunnels creusés sous la ville et des stratégies pour échapper à la vigilance du Gouvernement, l'ancien agent du Cipher Pol avait nettoyé de fond en comble les derniers recoins de résistance. La Patrie avait, par le passé, vendu des armes aux révolutionnaires. Elle cherchait à renouer le lien avec ceux-ci lorsqu'ils se firent attraper et expédier à leur lieu de jugement, sans le moindre procès.

Nosono Chiyo n'avait opposé aucune résistance lors de sa capture. C'était trop tard pour elle, qui n'était pas bien en mesure de se défendre face aux forces déployées par le Gouvernement Mondial. Ses personnes de confiance, Morri Awa et Gek Teikan, étaient également du voyage. Gek avait résisté, en vain. Quant à Morri, il avait secrètement dénoncé sa patronne afin d'obtenir sa place. Quand à sa surprise, Mint Figura l'arrêta lui aussi, il récompensa ses loyaux services en taisant sa trahison au sein de son clan. Tous les trois font à présent route vers le lieu de leur exécution, gardés par un équipage de la Marine restreint, mais compétent.
    Un atterrissage des moins alarmants possibles, pour ne pas affoler les soldats présents à bord plus que nécessaire.

    Pour l'occasion, le tatoué avait ressorti sa tenue plus caractéristique d'agent du Cipher Pol, pour laisser deviner via son apparence la raison de sa présence sur l'embarcation avant d'user des mots. Ses souliers noirs étaient cirés et parfaitement ajustés à sa pointure, tandis que dans son pantalon en velours confortable noir était rentrée sa chemise blanche parfaitement repassée. Le repassage n'était cependant pas utile puisque l'agent en avait ouvert la majorité des boutons pour la retourner vers le bas et en attacher les manches à sa taille, garantissant un torse le plus nu possible sans pour autant retirer entièrement son haut de fonction. Des gants noirs de la même matière que son bas de costume venaient protéger ses mains d'éventuels fluides, corporels ou autres, nuisibles. Enfin, il avait troqué ses boucles d'oreilles habituelles pour de nouvelles, dont le bijou était un petit disque argenté brillant sur lequel était gravé le symbole du Gouvernement Mondial - une chaîne élégante attachée à la jambière gauche de son pantalon y faisait écho de par sa teinte scintillante semblable, comme son piercing nasal toujours en place. La surface de peau qu'il avait laissée à l'air libre était recouverte par ses éternels tatouages.
    Si suffisamment de libertés avaient été prises et validées par les tailleurs que ses coordinateurs lui avaient trouvés, c'était aussi pour signifier qu'il était bien un agent et non un sbire, et qu'il avait donc plus de pouvoir que cette masse noire que le pôle considérait comme étant composée d'une majorité d'incapables.

    Mais assez parlé de stylisme, même s'il fallait avouer que ce renouveau ne déplaisait pas au sniper. Après un instant de récupération dû à l'effort demandé par un Geppou plus délicat qu'habituellement, il releva la tête et constata qu'effectivement, toutes les armes étaient braquées sur lui. Il y avait encore un bout de chemin à faire avant d'arriver à une entente interne parfaite du Gouvernement Mondial. L'officier qui était manifestement en charge du transport des captifs leva la main pour se présenter silencieusement, et somma à l'homme à la peau brûlante d'en faire de même.

    "Cipher Pol cinq. Je n'ai pas à user de la violence contre vous, et ne le souhaite pas non plus."

    Uzi tâta discrètement le tissu de sa chemise retournée, vérifiant que les deux étuis de revolvers modèle taurus qui étaient rattachés au velours de son pantalon étaient toujours là. Le regard strict et endurci par ce qui paraissait être des décennies de discipline militaire, le haut-gradé lui pria d'expliquer pourquoi diable il venait perturber leur calme et reposant transport de prisonniers dangereux.

    "Nous avons des informations à recueillir de la part de madame Chiyo et de ce qu'il reste de la Patrie. Les blesser au sein de votre embarcation n'est pas une de nos options. C'est un pur interrogatoire."

    L'officier désapprouvait clairement cette initiative d'un point de vue personnel, mais reconnaissait qu'il ne pouvait pas s'y opposer d'un point de vue légal. La vérité était aussi qu'à défaut de mentir, le tatoué n'avait pas tout à fait précisé tous les tenants et les aboutissants de sa mission sur le petit rafiot.
    Tout ça n'avait plus d'importance puisque la permission lui avait été accordée, et les carabines qui le visaient jusqu'ici en plein cœur avaient retrouvé leur place le long des jambes droites des soldats en uniforme blanc. Il s'avança calmement vers le compartiment en bois destiné à accueillir les criminels, et y pénétra dans une atmosphère bien plus sombre que le pont du bateau, qui avait la chance d'être éclairé par une agréable lumière du jour.
    Il longea silencieusement l'ancienne réserve d'armes réaménagée en suite de geôles habitées par d'anciens mafieux tous plus désespérés les uns que les autres. Observant avec dédain le drôle de personnage qui se présentait à leurs yeux, certains n'hésitaient pas à lancer des remarques sur son apparence, le traitant de pouilleux ou de puant. L'un d'entre eux était même parvenu à détacher un vieux bout de bois de la structure du navire et à le jeter comme il le pouvait au visage de l'agent, qui l'évita d'un léger Kami-E. Si Uzi n'était encore que catégorie trois pour plusieurs raisons de régularité et de manque d'occasions de faire ses preuves, il était déjà en avance dans sa maîtrise des Six Styles.

    Arrivant au bout du large couloir improvisé, il se retrouva enfin devant les trois notables qui intéressaient son pôle. Nosono "Mère" Chiyo, désabusée et semblant déjà accepter le destin que le Gouvernement lui dessinait, n'avait apparemment même plus la force de regretter d'avoir eu cette responsabilité qu'elle n'avait pas demandé et, bien qu'une gamelle de nourriture à l'avoine lui était gracieusement offerte, elle n'y avait pas touché. Tout comme son comparse le plus fidèle Gek "Toutou" Keikan, recroquevillé sur lui-même, dont les sanglots retentissaient dans toute la réserve, et dont les larmes coulaient abondamment à tel point qu'il n'osait pas montrer son visage. Morri "Classieux" Awa, en revanche, n'avait pas attendu pour consommer entièrement son bol et regardait les autres détenus d'un air benêt en fronçant les sourcils, comme pour essayer de masquer la panique interne qui l'attaquait intérieurement au moment-même où le sniper était sur l'embarcation. Il avait une cigarette éteinte à la bouche et semblait la mâchouiller pour évacuer le stress.

    Les trois avaient été munis de menottes de granit marin par précaution, quand bien même les dernières sources avaient confirmé qu'aucun des trois pégreleux n'avait ingéré de fruit du démon. La cheffe avait même refusé d'en consommer un, paraissait-il, alors même qu'une vieille tradition de la mafia le lui obligeait. Uzi leva les yeux au ciel et, connaissant le coût de l'exploitation du granit bloquant les pouvoirs surnaturels, réalisa encore un peu plus pourquoi la Marine faisait face à autant de soucis en terme de gestion de budget.
    Il était en tout cas temps pour lui d'entamer les hostilités, aussi s'accroupit-il sur ses genoux et, plus impassible que jamais, regarda dans les yeux l'ancienne "Mère" affalée derrière les barreaux.

    "Vous avez réponse à plusieurs de nos questions. Je vois que la vie de criminelle n'était pas faite pour vous, puisque vous et presque tous vos subordonnés êtes ici. Vous ne verrez aucun inconvénient à partager vos dernières pensées avec un agent dans le besoin, je présume."

    Le blondinet se reprit brusquement et, une expression alarmée sur le visage, tendit le bras vers son ancienne patronne avant d'être bloqué par les chaînes dans son élan.

    "Non, Mère ! Vous tenez à la Patrie n'est-ce pas ? Vous n'avez pas envie de divulguer ces informations, je le sais ! Gardez la raison, je vous en prie !"

    L'agent se tourna vers celui qui était le Premier Bras Droit de la famille et lui fit signe de se taire.

    "Ne lui coupe pas la parole, c'est malvenu de ta part. Tu pourras parler juste après."

    Alors que ses répliques paraissaient d'une ironie sardonique, l'agent prenait en réalité son rôle d'interrogateur très à cœur et n'avait pas sourcillé depuis son entrée dans le compartiment. L'ex-Deuxième Bras Droit répondit d'un gloussement nerveux, se donnant l'air de celui qui était complètement détaché de ce qui se passait devant lui. L'homme a la peau brûlante redirigea alors son regard vers lui et décida qu'il était temps de poser son ultimatum.

    "Je n'ai pas encore dit le plus drôle, monsieur Awa. Vous le savez, la Purge a été lancée, et les moyens qu'ils comptent employer pour vous exécuter ne sont pas connus, pas même de ma propre hiérarchie. Celui d'entre vous trois qui me dit ce que j'ai à savoir repart d'ici avec moi, et je m'occupe de l'achever moi-même. Je peux vous garantir une mort de quelques secondes. J'attends vos aveux."

    Un petit peu de mensonge, un peu de vérité cachée contre une dose majoritaire de réalité agencée comme bon lui semblait. Uzi commençait définitivement à tirer des leçons de ses formations et de ses missions précédentes. La patience était désormais supposée lui offrir ce qu'il voulait.
    À moins qu'un autre voyageur imprévu perturbe la situation.


    Dernière édition par Tim Uzi le Jeu 1 Avr 2021 - 21:01, édité 1 fois
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    Donc, si Ragnar Etzmurt vous apparait en uniforme partiel du CP5 en vous disant qu'il vient en paix, vous le laissez seul avec vos prisonniers ? Je prends la suite de l'opération. Vous, mobilisez des gardes supplémentaires au couloir des prisonniers, prêts à agir sur mon ordre. Rompez, Colonel.

    L'officier sermonné se leva de son propre siège, penaud et furieux. Lui qui avait accueilli avec joie le commodore Hadoc, venu en renfort et sans volonté de s'immiscer dans son opération, se voyait aussitôt déchu de ses fonctions. Tous avaient connu ce goût amer d'impuissance, mais les haut-gradés en oubliaient l'infecte saveur avec le temps. Les tanins de la frustration rappelaient au colonel les lointains raisins de la colère. Cependant, Hadoc avait raison et, au-delà de la simple reprise de pouvoir, il voulait surtout lui démontrer la facilité avec laquelle il perdait le contrôle de la situation. Après tout, n'avait-il pas accueilli le commodore avec aussi peu de précautions que l'agent du Cipher Pol ? Quand Gharr se retrouva seul maître à bord, il informa par escargophone le QG de l'intrusion et demanda un maximum d'informations via le mini-escargophone calé dans son oreille. Sur l'agent en place, mais aussi sur la confirmation des services du Cipher Pol qu'ils avaient bien dépêché un des leurs et le motif de cet envoi. L'idée était de mettre à nu la stratégie des services secrets et de les pousser officiellement à prendre les responsabilités de leur ingérence, sinon incompétence.

    Car le commodore Gharr Hadoc avait recoupé les informations. D'une part la Patrie avait été arrêtée par Mint Figura, Etoile, mais aussi ancien agent du Cipher Pol. Les services secrets avaient donc déjà eu l'opportunité d'interroger les prisonniers. D'autre part, l'amirale en chef Kenora Makuen avait mis la pression sur tous les amiraux et des rumeurs de tension entre Marine et Cipher Pol trainaient dans l'air. Il était coutumier que les agents et les soldats se tirent la couverture à eux, se fustigent ou se chamaillent. Tout autant que la Marine et la Marine d'élite. Mais c'était précisément parce que ces deux derniers groupes semblaient agir par front commun que le Ghost Dog sentait dans l'atmosphère le nébuleux d'une sépulcrale menace. La guerre bouleversait tout, y compris la force responsable de maintenir l'ordre. Bien sûr il pouvait montrer trop de méfiance. Cependant,  personne ne se fait jamais accuser d'être trop prudent sur un champ de bataille.

    Il ne fallut guère longtemps au commodore pour rejoindre la cellule d'où l'agent menait son interrogatoire. A son arrivée, il proposait de tuer l'un d'eux, après l'avoir emmené. Le Cipher Pol passait son temps à mépriser la Marine, mais Gharr restait curieux de voir le registre des missions échouées du côté des services secrets. Celui qui ne montrait jamais ses cartes avait toujours le loisir de prétendre qu'il ne jetait que des mauvaises mains.

    L'officier avoisinant les deux mètres remplit les délimitations de la porte ouverte. Il portait un kimono traditionnel shimotsukien de couleur bleu nuit, sur lequel était posé la veste blanche à épaulettes dorées des commodores. Ses bottes avaient laissé place à des getas, sortes de sandales de bois avec d'épaisses lattes en guise de semelle. Ces semelles faisaient énormément de bruit, surtout sur le bois d'un navire. Or, Tim n'avait pu entendre les claquements caractéristiques de ces chausses jusqu'à l'arrivée de l'officier. Gharr avait la peau sombre, les cheveux et la barbe drus et de nombreuses cicatrices. On l'aurait presque pensé incarné des peaux dont aucun empailleur ne voulait plus. Son visage comptait à lui seul une dizaine de cicatrices, dont une bien marquée sur sa joue gauche qui partait de l'arête de son nez pour fini sous la fourrure séparant la joue de l'oreille. Les rides naturelles finissaient de creuser ce visage usé, strict et figé dans une moue qui semblait éternellement réprobatrice. Pourtant, la voix était douce, sereine et modulée. Comme si de cette enveloppe mâchonnée par la plus vorace des guerres servait d'écrin à un son qui appelle naturellement à la paix. Ce qui pouvait expliquer que ses fourreaux soient tous vides.

    Commodore Hadoc, officier en charge de cette mission. Eloignez-vous des prisonniers, déclinez votre identité et dites-moi ce que vous faites là. Vous n'êtes pas encore en état d'arrestation, mais je vous demande de cesser immédiatement de torturer les détenus et de pleinement collaborer avec la Marine en place. Que vous soyez du Cipher Pol ou non, ce n'est pas votre terrain.

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    L'agent se retourna calmement, observant avec curiosité les cicatrices mal éclairées et la tenue shimotsukienne chic de celui qui s'était invité dans son interrogatoire. Il fut surpris, peut-être plutôt agréablement d'ailleurs, de découvrir qu'il se trouvait désormais dans la même pièce qu'un gros poisson de la Marine. Un grand homme - littéralement, puisqu'il dépassait même le sniper de quelques centimètres - qui était connu pour faire l'effort de véhiculer des valeurs héritées plus ou moins consciemment de l'esprit bushido dans sa démarche d'officier.
    Celui-ci, une fois n'était pas coutume, venait une fois de plus prouver la méfiance extrême qui planait dans l'air concernant les services secrets et les services militaires publics. Si Uzi était impressionné par celui qui se tenait en face de lui, d'autant plus qu'il lui était connu depuis avant même sa propre entrée dans les filons du Cipher Pol, il n'avait de toute façon aucune intention d'attiser cette jalousie mutuelle qui semblait rugir sauvagement dans chaque instance gouvernementale où il mettait les pieds.

    Il interrompit alors sa mission, fit volte-face et s'avança vers son interlocuteur et révéla lentement ses deux holsters, avant d'ouvrir le gauche pour jeter le plus ostensiblement possible les deux taurus chargés qui s'y trouvaient sur le plancher du navire. L'autre qui avait déjà, par pur réflexe, posé la main sur son troisième fourreau - pourtant aussi vide que les deux autres - leva les sourcils manifestement intrigué, bien que sa carrure et son aura particulière semblaient plutôt indiquer que plus rien n'était en mesure de réellement l'étonner. L'agent chercha ensuite dans son étui droit, provoquant le même réflexe aussi brusque qu'empli de discipline chez le Commodore, avant de le rassurer tant bien que mal en lui suggérant d'arrêter la paume de sa main et en sortant du holster un encrier miniature. L'armurier activa le dispositif et démarra un tatouage sur la zone entre sa nuque et son lobe d'oreille gauche ; bien que n'étant pas exactement sous sa juridiction, il obéit ensuite aux ordres du haut-gradé barbu.

    "Uzi, agent catégorie trois du Cipher Pol cinq. Mon pôle m'a notifié que le vénérable Figura avait directement envoyé ces trois criminels purger leur peine, sans entrevue. Connaissant sa réactivité, ils ont préféré considérer qu'il ne l'avait pas fait par oubli, mais par volonté d'exécuter rapidement et de donner l'exemple. Or mes supérieurs ont vu cette démarche comme l'abandon évitable d'informations potentielles pour le Gouvernement, et m'ont donc finalement déployé ici."

    L'homme à la peau brûlante, continuant à creuser la micro-arabesque abstraite qui prenait forme sur le côté de son cou, se retint d'annoncer à Hadoc qu'il était assez admiratif de lui depuis quelques années. Ce n'était pas approprié dans le cas présent. Le colosse ne montra aucun signe de pitié et, présent depuis l'accord que le tatoué proposait aux trois captifs, souleva le point important.

    "Vous n'oubliez rien ? N'étiez-vous pas en train de négocier quelque chose avec les prisonniers ?"

    Sur la fin de son tatouage, Uzi comprit immédiatement de quoi il était question et s'empressa de répondre le plus calmement possible, alors que la situation recommençait déjà à le mettre partiellement mal à l'aise.

    "C'est exact, commodore Hadoc, mais rien ne semble indiquer que j'allais tenir cette promesse. Elle aurait tout aussi bien pu être un faux chantage visant simplement à les faire parler."

    L'officier en kimono souffla du nez sans réellement montrer un véritable signe d'amusement, et répliqua rapidement en tentant de coincer le sniper dans sa propre logique.

    "Admettons, alors ne viendriez-vous pas de vous trahir ? Si ce stratagème était celui pour lequel vous avez opté, maintenant que les prisonniers vous ont entendu, il n'a plus aucune chance de fonctionner. Mentez-vous, agent ? Et si ce n'est pas le cas, pourquoi auriez-vous délibérément fait échouer votre plan initial ?"

    Le tatoué soupira, comme quelqu'un qui ne parvenait pas à se faire comprendre. Il décida alors d'exposer très clairement les intentions qu'il avait depuis qu'il était confronté à Hadoc, espérant finir par le convaincre. Mais à l'instant où il ouvert la bouche, il fut interrompu par Morri Awa, apparemment mécontent d'avoir manqué de se faire berner.

    "Attends pouilleux, tu veux dire que ces histoires d'aider l'un d'entre nous à s'enfuir d'ici pour l'achever plus dignement, c'était du bidon ?"

    L'armurier marqua simplement un temps de pause de quelques secondes en regardant l'ancien Deuxième Bras Droit dans les yeux, et reprit sa discussion avec le gradé de la Marine.

    "Parce que maintenant que vous êtes ici, Commodore Hadoc, je suis prêt à abandonner la démarche prévue et à collaborer avec vous. J'imagine que vous aurez peut-être même, grâce à votre expérience, des idées plus efficaces que les miennes."

    Alors que les prisonniers semblaient s'être tus depuis l'arrivée du colosse aux épaulettes et que celui-ci réfléchissait, impassible, et évaluait les options qui s'offraient à lui, l'agent, bien qu'intimidé par son interlocuteur, finit enfin son arabesque. Il fit ensuite quelques pas vers la sortie, avant de se retourner et de s'arrêter quelques mètres derrière l'officier barbu. Il désigna ses revolvers d'un signe de tête, bien que Hadoc était maintenant devant lui.

    "Je suis moi-même basé sur le QG du G-4, à South Blue. On a tous souffert des brèches intra-gouvernementales, ou du moins nous ont-elles considérablement ralentis à plusieurs reprises, et je m'engage aujourd'hui à mener cette mission avec la Marine. Faites comme vous l'entendez, ma seule condition est de rester ici."

    L'agent parvenait peu à peu à reprendre la confiance qu'il avait au début de son apparition sur le bateau, bien qu'ayant toujours une voix trop grave et un volume trop bas pour paraître se sentir entièrement dans son élément. Pointant leurs cibles du doigt, il somma Hadoc de suivre un dernier conseil avant de définitivement se mettre en retrait.

    "Keikan ne parlera pas, quelles que soient les circonstances. Il est trop fidèle, même à une famille morte, pour trahir madame Chiyo. Elle, en revanche, a probablement beaucoup à nous dire, à commencer par la vente d'armes à des réseaux affiliés à la Révolution. Awa aurait également été capable de parler, mais maintenant qu'il sait qu'il sera exécuté de la même manière que les autres, il n'en sera rien. Donc privilégiez la Mère elle-même, Commodore."

    L'ancienne marraine baissa les yeux, semblant presque honteuse d'avoir révélé des secrets qui n'étaient pourtant pas encore sortis de sa bouche. Alors que le Premier Bas Droit semblait tout mettre en œuvre pour faire céder ses chaînes, en vain, le Classieux se contentait de faire la moue en regardant autour de lui, cherchant sans doute un autre moyen de la mettre à l'envers à quelqu'un d'autre pour sortir d'ici.
    La mission s'annonçait plus intéressante que prévue.


    Dernière édition par Tim Uzi le Ven 2 Avr 2021 - 0:59, édité 3 fois
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    L'attitude de l'agent du Cipher Pol avait de quoi intriguer. Aucune confrontation, aucune négociation à son avantage. Seule comptait sa mission et Uzi s'effaçait totalement pour l'accomplir, quitte à sacrifier ses avantages instaurés par une première stratégie. Cela faisait de lui un bon agent, mais aussi quelqu'un de plus dangereux qu'il devait le laisser paraître. A aucun moment les armes posées ne furent une façon de montrer pattes blanches. Ce n'était que du respect, de la diplomatie habile. Après avoir un peu suivi Uzi dans ses raisonnements, Hadoc le laissa libre et ne veilla qu'à laisser les armes hors de portée des prisonniers, même en cas de houle ou d'intervention plus humaine. Avec une étoffe fine, il rassembla les armes sans jamais entrer en contact direct avec et les noua précautionneusement en un petit colis qu'il rendit à l'agent du Cipher Pol.

    Bienvenue à bord, Agent Uzi. Evitons les armes dans les cellules. Sergent, apportez-nous cinq cafés, dans des gobelets en plastique.

    Le surveillant de couloir confirma l'ordre et partit s'acquitter de sa mission. Les détenus ne furent qu'à moitié surpris de compter dans le nombre de boissons. Depuis le début de la traversée, le commodore avait été courtois avec eux. Il se disait même que Hadoc veillait aux obsèques des pirates tombés sur son bâtiment. Rien n'était plus vrai. Cependant, personne n'oubliait que pour qu'il y ait obsèques, il fallait qu'il y ait victimes. Le guerrier de Shimotsuki agissait avec courtoisie, pas mansuétude. Ca aussi, les prisonniers en avaient conscience.

    Le temps que les cafés arrivent, le commodore retira sa longue veste et la replia à l'entrée de la cellule commune. Il invita Uzi à prendre ses quartiers et veilla à ce que chaque détenu soit en mesure de porter une main enchainée à sa bouche. L'endroit était propre, le tintement des chaînes presque agréable à l'oreille, au milieu des craquements sourds du bois et des lointaines voix des soldats ou autres pensionnaires. En dépit des circonstances, la cellule était bien moins lourde que les mouroirs de certains navires-convois, ainsi que de la plupart des négriers des nations indépendantes.

    Merci, Sergent.

    Uzi intercepta le plateau du soldat pour livrer les boissons dans ce nouveau lieu de réunion. Il tendit lui-même chaque gobelet aux différents convives et prit ses place et part en dernier. Même si Gharr fit attention à ce que l'agent n'en profite pour trafiquer les boissons, la suspicion demeurait proche du niveau de flottaison. Il remercia chaleureusement Uzi pour son initiative et trinqua avec lui une première gorgée. Même les prisonniers participèrent, à l'exception de Gek. Morri but une large lampée, comme si le gobelet allait lui être retiré avant qu'il finisse. Nosono trempa les lèvres par politesse, sans qu'on put savoir si elle avait réellement bu ou non. Elle semblait toutefois apprécier la chaleur du breuvage contre ses fins doigts. A cet étage, il faisait frais pour les petites constitutions.

    J'ai réfléchi, Agent Uzi. Je ne désire pas faire obstacle à votre service. Il est légitime que vos supérieurs vous demandent d'obtenir des résultats. Il y aura probablement énormément de prisonniers au lieu du jugement et une sécurité drastique mise en place. Guère de quoi permettre à un employé du Gouvernement, fut-il agent du Cipher Pol, de circuler librement pour mener ses récoltes. Je comprends votre situation et vous aiderai au mieux.

    Mais, voilà, moi-même ai des obligations. Ma mission est d'escorter et veiller sur les détenus. Cela comprend veiller à ce qu'ils restent en bonne santé et à les remettre en l'état au service judiciaire. Je ne peux autoriser l'extraction, l'exécution ou quelconque autre forme d'altération de la configuration actuelle. Ce sont des criminels, néanmoins les droits des prisonniers s'appliquent. Nous ne pratiquons aucune torture, qu'elle soit physique ou psychologique. Ces gens sont probablement condamnés à mort. Je ne peux accepter qu'on joue avec le temps de vie qu'il leur reste pour les berner ou leur faire espérer. C'est inconvenant.


    Ils jouent au bon et au mauvais agent. Ne vous laissez pas abuser, coupa Gek. Hadoc le regarda sans mépris, ni défiance, pour lui répondre directement.

    La tactique serait bonne, du moins aurait pu l'être. Mais dans ce genre de cas, ou le méchant détective obtient l'ascendant pour créer un besoin de protection chez les suspects, et l'urgence de vite se confier pour éviter la condamnation, ou bien la tactique vise à marchander la coopération en brouillant les repères et en offrant un choix. Vous n'avez pas de choix offert, si ce n'est celui de coopérer ou non. Je peux vous assurer que rien ne justifiera votre libération, au mieux un rapport de vos aveux sera remis aux autorités dès notre arrivée. L'autre faille, c'est que vous avez du temps. La traversée va durer plusieurs jours, nous sommes assis tranquillement et discutons. Je précise que nous débutons la discussion. Le bon et le mauvais agent ne sont pas intervenus suite à une usure des détenus. Ce n'est pas la tactique que vous dénoncez, Monsieur Teikan. Elle serait peu judicieuse, croyez-moi.

    Vous croire ? Pouffe ironiquement Morri. Votre parole n'a aucune valeur. Parce que vous méprisez les gens comme nous. On n'est que du gibier de potence. Il était où, votre café, quand on n'avait pas d'info à vous balancer ? Rien ne se marchande ? Mon cul ! C'est de la négoce qu'on fait là, mais où c'est nous le bétail. C'était pas assez de nous coffrer et de nous balancer dans la fosse, faut en plus voir si on ne peut pas encore nous presser un peu ? Vous nous bourrez le mou. Allez-vous-faire-foutre. Tous les deux.

    Morri finit son café et broie le gobelet avant de le taper au sol. Gharr ignorait tout de l'entourloupe de Figura et la trahison de Morri pour sauver sa peau, en vain. Après le tour de Tim, il était logique qu'il fulmine et ne concède plus le moindre crédit aux forces du Gouvernement Mondial. Cela n'importait pas vraiment. Après tout, ni Uzi, ni Hadoc avaient à souffrir de leur silence. Patient, le commodore ramassa le déchet et demanda à Morri s'il en voulait un autre. Le détenu en colère rit de l'absurde de la situation, mais accepta, précisant au passage qu'ils avaient intérêt à le laisser aller se soulager d'ici peu s'ils voulaient continuer à profiter de la bonne ambiance. C'était entendu et là encore Hadoc ne montra aucun signe d'irritation. L'intervenant un peu apaisé, faute de gens pour rebondir sur son coup de sang, il se tut et Gharr put enfin terminer ce qu'il disait à l'agent du CP.

    Je vous laisse engager les pourparlers, Agent Uzi. Si une solution venant à arranger tout le monde point, j'interviendrai. Je serai le soutien. Mais c'est votre enquête, votre interrogatoire. Je ne demande qu'une procédure propre, sans fausses promesses et avec tous les égards possibles envers ces gens. Pour eux, mais aussi pour que la Marine soit assurée d'avoir parfaitement rempli sa part. Proprement.
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    - Navire en approche !

         Un homme s'époumone au loin, du haut de son perchoir. C'est un simple mousse, une recrue comme il y en a beaucoup parmi les hommes de la Marine... Il faut bien commencer quelque part après tout. Mais ici, son rôle est des plus importants : prévenir d'un danger potentiel que personne d'autre ne peut voir avant lui.
         Le navire en question, c'est le mien. Du moins celui de mon employeur. Un bâtiment de la révolution semble-t-il, puisque la personne qui m'a recrutée - faisant passer le message par un Cavalier du nom de Sven Pacher - m'a transmis toutes les informations concernant les cibles à libérer, y compris les possibles transactions d'armes avec le réseau hors-la-loi. Etant étranger à toute cette histoire, j'ai des doutes sur la véracité de ces faits, mais je comprends que même s'il s'agit d'un mensonge, se servir de cette rumeur pour agir aura un impact sur les témoins de la scène. Quiconque verra la Révolution porter secours à des condamnés au nez et à la barbe du Gouvernement ne pourra penser autrement que le lien est fondé.
        Quant à moi dans tout ça ? Eh bien l'argument qu'a trouvé mon employeur est simple : un pirate en solo n'est rien de plus qu'un autodidacte que l'on peut faire verser dans le mercenariat... De gré ou de force. C'est aussi pour cette raison que Matt ne m'accompagne pas cette fois. Au moins il évite d'être blessé au cours d'un affrontement... Dans tous les cas, c'est un boulot comme un autre et, même si la récompense ne vaut pas les risques, c'est aussi une possibilité pour moi de récupérer des informations auprès des condamnés, à propos de mes parents. Peut-être les ont-ils aperçu, ou ont-ils entendu des choses à leur sujet.

         Je me positionne sur la proue, observant le vaisseau des prisonniers grossir lentement alors que nous les approchons depuis tribord. Je fais tourner les bagues de mes doigts avec le pouce, machinalement, pensant à ma dernière cigarette... Est-ce que ça vaut la peine d'en prendre une autre maintenant ?
        Le vent est en notre faveur. L'air est frais et vivifiant. Certains des gars derrière moi, vêtus légèrement, frissonnent, mais je ne bronche pas. Je retrousse délicatement les manches de ma chemise, entrouverte pour laisser pendre mes colliers, vérifie que la boucle de ma ceinture est droite, époussette mon pantalon noir et me prépare à l'arrivée. En face, j'imagine que l'on s'attroupe et que l'on nous observe à la longue-vue. Déjà les combattants autour de moi tâtent leurs armes... Les hostilités ne vont plus tarder.

        Le convoi possède quelques canons, et nous fonçons sur eux depuis le flanc. Autrement dit, nous risquons d'essuyer un ou deux tirs s'ils se décident à riposter à notre approche agressive. Je décide donc de clarifier la situation et de prendre les devants. Je m'excuse d'avance auprès du guetteur.
        Je crée une lance de glace que je soupèse et ajuste en conséquence. Je recule un peu - les hommes derrière moi font place, intrigués - respire un bon coup et, profitant de l'élan, m'élance le bras libre en avant pour enfin jeter l'arme en direction du nid-de-pie. Le projectile franchit la distance qui le sépare de sa cible à la vitesse d'un boulet de canon. Sa forme est parfaite, et l'air ne semble avoir aucune emprise sur lui, tant le lancer est efficace. Mon pouvoir y est pour beaucoup, la force seule ne permet pas de franchir ce genre de distance avec autant de précision sans un petit coup de pouce. Sans un mot, je tends le bras vers mon voisin, lui intimant de me donner sa longue-vue. Ceci fait, j'observe mon oeuvre...

        La lance termine enfin sa course et se plante dans le mât, à quelques centimètres à peine du visage du jeunot. La glace éclate à l'impact et les fragments manquent de le faire chuter de son perchoir. Mais il est en vie. Je soupire. De leur côté, on entend déjà des cris paniqués ou autoritaires. Chez nous, c'est le silence total : tout le monde me regarde sans trop savoir comment réagir.
        Je les regarde à mon tour et, pensant cerner l'origine du problème, dis :

    - Si vous faites appel à mes services, c'est pas pour ouvrir un stand de crème glacée, il me semble ! Alors soyez heureux que je coopère et profitez-en ! Au moins le ton est donné.


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    Je le boirai froid

    Précise le commodore en se levant, tandis qu'on annonçait aux deux employés du Gouvernement qu'un navire était en approche. Il salua respectueusement Uzi, ainsi que Chiyo, puis les laissa à leurs intérêts. En route pour le pont, le briefing fut succinct . Un trait de glace, projeté depuis l'autre navire. Un bâtiment sans couleur, ni drapeau pirate. Des révolutionnaires, probablement. Leur approche de flanc laissait à penser qu'il s'agissait de pillards opportunistes. Il fallait être fou pour attaquer un bâtiment de la Marine, fut-il de petite taille. Hélas, les mers des blues regorgeaient de jeunes impudents venus assurer leurs prétentions autotrophes. Souvent ils coulaient par le fond aux premières canonnades, ou l'infortune les amenaient à alimenter les équipes ouvrières de Tequila Wolf. Mais cette fois, c'était la glace qui précédait au crime.

    Sur le pont, Gharr emprunta une longue-vue et détailla le navire de chasse. Il était plus lourdement armé, mais prenait des risques inconsidérés pour casser la distance. La manoeuvre habituelle conseillait de briser l'ardeur de l'attaquant en lui boutant quelques langues de feu bien acérées. Malheureusement, A New Hope était allégé en artillerie et tout conflit mettait en péril la sécurité des prisonniers, en plus de l'équipage militaire. Les Marines n'étaient pas là pour remporter des médailles mais pour colporter leurs détenus. La manoeuvre d'esquive fut naturellement privilégiée.

    Alignez-vous avec le vent pour casser leur avantage et contactez les navires alliés aux alentours. Nous allons gagner du temps, le temps qu'un chasseur nous succède. Armez les canons de fuite et préparez-vous à faire feu à mon commandement. Sous-lieutenant, vous avez trois minutes pour me donner la liste connue des possesseurs des fruits de type, glace, froid, neige, cristal ou armes élémentaires. Leur franc-tireur s'échauffe. Ne rentrons pas dans son jeu.

    L'équipage s'anima selon les nouvelles directives. Bien vite, A New Rope Suivit la même voie que les poursuivants et profita d'autant de vent en poupe pour tenir la distance. L'expérience permit même à la Marine de reprendre l'avantage de la vitesse.

    Les révolutionnaires n'avaient pas, comme les convois du Gouvernement, le loisir de facilement se faire ravitailler en cas de pénurie alimentaire. Ils avaient donc les cales bourrées de vivres pour assurer leur traversée, mais aussi tout le matériel de rafistolage ou de quoi mener un assaut en poudre et boulets; sans parler des effets personnels des membres d'équipage. Le navire de la marine savait précisément combien de temps durerait leur traversée, ce que consomme un Marine à la bouchée près et qui contacter où en cas de besoin de renforts. De plus, ce n'était pas la maison des membres d'équipage, mais leur lieu de travail. Inutile d'y entreposer sa maison. Si A New Rope se permettait un tel minimalisme dans son équipement embarqué, c'était autant pour permettre une vitesse accrue que pas assurance des aides externes au moindre problème. Les convois étaient importants, au point de jouer la réputation mise à mal de la Marine. Personne ne voulait faire honte à ses couleurs, ni s'attirer les foudres de l'amirauté.

    J'ai les informations, Commodore !
    Je vous écoute.
    Bonhomme de neige: le Roi Chalier. Et c'est tout.
    La glace ?
    On l'ignore. La cible a été mangé par une chasseuse de primes, mais il semble que son corps n'ait pas conservé les effets.
    Ce n'est pas la cible, la vigie a été loupée par le tir. Colonel, où en sont les renforts ?  
    Nous avons deux contacts. Le plus proche est à moins d'une demi-heure de notre position. Malheureusement nous nous en éloignons. L'autre est à plus de deux heures et propose de se poster sur notre itinéraire. C'est un navire plus lent mais bien armé, il sera un parfait barrage.
    Deux heures, c'est jouable. Donnez-leur nos coordonnées et maintenez le contact. On joue les lévriers le temps qu'ils se fassent hameçonner.

    Le temps s'écoula. Cinq minutes, puis dix. Gharr se posta à la poupe et continua d'observer l'ombre noire derrière eux. Quelque chose clochait. En dépit de leur avantage, ils ne les distançaient plus. L'instinct s'épaissit pour devenir tangible, puis réel. Les révolutionnaires reprenaient bien la main. C'était illogique. En un quart d'heure, l'explication vint du barreur et de quelques techniciens de bord. Des blocs de glace se formaient peu à peu contre la coque du navire. Guère de quoi le bloquer, mais suffisamment pour l'alourdir et en casser le dynamisme. Le franc-tireur de l'autre équipage employait tous ses talents à ankyloser A New Rope à nouveau être à portée de tir. Cela se confirma quand de nouveaux javelots de glace piquèrent le mât et le pont. Bien vite, Hadoc dût sortir son arc pour dévier les projectiles de ses flèches. Mais son carquois n'offrait pas autant de munitions que la mer, sculptée par le tireur adverse pour les harponner. Et alors que les Marines cassaient la glace à leur bord, comme un bien étrange carénage, le commodore noua un petit objet à l'une de ses flèches, tendit la corde de son arc pour la décocher au-delà des distances possibles. L'arme fut soudée au haki, empêchée de rompre par l'esprit guerrier de l'archer qui eut la force de tension nécessaire à atteindre le bâtiment voisin. Le projectile partit avant que le corps pourtant robuste de l'officier tremble à l'effort. Ses avant-bras teintés d'une couleur cramoisie au moment du tir évitèrent le découpage net de sa chair lorsque la corde distendue racla une peau imperméabilisée à ses propres attaques. Tant d'efforts pour une seule flèche, sans feu à sa pointe, sans même la moindre grenade.

    Si Gharr ne la voyait plus, Arhye, de son côté, l'apercevait enfin. Un tac sec la cala entre deux planches et lui brisa le cou. Le bâtonnet à plume continua de rouler quelques mètres, jusqu'à ce que le paquetage noué au centre de son tube accomplisse son rôle d'ancre. L'albinos entendit alors un bien étrange tictac. "Pulu pulu." Sans appréhension, contrairement à l'équipage surpris de voir pleuvoir une flèche, Frost déballa l'escargophone en train de l'appeler et prit la communication.

    Ici le commodore Hadoc. Les glaces à l'eau de mer ne sont pas nos préférées, d'autant qu'il manquait le bâtonnet pour les tenir. Je vous en ai envoyé un échantillon. Vous me vexeriez en refusant ce cadeau. Mais dites-moi plutôt, tant que nous en sommes aux échanges de politesse: à qui doit-on l'attention et en quel honneur ?
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    Suite à une agitation venant de l'extérieur du navire et au départ prématuré de l'officier aux trois fourreaux, le tatoué attendit quelques secondes et reprit les devants, s'avançant de nouveau vers les cellules. Plusieurs captifs tentèrent de nouveau de l'attraper dans son mouvement, en vain, et constatèrent avec dégoût que son utilisation du Kami-E n'allait pas leur laisser une quelconque chance de le toucher. Il ne prit pas la peine de regarder ce qui se tramait derrière la maigre ouverture qu'il avait sur le pont du bateau, considérant qu'il n'était pas le moment pour lui de s'en mêler.
    Malgré ses doutes permanents et la situation présente qui ne faisait pas exception, il n'était pas si surpris que ce convoi se retrouve interrompu. Il fallait dire que les trois invités principaux qui trônaient devant lui, hors de sa portée à cause des solides barreaux qui les séparaient de lui, avaient plusieurs associés qui parcouraient ces mers.

    Mais fini de spéculer, puisque lesdits invités étaient présents et n'attendaient que d'être interrogés. L'homme à la peau brûlante acheva son tatouage, nettoyant d'un mouchoir la maigre quantité d sang frais qui s'en échappait, et rangea l'encrier dans son holster avant se passer calmement la main droite sur le visage. Le mouchoir froissé toujours en main, il le serra du poing gauche et entama de nouveau le contact visuel avec les trois ex-responsables principaux de la Patrie.

    "Ce n'était pas prévu. Certains de vos alliés ont probablement pris connaissance des coordonnées du convoi et sont intervenus. Ou peut-être ne s'agit-il que d'une simple attaque pirate, mais j'en doute. Quoi qu'il en soit, vous comprenez bien qu'il me faut des renseignements au plus vite."

    Uzi se contenta de s'asseoir, fatiguant presque de cette tâche qu'on n'avait pas l'habitude de lui demander. Même si son séjour chez les nomades l'avait ouvert à un taux de communication qui était supérieur à celui dont il avait eu jusqu'ici recours, le dialogue n'était pas son fort. Son sang et sa peau en pleine déflagration le conjuraient d'aller combattre avec les soldats au lieu de discutailler, mais ça n'allait pas arriver. Sa mission était prioritaire, et ce qui l'était tout autant était sa parole envers le haut-gradé. Les Vénérables Étoiles n'étaient pas omniscients, mais Figura avait entièrement raison sur un point : considérant l'atmosphère dans laquelle le monde était plongée ces derniers temps, un élargissement de la brèche entre les différentes instances gouvernementales était peut-être la dernière chose dont ils avaient besoin.
    Le sniper observa ses deux mains gantées de velours et, dans une démarche à mi-chemin entre le dialogue avec les prisonniers et le monologue, se questionna sur son honnêteté. Il lui était évident qu'il faisait de son mieux pour être son homme intègre, même si sa fonction préconisait l'exact inverse.

    "Me voilà tracassé, en vérité. Le Commodore Hadoc a raison concernant votre traitement correct jusqu'à notre arrivée à destination, mais je me retrouve maintenant sans moyen de vous faire parler. Si je ne vous promets rien, vous n'avez aucune raison de collaborer, n'est-ce pas ?"

    C'est l'ancien Premier Bras Droit - l'agent n'avait par ailleurs jamais compris cette dénomination, pourquoi ne pas simplement les considérer comme "Bras Droit" et "Bras Gauche" ? - qui répondit avec animosité à cette déclaration.

    "Nous n'avons aucune raison de collaborer tout court, serpent ! La Patrie n'est pas morte, et ce qu'il en reste ne cessera jamais de te traquer ! Même si elle en vient à être exécutée, Mère n'aura pas dit son dernier mot, loin de là !"

    Le tatoué pencha la tête et se retourna, observant les geôles qui longeaient la réserve réaménagée. Il se redressa et démentit l'allégation du blond.

    "Ce qu'il en reste ? Je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression que vous êtes tous ici."

    Keikan se contenta de pousser un bruit guttural sourd, témoignant de son ressentiment, avant de baisser la tête, n'ayant manifestement rien à répliquer. N'ayant plus possibilité de faire pression ou de marchander, l'agent redirigea son regard vers la marraine, attendant simplement que les réponses viennent d'elles-mêmes. Plus rapidement qu'il s'y attendait, l'ancienne tête de la Patrie se mit à ouvrir la bouche. Interrompue par de violents sanglots de son ancien second, elle renonça cependant à émettre un quelconque son. L'agent, frustré, posa de nouveau ses pupilles sur le blondinet et utilisa inconsciemment une version allégée de ses Yeux du diable, teintant ses yeux d'un rose surnaturel et intimidant. D'une manière inattendue, c'est Awa, avachi et d'un air désabusé, qui calma son ancien camarade d'un geste de main.

    "Hé. Je comprends ton désarroi, mais ne coupe pas la parole à madame Chiyo. Ce qu'elle dit ne regarde qu'elle."

    L'ancien second tapa du point contre le sol et, d'un mouvement latéral brusque du buste, tenta sans succès de se libérer de ses chaînes. Il tourna la tête vers l'ex-Deuxième Bras Droit et avança son visage vers lui, témoignant de par son ton d'une amertume profond.

    "Salaud ! C'est facile pour toi de parler, qui d'autre que toi qui nous aurait tous vendus à ces chiens ? Figura n'a rien dit, mais ça se lit sur ton visage ! Quand on sort d'ici, j'hésiterais pas à guetter chaque occasion de te faire la peau !"

    L'ex-armurier haussa les sourcils, apprenant la nouvelle en même temps que les sous-fifres des autres cellules. Il jeta le mouchoir ensanglanté dans la cellule d'Awa et sortit un calepin, jusqu'ici vide, pour noter l'information que l'ancien Premier Bras Droit venait de divulguer sous le coup de la colère. Embarrassé, le Classieux se redressa et tenta de se justifier, regardant l'agent en espérant regagner un minimum de crédibilité.

    "Tu n'y penses pas, Gek ! Je vois pas pourquoi j'aurais fait ça, je ne voulais que le bien de Mère, comme vous tous !"

    Continuant à écrire, Uzi prit en compte la nouvelle dont il n'avait jusqu'ici pas eu connaissance, et en fit rapidement la déduction qui était la seule qui, en réalité, préoccupait le comploteur.

    "Donc c'est vous qui avez dénoncé les survivants de la Patrie au Gouvernement, espérant une récompense et persuadé que le Vénérable vous offrirait un traitement de faveur. Sauf que vous n'aviez pas envisagé qu'il vous coffrerait avec le reste de l'organisation."

    L'autre ferma les yeux le plus fort qu'il put, espérant se réveiller d'un mauvais rêve alors que l'échec de son plan initial était révélé au grand jour. La matriarche reprit autoritairement la parole, initiant l'un des rares voire seuls moments où elle parvenait à faire taire l'ensemble de la mafia. L'autorité n'était pas son fort, mais le moment était crucial et chaque mot qu'elle pouvait prononcer pouvait rendre vain le peu d'attachement et de loyauté qu'ils attachaient encore à la Patrie.

    "Je sais depuis ma capture que Morri nous a trahi. En vérité, je savais que cela arriverait depuis que j'ai été nommée Mère Patrie. Je n'ai eu qu'à attendre. Je n'ai plus confiance en personne depuis bien longtemps et c'est pourquoi, monsieur l'agent, je savais de toute façon pertinemment que vous n'alliez pas tenir votre promesse."

    Keikan souffla bruyamment, semblant extérioriser son soulagement. L'ex-marraine le regarda du coin de l'œil, lui signalant par son expression qu'il n'allait pas se réjouir de la suite du discours qu'elle prévoyait.

    "C'est pourquoi ce que je m'apprête à vous dire ne résulte que de mon propre choix. Je n'aurais jamais dû accéder à ce titre de Mère, et j'en ai conduit la famille entière à sa perte. Vous donner quelques informations ne me coûte plus rien, désormais."

    Les yeux du Toutou sortirent presque de leurs orbites. Il tendit les deux bras vers l'ancienne cheffe de la mafia, s'étouffant dans ses protestations.

    "Gh, Mère, vous faites un très mauvais choix ! Il est encore temps de vous taire, je vous en conjure ! Il vont utiliser ces renseignements pour créer des cyborgs à nos effigies, puis leur faire manger des fruits du démon, et..."

    Il fut interrompu par le traître qui, ayant ramassé du bout du doigt le mouchoir que l'agent avait utilisé pour essuyer son tatouage, le lui jeta au visage.

    "Tu vas fermer ta gueule, oui ? Tu me fais mal à la tête. Toute façon je suis déjà humilié au possible, et tous mes objectifs sont tombés à l'eau. C'est pareil pour tout le monde ici, non ? Alors laisse-la parler, point."

    Le sniper en profita pour ramasser le "colis" laissé par l'officier de la Marine, rangeant ses deux taurus dans son étui gauche. Le blondinet baissa la tête et posa ses deux paumes sur l'arrière de son crâne, avant de regarder le plafond en bois de la réserve et de hurler au désespoir.




    -------------------



    Après quelques minutes de beuglements intenses, presque comparables à des cris d'agonie, Keikan se résigna enfin et se remit à sangloter plus calmement, recroquevillé sur lui-même et les deux poings fermement collés au sol. La marraine regarda de nouveau l'agent dans les yeux, cherchant une forme de compréhension. Compréhension qu'elle obtint : Uzi pensait deviner dans son regard la détermination de mener les choses à leur terme correctement.
    L'ancienne Mère Patrie savait ce qu'elle faisait, et n'avait manifestement jamais autant ressenti ce devoir de parler. Elle devait aussi bien des explications au Gouvernement qu'à ses anciens subordonnés, et aussi bien à ses anciens subordonnés qu'à elle-même. Sa vie avait été tracée pour elle et elle n'avait pas eu son mot à dire : paradoxalement, la première décision qu'elle prenait par choix personnel de sa vie allait sans doute être la dernière.

    Mais dans ses yeux, ce feu mal étouffé qui avait enfin eu l'occasion d'être éteint proprement le montrait : elle en avait pris conscience depuis déjà quelques jours. Elle prit la parole d'un air plus assuré que celui qu'elle affichait depuis que le tatoué était venu à leur rencontre.

    "Je suis Nosono Chiyo, vingt-huitième et... dernière Mère de la Partie. J'ai été nommée le jour de ma majorité et, non conformément à la tradition, ai décidé de ne pas consommer le zoan du Koala. Quoiqu'en chute libre depuis notre installation dans les galeries environnant Koneashima, nous avons continué notre trafic d'armes pendant plusieurs années. L'Armée Révolutionnaire a toujours été notre premier client. Ses représentants de Koneashima, certes, mais aussi et essentiellement ceux de Luvneel, royaume où les majeurs réseaux révolutionnaires se trouvent, je pense que vous le savez."

    Alors que les autres captifs, bouche bée, digéraient encore la dure révélation concernant le fruit du démon traditionnel de la Patrie, l'homme à la peau brûlante acquiesça calmement, confirmant à la jeune femme qu'il était au courant.

    "Leur organisation était telle que beaucoup de nos acheteurs ne revenaient pas plus d'une fois. De plus, ne faisant confiance qu'à mes deux Bras Droits à ce moment-là, j'ai refusé d'en voir énormément. Mais il y avait un de leurs hommes qui revenait régulièrement, probablement assez puissant pour ne rien risquer en réitérant les achats à leur nom. Cet homme, je l'ai rencontré en personne."

    L'ancien artilleur nota tout ce qu'il put sur son carnet et acquiesça, se retenant de poser des questions techniques précises sur leur garnison d'armes à feu. Il se recentra sur l'essentiel et intima Chiyo de poursuivre. Son attitude calme semblait la mettre légèrement plus à l'aise qu'elle ne l'était au départ, malgré les informations à haute importance qu'elle était en train de révéler.

    "Ce que je sais, c'est qu'il était infiltré dans la Marine en tant que Colonel, qu'il avait été muté à l'ambassade de Luvneelgrad, et qu'à partir de 1627, il n'est plus revenu. Nos sources nous ont confirmé que cela coïncidait avec un incident ayant opposé la Révolution à la Marine là-bas quelques mois plus tôt. Sa femme était de sang noble, et il avait un fils. Voilà ce que je peux vous dire. Concernant nos autres acheteurs, il ne vous intéresseront pas."

    L'ex-Marraine ne sut vraiment quand s'arrêter lorsqu'elle réalisa que l'agent avait le regard dans le vide. Et pour cause : celui-ci, dans la base du G-4, avait récemment pris un instant pour parcourir les dossiers de plusieurs criminels d'East Blue. Et le récit de la Mère Patrie lui rappelait définitivement un dossier en particulier, mais il ne parvenait plus à se remémorer lequel.

    La réponse semblait pourtant être à quelques mètres de là.


    Dernière édition par Tim Uzi le Ven 2 Avr 2021 - 1:04, édité 2 fois
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    *Crac. Crac.*

         Je prends le temps de me remettre les vertèbres du cou en place et de réfléchir à la situation. Je m'attendais à une réponse plus "musclée" de la part de notre adversaire. Cet officier me surprend à plus d'un égard :

    - Mes hommages commodore. Je manque en effet à tous mes devoirs en oubliant de m'annoncer... Puissiez-vous me pardonner.

         Je marque un temps d'arrêt, à peine assez long pour créer un moment gênant, mais suffisant pour que je m'imagine la tête de Matt en m'entendant dire :

    - Ici Arhye Frost, originaire de Luvneelgraad. J'ai été embauché pour une... Mission de sauvetage ? J'imagine que nos points de vue divergeront sur la nature et les conséquences de cet acte. Oh ! J'apprécie cependant votre petite attention : je n'ai clairement pas la fibre commerciale.

        Les autres me font de grands gestes, à la fois choqués et paniqués. Je saisis où ils veulent en venir, mais continue sur ma lancée :

    - Concernant les personnes qui m'accompagnent, aucun n'est membre de mon équipage. Aussi honteux que cela puisse paraître, je n'ai pas non plus ce qu'il faut en matière de sociabilité... Mais n'ayez crainte ! Vous les trouverez certainement plus communicatifs que moi, surtout concernant l'affaire qui nous oppose aujourd'hui.

         Plusieurs des combattants se frappent le front de la paume de leur main... Le bruit sonne à l'unisson et l'effet humoristique provoqué me fait sourire. Je suis content de moi, mais inutile d'en faire trop si je veux garder la confiance de mes coéquipiers.
         De toute manière, les informations que j'ai apportées allaient être découvertes tôt ou tard, que ce soit au coeur de la mêlée ou suite à notre confrontation. Les révolutionnaires n'ont plus de raison de se cacher aux yeux du monde depuis bien longtemps.

        Notre bateau continue de progresser. Vingt minutes se sont écoulées depuis le premier javelot et cela nous permet d'être suffisamment proches pour que je puisse viser avec précision n'importe quelle cible visible sur le navire adverse... Mais aussi alléchantes semblent-elles, mieux vaut profiter de ce court répit pour nous préparer à ce qui risque de suivre. Ma main gauche tapote la poche de mon pantalon depuis un petit moment maintenant et, l'envie prenant le pas sur la logique de l'instant, je finis par céder et je m'allume une cigarette. Plus pour passer le temps que par pure malice, je fais exprès d'enclencher le briquet juste à côté de l'escargophone, toujours actif.

    - Puisque vous me semblez être une personne respectable, j'ose croire que vous accepterez de discuter avec moi, le temps d'apprendre à mieux nous connaître... Qu'en dîtes-vous ? Je suis curieux de savoir d'où vous venez, la formation que vous avez suivi, ce qui fait que vous êtes là aujourd'hui... Ce genre de choses.

         Et ce n'est pas un mensonge : je suis sincèrement curieux. A la simple voix du commodore, je peux affirmer qu'il s'agit d'une personne passionnante. Il y a des personnes comme ça qui méritent qu'on s'attarde sur leur parcours, afin de comprendre qui ils sont, ce que cela importe, ou implique, et les leçons qu'on peut en tirer.
        Tout en disant ça, je me concentre sur la glace à mes pieds, laquelle s'étend sur toute la longueur entre nos deux bâtiments, pas plus épaisse qu'un fil, alimentant petit à petit les blocs ralentissant le convoi. Plus personne n'ose s'approcher de moi, de peur d'attraper froid. L'usage de mes pouvoirs implique de refroidir l'eau environnante, celle comprise dans l'air incluse. Je tire une latte et attends la réponse du dénommé Hadoc avec impatience.
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    Hadoc répondit par le son du phosphore qui explose en tête d'allumette, puis taquine l'entame de son cigare. A cette distance, la fumée dessinait une flèche sur chaque diplomate. Tout en ravivant l'incandescence de ses feuilles d'algue, le Commodore parcourait des yeux le dossier du jeune Frost. Daté et lacunaire, comme toujours. quand le mini escargophone lui proposa d'étoffer ses propres données envers le correspondant, le Marine ne retint pas un sourire amusé. Ils avaient du panache, ces pirates courtois. Et toute simple qu'elle fut, la question demandait réflexion.

    Je viens de Shimotsuki, où j'ai passé une partie de mon enfance et y enseigne à l'un des six dojos. Et au cas où vous vous poseriez la question, je ne parle pas de celui des trois sabres. Mais je pratique, comme tous les autres senseïs.

    D'autres informations fusaient parmi les hommes d'équipage. L'un d'eux ne comprenaient toujours pas que le Frost qui les attaquait n'était pas le récent Empereur pirate. Frost s'appelait vraiment Frost, comme son père. Gharr en lut le nom sur le dossier et décida de s'en servir pour alimenter la conversation. Après tout, le temps était la denrée de luxe pour la Marine.

    Avez-vous eu des cours de psychologie durant votre formation à la Marine, ou ailleurs ? Chez nous, nous avons des modules sur le bon comportement à adopter en mer, quand une situation ne préconise pas les simples manoeuvres militaires. J'ai lu que votre père avait été Colonel, puis soustrait pour trahison. Une stratégie voudrait que je n'évoque pas votre famille pour ne pas vous rappeler une période douloureuse et vous pousser à faire n'importe quoi. Mais vous avez gardé le nom de votre père, ce qui laisse à penser que vous voulez défendre sa mémoire.

    Une autre stratégie préconiserait  alors que je vous dise que je suis désolé, que je comprends. En vous sentant assez stupide, je pourrais même vous promettre que je réhabiliterai sa mémoire, ou que je peux me faire passer pour un père de substitution, une autorité à laquelle vous raccrocher, vous donnant même l'illusion temporaire qu'un espoir de renouer avec votre sens loyal demeure. Et caetera.  Dois-je considérer que vous êtes stupide, Monsieur Frost ?


    La réponse n'était bien entendu pas nécessaire et le début du discours de Gharr eut le mérite d'établir un contact, si étrange fut-il. Hadoc ne parlait pas de façon très concernée, ni passionnée. Il méprisait presque les cours qu'il régurgitait et auxquelles il ne croyait pas. L'intelligence, ce n'était pas copier une leçon, mais en générer de nouvelles à partir des bases acquises.

    Je ne suis pas désolé pour votre père. Et même si je comprends, je ne soutiens en aucun cas votre parcours. Ceux parmi mes proches que les pirates n'ont pas tués, c'est la Marine qui s'en est chargée. Mon peuple accepte la mort par devoir, même si elle est injuste. Cela n'entre pas en ligne de compte. Quiconque prête serment offre sa vie à son armée. C'est ça, être Marine.

    Votre père était soit un criminel et sa mort était de bonne guerre, soit un Marine et il a accepté la décision de son organisme. C'est triste, c'est dur à vivre, dur à accepter, mais il faut pardonner. Les vies romancées qui rétribuent les justes ne sont que des lois de fictions. Dans le monde réel, le plus puissant des bretteurs peut mourir d'un tir chanceux par ennemi qui tient un fusil pour la première fois. Un homme de bien peut être accusé d'un crime odieux et condamné par erreur. Rien n'est juste parce que la justice n'est qu'une idéologie à laquelle nous croyons pour nous rassurer, pour donner un sens à nos choix et un confort à nos aspirations logiques. La justice, c'est une balance morale, propre à chacun. L'ordre, il a un code universel : la loi. Je crois volontiers aux illusions de l'espoir et essaye d'être juste, mais durant mes heures de service, je suis la loi. Voilà qui je suis.


    Il ralluma son cigare et reprit, cette fois d'un ton plus doux, sinon bienveillant.

    Vous parliez de divergences d'opinions quant aux points de vue sur votre mission de sauvetage. Rien n'est plus vrai. Toutefois, il y a une chose pour laquelle nous devrions être d'accord. Votre avantage, Monsieur Frost, votre seul et unique atout qui vous donnera toujours une marge de manoeuvre par rapport à nous, c'est le choix. Vous avez le privilège, en tant que pirate, d'une totale liberté de vos actes.

    Vous voyez peut-être des soldats qui amènent des humains à la mort. Moi, je vois des humains qui font leur travail. Bien peu de Marines ont eu le choix de participer ou non à ces expéditions. Pour ces humains, malgré l'uniforme, il y a la peur. Celle de mourir parce qu'un révolutionnaire aura décidé que leur vie ne vaut pas autant qu'une autre, ou d'être jugé par leur hiérarchie s'ils laissent le chaos l'emporter. Pour sauver des vies, vous devrez condamner tout l'équipage à bord. Des Marines qui ont pu commettre des crimes, comme ceux qui vouent leur vie à protéger les civils et permettent aux gens qui ont eu plus de chance que vous de la conserver. Tous ces gens seront jugés à la même échelle s'ils échouent, comme si vous choisissez de les tuer. Ils n'ont aucune alternative.

    Ou bien, vous pouvez repartir. Des renforts sont en route, chaque minute qui s'écoule en zone de guerre vous conduira à tenter l'échec ou orchestrer plus de massacre. C'est ça, votre pouvoir Monsieur Frost. Vous êtes la seule personne apte à choisir qui vivra et périra. Quant à nous, nous sommes tenus de défendre ce bâtiment. Pas pour l'argent, pas pour la gloire, pas même par fierté ! Nous devons tenir nos positions afin d'éviter que le monde ne pense pas la Marine inapte à assurer l'ordre, à donner un sens aux lois. C'est tout. C'est la seule raison. Cette cause, aussi basique semble-t-elle, dépasse pourtant toute individualité.  Qu'importe l'issue si nous nous battons, seule la guerre gagnera. La guerre gagne toujours.  
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    Alors, vous avez brisé la glace ? Convoi 01 - A New Rope 4064543621

    Je viens annoncer que plus aucun nouveau PJ ne peut intervenir et que vous avez une semaine pour conclure. Bien sûr, cette semaine sera reportée tant qu'il y aura des choses à jouer (un combat en l'occurrence). Sitôt le conflit terminé et le sort des prisonniers joué, ce sera fini pour ce convoi. Bon jeu à tous !
      L'extérieur du bâtiment semblait devenir le théâtre d'un dialogue entre deux parties, à la limite entre le courtois et le houleux. Le tatoué n'entendait qu'un ensemble de sons étouffés, sans parvenir à en discerner un mot, mais put reconnaître les voix de deux individus. Il allait sans dire que le Commodore était l'un d'entre eux. Voyant l'ex-marraine boire calmement la fin du contenu de son gobelet, il se concentra de nouveau sur sa situation et ferma les yeux avant de se justifier d'un signe de tête.

      "Navré si le café est tiède, madame Chiyo. Nous ne nous attendions pas à ce que vous nous confiiez... autant de choses."

      Elle refusa dignement que l'agent s'excuse, maintenant qu'il ne faisait que son devoir et qu'elle le respectait pour cela. La bascule de son comportement à un moment aussi improbable laissait presque le sniper admiratif ; à l'instar du blondinet qui, stupéfait, voyait pour la première fois sa Mère adorée se comporter en cheffe de famille alors que seuls quelques jours la séparaient de son exécution. Il s'éclaircit la gorge, réalisant qu'il commençait à manquer de formulations toutes faites dans lesquelles piocher pour crédibiliser ses prises de parole, et relit ses notes avant de s'adresser à elle une dernière fois. Le nom du dossier qu'il avait encore dans l'esprit depuis sa mention de l'infiltré Révolutionnaire mystérieux ne voulait pas revenir, et cela le frustrait légèrement, d'autant plus qu'il parvenait plus réellement à écouter la jeune femme des deux oreilles. Il se contenta de conclure leur entrevue.

      "C'est là tout ce que vous souhaitez partager avec nous ?"

      Notifiant qu'il continuait à penser à utiliser le "nous" inclusif, sous-entendant qu'il ne représentait pas uniquement sa propre personne mais également le Gouvernement lui-même - ce qui était un bon point -, un micro-élan d'assurance lui permit d'espérer récolter encore quelques miettes de renseignements. Mais il en savait en réalité déjà bien assez, ce que l'ancienne Mère Patrie lui rappela au passage.

      "Comme je vous l'ai dit, je n'ai rien à vous apprendre de plus concernant la Révolution. Du moins rien que vous ne savez pas déjà, ou qui impliquerait de prétendre que je sais autre chose alors qu'il n'en est rien."

      S'attendant au fond de lui à ne devoir se contenter de ce qu'il avait, l'agent hocha silencieusement la tête, comme d'un air convenu. Ce silence ne tarda pas à être brisé à un mouvement de panique du Classieux, n'ayant plus rien à prouver en terme de couardise, suivi de quelques fractions de secondes par l'ensemble des prisonniers. Les planches, pourtant solides, du plafond de la réserve venaient d'être transpercées d'une lance entièrement faite d'eau gelée, créant ainsi une véritable stalactite dans un environnement qui ne s'y prêtait pourtant pas.
      Environnement qui contenait des dizaines de prisonniers liés, donc, à la Révolution. L'homme à la peau brûlante fit rapidement le lien et recula par réflexe, les captifs cette fois trop perturbés pour chercher ne serait-ce qu'à lui attraper un bout de dreadlock, réalisant à quelle coïncidence il avait ici affaire. Celui sur lequel portait le document dont le souvenir l'obsédait depuis quelques minutes, fils présumé du Colonel auquel l'ex-Mère avait fait référence, était en train d'attaquer le convoi. Arhye Frost, détenteur de l'un des fruits du Démon les plus menaçants de ces mers, était à quelques mètres de là, interférant sans doute avec la mission de l'officier Shimotsukien.
      Et malgré sa puissance brute certaine, celui-ci était entièrement désarmé.

      L'ancien artilleur remercia cordialement Chiyo pour sa collaboration et détacha du carnet le feuillet où était inscrit tout ce qu'il avait relevé de son interrogatoire, puis le laissa voler d'un air léger et atterrir sur le sol de la suite de cellules improvisées. L'observant fixement pour en lire le moindre détail, il dégaina ensuite l'un de ses taurus, et tira trois fois dedans, le rendant illisible. Cette action soudaine et inattendue fit sursauter, voire crier, plusieurs des membres les moins téméraires de ce qui fut la Patrie. Alors qu'il ramassait les cartouches autour des bouts de papier enfoncés et déchirés par les impacts, Awa le questionna sur ce qui venait de se passer.

      "C'est quoi ce truc de glace qui nous a foncé dessus ? Et pourquoi tu détruis tes notes, il te manque une case ou quoi ?"

      Ignorant la première phrase de l'ex-Second Bras Droit - il ne tenait pas à le rassurer quant à la venue éventuelle d'un pirate désireux de les libérer - le tatoué rangea les balles dans une seconde poche, plus petite, de son holster gauche puis y remit le revolver à sa place, avant de lui répondre en lui tournant le dos.

      "Un malheureux a vite fait de récupérer ce bloc-notes et d'en lire le contenu. Il aura plus de difficultés avec ma mémoire."

      L'autre, le voyant s'éloigner, pesta sur son dos, exprimant son mécontentement d'y passer aux côtés de ceux qu'il avait tenté de rouler.

      "Tss, et tu vas vraiment partir ? Donc tu t'es définitivement foutu de nous, tout à l'heure, avec tes délires de bourreau amateur."

      Tentant de ne pas se focaliser sur le terme "amateur", qui ne faisait pas du bien au peu d'ego qu'il avait développé avec le temps, Uzi s'arrêta et retourna simplement la tête, s'adressant au Classieux de profil.

      "Le Commodore vous l'a dit, il n'y a pas de bon et de mauvais agent. Seulement des hommes qui souhaitent atteindre leurs objectifs. Le mien était de vous faire parler, le sien que je vous fasse parler sans chantage. Les deux sont une réussite."

      Il s'inclina une ultime fois, rappelant à la Mère Patrie qu'il lui restait un bol entier de gruau qu'elle avait loisir de finir, puis fit de même avec le Toutou. Lorsque ce dernier éclata en sanglots bruyants de plus belle, l'agent se hâta de fuir la pièce d'un pas précipité de Soru, presque aussi soucieux de fuir ce bruit accablant que d'intervenir à l'extérieur.
      Rapidement sorti de la réserve dans laquelle il était, mine de rien, resté un moment, il aperçut à sa gauche une embarcation au bord de laquelle se tenait le Corbeau blanc et fit fonctionner ses réflexes au mieux pour foncer vers lui et le prendre en joue par surprise. Profitant de l'espace que ceux qui accompagnaient le fils Frost, craignant très certainement d'être pris dans son pouvoir et de devenir de vulgaires dommages collatéraux, avait laissé autour de lui, le sniper apparut derrière lui et lui braqua l'un de ses taurus sur la nuque. Les armes ordinaires connues pour être inefficaces contre les utilisateurs de Logis, cette menace était en réalité plus encline à en appeler à son instinct primaire d'être humain qu'à représenter pour le pirate un danger rationnel.
      L'agent prit la parole d'un ton sérieux.

      "Il faut qu'on discute."

      En guise de répartie, le jeune homme aux cheveux blancs tourna sur lui-même et lui décocha un coup de pied ascendant ridiculement précis en direction, qui eut pour effet de le repousser et de manquer de lui faire perdre l'équilibre malgré le combo avant-bras-Tekkai qu'il avait déployé in extremis. L'adversaire insistait sur l'élan de son coup et refusait de reprendre sa position initiale, attendant apparemment après un effet secondaire de sa propre technique.
      Mais il s'aperçut, déconcerté, que le destin lui faisait une mauvaise surprise. Ayant quelque peine à analyser la situation, l'agent à la peau brûlante comprit enfin ce qui était en train de contrarier le fils du colonel : une fois la cible en contact avec son pied, il s'agissait de la geler dans la continuité de l'attaque. Hors, ruisselant de plus belle d'eau bien liquide chaque fois qu'un trait d'air glacial entrait en son contact, l'épiderme de l'ex-armurier semblait tout bonnement rejeter ce phénomène.
      Il était vrai que, s'il connaissait la nature de son corps au point de l'avoir entraîné en conséquence pendant ses mois d'infiltration à Hat Island, il ne s'était jamais posé la question de ce qui adviendrait s'il était un jour confronté à une capacité à température négative. Aujourd'hui, et même s'il avait des difficultés à y croire, le constat semblait être le suivant : la peau d'Uzi était immunisée à la glaciation. Il releva énergiquement la tête et profita de cet instant de confusion pour asséner au Corbeau un Shigan en plein dans la poitrine, utilisant à la fois son index et son majeur pour plus de dégâts. Les réflexes du pirate lui permirent de minimiser la casse en recevant la technique de Rokushiki avec un décalage décisif de quelques centimètres, puis en reconstituant aussitôt la plaie d'une génération de glace.

      Malgré la volonté de l'agent, lui et son ennemi ne jouaient malheureusement pas dans la même catégorie. Aussi, malgré un Kami-E presque remarquable dans les circonstances présentes, un pieu d'atmosphère gelée vint lui déchirer le flanc, à quelques micromètres seulement de sa cage thoracique. Bloquant le saignement comme il le pouvait grâce à sa main gantée, le sniper réagit d'un Geppou-Soru rapide et revint sur le convoi, se repliant aux côtés de l'officier de la Marine. Refusant modestement l'aide médicale que les soldats, paniqués, proposaient de lui apporter, il demanda à Hadoc de lui passer le combiné du mini-escargophone qui lui servait à communiquer avec le criminel. Ce que le haut-gradé, aussi bien impressionné qu'exaspéré par l'initiative inconsidérée de son collègue du Gouvernement Mondial, accepta de faire. Reprenant sa respiration après un échange de coups aussi mouvementé, il oublia comme il le put la douleur que sa plaie lui procurait et, ignorant que le dialogue portait déjà sur ce point avant son arrivée, aborda le sujet décisif.

      "Arhye Frost, votre père a-t-il bien été arrêté suite à l'incident de Luvneel de 1626 ? Veuillez répondre."

      La vérité s'apprêtait à être découverte ici, et maintenant. Ce que le tatoué ignorait, c'est que lui et son comparse au kimono n'allaient peut-être pas être les seuls à la découvrir.


      Dernière édition par Tim Uzi le Ven 2 Avr 2021 - 1:11, édité 3 fois
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      - Haha...

           Je ne peux m'empêcher de rire doucement face à l'ironie de la situation.
           D'abord, le discours du commodore qui manque presque de me laisser pantois. Il n'a pas tort dans son raisonnement ; il y a quelques temps encore j'aurais pensé exactement de la même façon... Seulement voilà, il suffit d'une faille dans le déroulé pour m'empêcher d'adhérer à son parti. Une faille énorme dans laquelle je m'empresse de me glisser, soutenu par l'interrogation de cet agent tatoué.
          Je lève l'escargophone une nouvelle fois et, faisant un clin d'oeil espiègle à mon nouvel interlocuteur, je réponds :

      - Je dois avouer, commodore Hadoc, que ce simple échange me rend admiratif. Dans d'autres circonstances, je vous aurais certainement couvé d'éloges. Peut-être aurais-je souhaiter vous avoir pour senseï ? Mais là n'est pas le problème. Même si j'admire la force de vos convictions, il n'empêche qu'il s'agit de votre seul avis. Voir les choses de manière objective est une immense qualité, surtout dans l'armée. Mais ça ne fait pas tout. Personnellement, j'ai encore envie de croire en un monde plus juste. Et évidemment, cela nécessite une part de subjectivité.

      Je ne suis pas la loi. Je ne la défends plus. Je ne pense pas être quelqu'un de mauvais pour autant... J'ai juste choisi d'agir là où elle n'a pas sa place.
      Pour répondre à la question de votre ami du Gouvernement - qui n'a pas eu la politesse de se présenter, lui - et aussi pour vous éclairer sur un point crucial : je suis bel et bien le fils du colonel Kristian Frost, arrêté à Luvneelgraad, à la fin des affrontements, avec pour motif son implication dans le mouvement révolutionnaire... Seulement voilà, il y a deux choses qui ne conviennent pas dans cette histoire.


           Je m'arrête un instant, jaugeant les réactions de l'homme à la peau brûlante en face de moi, puis enchaîne :

      - Mon père n'a jamais fait partie de la Révolution. Ni ma mère, laquelle a pourtant été emmenée à son tour, le mois suivant. Si tel avait été le cas, j'aurais rejoint la cause. Cela aurait eu plus de sens... L'autre détail est qu'il est, non, qu'ils sont toujours en vie.

          Je note un moment d'incertitude dans le regard de l'agent, mais ce qui m'intéresse davantage est le silence pesant qui me répond au bout du fil.

      - Comment je le sais ? Peu importe. Le fait est que j'en ai la certitude. Autrement dit, c'est là encore une chose que le Gouvernement s'amuse à cacher. Après tout, nous vivons dans un monde où la vérité n'existe que sur papier. Et ceux qui ont le monopole de l'information ne font pas partie de la Révolution, de ce que j'en sais.

          Cette simple remarque suffit à rehausser l'ardeur du groupe m'accompagnant. Plusieurs de ces guerriers approuvent, faisant cliqueter leurs armes et pointant du doigt l'homme au teint sombre.
          Je note aussi que nous sommes désormais très proches du navire-convoi. Je peux discerner Gharr Hadoc de l'autre côté, sur le pont adverse, ses propres yeux rivés sur moi. Je souris de plus belle avant de tendre le bras en direction de la mer. J'ouvre lentement mes doigts jusqu'à laisser tomber l'escargophone. Au moment de toucher la surface de l'eau, il émet un "plouf" à peine audible, tout de suite couvert par le rugissement des révolutionnaires à mon bord.
          Ceux-là s'empressent de foncer sur l'agent, lequel parvient à échapper aux premiers assaillants et neutralise l'un d'eux avec son index, comme il a tenté de le faire avec moi plus tôt. Ses mouvements sont fluides et, malgré sa blessure, il se déplace encore avec une belle vivacité. Dans le chaos qu'il génère, j'ai presque du mal à le suivre du regard.
           Je finis par m'en désintéresser, plus préoccupé par un moyen d'aborder le bâtiment de la Marine sans qu'eux-mêmes puissent en faire de même. Je jauge la distance qui nous sépare... Un peu moins de vingt mètres. Si nous le voulions, nous pourrions tirer au canon, mais l'autre suffit à lui seul à désorganiser notre équipage. J'opte donc pour la seule solution restante : créer une voie que je suis le seul à pouvoir prendre.

          Je concentre mon pouvoir, refroidissant l'air ambiant, amassant le plus de molécules d'eau possibles et, les genoux pliés puis relâchés, je bondis par-dessus le bastingage un bras en avant, un autre en arrière, tandis que se forme depuis la rambarde jusqu'à sous mes pieds une couche de glace, de l'épaisseur d'un pont de bois... Sauf qu'au lieu de former une ligne droite, elle se courbe. Elle se courbe d'ailleurs tant et si bien que je me vois proche d'amerrir.
          C'est là que j'utilise mon bras tendu pour cristalliser la surface de l'eau et, de ce fait, continue ma courbe translucide, de sorte à la dresser vers le haut cette fois. Ma création forme maintenant un arc de cercle presque parfait. Plutôt qu'un surf improvisé, j'ai choisi d'opter pour une piste de skateboard.

          De skate-quoi ? Je divague.

          Emporté par mon élan, donnant tout ce que j'ai, je profite de l'effet aérodynamique et cesse de produire de la glace. Je m'envole alors, observant la réaction des soldats qui me font face, ainsi que de l'officier. Je m'apprête à atterrir lorsque je sens un choc au niveau de mon coude. Je retombe sur mes pieds, à deux mètres de l'endroit prévu à mon atterrissage, juste sous le nez d'un vétéran en panique. Sans lui prêter la moindre attention, je regarde mon bras droit et constate qu'il n'est plus là. Il suffira de quelques secondes pour qu'il ne réapparaisse cependant.
          Le fautif, c'est encore le tatoué : de la même manière qu'il est parvenu à rejoindre notre embarcation, je le vois se réceptionner sans bruit aux côtés de Gharr Hadoc, la main sur le flanc. Une de ses jambes tapote machinalement le plancher. J'en conclus qu'il m'a sectionné le bras d'un rankyaku bien placé.
          Je me retrouve face à deux figures qui se démarquent des autres. Comme si la situation le voulait, les soldats nous entourent, respectant notre champ d'action, le fusil prêt à l'emploi. Un moment tout droit sorti d'un conte épique. Je prends le temps d'observer le shimotsukien, que je découvre enfin. Je finis par lui dire :

      - Loin de moi l'idée de vouloir vous faire des avances mais, il faut l'avouer : je ne vous imaginais pas autrement.

          Je ne bouge pas de ma position, ne montre aucun signe d'animosité, ni même d'agressivité. Je reste là, aussi calme que possible...
          Non, en vérité je brûle de curiosité. C'en est intenable. J'ai la chance de pouvoir parler de ma famille avec des personnes qui semblent s'y connaître. Je continue d'afficher un sourire diplomate, mais le simple fait que je me sois déplacer seul, laissant les révolutionnaires s'agiter dans tous les sens à quelques mètres à peine pour me rejoindre, suffit à me faire passer pour un suicidaire. Je ne doute pas de la perspicacité du commodore. J'ose croire qu'il est prêt à dialoguer de vive voix, au moins pendant un temps. Malheureusement, nous savons tous que d'autres enjeux que ma personne nous opposent au temps présent.

      - Alors ? Que faisons-nous maintenant, commodore ?
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      Iceberg droit derrière !

      L'arrivée du jeune Frost fit frémir d'un froid psychologique les membres d'équipage à bord. Ils avaient beau être entraînés, ils savaient la plaie d'affronter des maudits. Et quand l'un d'eux était un logia, dans un monde où le haki demeurait un concept abstrait pour quelques initiés, cela signifiait souvent que le fruit d'un démon était véritablement invoqué à bord d'un navire condamné. Pourtant, ils tinrent leur position. Ni les révolutionnaire, ni la Marine n'avait lancé de canonnade. Les calibres de poursuite et de fuite ne permettaient pas vraiment de couler un bâtiment, d'autant que les uns comme les autres souhaitaient épargner les prisonniers. Le conflit allait se régler à l'ancienne, par l'infanterie.

      Bien sûr, les armes pointées vers l'homme de glace ne pouvaient le tuer. Mais Arhye était prudent, conscient de son manque d'expérience militaire et de l'ingéniosité de la Marine. Et si l'un d'eux avait une balle en granit ? Les mots du commodore sonnaient encore comme un présage. Le plus grand des guerriers peut succomber d'un tir bien placé par un simple soldat talentueux, voire chanceux. En outre, le commodore n'avait pas bronché lors de son arrivée, pas plus qu'au retour de l'agent qui avait lancé les hostilités. Qu'importe la puissance qu'offrait le pouvoir de glace, Frost savait que nombre de ses prédécesseurs avaient pu pêcher par la confiance. Sa quête ne lui permettait aucune désinvolture.

      A la question du jeune pirate, Gharr s'anima enfin et répondit par le geste. D'abord, en prenant les lunettes de soleil de son étui, qu'il porta sur son nez et ajusta. Ensuite, en tirant de la poche de son imperméable de fonction une paire de mitaines qu'il enfila doucement. Le rituel, exécuté sans hâte, lui permit d'échanger quelques mots avec l'albinos et de donner à l'agent le temps de gérer sa blessure.

      Je n'ai jamais dit que la justice ne pouvait pas coïncider avec la loi, seulement qu'elle ne peut la supplanter. Si je vous résume, vous voyez que des soldats du Gouvernement se trompent ou sont corrompus en bafouant l'honneur de votre famille et en concluez que la loi se trompe et qu'il faut devenir un opposé du Gouvernement ?

      Il interrompit l'enfilage de ses gants le temps de lever les yeux vers Arhye, l'incandescence du cigare ravivée dans le reflet de ses verres opaques.

      Pour un cas vécu de corruption. Et si l'officier qui a sabordé votre famille était un révolutionnaire ? Simple hypothèse. Il tue symboliquement le père et colonel en lui ôtant son statut, s'arrange peut-être pour que sa femme ne révèle jamais la vérité en l'emmenant à Tequila Wolf, ou en s'assurant qu'elle se terre quelque part. Quant au fils, il rejoint la piraterie et devient un casseur de Marines. Ce qui a l'avantage d'appuyer la mauvaise réputation de la famille, ce "mauvais sang".

      Simple hypothèse, mais pourquoi ne pas y croire ? Dans un monde sans preuves pour accuser ni lois pour juger, l'instinct seul régit. Et dans ce cas de sabotage par un Marine infiltré, qui serait fautif ? L'être, ou le code ? Oui, vraiment Monsieur Frost, vous avez raison de penser que la loi est le problème et que vous en prendre à des gens aussi intègres que votre père fait de vous quelqu'un de juste, quelqu'un qui n'est pas mauvais.


      Il finit son rituel par la vérification de l'adhérence de ses mitaines et lança l'un de ses trois fourreaux en direction d'Arhye, qui l'attrapa au vol. Gharr en prit un autre, de modèle similaire.

      Si vous le permettez, je vais continuer de faire mon travail de défenseur de la loi et des gens qui en ont besoin pour vivre en sécurité. Vous, voyez si la piraterie vous offre la sérénité et réjouit la veuve et l'orphelin . Je vous prierai juste de ne pas jeter ce fourreau à la mer après usage. Ils sont payés avec les impôts du peuple, pour le peuple.

      Hadoc brisa la distance entre les deux hommes d'un pas. Comme supposé, il attaqua du fourreau en bois. Un claquement sec résonna tous azimuts lorsque le pirate para le coup, sans trop de difficulté à son étonnement. A présent qu'ils étaient proches, Gharr ressemblait à un monstre attaquant un enfant. Mais un enfant apte à se défendre. Le Marine était brutal et faisait vibrer tout le corps de Frost à chaque percussion, Arhye jouait de sa vitesse et de l'avantage de son gabarit pour esquiver, bloquer et chercher l'ouverture. Après quelques assauts, un gant de boxe de glace enveloppa son poing libre et fonça vers les côtes de Hadoc. Touché ! Encouragé, il enchaîna d'un crochet et se dégagea juste à temps quand il comprit que le soldat se préparait à le saisir pour l'amener au sol. Hadoc était un lutteur, Arhye un frappeur.

      A peine dégagé, l'attaque reprit, toujours initiée par le commodore qui ne lâchait pas sa cible. Et bien que les coups n'étaient pas évidents à encaisser ou éviter, ils demeuraient assez académiques pour que le pirate s'interroge sur les compétences d'un senseï de Shimotsuki. Certes, c'était aux Blues, mais l'endroit était réputé. Quelque chose clochait. Gharr le testait-il ? Se mettait-il exprès un handicap pour que le combat au sabre de bois soit disputé ? Si c'était là son plan, l'erreur allait se payer bien vite et le jeune albinos n'aimait pas qu'on prenne en pitié ses compétences.

      Arhye porta la main à son absence de poignée et sortit du fourreau une lame moulée à l'instant. L'attaque fut fulgurante et le sabre de glace manié avec une précision suffisante pour trancher le bras armé du Marine. Hadoc para in extremis en pivotant le poignet. Non seulement le geste avait été technique, mais en plus l'angle du sabre d'eau fut à ce point maîtrisé qu'il ne trancha pas la matière du fourreau. Cette fois Frost en était sûr, l'homme face à lui, en dépit d'assauts rustres, cachait son jeu.

      Des pointes de glace surgirent du sol pour gêner les mouvements du Marine à chaque déplacement, quand le logia pouvait les traverser comme s'ils étaient éthérés à son contact. Gêné par le fourreau qui décrétait une fausse égalité, Frost s'en affranchit et para avec une targe de son élément. Trop lourde pour être maniée, elle se reconstruisait à chaque nécessité pour être éjectée, brisée ou laissée au sol après usage. Surtout, avoir les bras libres permettaient au voltigeur de rebondir sur ses pointes de glace pour décocher des coups de pied sautés au visage du soldat trop grand pour être atteint facilement depuis le même plancher. Gharr ne para pas tout, son adversaire non plus. Mais alors que le Marine s'abîmait le corps à chaque coup portant, le pirate n'avait qu'un bref éclat de glace à résorber sans même y penser. Ils s'usaient de façon différente, si bien que malgré l'ascendance de Hadoc, c'était Arhye qui menait le jeu. Au dernier échange, Frost plaqua ses pieds au torse du quadragénaire pour l'expulser. De son côté, il n'eut qu'un muscle de cuisse à reconstruire suite à un coup bien amené du bretteur. Ils se toisèrent, s'accordant chacun une pause. Le maudit laissa la glace gagner ses cellules et le refroidir. Une pellicule de givre recouvrit son corps moins d'une seconde, puis, d'un éclat, il mua en un lui bien moins fatigué par les efforts physiques du duel. Hadoc n'avait pas le même avantage.

      Je ne suis pas déçu de vos aptitudes. Mais vous devriez donner votre meilleur assez vite, Commodore. Question cardio, c'est pour vous que le temps est compté.

      C'est ce que je fais, Monsieur Frost.
      Sérieusement ? Alors, vous devriez renoncer. Je ne gagne rien à vous supprimer.
      Nous ne menons pas le même combat. Retournez-vous.

      Plus intrigué encore que prudent, Arhye le fit et vit, sur le pont de son navire, une série de révolutionnaires au tapis. Ceux qui étaient encore debout étaient figés dans une glace sans logia, terrorisés.

      Un fan ! Un fan-fan ! Un fantôme !


      Hey ! Qu'est-ce que vous avez ?

      Vous venez de vous battre contre quelqu'un qui ne s'intéressait pas à vous. Cette concentration est un bon point en combat, mais elle vient de conduire à la perte de votre équipage. Les coups que vous avez esquivés étaient des lames d'air dont vous n'étiez pas la cible. Il se payait votre équipage, ce que vous n'avez pas su voir. Le commodore Hadoc est le Capitaine des Ghost Dogs, vous vous doutez que ce nom n'est pas anodin. Cela dit, je n'ai pas d'explication concernant la nature de ces lames d'air, qui n'ont pas semblé vouloir trancher quoi que ce soit. Une commodité permise par les fourreaux, peut-être.

      Toujours le souffle alourdi, Gharr répondit, après un hochement mitigé de la tête.

      C'est une technique de l'école au sabre de plomb. Nous apprenons à neutraliser le tranchant de nos coups. Avec de vrais sabres, le résultat aurait été le même.

      Je suis là pour protéger et sévir, Monsieur Frost. En ne tuant pas vos hommes, je ne vous donne aucune raison de tuer les miens. Mais en neutralisant votre équipage, je ne donne aucune occasion à vos collègues de faire des veuves et des orphelins parmi les miens. Même si je devais être vaincu.


      Arhye regarda son équipage apeuré et ne prit pas la peine de les rassurer. La situation lui fit lâcher un franc rire, à gorge déployée. L'adrénaline, le combat, l'ingéniosité, tout formait un parfum, une musique qui le ravissait et rendait l'enjeu même de sa présence secondaire. Avec une bonhommie affichée, il félicita les soldats.

      Je suis vraiment ravi de vous rencontrer et c'est sincère. J'accepte de ne pas tuer vos Marines, si nous réglons les choses entre nous. A nous deux, Commodore.

      Nous trois.


      Uzi s'interposa entre Hadoc, toujours fatigué par le duel, et le pirate. Après une négligente vérification de sa plaie, il défia le jeune albinos du regard, lui aussi happé par l'odeur du combat.

      Sauf votre respect, je souhaite m'entretenir avec notre invité, Commodore. Je n'attends que votre signal.

      Gharr acquiesça, ralluma son cigare et s'éloigna du nouveau duo. Il n'avait que trop rarement l'occasion de voir les agents du CP se battre, tout comme les logias. Quant à Arhye, il était tout autant intéressé par les informations qu'il pourrait soutirer de l'agent tatoué.
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      Un soupir. Un nouveau passage de main gantée sur le visage.

      Le Corbeau blanc avait beau feindre un manque de volonté de se battre, son corps ne mentait pas. Pas plus que ses réflexes, qui l'avaient conduit à, concrètement, engager en premier le combat contre le tatoué. Certes, ce dernier lui était subitement apparu derrière armé d'une arme à feu, mais que pouvait bien craindre un Logia d'une quelconque forme de menace dépourvue de haki ? Le pirate pouvait-il réellement prétendre avoir agi par légitime défense ?
      Le sniper souffla et tint son flanc, réalisant encore plus l'insignifiance qu'il représentait dans ce monde. Il quitta sa position accroupie et se projeta dans les airs d'un Geppou le plus vertical possible, avant de se mouvoir dans les airs et de dégainer, la tête vers le bas, ses deux taurus chargés. Sans grande stupeur, les impacts des deux tirs qu'il laissa s'échapper en suivant lui montrèrent que sa cible s'était rapidement régénérée comme si de rien n'était.
      Le fils Frost répondit d'un nouveau lancer de javelot gelé, que le tatoué, désireux de garder le flanc qui lui restait, esquiva de justesse d'un nouveau Kami-E. Il apparut ensuite d'un Soru derrière le jeune homme aux cheveux blancs et entama le dialogue, aussi désireux de gagner du temps pour le gradé Shimotsukien que de s'accorder des temps de répit du fait de son propre affaiblissement.

      "De deux choses l'une. Madame Chiyo, emprisonnée ici même, m'a confirmé qu'un de ses clients réguliers était Colonel à l'Ambassade de Luvneelgrad."

      Le détenteur du Logia sourit et tenta de décocher un coup de pied à l'endroit-même où il avait blessé de sa flèche l'ancien artilleur, lequel contra avec peine le choc d'un parage de l'avant-bras couplé à un Tekkai le plus résistant possible. De l'eau continuait à ruisseler sur sa couche de protection, résultant de la glace de son adversaire qui entrait en contact avec sa peau. Continuer à parler allait lui être primordial s'il souhaitait ressortir vivant de cet échange de coups. L'autre lui laissa cette chance en rebondissant sur sa remarque, l'invitant ainsi à continuer sa prise de parole.

      "Mais encore ?"

      Il passa subtilement sous la jambe de l'artiste martial d'un nouveau Kami-E, cette fois plus complexe que le précédent, et posa de nouveau la main sur sa blessure avant de rétorquer.

      "Les réactions de ses subordonnées me laissent penser qu'elle ne m'a pas menti. Selon elle, cet homme vivait avec deux proches. Une épouse appartenant à une famille noble, et un fils unique. Enfin il n'aurait plus acheté depuis début 1627, ce qui concorderait avec un tristement célèbre conflit ayant eu lieu dans sa ville de fonction."

      Le pirate baissa les yeux et sourit, avant de lever la main et de hocher négativement la tête, ne perdant pas pour autant sa prudence combative.

      "Non, ne me forcez pas à me répéter."

      Dans un accès d'énergie mal canalisée, il en profita pour frapper l'homme à la peau brûlante à pleine puissance de son pied gauche sous le menton, ce qui eut pour effet de le faire décoller. Sans utiliser de technique des Six styles cette fois, il se contenta de se reprendre en posant un genou à terre. Levant le visage vers son interlocuteur, il le rassura à sa manière.

      "Je ne le ferais pas, je vous ai entendu la première fois. Vous pensez qu'aucun de vos parents n'était affilié aux Révolutionnaires, car vous auriez pris la même décision le cas échéant ? Ce qui signifie que vous excluez le scénario où votre père était l'un des leurs sans que vous en sachiez quoi que ce soit."

      Évitant avec plus de difficulté encore une nouvelle technique du Corbeau, laquelle aurait coincé son larynx entre l'avant-bras et le biceps de l'assaillant, il se replaça face à lui et tenta un double-Shigan, à la fois du majeur et de l'index, sur son Front. Bien entendu, la glace se chargea des réparations rapides ; le fils de l'ancien Colonel rit doucement avant de lancer une missive au Gouvernement.

      "Ha, vous alors ! Votre seul réel pouvoir est de maintenir l'illusion que vous seuls connaissez la vérité vraie. Il s'agit d'un homme qui m'a élevé, monsieur l'agent, et dont vous avez seulement entendu parler à travers la confession approximative d'une prisonnière. Vous en avez conscience ?"

      Les gants à peine ensanglantés à cause des aptitudes de celui qu'il avait pour adversaire, Uzi se replia d'un Soru bancal vers l'arrière, préparant son nouvel assaut avec le recul dont il avait besoin. Il reprit le second point de son raisonnement, crachant une giclée de sang sur la coque du bateau dans la foulée.

      "D'autre part, vous dites savoir de manière certaine que Kristian Frost et sa femme sont en vie à l'heure actuelle. Mais n'avoir aucune preuve ou raison de le penser à l'appui ? Dans quel monde pensez-vous que nous vivons, Frost ?"

      L'agent sentait que son discours s'éloignait doucement de la simple et pure argumentation, mais il était déjà trop tard pour reculer. Quelques micro-sensations commencèrent à se faire ressentir à plusieurs zones de son corps. Celles-ci n'étaient pas étrangères : il les avait ressenties une fois, sous l'emprise de l'alcool, à Alba. C'était sous sa couverture de caporal, et bien avant que son corps ne s'habitue à la dure mais mystique vodka des nomades de Hat Island.
      Ses pensées furent interrompues par une puissante attaque du Corbeau blanc, lui perforant superficielle la poitrine des cinq doigts de sa main droite, qu'il avait repliée comme une sorte de serre d'oiseau. L'autre tenta ensuite de l'achever d'un salto suivi d'un coup de pied descendant, chance que ne lui laissèrent pas les derniers retranchements actuels du sniper, le sauvant d'un Soru plus épuisant encore que les précédents. L'ancien armurier se leva avec difficulté.

      "J'estime le Commodore ci-présent, mais ce n'est pas votre cas. Qui pensez vous être pour pouvoir parler ainsi de mon père, monsieur l'agent ? Vous êtes en plein dans les rouages de leur machination ! Que savez-vous de toute cette situation ?"

      Cette remarque de trop heurta l'agent d'origine Rokadienne en plein cœur. Il rétorqua calmement, levant son regard vers le pirate et laissant deviner ses yeux d'un bleu pur entre ses dreadlocks.

      "Que vous y teniez ou non, Arhye Frost, je vais vous faire un aveu. Je suis Timmerson Uzielgin, agent du Cipher Pol depuis moins de deux ans. Il y a peu, j'ai vu mon père se faire assassiner devant mes propres yeux, alors même que lui et d'autres s'étaient organisés pour capturer une femme qui représentait, pour eux, un danger. J'étais en mission sur mon île natale, et les instructions du pôle étaient justement de protéger cette femme. Alors, une fois l'objectif accompli, j'ai oublié quelques minutes ma vie privée, j'ai serré la main à cette personne qui n'avait pas réagi devant la mort de mon père en la regardant droit dans les yeux, et j'ai quitté l'île sans faire d'histoires."

      Le tatoué cracha une nouvelle gerbe d'hémoglobine et se gratta nerveusement le crâne d'un à-coup de main gantée. Le gradé au kimono s'avança, cendra son cigare sur la coque du A New Rope, et signala qu'il s'apprêtait à prendre le relais.

      "Je peux m'en occuper à partir d'ici. Prenez donc un peu de repos."

      Le sniper tenta de répondre à l'officier d'un signe de la main, mais son attention focalisée sur le jeune pirate aux cheveux blancs l'en empêcha. Il en venait, malgré lui, au climax de son discours.

      "J'avais longtemps pensé qu'il s'agissait d'un simple marchand miséreux, et qu'il ne tenterait jamais rien de sa vie. Que le courage et la motivation lui étaient deux notions étrangères. Et il se trouvait qu'il était devenu une menace pour quelqu'un, au point d'être éliminé de sang-froid. Cet homme m'avait élevé, mais je ne le connaissais pas."

      Hadoc fronça les sourcils et, sentant que quelque chose n'allait pas, tenta de calmer les ardeurs de son collègue du Gouvernement d'une main posée sur l'épaule.

      "Non, agent Uzi, ce n'est pas nécessaire."

      Une larme discrète mais repérée par l'œil vif du Corbeau coula sur la joue d'Uzi, avant de rejoindre une flaque de sang sur l'une des planches du navire. Le tatoué en voulait au pirate. Non pas pour une quelconque raison personnelle, mais parce qu'il représentait celui qu'il était lui-même avant l'immense désillusion qu'il s'était prise de plein fouet ce jour-là. Rien, ni même tuer des personnes de ses propres mains, ne pouvait préparer au décès d'un parent. Et nier fermement ce décès, pour l'ex-artilleur, était une insulte. Entendant un rire calme de l'artiste martial qui s'apprêtait probablement à lui rappeler que son vécu ne l'intéressait pas, il contracta involontairement ses biceps, et ferma les yeux.

      "Riez-en si vous voulez. Personne n'a le monopole de l'information, Frost. Vous le dites vous-même, vous êtes empli de certitudes. Quelle vérité détenez-vous ? Riez si ça vous chante. Prenez la situation de votre père avec légèreté si ça vous aide à vous sentir mieux. Mais je vous interdis d'agir comme si vous pouviez prétendre connaître quoi que ce soit."

      Le Commodore pressentit la nécessité de retirer sa main de l'épaule du sniper, ce qu'il fit. La limite de la patience de l'agent de catégorie trois était atteinte. Les barrières levées, il tint de nouveau sa tête droite et ses yeux, plongés dans ceux du détenteur du fruit de la Glace, se revêtirent d'une aura rosâtre brillante, s'échappant de ses paupières comme des flammes roses qui ne brûlaient pas. Derrière lui, l'illusion d'une grande silhouette apparaissant à travers la coque du bateau prenait forme. Celle-ci, floue, semblait être vêtue d'une grande tunique et d'une capuche, dont quelques bouts de dreadlocks dépassaient, le tout manifestement composé des mêmes flammes scintillantes et inoffensives. Plusieurs soldats de la Marine alentours, malgré leur mouvement de recul à l'apparition de l'invocation mystérieuse, semblaient perdre leurs repères et se résolurent finalement à fuir le conflit. La même décision semblait avoir été prise du côté des Révolutionnaires, qui venaient alors de définitivement s'écarter du conflit.

      Sitôt Hadoc, Arhye et lui-même les trois seuls acteurs restants de l'affrontement triangulaire qui sévissait sur le convoi, il décolla d'un Geppou final, leva sa jambe plus haut encore que son épaule en créant une lame d'air d'un Rankyaku vertical, puis réitéra l'opération de manière horizontale.
      L'attaque en forme de signe plus fonça à toute allure vers le flibustier de la famille Frost, non sans évoquer le symbole du Gouvernement mondial, pendant que le sniper, sur sa descente vers les planches du bateau, tentait de reprendre pied. Il échoua, glissant sur une flaque de sang et tomba face contre coque, les genoux repliés, tandis que ses yeux reprenaient leur teinte normale et que la faucheuse intangible rose se désagrégeait.

      Ses sentiments avaient pris le dessus, une deuxième fois. Sitôt sa technique niveau supérieur des Yeux du Diables éteinte, les soldats les plus téméraires et intègres lui offrirent de nouveau le peu de soins qu'ils pouvaient lui prodiguer à bord. Soins que l'homme à la peau brûlante, cette fois, fut contraint d'accepter.
      Il allait devoir laisser la suite au gradé aux fourreaux, du moins pendant un temps.


      Dernière édition par Tim Uzi le Ven 2 Avr 2021 - 1:17, édité 3 fois
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      - ... En voilà un qui ne manque pas de tempérament, reconnaissons-le.
      - En effet.

           Le commodore et moi nous observons, à quelques mètres l'un de l'autre, tandis que l'agent Uzielgin est éloigné par les soldats encore présents sur le pont. Chacun d'eux exprime de la frustration, car il est clair qu'ils sont impuissants face à ce qui se déroule sous leurs yeux. Gharr Hadoc a la main posée sur ses fourreaux. Son visage faussement réprobateur n'est défiguré que par les rides et les cicatrices, signes de sa grande expérience... Je ne peux m'empêcher de l'admirer. Non pas pour le plaisir ou l'esthétique, mais parce qu'il ressemble à une image, à une peinture ; le genre de portrait que l'on trouve dans les galeries d'art et que l'on ne peut s'empêcher de regarder, tant elle dégage de force d'existence.
           Timmerson n'a pas le même vécu, mais il n'est pas en reste : il est rare de croiser un nettoyeur du Gouvernement, encore moins capable de faire montre d'autant de sentiments. Son implication, sur la fin, m'a même touché. Peut-être est-ce par naïveté, mais je considère qu'il s'agit d'une bonne personne.
          Encore un qu'il faudra épargner.

      - Avez-vous repris votre souffle, commodore ?
      - Que voulez-vous, monsieur Frost : les efforts donnent chaud.

           Sur ces mots, l'officier supérieur fait glisser le manteau qui recouvre le dos de son kimono et délaisse ses getas d'un simple pas en arrière, le tout délicatement, sans un bruit. Il ne touche ni aux lunettes, ni aux mitaines. D'un geste du doigt, il m'invite à récupérer le fourreau que j'avais délaissé plus tôt. Je ne suis obligé en rien, mais je finis par m'exécuter. Je lui lâche un sourire avant de le lui jeter :

      - Chacun son combat, chacun ses armes.

           Possible que certains voient ça comme une forme de confiance abusive. Que penser d'un hors la loi qui voit la victoire comme acquise ? Mais il n'en est rien : s'il s'agit d'un duel entre deux hommes qui se comprennent, alors il faut que chacun puisse se donner au maximum. Le résultat n'est juste pour chacun que dans ces circonstances. Nous avons beau ne pas être sur la même longueur d'ondes, je pense pouvoir affirmer que nos désaccords concordent autant que nos ressemblances. Et sans me mentir : je veux connaître l'étendue des capacités d'un homme avec autant de résolution. Sera-t-elle plus forte que la mienne ?
           C'est ce que nous allons savoir.

           Une fois mon adversaire prêt, je fonce sur lui, glissant presque sur la couche de glace qui recouvre en partie le plancher désormais. J'allonge mon pied d'un revêtement cristallin pour porter un coup, mais l'officier lève le bras d'un geste vif, sectionnant l'appendice. Croyant profiter d'une ouverture, j'enchaîne d'un direct qui se fait contrer par un deuxième fourreau. S'ensuit une série d'échanges aussi violents qu'au premier round. Les assauts pleuvent, comme autant de batailles à petite échelle gagnées par l'un, puis par l'autre. Je joue cartes sur table ; lui use de quelques bottes secrètes.
           L'avantage que j'avais au départ ne change pas plus maintenant à première vue : le givre que je génère alimente la puissance de mes attaques et ma vitalité. Le vétéran ne peut que compter que sur sa propre endurance... Pourtant il se démène comme un beau diable et, n'ayant plus besoin de neutraliser les révolutionnaires, toute son attention est tournée contre moi. Pieds nus, il esquive avec aisance la majorité de mes crochets, pare la plupart de mes créations et contre mes jambes à chaque fois que l'occasion se présente. Il finit même, à un moment, par caler l'une de ses armes contondantes entre deux planches pour stopper un balayage et me saisir par la cheville avant de m'envoyer voler plus loin.
           Je me rattrape au vol et, à l'instant où mes chaussures touchent le sol, je vois mon adversaire juste en face de moi, prêt à frapper. Je ne l'ai pas du tout vu ni entendu courir.

           Par pur réflexe, me croyant en danger, j'expulse autant d'air que possible en un cri et cristallise presque aussitôt la vapeur d'eau. Les stalactites croissants obligent le commodore à cesser son action. Prenant chacun du recul, nous observons les réactions de l'autre sans baisser notre garde. Gharr ne peut s'empêcher de hausser un sourcil moqueur :

      - Monsieur Frost, auriez-vous encore du mal à croire aux... "Bienfaits" de votre malédiction ?

           Je ne réponds pas. Je sais ce qu'est la rhétorique et nous comprenons tous les deux que ma réaction n'était pas maîtrisée. L'erreur est humaine.
           Le dos plaqué contre l'un des mâts du bateau, j'inspire profondément avant de relâcher la pression. C'est ce moment que choisit le Marine pour m'envoyer une lame d'air que mes pointes précédentes parviennent à bloquer. Détruites, elles laissent le champ libre à Hadoc pour revenir à la charge, décidant que moins de répit signifiait moins d'opportunité pour moi de préparer quelque chose de dangereux. L'idée n'est pas mauvaise, à moins que ce soit l'instinct du guerrier qui s'exprime. Dans tous les cas, je n'ai plus le loisir de produire quoi que ce soit de trop imposant.
          Les entailles faites à mon corps se régénèrent petit à petit, mais les taillades adverses augmentent de plus en plus. Le souffle de l'homme a beau devenir plus fort et plus saccadé, mon apparence devient plus aléatoire avec le temps qui passe. Certains hommes sur le navire, supporters à leurs heures perdues, constatent un retournement de situation. Ce n'est plus moi qui avance, et lui a cessé de reculer.

           De mon visage, il ne reste qu'une partie transversale, avec un oeil à droite et la bouche. Je porte bien quelques coups, mais le commodore a la peau dure et il s'est trouvé un talent pour la découpe de glaçon. On voit qu'il maîtrise son art : il a su s'adapter à mon rythme et imposer le sien en déjouant même mes frappes les plus sournoises.
          Pourtant là, à l'instant où il s'apprête à me frapper pour la énième fois sur le sommet du crâne, je laisse échapper un rictus malicieux, l'oeil levé. Comprenant trop tard, le shimotsukien recule alors que ma flèche d'odin - la plus imposante à ce jour - finit de se former au dessus de nos têtes et commence sa chute. Je l'ai alimentée en faisant circuler mon attribut par le sol, longeant le mât auquel je m'étais adossé précédemment. Alors que tout le monde avait les yeux rivés sur notre combat, personne n'a constaté l'ombre grandissante qui masquait même les reflets du gel sur le plancher. La Flèche, semblable à une dent de monstre marin, atterrit enfin, faisant trembler le pont et éclatant la surface qui me sépare désormais de l'officier. Ce dernier, gêné par l'impact, a fait tomber l'un de ses fourreaux derrière lui.
          Le projectile a créé une brèche entre la surface et l'étage inférieur. Vu la taille du navire, j'imagine que personne en dessous de notre position n'a eu à souffrir gravement du choc. Je n'oublie pas que les prisonniers sont coincés quelque part par là.

           Je pourrais profiter de l'occasion pour cesser toute hostilité et foncer vers mon objectif, mais l'idée ne me traverse même pas l'esprit : je veux finir ce que j'ai commencé.
           Je bondis en avant, directement sur l'énorme croc de glace et, au lieu de le percuter, le pénètre intégralement. Etant tous les deux de la même essence, la fusion n'est pas inconcevable. C'est donc tout naturel que j'apparais de l'autre côté, directement face à mon adversaire, lequel stoppe mon assaut tant bien que mal, obligé de faire un pas vers l'arrière, puis un deuxième. Deux de mes attaques font mouche, car l'un des bras du commodore n'est plus armé. Mais au moment de porter un coup décisif, je sens comme une déchirure, allant du bas de mon corps vers le haut. Puis ma vision se retrouve scindée en deux.
           Gharr, le souffle haletant, a une jambe levée. Entre ses orteils : le fourreau tombé plus tôt.

      Pulupulupulu. Pulupulupulu.

           Un escargophone, relié aux portes-voix du navire, se met à sonner. Le colonel encore présent revient à la réalité et décroche :

      - A New Rope, ici les renforts. Nous approchons de votre position. Le navire est en vue. Terminé.


      Dernière édition par Arhye Frost le Sam 20 Mar 2021 - 18:51, édité 1 fois
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      Si Arhye avait délaissé la mission de sauvetage, Gharr ne se souciait plus non plus de l'univers qui les entourait. Le colonel débitait un rapport en catastrophe et intimait aux renforts de redoubler de vitesse, mais cela n'avait aucune incidence sur les duellistes. L'horizon demeurait loin et la guerre et avait déjà séduit ses avatars. Le combat devait se terminer ici et maintenant.

      Sans plus de palabres, ce corbeau blanc et le chien fantôme se ruèrent l'un sur l'autre. A présent qu'il avait dévoilé ses talents du combat à quatre sabres, Hadoc laissait les fourreaux entre les orteils d'une jambe et doigts d'une main, les autres demeurant consacrées à son équilibre ou aux cabrioles. Car il employait à présent les manoeuvres des voiles pour défier les airs et attaquer Arhye sans reposer sur sa patinoire. En plus de glisser et ralentir ses mouvements, le froid avait suffisamment engourdi ses pieds.

      Le froid prenait d'ailleurs une ampleur de plus en plus pénible. S'il était déjà contraignant de bouger par temps froid, le Marine préférait de loin la forêt chaude de Shimotsuki ou le sable battu de soleil d'Alabasta. Contrairement à Tim Uzi, les températures basses lui étaient éprouvantes et l'adversaire du jour n'avait cessé de convertir en plateforme réfrigérante le pont du navire, battu par des vents polaires que générait l'albinos au moindre mouvement, à chaque souffle. C'était comme affronter une tempête de glace. Derrière ses verres, Gharr sentait ses cils givrés autour de ses yeux qui lui piquaient, ses doigts bleuis en dehors de ses mitaines et les membres tant gelés qu'il ne ressentait pas autant qu'il l'aurait dû les coupures occasionnées par les attaques du pirate, pas plus qu'il ne ressentait la protection de ses vêtements trempés et givrés à force d'exposition au polaire. Mais le pire, c'était le souffle.

      Respirer par froid glacial n'était pas seulement difficile ou brûlant, c'était aussi mortel. Le corps humain n'était pas fait pour accueillir un tel courant d'air et les poumons ne pouvaient tenir longtemps si l'air ne se réchauffait pas suffisamment en pénétrant l'organisme. Hadoc était fatigué, mais se laisser à haleter revenait à se condamner à mort. Voilà pourquoi si chaque assaut était vif et violent, il profitait de chaque opportunité pour gérer son souffle et éviter l'exténuation prolongée.

      La fatigue aussi se marquait chez Frost, mais d'une autre façon. La fatigue intellectuelle, à force de générer de la glace, la manipuler, bâtir le décor à son avantage. Jouer à un jeu de stratégie et de réflexion dense ne fatiguait pas le corps, mais l'esprit finissait par se relâcher et perdre en précision. Cela se traduisait par la finesse des reconstructions de glace ou le délai nécessaire à accomplir ce qui semblait instantané au début de la confrontation. Arhye était drogué au combat, comme Gharr, mais son esprit perdait en lucidité. Le Marine avait au moins l'avantage d'une très longue expérience et d'un métier qui pousse à ne pas se relâcher avant des heures, sinon des jours. Du point de vue de la fatigue mentale, c'était le jeune corbeau qui était en difficulté.

      Suspendu à une corde jumelle, le maudit simula des fourreaux de glace à ses pieds pour poursuivre le duel de sabreur comme deux singes extraordinaires. Arhye était très à l'aise dans les airs et jouer des jambes pour frapper ne l'embêtait davantage. De plus, c'était pour lui une occasion d'apprendre à se servir d'une arme en assimilant peu à peu la technique du Marine. Après quelques assauts, il savait comment parer, quand esquiver et tentait même des attaques sournoises. Tandis qu'au-dessus des deux étranges bretteurs, sur une corde suspendue à quelques mètres des stalactites naissaient, grandissaient à vue d'oeil et menaçaient de tomber à tout moment en pluie perforante sur le soldat.

      La première chût directement vers le crâne de Hadoc, qui ne l'avait pas remarquée. Heureusement, un drôle d'ange armé d'arme à gros calibre veilla sur lui en explosant la pointe d'un de ses Taurus. Il réserva le même sort aux suivantes, au point qu'Arhye prit ombrage de voir sa stratégie parasitée et décocha un trait de glace qui agrippa comme un main de cristal les armes de l'agent du Cipher Pol. Sans se démonter, Tim les lâcha et tira à nouveau en mimant des pistolets de ses doigts. Toutes les stalactites furent neutralisées et, quand le pirate voulut reporter son attention sur le Marine, il vit que celui-ci avait pris de la hauteur en grimpant jusqu'à la vergue supérieure, où il l'attendait.

      - Ca ne changera rien !

      Agacé, le pirate s'autopropulsa d'une épaisse colonne de glace jusqu'au tronc qui portait la voile. Au moins, le bois n'était pas encore couvert de glace et l'adhérence y était plus agréable aux membres inférieurs du soldat. A nouveau les deux adversaires se ruèrent l'un sur l'autre. Cette fois, le fourreau de Gharr envola après quelques échanges, avant de se faire rattraper entre ses dents pour porter une attaque surprise à la clavicule de Frost qui se fissura  jusqu'à l'omoplate. Le chien en profita pour couper l'autre bras, saisir le logia par le col et le jeter sur le pont. Arhye n'eut pas le temps de se reconstituer, criblé des impacts de shigan durant sa descente pour que seul son faciès accueille le sol du navire. Sa tête de glace se brisa à l'impact. Gharr descendit le temps que le corps du pirate se reconstitue. Ce qui n'arriva jamais.

      Des pans de glace, épaisse et lisse, s'érigèrent autour du commodore et de l'agent pour les enfermer dans un gros cube individuel . Enfin Arhye réapparut à quelques mètres, défiguré par l'effort à manipuler son élément et l'envie d'en finir. Avant même d'avoir repris entièrement forme humaine, il fit apparaître devant lui un sac de frappe en glace. Lorsqu'il le percuta de son poing, ce dernier s'enfonça dedans pour réapparaître dans un des terrariums où il frappa tour à tour Tim et Gharr. L'attaque était quasi impossible à bloquer, car si Arhye demeurait statique devant son sac et que ses directs se ressemblaient, ils surgissaient de n'importe quelle paroi de la prison de glace, y compris les verticales. L'albinos s'en donna à coeur joie un moment, battant les deux adversaires jusqu'à les voir fléchir et ne même plus chercher à parer les coups. Le dernier assaut, plus terrible de tous, était un poing de glace artificiellement agrandi et partant de toutes les parois à la fois. Le CP et le Marine encaissèrent, crachèrent le sang accumulé comme on jette l'éponge et espérèrent que le pirate les pensaient KO.

      Profitant d'un léger moment d'accalmie, Gharr découpa d'une lame d'air un rond de glace et l'expulsa vers Arhye. Peu surpris, ce dernier le balaya d'un revers de la main sans quitter des yeux la prison du Marine. quand son champ de vision se craquela au son des impacts de Uzi qui tirait à répétition depuis le même trou qu'il s'était creusé, shigan après shigan, durant la correction. Le logia rendu aveugle un court instant, Hadoc bondit de sa prison par l'orifice créé et fit une longue glissade sur la patinoire qui liait les cubes et leur créateur. Son coup de sabre trancha les jambes d'Arhye pour lui couper tout lien physique avec la plateforme qu'il commandait. Dans un effort violent, il souleva le bloc de glace qu'était devenu l'albinos pour le jeter dans la prison autrefois sienne. Arhye n'allait pas mettre longtemps à s'en échapper, c'est pourquoi Uzi, tout juste échappé lui aussi, donna une ruade puissante pour éjecter le glaçon qui trébucha sur le bastingage et passa par-dessus bord.

      La méfiance habitait les deux employés du Gouvernement. Arhye pouvait être dans le cube qui venait de plonger, comme dans la glace du pont. A leur grand soulagement, ils virent le maudit s'extraire du cube sous forme de bloc mal tracé, quasi bestial et dirigé droit vers le navire afin de les rejoindre. Les deux hommes sautèrent sur le haut de la rambarde et entamèrent, à leur tour, un déluge d'attaques. Hadoc fit pleuvoir les lames d'air de tous ses fourreaux, Uzi des balles d'air de tous ses doigts. La glace tranchée et brisée par les tirs ne cessait de se recroqueviller et chercher des ramifications par lesquelles rejoindre le pont. Frost était alors une créature difforme, immense et mutante, probablement prise par la colère d'être privé de son combat et la crainte de se faire engloutir par les eaux. Sans plus rien de semblable à ce qui aurait pu s'apparenter à un être humain, le golem de glace perdit ses protubérances, ses courbes déchiquetées et ses appendices anarchiques. Jusqu'à ce que plus rien ne se régénère et que les blocs de glace, soudain éteints de cette volonté propre, s'effondrent dans un boucan d'enfer pour ne plus donner place qu'à un cimetière de petits blocs flottants et dérivant. Puis, le silence total.

      Un temps incertain s'écoula, l'agent et le soldat n'osant croire que c'était terminé. Il fixèrent l'océan à grumeaux comme si le diable allait en ressurgir, guettant d'eux le premier instant de relâchement pour les attraper. Pourtant, Frost ne réapparaissait pas.

      Je serais étonné qu'il se soit noyé.

      Peu importe, c'est fini. Soupira Gharr en rejoignant le pont pour y provoquer la glace, inerte, de ses coups de talon.

      Agent Uzi, avez-vous pu mener votre interrogatoire ?

      Toujours perché, Tim acquiesça sans quitter les blocs des yeux.

      J'ai terminé ma mission.

      Beau travail. Colonel, je vous laisse procéder à l'arrestation des révolutionnaires en attendant les renforts. Que les membres d'équipage dégivrent ce navire d'ici là. Nous sommes en excédent de poids et avons encore de la route. Le rapport portera Monsieur Frost disparu, sans ôter sa prime.

      Ces blocs ne dérivent pas de façon indépendante.

      Le ton monocorde de Tim appuyait quelque chose d'aussi sinistre que sa constatation. Si les blocs tenaient ensemble, cela voulait dire que les deux employés du Gouvernement n'avaient vu que la partie cachée de l'iceberg. Il réagirent vite, mais le monstre de glace était déjà là.

      Des pointes de lance percèrent les deux pieds de Gharr qui poussa un hurlement de surprise et d'une douleur abyssale, sans plus pouvoir contenir son souffle. Déséquilibré par les odieux pieux qui lui fendaient les os, il prit appuis sur une main pour ne pas tomber et s'arracher le reste des extrémités. Une nouvelle pointe lui perça la paume pour définitivement l'immobiliser dans cette position humiliante; autant qu'ils avait pu humilier Arhye en le brisant à plusieurs reprises. Mais le corps du Marine, lui, ne se reconstituait pas.

      Tim réagit aussitôt. Hélas, la silhouette brillante et sans aucune opacité apparut devant lui, lui saisit la gorge et le plaqua au sol, avant que la patinoire tire des langues glacées pour lui agripper les poignets et qu'une gueule garnie de dents acérées se referme comme une couverture de livre sur le dernier chapitre de sa propre histoire. Seul le tekkai, blindage du corps mis au point par les membres du Cipher Pol, permit au corps de l'agent de résister aux dents qui continuaient de pousser pour l'empaler de toutes parts. Il n'était pas sauvé pour autant, car s'il bougeait pour se dégager ou tentait toute autre action de mouvement, le tekkai faiblirait et le sarcophage se refermerait définitivement sur lui. Arhye était enfin tranquille.

      Sans hâte, il glissa jusque devant Gharr, toujours cloué au sol, et reprit sereinement teintes et matières. Le visage du pirate était grave, toujours courroucée, mais la bête avait eu assez de sang en sacrifice pour s'apaiser un instant.

      - Il s'en est fallu de peu.

      Ce fut à cet instant que l'albinos vit à quel point le Marine était consumé. Il ne luttait plus contrer le froid et n'avait plus aucune superbe. C'était un homme grelotant, inapte à se dégager des pointes. Et quand bien même l'aurait-il pu, à quoi cela aurait bien pu servir ? Il lui fallait toutes ses capacités physiques pour tenir tête au pirate. Ce paramètre était définitivement compromis. Même sa voix, chaude et ample, sortait en filet fragile duquel il fallait approcher pour en saisir distinctement chaque syllabe. En cet instant, Gharr riait, sans conviction, comme un animal piégé et qui admettait sa situation d'une pointe d'ironie.

      Je m'étais demandé comment vous aviez pu recouvrir de glace notre coque à distance. Vous vous servez de liens de glace que vous tissez sous l'eau. Je n'imaginais pas les logias capables de ça.

      Arhye, plus calme, admit, d'un sourire complice et un peu désolé.

      - C'est très difficile de travailler l'eau de mer, mais pouvoir la geler est assez pratique.


      Gharr tourna la tête pour vérifier que Uzi tenait bon. L'idée de négocier sa libération en échange des prisonniers était venue un instant, pour repartir aussitôt. Le Cipher Pol, la Marine, tous interdisaient ce genre d'initiative. La mission demeurait. Gharr cassa la pointe qui lui perçait la main, la tint fermement de son dernier membre valide et poinçonna la poitrine d'Arhye qui eut un léger mouvement de recul, avant de voir que l'arme improvisée servait davantage à se maintenir droit qu'à chercher à le tuer.

      Vous savez, j'ai souvent entendu que les maudits étaient appelés ainsi à cause de leur incapacité à flotter. A dire vrai, je n'y ai jamais vraiment cru.  

      Hadoc raffermit sa prise et se redressa suffisamment pour enfin pouvoir regarder Arhye dans les yeux. Ce qu'il allait lui transmettre le méritait.

      Après tout, combien de personnes, en ce monde, ambitionnent de quitter leur terre natale ? Combien vivent sur la mer et combien sont incapables de recourir à leur fruit pour se sauver de la noyade ? Et de toute façon, combien de gens sans fruits du démon ont appris à nager ? Parmi ceux qui ont appris, combien pourraient nager jusqu'à leur survie sur un océan vaste et tourmenté ? Un handicap qui ne condamne qu'une petite minorité, est-ce qu'on peut toujours le qualifier de malédiction ? Pour moi, c'est autre chose.  

      Arhye ne trouva rien à contester et sa curiosité était piquée. Il écouta, comme les dernières paroles d'un mourant.

      Vous allez vivre avec ce pouvoir, Monsieur Frost. Un pouvoir que peu de gens acquièrent et que bien moins encore comprennent. Vous ne ressentirez plus le froid, plus la douleur. Jusqu'à l'oublier. Jusqu'à oublier ce que veut dire être un être humain.  Tôt ou tard, le fruit sera votre atout à tout faire. Vous l'utiliserez avec abus, y compris pour des situations où vous vous en seriez passé. Mais voilà, vous l'aurez accepté et complètement intégré à votre attitude. Vous vous prendrez pour un homme-glace, un métahumain qui est plus proche du monstre mythique ou d'un dieu que de cet être si faible que vous croiserez partout et qui vous craindra.
      Vous perdrez votre humanité pour coller à ce que le monde projette sur vous. Jusqu'à ce que, un jour, vous croisiez quelqu'un. Ce quelqu'un, auquel vous aviez cessé de croire. Ce quelqu'un qui vous rappellera que, en dépit de toute cette débauche de puissance, vous n'avez jamais cessé d'être humain.


      Le pirate imagina un peu ce jour où le rappel à la réalité se ferait. Il n'était pas encore plongé dans la perte du réel, son fruit étant consommé depuis peu. Mais le soldat avait sans doute raison: le pouvoir allait être un paramètre à garder à l'oeil. Un goût désagréable de métal lui vint en bouche. Il pensa que c'était une impression d'inconfort psychologique, mais la sensation s'accentua jusqu'à lui baigner langue et papilles d'un liquide désagréable. Devait-il vomir ? Ne comprenant pas d'où venait cette sensation dérangeante, il cracha par instinct ce qui lui parfumait horriblement la bouche. C'est là qu'il le vit, ce sang. Son sang. Son regard se reporta sur le bas de son corps. La pique que tenait toujours Hadoc était baignée d'un rouge sombre qui puisait sa source dans les doigts du Marine. Et la douleur vint aussitôt.

      Frost repoussa Hadoc comme le pire des serpents et constata que la pique perdait enfin sa teinte cramoisie. Il put enfin assimiler la glace qui lui perforait le corps et la blessure vive lui fit sentir ses côtes broyées, ses chairs déchirées et le sang, la vie, dégueulée de ses côtes dont il pouvait jurer qu'une lance s'enfonçait et se baladait toujours dans ses tissus. Arhye hurla, contre lui, contre le monde entier. Ce mal vif, sans mots pour le décrire, s'accentua quand son corps vibra sans pouvoir s'adapter à ce trou suintant d'une vie à laquelle tout être tenait. Jusqu'à ce que plus aucun cri ne puisse sortir, paralysé comme le corps entier par la souffrance. Dans son état, il pouvait à peine entendre la dernière phrase du chien qui terminait le présage de la malédiction.

      ...ce jour-là, vous vous rappellerez la douleur, vous ressentirez le froid, la terreur, l'impuissance. Il n'y aura pas plus humain que vous.

      Une déflagration de glace balaya la moitié du pont, sans que personne ne sache si c'était Arhye ou le vent pétrifié qui criait. Le métal du bastingage gela, le bois se figea jusqu'à l'étage inférieur, les cordes cessèrent tout mouvement, la voile devint aussi cassante que le cristal. Les couleurs perdirent leur vivacité. L'équipage lui-même dut fuir ou finir gelé sur place. Gharr reposa sa main ensanglantée et laissa la vague de froid le dévorer. Il perdit conscience, figé dans un tombeau qui ne cessait de s'épaissir. La gueule qui emprisonnait Uzi fut elle-même gelée par la bombe polaire et désamorcée, pour lui permettre de s'en extraire depuis que les dents étaient rongées par le tartre polaire. Son talent de résistance au gel fit de lui le seul être apte à se mouvoir, se relever et faire face au pirate. Arhye avait littéralement congelé toute matière et être vivant des environs, y compris la mer qui suspendait sa danse et l'air qui dessinait d'immenses pétales de glace. Il pouvait répandre et contrôler la glace à volonté, jusqu'à en refaçonner son corps. Mais jamais il ne put refermer la plaie.
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      "Il semble que nous ayons chacun eu droit à notre moment de perte de contrôle. Le vôtre a des conséquences plus... radicales."

      Le corps quasiment intégralement reconstitué, le Corbeau blanc esquissa un rictus nerveux. En guise de réponse, il créa une gigantesque fuscine de glace dans son poing à moitié refermé et, toujours la main posée sur sa plaie inguérissable, fonça à toute allure vers le tatoué. Celui-ci ôta le gant qui lui couvrait la main gauche avant de l'enfiler par-dessus celui de sa main droite, et se retrouva d'un Soru à côté de son comparse Shimotsukien inconscient. Bien entendu, le fils Frost réagit rapidement et, profitant de sa jambe qui n'avait pas encore pris forme, saisit l'occasion de se fondre entièrement dans l'épaisse couche de glace du pont et de réapparaître derrière lui, brandissant le trident pour espérer lui asséner un coup final. Ayant repéré dans ce chaos de givre l'un des fourreaux de l'officier, le fils Uzielgin le saisit, en dégelant passivement la partie qui était entrée en contact avec sa peau, et le détacha de la banquise artificielle qu'était devenu le bateau avant de contrer l'assaut du pirate avec un maximum de force.
      Force qu'il avait paradoxalement retrouvée lorsque le convoi s'était transformé en moitié gauche de Punk Hazard, le libérant du piège mortel dans lequel n'importe quel mouvement de sa part l'aurait condamné. Insatisfait, l'artiste martial continuait d'insister, espérant faire flancher l'homme à la peau brûlante malgré le fourreau que ce dernier avait volontairement bloqué entre deux des trois dents de son arme. Comme écrasée entre les deux pressions qui étaient exercées sur elle, la fourche artificielle finit par se briser, conduisant le Corbeau à jeter l'éponge et à dématérialiser la fourche d'un air amer.

      L'agent Alegrian reposa à sa place le fourreau de Hadoc, qui se regela instantanément, avant de faire un bond-Geppou en arrière. Inspectant l'état des soins que de pauvres soldats avaient pris le temps de lui prodiguer avant de se faire givrer sur place, il sortit ensuite son encrier de sa main doublement gantée et se mit en position accroupie, entamant un tatouage près de la plaie que le pirate lui avait infligée en prenant soin de ne pas empiéter sur les bandages qui la recouvraient. Commençant par prévoir à tort un mouvement belliqueux de la part du sniper, le jeune homme aux cheveux blancs lui lança rapidement une flèche d'Odin en direction du front, flèche qu'Uzi parvint à éviter d'un simple Kami-E.
      Ce combat, qui avait déjà perdu en valeur dés le moment où l'ancien artilleur avait envoyé son adversaire dériver sur l'océan une première fois, n'avait maintenant presque plus d'intérêt, ni d'un côté, ni de l'autre. Arhye était encore animé par la rage qu'il venait de ressentir, ses sensations de corps humain blessé ayant repris le dessus. Il était le plus puissant de loin, en plus d'être à son avantage sur ce terrain qu'il avait par ailleurs modifié lui-même, mais trop psychologiquement exténué par ses échanges de coups avec le samouraï, et trop confus par la situation. Uzi, lui, avait cette résistance naturelle aux capacités du Hie Hie no Mi et s'était vu revitaliser par l'environnement glacial, mais il restait le plus faible, et n'avait aucune alternative offensive contre le Corbeau blanc.
      Ne quittant pas son dessin des yeux, l'ex-armurier confirma la remarque que le gradé de la Marine avait faite au fils de Kristian Frost quelques instants plus tôt.

      "Je pensais que les registres étaient en retard, mais on dirait qu'ils étaient à jour. Vous n'avez consommé ce fruit que récemment, n'est-ce pas ? Si vous en maîtrisiez les capacités, je ne serais plus là pour en parler."

      Frost répondit d'un rire presque convulsif, et se surprit à cracher une gerbe de sang avant de rétorquer d'un air à mi-chemin entre le hautain et l'incertain, témoignant d'un certain signe d'épuisement.

      "C'est vrai, oui. Un autre paramètre joue : j'étais parti pour vous gracier, vous deux. Vous auriez presque pu m'émouvoir, si la situation n'était pas, hm, telle qu'elle est."

      L'agent acquiesça silencieusement, bien qu'amadouer le jeune homme à la chevelure blanche n'avait pas été pas le but de sa démarche. Progressant sur son tatouage de sorte à ce qu'une majeure partie en était déjà visible, il rebondit sur le sous-entendu de son interlocuteur.

      "Aucun d'entre nous deux n'est foncièrement mauvais. J'ai fait des choix, vous en avez fait."

      Le pirate hocha la tête calmement, semblant préparer quelque chose sans pour autant que le sniper aux dreadlocks ne puisse distinguer quoi.

      "Et je respecte, agent Uzielgin."

      Le dessin achevé, un glaçon coulant tracé à l'encre apparut sur le haut du flanc du Rokadien, là en guise de souvenir quant à son affrontement avec un ennemi qui ne courait pas les rues. L'encrier toujours dans sa main recouverte par deux gants, il se passa l'autre main sur le visage et revira son discours dans un sens qui n'allait peut-être pas plaire au Corbeau.

      "Mais si vous comptiez nous épargner, quelque chose vous aurait-elle fait changer d'avis ? Serait-ce cette blessure ? Vous vous doutez pourtant que le Commodore et moi-même en avons connu de bien pires, à même titre que vous, j'en suis certain."

      Le fils Frost, voyant ce commentaire comme un signal, se hâta de jeter adroitement un kunai de glace vers le tatoué. Celui-ci se releva, positionna sur ses appuis et prépara sa main nue avant de propulser son poing d'un Soru partiel dans la direction opposée. La pointe de la lame gelée écorcha d'abord légèrement la phalange de l'agent, puis l'arme se désintégra peu après être entrée en contact avec son mouvement, tombant sous forme d'eau liquide sur le pont, puis se reglaçant instantanément au contact de la couche de givre qui envahissait le plancher. Uzi se désarticula les doigts un instant puis plaça sa main devant son champ de vision, vérifiant son état. L'artiste martial soupira et ferma les yeux.

      "Oui, il y a cette satanée immunité, aussi."

      Le fils Uzielgin retroussa les lèvres et hocha la tête dans le vide, continuant à observer sa propre paume.

      "Vous n'êtes pas seul à parfois encore découvrir à votre corps de nouvelles propriétés."

      Suivant l'invitation de l'agent, qui s'était de nouveau baissé pour discuter, le pirate s'accroupit à son tour. Il souffla en tentant de contenir sa plaie de plus belle, manifestement apaisé bien que frustré par ses échecs.

      "Sacré Gharr Hadoc. Profiter d'un moment de faiblesse de l'esprit pour jouer sur mon inconscient et ainsi faire ponctuellement retrouver à mon corps des propriétés normales, c'était brillant. Si ça, ce n'est pas digne du Chien Fantôme..."

      Le sniper répliqua, tentant de compatir comme il le pouvait sans réellement y parvenir.

      "Je suis aussi impressionné que vous. Et tout autant impressionné par vous. Vous n'êtes probablement pas aussi exténué que vous vous le laissez entendre. Je pourrais bluffer mais je préfère être franc avec vous, Frost, je n'ai aucune forme de haki. Je peux éventuellement trouver un moyen de fuir, mais je ne peux pas vous battre."

      Le Corbeau sourit en regardant le tatoué dans les yeux, contrastant drastiquement avec la haine animale qu'il avait manifesté il y a peu.

      "Je présume que poursuivre ce combat est inutile ?"

      Le jeune homme à la peau brûlante se releva un peu maladroitement, rangeant son encrier dans son holster. Le pirate, par réflexe, fit de même.

      "Vous présumez bien. Du moins ce sera vrai lorsque vous aurez rendu son état normal au navire, et au Commodore par la même occasion."

      Bien qu'il n'en fit pas mention, l'agent espérait également retrouver ses deux taurus, emprisonnés sous le givre avec le reste du convoi. Le pirate fronça les sourcils.

      "J'avais cru entendre que vous aviez déjà rempli votre tâche. Pourquoi vous souciez-vous autant du sort du Commodore, agent Uzielgin ? D'où vient une camaraderie si soudaine entre Marine et Cipher Pol ? De plus, ne pouvez-vous pas le dégeler vous-même ?"

      Uzi répondit à la deuxième question en posant sa paume contre le pont, l'enfonçant dans une couche de glace tandis que de l'eau s'en réchappait, puis en la retirant, laissant à l'artiste martial le loisir de constater que la petite surface en question avait de nouveau gelé. Le tatoué ne pouvait manifestement plus agir sur la glace dés l'instant où il n'était plus en contact avec ; aussi il décida de reganter sa main gauche avant de rétorquer.

      "Le vénérable Figura a également raison sur ce point. Si le Gouvernement souhaite régler les problèmes qui lui sont externes, il doit d'abord s'occuper de ce qui lui est interne. Une entente dans la mesure du possible entre différents services est primordiale. Je ne suis personne, mais si on m'en donne l'occasion, je suis résolu à agir pour perpétuer cette nouvelle ère d'unité intra-gouvernementale. C'est pourquoi je dois considérer le Commodore Hadoc comme un collègue, et je vous demande de le libérer. Le cas échéant, je serais contraint de poursuivre le combat."

      Le fils de Kristian Frost, après quelques secondes de stupeur quant au sens de l'honneur du représentant ce qui était peut-être le métier le moins honorable du monde, se résigna, ferma les yeux et acquiesça calmement, avant de se baisser de nouveau et de tendre la main vers la couche de glace qu'il avait développée sur le pont. L'agent, dont tous les sens n'étaient plus sollicités par le combat, se reconnecta à la réalité qui les entourait et aperçut une manœuvre de panique du navire des renforts, ayant peur d'entrer en contact avec la partie gelée de la mer encerclant le convoi. De l'autre côté, à sa gauche, les prisonniers semblaient alarmés par le combat, et notamment par la grande flèche d'Odin qu'Arhye avait envoyé traverser le pont et dont ils pouvaient voir la tête. Leur agitation étaient telle que les deux ennemis auraient pu facilement l'entendre s'ils n'avaient pas chacun été aussi absorbé par l'autre.
      Les pensées du tatoué revirèrent alors vers les captifs qui appelaient à l'aide en bas, notamment par Chiyo. Pourquoi une marraine mafieuse, aussi imposée soit sa fonction et aussi pré-tracé soit son parcours, en venait-elle à révéler de son plein gré des secrets aussi confidentiels sur ses clients et sur sa propre organisation ? Avait-il véritablement eu tort de tenter d'user d'un faux chantage en premier lieu pour la faire parler ?
      Tout compte fait, cette femme méritait-elle d'être exécutée ?
      Avant que le Corbeau, ayant gracieusement accepté d'annuler ses effets de son propre pouvoir, n'entre en contact avec son propre élément et le dissolve, le tatoué l'interrompit.

      "Les renforts arrivent, mais je dois vous demander une dernière chose."

      L'autre soupira et s'interrompit, laissant l'agent poser la question qui lui titillait l'esprit. Uzi tenta tant bien que mal de synthétiser son propos.

      "Vous avez parlé d'une mission de sauvetage. Mais vous avez également dit que ces révolutionnaires n'étaient pas votre équipage. Et vous n'avez pas fait mention une seule fois des prisonniers depuis que vous êtes à bord du convoi. Dites-moi."

      L'ex-artilleur repéra enfin ses deux revolvers, qu'il cherchait du coin de l'œil depuis un moment. Il réajusta comme il le pouvait sa tenue et revira alors son regard pour le plonger dans celui d'Arhye Frost.

      "Pourquoi êtes-vous là, Frost ?"


      Dernière édition par Tim Uzi le Jeu 1 Avr 2021 - 22:27, édité 1 fois
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      - Pourquoi hein...

           Je suis fatigué.
           Je me tiens toujours le ventre, là où la blessure n'a pu se refermer. Mes vêtements sont tous en lambeaux, malmenés par les combats contre le commodore et l'agent du Gouvernement. J'ai perdu mes clopes. J'ai perdu mes convictions. J'ai perdu mon sang-froid également... Bref, je me suis perdu. Et je ne retrouve toujours pas le chemin.
          Les renforts sont là : leur navire est à portée pour aborder. La glace qui parcourait le pont, la coque et les eaux environnantes se désagrège à la demande du tatoué. Les soldats n'ayant pas perdu de vue la réalité se ruent sur les victimes accidentelles de mes égarements, celles-ci dégourdissant leurs membres endoloris par le froid...
           Qu'est-ce que j'étais venu faire ? Je tourne doucement la tête vers mes compagnons d'infortune, lesquels sont pris en main par les forces de l'ordre mondial, puis vers les condamnés, visibles depuis l'orifice que j'ai créé plus tôt. La femme qui se tient au milieu... J'ai vu son portrait lorsque la mission m'a été confiée d'aller à son secours. Je ne me rappelle déjà plus son nom. Je ne sais même pas si j'ai la force d'esprit pour m'en souvenir. Elle me fixe avec insistance, un mélange de détresse, d'espoir et de crainte dans le regard. Elle entrouvre la bouche, mais ne remue pas les lèvres. Tout comme moi, elle est incapable de mettre des mots sur ce qu'elle désire, là maintenant. Mais en a-t-elle vraiment besoin ? La voir ainsi suffit.
           Une larme coule sur ma joue. Je n'ai pas été capable de la retenir. Je n'ai même pas su qu'elle venait avant de la sentir tomber sous ma pommette. Je ne saisis pas sa nature non plus... Peut-être un mélange de beaucoup de choses. Peut-être que cet échange de regards l'a déclenché. Peu importe. Je l'essuie aussitôt.

           Les Marines crient autour de moi. Un officier, regagnant confiance, me somme de me rendre. Je l'ignore, tant la réponse à l'agent Timmerson m'obsède. Il me faut choisir mes mots avec soin. Ses yeux à lui virevoltent entre moi et la position supposée de ses armes, mais je n'y prête aucune attention sur le coup. Gharr Hadoc est toujours à terre, supposément inapte. Les spectateurs alentours sont plus qu'attentifs, prêts à transformer la scène en une pièce interactive d'un seul acte. Je finis par dire :

      - Je ne sais pas.

          Mon interlocuteur est visiblement surpris. Alerte certes, mais surpris. Je n'ajoute rien pendant plusieurs secondes, cherchant désespérément les mots justes pour décrire la situation qui m'a amené au moment présent.
          Il y a le révolutionnaire qui m'a engagé ; le portrait des condamnés ; la voix si particulière du commodore et ce qui découle de sa stature et de sa droiture ; les convictions de l'exécutant à la peau brûlante ; les informations que les deux hommes m'ont données ; leurs sermons... Tant de choses qui entrent en ligne de compte et qui n'ont pour point commun que les paroles et réactions que je leur ai offertes. J'enchaîne :

      - J'aurai pu dire que j'ai agi sur un coup de tête. Ou bien par intérêt. Mais ce serait mentir et, tout comme vous avez été francs avec moi, je souhaite rendre la pareille...
      Je suis comme vous, agent Uzielgin. Comme le commodore, comme n'importe qui sur ce bateau. Je crois, je doute, j'agis par instinct et, des fois, je dois faire confiance à mes idéaux pour ne pas être freiné. Alors quand on m'a demandé de venir en aide à la révolution, je n'ai pas hésité longtemps. Non pas par principe. Mais parce que j'avais besoin de réponses...

      J'imagine ce que vous vous dites : si ce n'est pas de l'intérêt, pourquoi avoir voulu aidé une personne qui connaissait votre père ? Ce à quoi je réponds que je n'en avais pas la moindre idée... Ou plutôt : je l'ai espéré, en guise de compensation pour les efforts fournis. Dans tous les cas, ce n'est pas la personne qui a joué dans la balance, mais le message derrière. J'imagine que j'ai vu en elle - et en tous les autres condamnés - ceux que je recherche, ceux qui servent d'exemple, faisant fi de ce qui est juste. Inconsciemment sans doute, j'ai souhaité remplacer ce message par un autre.

      Peut-être que je souhaitais qu'on me dise que je faisais les choses de la mauvaise façon ? Peut-être voulais-je qu'on m'arrête ? Peut-être que c'est moi qui suis en détresse ici ? Peu importe au final, car tout ce que ça nous a apporté, c'est un conflit. Juste un conflit. Nous avons combattu avec nos poings, nos armes, nos points de vue et nous nous sommes heurtés à un mur. Je ne pense pas avoir ébranlé votre vision du monde, tout comme vous n'avez pas ébranlé la mienne. A quoi bon débattre des heures durant ? Nous ne faisons que nous épuiser... Je suis épuisé.


           Une balle part et traverse ma nuque, créant un nuage de poussière gelée. Tout le monde se tait, tandis que le coupable à la main tremblante réalise son erreur. Mais ce qui choque encore plus l'assemblée est mon absence de réaction. Je reste là, le regard vague. Le projectile aurait pu m'être fatal que je n'aurai pas vu ni cherché à éviter le tir. La douleur à mon ventre cependant m'arrache une grimace et je finis par remuer, forçant d'autres fusils à se braquer sur moi.
          Je m'approche calmement du tatoué, sans une once d'agressivité. Je n'émets plus aucune forme de givre. Je remarque enfin les taurus à quelques mètres de notre position mais nous savons que cela ne change rien. Une fois à sa hauteur, je tente de parler, mais le sang qui s'extirpe de sous ma main m'empêche d'émettre un son. J'inspire pour reprendre contenance et recommence :

      - Le commodore et vous êtes de bonnes personnes. Objectivement j'entends. Et croyez-le ou non, je suis content d'avoir fait votre connaissance... Ne me demandez pas pourquoi, je n'ai plus ni la force ni la patience pour m'expliquer. Je me le demande déjà moi-même...

          Timmerson ne répond rien. Il me dévisage simplement, sérieusement et avec une gravité que je lui découvre. Il est décidément plein de facettes. Si nous n'étions pas si amochés, cela aurait pu être solennel.

      - Parce que je vous respecte, et pour un tas d'autres raisons, je ne m'enfuirai pas avec les prisonniers. Je demande seulement le droit de leur poser une question.
      - Accordé.

          La réponse me surprend. Je ne m'attendais pas vraiment à ce qu'il accepte, mais surtout je ne pensais pas que ce soit si rapide. Je vois la frustration dans ses yeux, ainsi que de la... Confiance ? Ce n'est certainement pas de la résignation. Dans tous les cas, je conçois que cette demande ne le laisse pas de marbre. Il a le poing serré. C'est un risque énorme qu'il prend, mais s'il est accusé de faire ami-ami avec un pirate, il n'aura qu'à rétorquer que c'était une lutte qu'il ne pouvait gagner. Qui sur ce navire aurait pu le contredire ? Même si je doute de cette issue...
          J'approche du trou menant aux membres de la Patrie. Nosono Chiyo - son nom m'est revenu entre-temps - continue de me fixer. Elle a entendu ce que j'ai dit à l'exécutant du GM. Son regard a changé mais je ne saurais dire ce qu'il exprime... N'ayant plus rien à perdre, je tente le coup : je tends un bras dans la direction du trio et pose ma question :

      - Souhaitez-vous être sauvés ?

          Morri Awa est sur le point de répondre mais Gek Teikan lui lance un regard noir qui le stoppe net. Chiyo réplique :

      - Je...
      - Plus un geste !

          Plusieurs mousquets sont tournés vers la Mère Patrie et ses seconds. L'homme qui nous interromps ne m'est pas familier :

      - Lieutenant Disperre, avec les renforts du convoi ! Si vous tentez quoi que ce soit, je fais sauter la cervelle de ces personnes !

          Je regarde l'homme, lequel semble bien décidé à me mettre des bâtons dans les roues. Contraint, je me tourne vers Uzi, un faible sourire aux lèvres :

      - Ça aurait été trop facile, n'est-ce pas ?

          Une nouvelle fois, la question est rhétorique. Je regarde à nouveau Chiyo et constate qu'elle s'est agenouillée. Elle aussi me sourit d'un air triste. Tandis que Morri proteste, couvert par les injures de Gek, elle me fait signe que ce n'est pas nécessaire d'insister. Je me mords la lèvre inférieure... Je ne la connais pas et jusqu'à présent son sort ne m'intéressait pas particulièrement, mais après l'avoir vue, savoir qu'elle va connaître un destin tragique me met mal à l'aise, comme si j'étais en partie responsable.
          C'est fou ce que le contact avec les autres peut provoquer : on finit par se sentir concerné par ce qui leur arrive.

          Je soupire, les paupières closes, cherchant quoi faire... Mais rien n'y fait. Je ne trouve pas de solution. Plus le temps passe et plus le nombre d'ennemis augmente sur le pont. Inversement : ils ne sont plus qu'une poignée à retenir les révolutionnaires. Je m'éloigne des condamnés, sans geste brusque.
          Je passe devant l'agent Uzielgin, puis le commodore Hadoc, toujours à terre. Je l'imagine encore capable de se redresser, tant il m'apparait comme une force de la nature. Je passe devant les quelques soldats qui me séparent du bastingage. Personne ne sait comment réagir : un détenteur de logia n'est pas un adversaire que les forces du Gouvernement présentes peuvent abattre, alors voir celui-ci s'approcher autant de la mer semble provoquer chez elles une certaine incompréhension. A moins que ce ne soit de l'espoir ?

          Je finis par me hisser sur le rebord et, le bras levé, fais mes adieux. Ce geste peut être interprété comme bon lui semble à tout un chacun. Il est destiné à ces deux adversaires dont je me souviendrai jusqu'à la toute fin, mais aussi à cette femme que j'étais venu sauver et que je condamne. D'un coup d'oeil rapide, je repère ce que je cherchais et, sans plus de cérémonie, me laisse tomber en arrière, échappant rapidement à la vue de mes ennemis.
          Je crée alors une rampe de glace, suivant la coque de bois jusqu'à atteindre l'arrière du navire et rejoignant une barque vers laquelle je me laisse tomber. Je la décroche et, au lieu de chuter brutalement dans l'eau, la fait glisser à son tour sur le toboggan je génère toujours. En amerrissant, nous ne faisons presque aucun bruit, mais il suffit à certains pour constater que je suis en train de m'enfuir. Seulement je ne compte pas leur laisser le champ libre : la pente m'a permis de gagner en vitesse et la glace que je continue de produire recouvre peu à peu l'eau derrière moi. Le temps qu'ils puissent manoeuvrer, une banquise se sera formée entre leur position et la mienne et il leur sera alors plus possible de me rejoindre.
           Je déchire le peu de chemise qu'il me reste et m'en fait un bandage. Le froid m'aide à calmer la douleur et bientôt, la tâche rouge cesse de s'étendre. Je rame alors de toutes les forces qu'il me reste pour m'échapper.

          S'il le souhaitait, l'agent Uzielgin pourrait bondir me rejoindre et tenter de couler mon embarcation... Mais je ne suis pas un idiot. Je suis prêt à le recevoir. Et je pense qu'il le sait aussi. J'ose d'ailleurs croire qu'une relation de confiance s'est faite entre nous. Le genre de confiance que s'accordent deux combattants ayant fait parler leur coeur à travers leurs poings.
          Je suis soulagé de n'avoir pas eu à supporter une contre-attaque de Gharr Hadoc : il est certainement l'homme le plus impressionnant que j'ai vu jusque là - si l'on oublie Daemon Wall et son exubérante personnalité - et ses attaques à distance étaient ma plus grande peur dans cette échappée.
          J'imagine que le bilan sera salé pour eux : malgré la sauvegarde des condamnés, un primé a échappé à leurs assauts lors d'une action rebelle. Mais au vu des témoins, je pense que le commodore s'en sortira sans trop trop de reproche... Je ne sais pas ce qu'il en est du Cipher Pol. J'espère sincèrement qu'ils n'auront pas à en subir les conséquences. C'est bizarre. Mais sincère. Dans d'autres circonstances, nous aurions pu nous entendre, j'en suis certain... Enfin, si Gharr n'avait pas flanché, il n'aurait sans doute pas laissé échapper un hors-la-loi. C'est une éthique que je comprends. Timmerson... Eh bien j'imagine qu'il ne l'aurait pas fait non plus s'il avait eu les moyens de continuer sans avoir de compte à rendre. A leur place, j'aurai agi de la sorte. C'est ainsi que je les respecte : ils croient en leurs idéaux et ne s'en détournent pas.

      - Enfin terminé...

          Mais il n'est pas encore temps de tourner de l'oeil. Je m'accroche alors, songeant à Matt qui m'attend et continue de ramer, laissant traîner derrière moi une marée blanche et cristalline.
           J'espère revoir ces deux hommes... C'est un sentiment étrange. Mais pour me rassurer, je me dis que le mieux serait de leur prouver qu'ils ont eu tort.
           Plus qu'à continuer à chercher mes parents.
      • https://www.onepiece-requiem.net/t18490-ft-de-arhye-frost
      • https://www.onepiece-requiem.net/t18482-le-corbeau-de-north-blue
      Topic terminé et sort des prisonniers déterminé !

      Félicitation à vous, je crois que vous avez jetés un froid sur le convois. Convoi 01 - A New Rope 2983686574