Il flottait encore, toujours. Chien de pays.
Nous n'avions vraiment pas prévu de passer par là. Karen s'était gaussée de notre manque de chance. Ce n'était pas la première fois que notre route déviait ; ce n'était probablement pas la dernière. À force, Sloan s'était calmé : chaque espoir de s'enfuir avait fini à l'eau, pour chaque île où nous nous étions arrêtés. Personne ne connaissait l'administrateur du CP9. Beaucoup connaissaient Eleanor Bonny.
« - Bon dieu, on est foutus. »
Cela aurait dû le rassurer, mais il n'en était pas certain. Cette île, il la reconnaissait, il avait envoyé la blonde au casse-pipe jadis dans une mission de secours de l'ancien directeur du CP9. Il savait qu'il n'y trouverait aucun allié aujourd'hui ; l'endroit avait finalement été repris par la révolution, aux dernières nouvelles. Tragique... étant donné que nous serions obligés d'y mettre pied.
Heureusement, Parisse n'était pas qu'une ville, il y avait la Campagne. Nous accostâmes non loin d'un village suffisamment éloigné de la Capitale, qui n’irradiait plus tant que cela à l'horizon aujourd'hui. À l'extérieur, c'était plus coloré : au vert et jaune des champs s'alternaient les couleurs rougeâtres des tuiles des maisonnettes et le blanc des clochers. Le tout avait un côté pittoresque introuvable ailleurs. On aurait dit le Sud.
« - En restant loin de Parisse elle-même, nous devrions rester incognitos. Le temps de recharge du Log n'est pas si long...
- Cinq jours, il va falloir trouver de quoi s'occuper, » nota Karen, visiblement embêtée de ne pas pouvoir visiter la grande ville visible de loin.
Son regard s'y perdait, je devinais ses intentions.
« - Vas y, si tu le souhaites. Je suis curieuse de savoir ce qu'il s'y passe aujourd'hui.
- Aurais-tu oublié que ma tête est primée à moi aussi ?
- Certes, mais il n'y a pas écrit « Cipher Pol » sur ton visage et la révolution a autre chose à faire que chasser les bandits de grands chemins. »
Angelica et moi étions clouées ici. C'était trop de risques d'aller dans une ville aussi vaste avec autant d'ennemis pouvant se cacher dans n'importe quelle ruelle. Malgré mes pouvoirs et mon corps en acier, je demeurais mortelle avec un coup bien placé. Et je tenais à cette nouvelle vie. Finalement, comme la cornue ne tenait pas en place, je la congédiai. Elle fit la moue, bouda un peu avec un air enfantin que je ne lui connaissais pas, puis s'en alla tout simplement, coupant à travers champs.
Je jetai un regard inquiet aux hommes. Ils auraient bien besoin de voir du beau monde ; nous pouvions tenter de nous familiariser avec le village à proximité. Peut-être une sentinelle avait-elle déjà hurlé aux pirates et prévenu notre arrivée ; peut-être pouvions nous y passer sans trouver d'ennuis. Nous avions de la monnaie trébuchante pour boire des bières et payer des filles à soldat ; je m'assurais moi-même que chacun de mes hommes paye ses dettes et soit en règle. Nous avions un code moral, des règles à bord et surtout les plus machos avaient compris qu'ils ne devaient pas sous-estimer une femme capitaine ou me prendre à la légère. Ils avaient servi d'exemple et n'osaient plus contredire mes ordres ; les autres me surnommaient de démon depuis.
Mais l'ordre était établi.
« - Dis aux hommes de finir de décharger les cargaisons, voyons si nous pouvons traiter avec les locaux en leur refourguant nos dernières prises. »
Un accrochage avec un navire de commerce et une navette de la Marine, nous avions mis la main sur du beau lin et quelques caisses de gin. Les hommes n'y avaient pas touché : déjà, pas sans mon accord, et puis ils voulaient du rhum.
« - Fais venir Funeste et la Guigne. » C'était les nouveaux sobriquets que j'avais trouvé à Bad et Stupid ; eux-mêmes avouaient les préférer à leurs anciens noms.
Quelques instants plus tard, les deux mercenaires arrivaient au trot. Ils avaient embrassé la vie de pirate sans trop broncher, ça ne changeait pas tant que ça de leur quotidien : dézinguer des types. Funeste ne parlait pas trop, c'était souvent la Guigne qui prenait la parole, parfois pour ne rien dire. Je m'y étais faite, c'était le seul moyen de communiquer avec les deux lorsqu'ils n'étaient pas éloignés. J'avais trouvé la solution.
« - Funeste, j'aimerais que tu ailles voir au village voisin ce qu'ils préparent. Prends cet escargophone, je veux un rapport détaillé dès que tu as fini d'en faire le tour discrètement. La Guigne, trouve moi cinq hommes et poste toi avec aux alentours pour préparer le terrain, au cas où nous aurions des visiteurs impromptus. »
Ils ne se firent pas prier, filant derechef dès lors que les ordres avaient été donnés. J'étais sévère, la vie à bord rigoureuse, mais je m'assurais toujours de remplir les besoins de mes hommes. Ils n'avaient pas à se plaindre de la vie que je leur offrais, même les anciens soldats de la Marine appréciaient leur nouvelle liberté. Même si certains continuaient de penser à leur vie d'avant, leur famille. Je surpris l'un d'entre eux à regarder une photographie de son chérubin ; je ne pouvais que trop le comprendre. Jadis...
« - Pour son bien, mieux vaut le laisser au passé.
- Je sais, » m'avoua celui que je reconnus être l'ancien Sergent-Chef à bord du navire prison.
Il avait lutté jusqu'au bout pour revoir sa famille, mais avait fini par rendre les armes sur le pont avant notre fuite. Son désir de vivre avait primé sur le reste ; il ne se rendait compte que maintenant qu'il ne reverrait jamais ses proches, même avec cela.
Je l'abandonnai à ses pensées, persuadée que ça lui passerait, puis allai d'homme en homme discuter et prendre la température. Je laissais trop souvent mes lieutenants jouer les intermédiaires, les seuls contacts qu'ils avaient avec moi étaient purement hiérarchiques. Je souhaitais retrouver une atmosphère digne des sœurs d'armes que j'avais au sein de la 346ème. C'était difficile, mais j'y arriverais petit à petit.
Une heure plus tard, je recevais un appel. Le rapport de Funeste ne laissait entrevoir aucun piège, aucune suspicion des villageois. C'était comme s'ils n'avaient pas remarqué notre arrivée. Parfait, nous pouvions donc nous grimer en équipage de marchands baroudeurs comme on en trouve beaucoup dans le Nouveau Monde. J'avisais une des tenues que nous avions récupérées et me laissais trois quart d'heures pour me toiletter et m'habiller selon les convenances des civils. Les hommes furent surpris de me voir dans d'autres atours plus seyants ; Angelica en rappela quelques uns à l'ordre.
Puis, lorsque tous furent prêts, nous fîmes route avec une partie de la cargaison pour tâcher de revendre notre camelote et se payer du bon temps. En chemin, je remarquai, à demi-enterrée dans le sable, la photographie d'un enfant aux cheveux blonds.
Nous n'avions vraiment pas prévu de passer par là. Karen s'était gaussée de notre manque de chance. Ce n'était pas la première fois que notre route déviait ; ce n'était probablement pas la dernière. À force, Sloan s'était calmé : chaque espoir de s'enfuir avait fini à l'eau, pour chaque île où nous nous étions arrêtés. Personne ne connaissait l'administrateur du CP9. Beaucoup connaissaient Eleanor Bonny.
« - Bon dieu, on est foutus. »
Cela aurait dû le rassurer, mais il n'en était pas certain. Cette île, il la reconnaissait, il avait envoyé la blonde au casse-pipe jadis dans une mission de secours de l'ancien directeur du CP9. Il savait qu'il n'y trouverait aucun allié aujourd'hui ; l'endroit avait finalement été repris par la révolution, aux dernières nouvelles. Tragique... étant donné que nous serions obligés d'y mettre pied.
Heureusement, Parisse n'était pas qu'une ville, il y avait la Campagne. Nous accostâmes non loin d'un village suffisamment éloigné de la Capitale, qui n’irradiait plus tant que cela à l'horizon aujourd'hui. À l'extérieur, c'était plus coloré : au vert et jaune des champs s'alternaient les couleurs rougeâtres des tuiles des maisonnettes et le blanc des clochers. Le tout avait un côté pittoresque introuvable ailleurs. On aurait dit le Sud.
« - En restant loin de Parisse elle-même, nous devrions rester incognitos. Le temps de recharge du Log n'est pas si long...
- Cinq jours, il va falloir trouver de quoi s'occuper, » nota Karen, visiblement embêtée de ne pas pouvoir visiter la grande ville visible de loin.
Son regard s'y perdait, je devinais ses intentions.
« - Vas y, si tu le souhaites. Je suis curieuse de savoir ce qu'il s'y passe aujourd'hui.
- Aurais-tu oublié que ma tête est primée à moi aussi ?
- Certes, mais il n'y a pas écrit « Cipher Pol » sur ton visage et la révolution a autre chose à faire que chasser les bandits de grands chemins. »
Angelica et moi étions clouées ici. C'était trop de risques d'aller dans une ville aussi vaste avec autant d'ennemis pouvant se cacher dans n'importe quelle ruelle. Malgré mes pouvoirs et mon corps en acier, je demeurais mortelle avec un coup bien placé. Et je tenais à cette nouvelle vie. Finalement, comme la cornue ne tenait pas en place, je la congédiai. Elle fit la moue, bouda un peu avec un air enfantin que je ne lui connaissais pas, puis s'en alla tout simplement, coupant à travers champs.
Je jetai un regard inquiet aux hommes. Ils auraient bien besoin de voir du beau monde ; nous pouvions tenter de nous familiariser avec le village à proximité. Peut-être une sentinelle avait-elle déjà hurlé aux pirates et prévenu notre arrivée ; peut-être pouvions nous y passer sans trouver d'ennuis. Nous avions de la monnaie trébuchante pour boire des bières et payer des filles à soldat ; je m'assurais moi-même que chacun de mes hommes paye ses dettes et soit en règle. Nous avions un code moral, des règles à bord et surtout les plus machos avaient compris qu'ils ne devaient pas sous-estimer une femme capitaine ou me prendre à la légère. Ils avaient servi d'exemple et n'osaient plus contredire mes ordres ; les autres me surnommaient de démon depuis.
Mais l'ordre était établi.
« - Dis aux hommes de finir de décharger les cargaisons, voyons si nous pouvons traiter avec les locaux en leur refourguant nos dernières prises. »
Un accrochage avec un navire de commerce et une navette de la Marine, nous avions mis la main sur du beau lin et quelques caisses de gin. Les hommes n'y avaient pas touché : déjà, pas sans mon accord, et puis ils voulaient du rhum.
« - Fais venir Funeste et la Guigne. » C'était les nouveaux sobriquets que j'avais trouvé à Bad et Stupid ; eux-mêmes avouaient les préférer à leurs anciens noms.
Quelques instants plus tard, les deux mercenaires arrivaient au trot. Ils avaient embrassé la vie de pirate sans trop broncher, ça ne changeait pas tant que ça de leur quotidien : dézinguer des types. Funeste ne parlait pas trop, c'était souvent la Guigne qui prenait la parole, parfois pour ne rien dire. Je m'y étais faite, c'était le seul moyen de communiquer avec les deux lorsqu'ils n'étaient pas éloignés. J'avais trouvé la solution.
« - Funeste, j'aimerais que tu ailles voir au village voisin ce qu'ils préparent. Prends cet escargophone, je veux un rapport détaillé dès que tu as fini d'en faire le tour discrètement. La Guigne, trouve moi cinq hommes et poste toi avec aux alentours pour préparer le terrain, au cas où nous aurions des visiteurs impromptus. »
Ils ne se firent pas prier, filant derechef dès lors que les ordres avaient été donnés. J'étais sévère, la vie à bord rigoureuse, mais je m'assurais toujours de remplir les besoins de mes hommes. Ils n'avaient pas à se plaindre de la vie que je leur offrais, même les anciens soldats de la Marine appréciaient leur nouvelle liberté. Même si certains continuaient de penser à leur vie d'avant, leur famille. Je surpris l'un d'entre eux à regarder une photographie de son chérubin ; je ne pouvais que trop le comprendre. Jadis...
« - Pour son bien, mieux vaut le laisser au passé.
- Je sais, » m'avoua celui que je reconnus être l'ancien Sergent-Chef à bord du navire prison.
Il avait lutté jusqu'au bout pour revoir sa famille, mais avait fini par rendre les armes sur le pont avant notre fuite. Son désir de vivre avait primé sur le reste ; il ne se rendait compte que maintenant qu'il ne reverrait jamais ses proches, même avec cela.
Je l'abandonnai à ses pensées, persuadée que ça lui passerait, puis allai d'homme en homme discuter et prendre la température. Je laissais trop souvent mes lieutenants jouer les intermédiaires, les seuls contacts qu'ils avaient avec moi étaient purement hiérarchiques. Je souhaitais retrouver une atmosphère digne des sœurs d'armes que j'avais au sein de la 346ème. C'était difficile, mais j'y arriverais petit à petit.
Une heure plus tard, je recevais un appel. Le rapport de Funeste ne laissait entrevoir aucun piège, aucune suspicion des villageois. C'était comme s'ils n'avaient pas remarqué notre arrivée. Parfait, nous pouvions donc nous grimer en équipage de marchands baroudeurs comme on en trouve beaucoup dans le Nouveau Monde. J'avisais une des tenues que nous avions récupérées et me laissais trois quart d'heures pour me toiletter et m'habiller selon les convenances des civils. Les hommes furent surpris de me voir dans d'autres atours plus seyants ; Angelica en rappela quelques uns à l'ordre.
Puis, lorsque tous furent prêts, nous fîmes route avec une partie de la cargaison pour tâcher de revendre notre camelote et se payer du bon temps. En chemin, je remarquai, à demi-enterrée dans le sable, la photographie d'un enfant aux cheveux blonds.