Je suis dans la gare. Ca fait deux jours qu'on à libéré les prisonniers, Red et moi. Et malgré tout, il a bien fallu s'organiser. Déjà, on a fêté ça. On a piqué dans les réserves de gnôle et de victuailles des types de la République Internationale de Parisse ou RIP pour les locaux. On a bu et mangé. Un peu trop même, car, le lendemain, après la gueule de bois, on a constaté amèrement qu'il n'y avait plus rien à boire d'alcoolisé. Avant d'alarmer tout le monde, on a dégagé les cadavres assez loin pour ne pas être gênés pas l'odeur, puis on a exploré l'endroit. Il y a des armes, en quantité plus que suffisante. Assez pour tenir un siège. Un garde manger plein, ce qui est une excellente nouvelle. On s'est aussi rendu compte aussi que l'eau courante fonctionne! Non seulement on ne mourra pas de soif. Mais en plus, on va pouvoir se laver! A la fin de notre périple, on a même trouvé le vestiaire des cheminots. Avec, des douches! Le bonheur!
Seulement voilà, notre stock de nourriture étant limité, il a donc fallu rationner. Ce qui n'enchantait personne, mais, sachant pas si on allait trouver d'autres sources de subsistance, il valait mieux jouer la montre. Après vint une tâche fort peu réjouissante. Le triage des blessés. Ceux qu'on pouvait soigner. Les blessés légers. Ceux qu'on pouvait maintenir en vie. Et enfin, le plus dur, ceux pour qui on ne pouvait rien à part les regarder agoniser. malgré qu'on ait trouvé le dispensaire, on ne pouvait gâcher des médicaments pour les mourants. Red s'était isolé, et je n'avais pas très envie de le déranger. Ce fut donc à moi d'annoncer les mauvaises nouvelles. Et même de soulager ceux qui le souhaitaient en leur ôtant la vie. Bref, un moment pas très joyeux. Très vite, ce fut moi que tous considérèrent comme le chef ici. Mais c'était plus dû à mon implication à aider ces gens qu'à mes capacités. Tous craignaient Red. Je devais apparaître comme plus "fréquentable" à leurs yeux. Même malgré le traitement que j'ai infligé à Henry. Et encore plus une fois lavée et habillée correctement. J'arborais donc fièrement un look garçonne à base d'un uniforme gris piqué sur un ennemi.
Sous mon "commandement", on restaure les barricades, déblaye le hall de gare des gravats, instaure des tours pour aller à la douche et aux toilettes. Bref, une véritable petite ville commence à se mettre en place. Avec des gardes à l'entrée, des scouts qui explorent les ruines environnantes, des chasseurs qui ont confectionné des arc de fortune et chassent les corbeaux qui se repaissent de nos ennemis. Et toujours pas de Red. Hormis aux heures des repas. Même moi, j'aurais adoré lui parler, mais ce dernier semblait absorbé dans ses pensées, prenant mon courage à deux mains, je me décide à aller le voir. Et à crever l'abcès.
"Dis, Red, tout va bien de ton côté? Comme on ne te vois pas beaucoup, je m'inquiète pour toi. Il y a quelque chose que je peux faire pour toi? Te raser, par exemple. Franchement, tu pourrais prendre soin de toi!"
Ceux qui m'aiment prendront le train (Je sais, toi, tu restera là)
Et pourtant, dans un sens, la situation s'est amélioré. Au lieu d’être coincé façon cadavre solitaire dans un bloc de glace sur un navire fantôme appartenant au Malvoulant je suis coincé dans une immense gare Parissienne, entouré d'une meute de types prête à la défendre, et j'ai mis la main sur assez d'alcool pour profiter pleinement d'une superbe gueule de bois que je suis en train de travailler avec soin quand Jeska décide de me sortir de la.
Sans aucune surprise évidemment.
Même bourré je l'ai entendu venir de très loin...
-Ouais tout baigne. Pourquoi ça irait pas ?
D'un coup de pied je repousse la pile de gazettes que j'ai trouvé dans le bureau du commandant local quand j'en ai pris possession. Une année complète de perdue, une année complète ou le monde a tourné sans moi, bougé sans moi, ou ceux que je connaissais sont morts ou se sont perdus et dispersés, ou ce que j'ai bâti s'est avéré n’être qu'un château de sable bâti sur une plage.
Et pourtant il y avait une bonne nouvelle dans ces gazettes. Une bonne nouvelle au gout si amer que j'ai du boire beaucoup d'alcool pour la faire passer, et qu'il me reste malgré tout ce parfum doux amer en bouche. Et que chaque fois que mes yeux se posent a nouveau sur la table je cherche à nouveau dans l'alcool un oubli qui ne vient pas.
Et pourtant, c'est une bonne nouvelle...
-Me raser ?
Je passe une main hésitante dans une barbe qui ressemble maintenant plus à un buisson d'épine qu'a un ornement de visage convenable...
C'est vrai que je pourrais faire quelque chose pour ça mais...
-Le prend pas mal Jeska mais... Je ne suis pas sur d'avoir envie qu'une aveugle me passe une lame de rasoir sous la gorge. Si tu as le même poids que moi sur le crane tu as plus de chance de m'ouvrir un sourire sous le menton que de me redonner une allure convenable...
Je tends la main vers la porte, la loupe d'un bon mètre quand ma chaise bascule et que je tente de me rattraper en tendant mon bras absent, avant de m'étaler de tout mon long dans la pièce encombrée.
-Bordel ! Une bouteille perdue...
Sur le bureau derriére moi la gazette se fout toujours de ma gueule. Cette gazette ou une silhouette sombre en uniforme de la marine me surveille d'un regard que j'imagine dur et froid, ou pire, trahie.
Rachel Blackrow.
Rachel Blackrow, Colonelle d'élite.
-Jeska ? T'aurais pas plutôt un autre truc à boire ? Je suis a sec...
Les temps étaient un peu plus prospères à présent. Le départ d’Eleanor retira un poids important sur les épaules du révolutionnaire. Il fallait évidemment se charger des quelques récalcitrants de la RIP, qui tentaient de renverser le système en place, mais leurs tentatives sont vaines. Peu nombreux. Peu pertinents. Peu convaincants. Et surtout, neutralisés dans les plus brefs délais. La garnison faisant office de centre de formation faisait déjà ses effets. Une meilleure organisation dans les assauts, des automatismes qui s’intègrent. Ragnar était assez fier de ce travail.
- Rag’, un rapport nous venant d’un groupe s’aventurant à Gare de Lions.
Sceptique, l’Atout fronça les sourcils. L’un de ses hommes, Suelto Visconti, lui faisait régulièrement des rapports.
- Rien de grave. D’anciens personnages politiques que l’on pensait disparus ont fait leur retour. Les derniers groupes de la RIP ont été, semblerait-il, éradiqués de manière assez brutale.
Qui donc pourrait avoir la puissance d’un tel exploit ? L’Atout connaissait ses hommes, Suelto et Yami étaient souvent auprès de lui, donc qui pourrait ?
- Je te remercie, camarade. Une visite de courtoisie s’impose, fit-il en esquissant un sourire.
Ragnar avait certes des fonctions et des missions, parfois inintéressantes, qui l’incombaient, mais il laissait parfois son esprit d’aventure prendre le dessus. Plutôt que d’y envoyer des hommes, il décida de s’y rendre de lui-même. Cette envie le démangeait plus que tout. Il s’encrassait dans son rôle de coordinateur et de décideur. Comment je faisais Jonas ?, pensa-t-il. Il aimait l’action au moins autant que moi, pas possible qu’il soit resté les bras croisés autant de temps. Sur ces pensées, Ragnar songea à appeler son mentor pour prendre de ses nouvelles et lui demander conseil.
La fin de journée approchait. Les civils terminaient leur journée de labeur, les rotations s’effectuaient dans les armées révolutionnaires, tout semblait se passer pour le mieux. Il commença sa marche en direction de cette fameuse. Les travaux de rénovations n’avaient pas encore commencé là-bas. Naturellement, le lieu était en piteux état et semblait même déserté. Cependant, son haki de l’empathie lui signala la présence d’individus et de la luminosité attira son regard. Il détecta de grandes puissances, notamment l’une d’entre elles. Sa présence n’était certainement plus un secret, puisque des gais surveillaient les alentours de la gare et qu’il ne s’était pas foulé pour se cacher.
C’était ainsi que s’approcha un homme aux cheveux roses, vêtu d’une chemise blanche, de bottes noires et d’un pantalon en cuir de la même couleur, d’une démarche élégante et assurée, de l’entrée principale de cet établissement. D’un mouvement ample mais robuste, Ragnar ouvrit la grande porte avec fracas. Des hommes l’accueillaient déjà avec des lames à la gorge et des fusils d’assaut face à lui.
- Allons, allons, fit-il en baissant délicatement la lame se présentait sous sa gorge. D’une, vos attaques ne me feront rien. De deux, je viens simplement discuter avec vos représentants, vos chefs, ou que sais-je. En aucun cas, le sang se répandra ce soir.
Sans qu’il y eut besoin de signaler sa présence, deux entités semblaient se rapprocher du hall d’entrée.
"Oh, je pense que j’ai bien trop de choses qui pèsent sur ma tête pour ça. Après tout, je pourrais très bien glisser un truc pas très net dans ta boisson. D’ailleurs, tu devrais te mettre à l’eau, l’alcool ne te réussi pas."
Et je sors de la pièce. Inutile de dire que s’il espère que je vais lui apporter à boire, il se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Pourtant, il m’avait dit de ne pas mal le prendre. J’étais prévenue. Mais il m’a vexée quand même. Et le ton glacial de mes propos le lui indiquerait sans nul doute.
Me voilà dans dans les couloirs à maugréer. Je peste sur ces hommes qui me prennent pour leur bonniche. Sur ce fichu Red qui ne me fait pas confiance. S’il connaissait l’étendue de mes pouvoirs, il ne me laisserait sans doute même pas l’approcher. Enfin, je ne peux totalement l’en blâmer. Moi aussi, si j’étais extérieure à moi-même, je ne m’accorderait aucune espèce de crédit. Mais, venant des autres, ça me blesse. Satanée moi! Pour une aveugle, j’accorde beaucoup trop d’importance au regard des autres!
Puis, soudain, les portes principales de la gare s’ouvrent bruyamment. Nom d’une biscotte, c’est quoi ce ramdam? Sans attendre, je me hâte vers le hall d’entrée. Et là, je constate une certaine tension. Les gars sont nerveux et menacent un type seul.
"Holà, on se calme." Dis-je simplement. Immédiatement, les hommes baissent leurs armes. La tension retombe de plusieurs crans. Mais pas au point que mes camarades lâchent leurs outils de mort. "C’est bon, je gère." Suis-je obligée de rajouter afin de ces braves gens retournent vaquer à leurs occupations.
"Ha, à nous, maintenant! Je me présente, Jeska Kamahlsson, je ne suis pas chef, je m’occupe juste de l’intendance. On va vous chercher celui qui est en charge de tout ce bazar." Je tourne mon visage vers un type qui comprend un pas assez vite à mon goût qu’il doit aller chercher Red. "Si vous voulez bien me suivre, je vais nous aménager un petit coin confortable pour discuter." Présentant sans crainte mon dos au visiteur, je le guide vers une vieille table basse branlante et deux fauteuils en cuir qui ont connu des jours meilleurs. Avec un sourire gêné je m’excuse. "Navrée, mais c’est le mieux que nous puissions vos offrir. Si vous voulez bien vous donner la peine… je vous offre quelques chose à boire?"
Quelques instants plus tard, voila me voilà en face de cet individu très confiant de sa force au vu de ce qu’il a dit plus tôt. Je sirote une tasse de thé nonchalamment tandis que mon invité profite de sa boisson. En attendant Red, je décide de cerner un peu cet homme avec mes sens d’aveugle. Il respire régulièrement ce qui m’indique qu’il est sûr de lui. Et il sent l’encre et les camélias. Étrange… alors, je me décide à briser un peu la glace.
"Monsieur, j’aimerais vous poser deux questions avant que le boss arrive.
Comme je ne vous ai pas entendu vous présenter, j’aimerais savoir qui vous êtes.
Et surtout, j’aimerais savoir ce qui vous fait croire que personne ici ne pourra rependre votre sang ce soir."
Pas vraiment des questions, ni des menaces d’ailleurs. Juste une façon un peu détournée de montrer les muscles, histoire de mettre mon invité sur la défensive.
Dernière édition par Jeska Kamahlsson le Mer 17 Fév 2021, 17:07, édité 1 fois
Je me demande si on ne s'est pas mal compris...
Encore un coup de l'empathie ça. Même bourré j'arrive à noter des trucs qui qui ne m'échapperaient absolument pas en temps normal. Pas sur que ce soit si chouette que ça d'ailleurs comme idée. Parce qu'il faut quand même reconnaitre que savoir a peu prés ce que ressentent les gens n'est généralement pas très utile. Après tout, qui s’intéresse a ce que pensent les gens ? De toute façon c'est toujours la même chose...
Cela dit, vu l'air qu'elle avait en sortant, j'ai quand même l'impression que la môme Jeska est passé a coté de ce que j'ai dit. Bon, je lui ai dit quoi ? Rien de bien obscur pourtant. Juste qu'avec la gueule de bois qu'on se paye tous, c'est pas le moment de faire du travail de précision avec un rasoir. Qu'est ce qu'on peut mal comprendre la dedans ?
Réflexion intense..
Elle avait pas vraiment l'air d'avoir la même migraine que moi...
Hum, j'ai peut être mis le doigt sur la raison de ce ton pincé... A tous les coups, elle a pas compris. Et je ne comprends toujours pas comment elle arrive a éviter les meubles sans avoir le mantra. Elle est quand même très forte.
Très forte. Et ce serait bête de se disputer sur une incompréhension comme ça.
Abandonnant la recherche de la bouteille, définitivement inaccessible maintenant qu'elle à glissé sous un meuble, bien trop loin pour que je puisse l’attraper dans mon état, je me redresse pour gagner la porte d'un pas qu'une longue habitude des lendemains de biture rend on ne peut plus ferme. Tant pis. De toute façon il y a un temps ou un homme doit savoir faire preuve de sa volonté et arrêter de picoler. Et quand il n'y a plus rien à boire, c'est que ce temps est venu.
J'ouvre la porte qui me sépare du hall de gare. Embrassant la scéne du regard. On se croirait en pleine cour des miracles. Le grand hall de marbres blanc est devenu noir de suie et de crasse, est couvert de gens vêtus de haillons et de bouts d'uniformes dépareillés et des deux camps. Le mobilier de la gare a été soigneusement vandalisé, on a arraché des murs et des sols tout ce qui pouvait bruler, affiches, portraits, bancs, guichets, et partout sont allumés des feux sur lesquels on finit de cuire les dernières provisions accompagnés des plus bêtes des pigeons de la gare. Sans le coté état de siège que rappellent les armes brandis partout, les impacts de balles et d'obus sur les murs, et les sacs de sables qui servent de barricades a chaque ouverture, je pourrais quasiment me croire à la maison en Amerzone.
Quoiqu'en Amerzone, on aurait surement trouvé aussi le moyen de piquer les dalles de marbre...
Un peu à l'écart des groupes les plus importants, Jeska est installé dans le salon. Un nom approprié pour la zone ou trônent les deux seuls fauteuils de la gare qui n'ont pas servis de bois de chauffe, des antiquités qui ont respectivement appartenu autrefois au chef de gare et au premier guichetier, et que les braves gens du coin nous ont mis de coté pour nous remercier de les avoir sortis de cellules.
Sauf que voila. Il y a un type qui pour l'instant à le cul vissé sur le mien...
Bordel, y'a plus de respect.
Rejoignant le salon c'est donc sur les accoudoirs du fauteuil de Jeska que je viens m'échouer. Interrompant la conversation avant que le nouveau ait le temps de répondre, avant de l'ignorer ostensiblement pour m'adresser à ma nouvelle nakama.
-Ouais c'est bien dit ça Jeska, moi aussi je me demande pourquoi on pourrait pas le saigner. ça m'interpelle même vachement. Tu l'as capturé dehors ?
Une femme vint alors calmer l’excitation des soldats. Ragnar remercia les dieux, quels qu’ils étaient pour avoir rendu les choses plus simples. Il se doutait néanmoins que le plus dur l’attendait. La femme qui l’accueillit dans une sorte de salle d’attente savait gérer des troupes, commander et prendre des décisions. Elle avait son caractère. Mais l’hospitalité était de mise, puisqu’elle servit un thé l’Atout qui comptait bien le savourer. Il avait appris à savourer les thés. Vint enfin le moment des questions. Qui pouvait bien être cet inconnu après tout ? Cela ne l’étonna guère. Ragnar ignorait évidemment tout de la personne face à laquelle il se trouvait. Il l’apprendrait tôt ou tard de toute manière.
La seconde question, pas des plus simples, ressemblait à une légère provocation. Du moins, elle le devint lorsque l’homme tant attendu, le chef de la meute, intervint sans attendre. Tandis que les formules de politesse étaient plus ou moins respectées avec la demoiselle, elles étaient complètement oubliées par le nouvel arrivant. Mais le visage de ce dernier interpella le révolutionnaire. Il ne pouvait pas y croire. Impossible. Si on enlevait cette foutue barbe assez mal entretenue, ce type ressemblait comme deux gouttes d’eau. N’était-il pas mort ? Il resta silencieux quelques longues secondes.
Attends, calme-toi. Reprenons depuis le début. Teach a tué Red, non ? Son corps n’a pour autant pas été récupéré si l’on croit Izya et Reyson. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, ils le pensent toujours morts ces deux-là, songea le révolutionnaire
Il décida de faire comme si de rien était pour l’instant et d’attendre d’avoir la réponse officielle. Les jambes et les bras croisés, Ragnar était confortablement installé sur son fauteuil.
- Les présentations n’ont effectivement pas encore été faites, dit-il avec une certaine aisance. Je m’appelle Ragnar, révolutionnaire en visite sur Parisse. La situation étant réglée, nous partons dans quelques jours.
Son regard s’orienta ensuite vers le présumé grand pirate.
- Le sang ne coulera pas. Une connaissance m’a appris à lire dans les cartes et elles ne m’ont rien annoncé de sanglant pour ce soir. Et je ne viens pas pour ça. Je voulais simplement vérifier qu’il ne s’agissait pas d’un rassemblement de connards de la RIP. Là, peut-être que le sang aurait coulé, mais ce n’est vraisemblablement pas le cas.
Il sourit. Cette situation était un poil excitante.
- Et manifestement, je pourrais repartir dès maintenant d’où je viens, mais je crois que nous avons beaucoup à nous dire, Red.
Il n’était pas sûr qu’il s’agissait bien de lui. Presque sûr seulement.
J'esquisse un sourire quand l'homme en face de moi mentionne son appartenance à la Révolution. Mais c'est surtout quand il prétend que la situation est réglée que je manque d'exploser de rire. J'ai toutes les peines du monde à garder mon sérieux. Ce type, a-t-il seulement mis le nez dehors? Ca ne fait que quelque jours que je suis là, et franchement, on est loin du dénouement heureux. La ville est en ruines, les gens sont réduits à bouffer des rats ou des pigeons. Il y a encore quelques jours, la gare où nous nous trouvons était remplie de types emprisonnés dans des conditions indignes. Mais pour Ragnar, la situation réglée. Genre, il a fini son boulot, il peut rentrer chez lui tranquillement, le torse gonflé de la fierté du travail bien fait. Non, non et re-non! Ca me rappelle tellement la Marine. Ou, Marine, ou Révolution, c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Ils avancent leurs pièces sur cet échiquier géant qu'est le monde, sans ce soucier des gens qu'ils écrasent au passage. Des vies qu'ils bousillent.
Je soupire.
Ha là là. Ragnar, tu avais l'air d'un type sympathique. Poli, distingué, certainement joli garçon. Mais en fait tu n'es pas différent des autres. J'essaie de masquer l'ennui que m'inspire la situation et son déroulement futur derrière un masque d'intérêt poli. Et voilà la grande surprise! Il veut discuter avec Red. C'était déjà le cas avec Shoma. Le puissants attirent vers eux toute une faune de parasites et de profiteurs. Mais combien s'intéressent vraiment à eux? A ce qu'ils sont? A leurs rêves? Très peu en définitive. La grande majorité des gens qui gravitent dans l'entourage d'un personnage comme Red ne cherchent qu'à profiter de son aura, à grapiller quelques miettes de son prestige.
Je sors une bouteille de rhum d'un planque habilement dissimulée dans le dossier du siège sur lequel je suis assise. Pour le profane ça tient presque du tour de magie. J'ai planque un peu partout dans la gare des fioles de gnôle. J'appelle ça mes Réserves de Rhum d'Urgence. Ou RRU. C'est bien pratique.
"Excusez moi, messieurs, mais si je tiens à survivre à la suite de cette conversation, il va me falloir quelque chose de plus fort qu'un thé."
Le pop guilleret du bouchon vient mettre un point final à ma phrase. Pardonnez-moi de ne pas m'enthousiasmer de la suite. Je n'en ai que trop soupé de ces alliances de circonstances. Je bois au goulot. Au diable l'élégance! Je fais ce que je veux! Je n'ai aucune confiance en Ragnar. Et pas beaucoup plus en Red d'ailleurs. Mais bon, moi aussi, j'ai besoin d'eux. Pour ne pas retomber entre les griffes du Malvoulant. Comme quoi, je ne suis pas meilleure qu'un autre. Finalement.
Ragnar ?
Non, ça ne me dit rien. Cela dit, l'époque du CP ou je pouvais sortir de tête toutes les bio des révos connus du moment est sacrément loin derriére moi. Et figure de la révolution étant un métier risqué, les noms à l'atout changent souvent.
Alors non, Ragnar, ça ne me dit rien.
-La situation ?
S'il parle de la guerre civile la dehors, le mec est quand même le roi des euphémismes. En tout cas il est tellement sur de lui que j'ai un peu de mal comprendre comment il arrive a s'asseoir sans s'écraser les couilles. Franchement, débarquer en solitaire et avec cette couleur de cheveux, en jouant les mecs sympas et serein...
Je me demande si j'étais aussi insupportable à son age. Aussi persuadé de ma force et de mon immortalité.
Ouais, surement. Voire pire. L'un des problèmes récurrents des agents CP, on a beau être une ombre parmi les ombres, la pratique du rokushiki n'est que rarement compatible avec l'humilité et la prudence.
En tout cas impossible de me souvenir du moment ou je suis passé du jeune loup qui monte aux dents longues et aux réflexes aiguisés, au vieux connard solitaire, aigri et casse couilles. A moins que ce ne soit la faute de la barbe ? En tout cas les rôles sont clairement définis dans notre tableau somme toute très classique, et en tant que vieux connard casse couille, il n'y a guère qu'une chose a faire quand on me parle d'immunité conférée par une voyance à la con et qu'on croit pouvoir rentrer et sortir de chez moi comme d'un putain de moulin.
-Jeska ? T'avais planqué du Rhum ? C'est pas des choses qui se font...
Plus ancien de mes talents, le couteau apparait dans ma main plutôt qu'il ne jaillit, sa lame déjà nimbé du noir mat du Haki pendant qu'il plonge épingler l'avant bras du révo à l'accoudoir de son fauteuil, comme on épingle un papillon à une boite d'exposition. Sang, rictus de surprise mêlée de douleur que le môme réprime aussitôt, pendant que son sang vire au noir d'encre, juste avant que tout son bras ne coule comme de l'eau autour du poignard pour se dégager de sa prise.
Un putain de logia.
Entre tous les ennuis de Grand Line, il fallait que je tombe sur un révolutionnaire avec un putain de logia. Je sens que je vais encore regretter de ne pas avoir retrouvé mon pouvoir...
Cela dit, j'ai déjà un nouveau couteau dans ma main, assez vite pour attirer l'attention du môme qui a bien les réflexes félins que je lui supposais. Il réagit juste assez vite pour garder son calme et ne pas attaquer. Hum, dans le métier avoir des réflexes c'est bien, mais si en plus réfléchit vite, ce Ragnar est clairement un mec dangereux.
-Autant pour la bonne aventure je dirais. Mais manifestement tu ne peux pas repartir dés maintenant d'ou tu viens. Mais si tu veux parler on peut. On a tout le temps.
Jeska ? Pendant qu'on cause, tu voudrais bien aller voir les amis de Ragnar qui doivent l'attendre la dehors ? Et leur dire qu'on leur rendra en échange d'un bateau et de tout ce qu'on peut mettre dedans pour un long voyage loin de ce trou...
L’Atout observa des réactions certes, peu remarquables, mais tout de même visibles quand énonça la stabilité du pays. Cette constatation n’était pas au goût de ces jeunes gens et cela le rassura. Ils n’étaient pas abominables, ne se fichaient pas de la situation de ceux qui les entouraient et n’attaqueraient probablement pas un type qui ne leur voulait pas de mal. Bien que sur ses gardes, Ragnar eut l’espoir de voir la situation s’adoucir quand la dénommée Jeska sortit du rhum. Que nenni. De brefs mouvements, fluides, rapides, précis, un couteau planté dans l’avant-bras. Malgré la surprise et la douleur, les yeux du révolutionnaire étaient toujours rivés vers le capitaine pirate. Ce dernier le testa une seconde fois. Ragnar délogea le couteau de l’accoudoir, son bras se reforma en laissant tout de même une plaie vive sur son avant-bras.
- Je regrette, Jeska, mais tu risques de te déplacer inutilement. Il n’y a personne dehors. Je suis venu seul, fit-il en toisant l’aveugle du regard.
Cela lui rappela d’ailleurs de lointains souvenirs de l’époque où il ne voyait rien non plus. Elle devait certainement avoir des sens sacrément exacerbés pour être parvenus à aller aussi loin malgré son handicap. Le révolutionnaire se retourna de nouveau vers Red.
- Pourquoi faudrait-il toujours user de la force ou du chantage pour obtenir des choses ? Demander gentiment ne serait-il pas plus simple ? Foutus pirates...
Il observa brièvement le couteau avec lequel il jouait avant de reprendre aussitôt.
- Nous reviendrons là-dessus plus tard. Alors... Je ne sais pas trop comment, mais tu es vraisemblablement ressorti vivant d’un véritable enfer. Izya et Reyson, ça te parle toujours, hein ? Il s’avère que l’on forme une sorte d’alliance pour mettre fin au règne de Teach. Si mes souvenirs sont bons, les deux tourtereaux sont partis à une chasse aux dragons.
Ragnar esquissa un léger sourire.
- Tu n’as certainement pas eu l’occasion de les contacter. J’ai une ligne directe pour les joindre. Possible que cela t’intéresse également, Jeska. D’ailleurs, je suis à peu près sûr que ça t’intéresse, dit-il en s’allumant une mèche.
Ragnar raconta leur rencontre, les accords conclus, la suite des événements.
- Nous sommes bien partis, bien que le chemin soit encore long, mais nous visons un objectif commun et on s’entraide comme on peut. Avec vous deux en plus, chers à mes deux nouveaux compagnons, ça ne peut que donner une force de frappe considérable et un enjeu motivationnel conséquent.
L’Atout se savait encore jeune, un peu trop impulsif et parfois naïf, mais il n’avait pour le coup aucune raison de leur cacher quoi que ce soit à ce sujet. Izya et Reyson avait bien prouvé que leur parole était fiable et que chez les pirates vivaient des personnes assez nobles. S’ils étaient aussi proches de Red, alors peut-être qu’il l’était tout autant qu’eux. Quant à Jeska, malgré un tempérament bien trempé, Ragnar a senti en elle une femme généreuse et bienveillante.
J’écoute attentivement Ragnar. Lui aussi veut s’en prendre à Teach. Et si ce point peut unir les deux hommes autour de la table, moi, c’est une autre histoire. Rien que d’entendre son nom, ça me stresse. Les souvenirs remontent et la douleur qui va avec. J’aurais aimé laisser tout ça derrière moi. Me dire que ce n’est qu’un mauvais rêve. Malheureusement c’est surtout une mauvaise réalité. Sans m’en rendre compte, je ne suis recroquevillée. Les jambes ramenées contre ma poitrine les bras entourant mes membres inférieurs. Je délaisse même la bouteille de rhum. Lentement et de façon presque imperceptible, je me balance d’arrière en avant comme pour me bercer, me rassurer. Non, le Malvoulant ne va pas surgir de sous la table comme un diable de sa boîte. Il ne peut pas me faire du mal. Il ne peut plus. Il est loin. Cependant son ombre plane sur moi et sa présence reste dans un coin de mon esprit. Cette sensation, cette emprise qu’il a encore sur moi... c’est désagréable et je ne peux m’en débarrasser. C’est comme quand me gratte, mais que je ne peux atteindre l’endroit qui me démange, la douleur en moins, évidemment.
Alors je suis surprise que le révolutionnaire en face de moi parle de s’en prendre à cet homme avec tant d’assurance. Il croit qu’avec deux supernovae il est assez armé. Le fou. Même avec nous en plus... pour peu qu’on veuille bien le rejoindre dans sa croisade, c’est pas assez. On voit bien qu’il ne sait pas. Il ignore à quel point cet homme peut être terrible. Sans m’en rendre compte, je me suis mise debout d’un coup. L’espace d’un instant je suis toute penaude, je réalise que j’ai encore la bouteille de rhum en main. J’en avale une généreuse rasade pour me donner du courage.
"Tu es malade? Tu tiens si peu à la vie? Tu ne sais pas. Tu crois le savoir, mais en fait non. Tu ne sais pas ce que c’est d’affronter cet homme. Déjà, on ne l’affronte pas seul. Il a toute une tripotée de lieutenants. Certains sont de vraies pointures. Capables de tenir tête à Mantle Shoma. Mais en plus de ça, il a toute une armée de fanatiques, pas des très costauds, mais leur nombre est problématique. Et même si tu réussis à réunir assez de puissance de feu pour anéantir tous ses sbires, il te faudra avoir dans tes rangs un mec assez balaies pour tenir le Malvoulant à l’écart pendant qu’on décime son armée. Car, il ne va pas rester là à te regarder réduire en pièces l’œuvre de sa vie. Regardes, Red et son armada s’y est cassé les dents. La Marine n’ose s’en prendre à lui. Ce n’est pas pour rien."
Il y a des la colère dans mes mots. Ce qui n’est pas habituel chez moi. Je reprends une gorgée d’alcool pour me redonner du courage.
"Il faut que tu comprennes qu’en cas de défaite, tu n’envoies pas tes hommes à la mort. Tu les envoie en enfer. Teach les gardera en vie, les torturera jusqu’aux portes de la Mort. Puis ses médecins les remettront en état. Et ainsi de suite jusqu’à qu’il se lasse d’eux. Alors il les enverra à l’Asile. Pour que leur calvaire continue jusqu’à ce qu’ils perdent la raison et qu’ils finissent par gonfler les rangs de son armée de fous. J’y ai passé qu’une année, mais... , désolé, je ne peux pas en parler, pas encore... j’aimerais juste oublier tout ça. Passer à autre chose. Me reconstruire. Tourner la page. Red, toi, tu as eu de la chance finalement. Pour toi c’était juste comme une grosse nuit de sommeil. Mais pas pour moi... moi... ils m’ont..."
J’ai du mal à déglutir. Et je suis au bord des larmes. Je dois avoir l’air d’une folle. Toutefois je trouve la force de continuer.
"Je ne te connais pas depuis longtemps, Ragnar, mais je t’apprécie assez pour te donner ce conseil. N’y va pas, tu n’est pas prêt."
Je suis à bout. Nerveusement. Dès que j’ai fini de parler, je m’effondre littéralement dans le sofa.
Izya, Reyson, Teach, les Allods. Ça fait beaucoup d'informations d'un coup. Beaucoup d'informations et de souvenirs. Et ça fait même plaisir d'avoir de bonnes nouvelles. Si eux s'en sont tirés, il se pourrait bien que tout n'ait pas tant que ça viré au fiasco...
Mais comment ils se sont retrouvés à coucher avec la révo ? Avec ce révo ? D'ailleurs une alliance ? Il a un logia oui, mais qu'est ce qu'il vaut vraiment ? Assez pour eux ?
A coté de nous Jeska a déjà dépassé ses interrogations et classé Ragnar dans la catégorie jeune qui monte, certainement la préférée de vieilles terreurs comme le Malvoulant. Les abysses sont pleins de jeunes loups qui montent. Mais il n'y a qu'une qui soit jamais devenue l'égale des trois autres.
-Toi tu reste la, je t'ai à l'oeil. Viens par ici Jeska.
Je passe un bras conspirateur autour des épaules frémissantes de Jeska le temps de l'emmener à l'écart vers le bordel qui me sert de coin perso. J'ai entendu parler de l'asile évidemment, et ouais, il se pourrait bien que j'ai eu de la chance d'avoir droit au frigo plutôt qu'a ce coin la. Mais si je n'ai jamais entendu autre chose que des racontars sur le coin, j'ai eu le privilège de jeter un œil sur le fleuron de la pénitentiaire d'avant la chute, et je sais comment on sort de ce genre de prisons, mort, brisé, ou plus trempé et dur que de l'acier... Comme la miss, je ne sais pas de quel métal est fait ce révo, mais j'ai vu la demoiselle arracher une gorge a mains nues, alors sur elle, je n'ai aucun doute.
-On a un peu manqué de temps pour en parler, mais y'a rien qui t'oblige à écouter ce genre de foutaises. Ou a les suivre. Ragnar est trop jeune et trop balaise pour avoir appris de ses erreurs, et moi je sais pas faire grand chose d'autre que les répéter.
-Ce n’est pas grave. C’est seulement que je viens juste de sortir de l’enfer. Et je ne suis pas pressée d’y retourner. En fait, si je pouvais l’éviter ce serait bien. Ce n’est pas que je ne crois pas en vous. Ni que je ne veux pas vous aider. Mais... (Jeska hésite), j’ai un enfant que j’aime plus que tout. C’est l’idée de pouvoir à nouveau le serrer contre moi qui m’a aidé à tenir. Je n’ai pas envie de le perdre à nouveau.
-Je compte redescendre sur Grand Line, rejoindre Armada. Il y a des gens qui me croient mort la bas et a qui je dois parler. Ensuite je verrais, je ne sais pas encore. Si tu veux venir tu es la bienvenue. Et si ensuite tu veux partir, n'importe ou, je t'aiderais. C'est bien le moins que je peux faire pour un ragout.
Jeska sourit timidement, devenant soudain terriblement humaine, Merci, c’est même trop pour ce ragoût. Mais j’ai peur de t’attirer des ennuis. Tu sais Teach n’aime pas trop qu’on lui pique ses jouets. Je crois qu’il a ma vivre card. Il va envoyer ses chiens me chercher. Il ne me laissera jamais tranquille. Je... (Jeska hésite encore) je peux aider. Si vous décidez de l’affronter. Je pourrais vous aider. Je ne pense pas que j’aurais le courage d’aller au front, mais j’ai croqué un fruit de démon assez intéressant . Celui du poison. Pour le moment je suis un peu en panne et je ne sais pas trop pourquoi. Mais ça va revenir. Oui. Je pourrais vous être utile.
-Je crois qu'on a le même probléme. Allons prendre un bateau à ce Ragnar et partons de ce trou, ensuite on avisera.
Retour au salon pour s'effondrer à nouveau dans le fauteuil devant le révo, et tendre vers lui la paume de ma main qui se nimbe de la couleur sombre du Haki.
-Vas y gamin, frappe la dedans.
Le révo hésite une seconde, puis frappe, modérément, assez fort pour me montrer qu'il joue pas petit bras tout en gardant sous le capot de quoi surprendre en cas de problèmes, pas de soucis, de toute façon c'est la même chose. Au moment ou je bloque son coup, je sais. Je sais que Jeska a pas tort.
-8600 hein ? C'est pas mal. Mais c'est bien que t'ais été assez malin pour pas t'attaquer au Malvoulant tout seul...
Du pied je pousse dans sa direction la caisse servant de table basse ou reste encore la bouteille de rhum de Jeska. De toute façon je n'ai que ça à partager pour... Pour quoi ? Un accord ?
C'était quoi déjà ? Ah oui, la folie c'est répéter sans cesse la même chose en espérant arriver à un résultat différent. Retourner affronter Teach, est ce que c'est ça la folie ? Ou est ce qu'au contraire je manque juste cruellement d'imagination et d'un vrai hobbie sympa ? Est ce que je ne sais vraiment rien faire d'autre que me battre sans arrêt pour aller un peu plus loin, un peu plus haut ?
-On a besoin de trois trucs pour se tirer de ce coin et te laisser jouer au héros qui a récupéré la gare. Un, un bateau avec de quoi rallier Grand Line, log, vivres, denden, la totale. Deux, que tu lâches pas un mot à qui que ce soit sur mon retour aux affaires. Et trois, un barbier.
En échange je te fume pas, et si Izya me confirme tout ce que tu m'as dit. Peut être qu'on reparlera de Teach et de pourquoi un révolutionnaire veut lui faire la peau...
Alors ?
- Pourquoi diable est-ce que je m’en irais alors que je suis venu à toi ? marmonna le révolutionnaire en restant accoudé à son fauteuil, la tête maintenue par la paume de sa main.
Ragnar comprit sans aucune difficulté que Jeska avait déjà eu à faire au Malmouvant. Elle en ressortit assez meurtrie et cela pouvait tout à fait se comprendre. Il comprit également que les deux pirates le prenaient pour un jeune fougueux capable de foncer tête baissée sur n’importe qui. Ils partirent discuter à l’écart. L’un comme l’autre pouvaient se comprendre mutuellement. Les deux assez redoutables, mais il y avait comme une rupture dans leur âme, un morceau qui s’était échappé. Teach n’était qu’un monstre ne vivant que pour nuire à autrui. Comment expliquer ces deux-là étaient encore en vie ? Il gardait ses victimes et s’amusait avec, laissant en elles une marque indélébile.
Ils revinrent tous deux dans la petite pièce. Red voulut tester Ragnar qui accepta. Les réticences et la timidité n’avaient rien à faire ici quand l’objectif était de retrouver des alliés. Ainsi fut estimé le niveau du révolutionnaire. Il le félicita néanmoins de pas avoir eu la prétention d’affronter Teach tout seul. Ils prenaient réellement l’Atout pour un inconscient. Être jeune, c’était aussi bien une force qu’une faiblesse, mais plutôt une faiblesse quand il s’agissait d’aborder des thématiques importantes. Il jugea donc bon de ne rien répondre.
Alors qu’une caisse faisant office de table basse s’approcha de l’Atout, il se saisit de la bouteille s’y trouvant et avala une bonne gorgée avant d’écouter de nouveau le pirate. Un mélange entre une demande et du chantage. Cela le fit sourire. Un immonde sourire, qui inspirait de la terreur plus que de la joie, mais qui n’avait pour l’instant rien de provoquant. Ragnar but une bonne rasade de rhum avant de brusquement reposer la bouteille.
- Jouer au héros ne m’intéresse pas, Parisse a maintenant un président capable de gérer tout cela. Les quelques rescapés de la RIP sont traqués, appréhendés et tués pour les plus téméraires, fit-il en croisant ses bras et en s’installant confortablement sur le fauteuil. La discussion aura lieu, Red, car Izya te confirmera absolument tout ce que je t’ai dit. Il n’y a pas d’autre réponse possible.
Il jeta un léger coup d’œil vers Jeska qui semblait avoir retrouvé un peu de son aplomb.
- Je vais ignorer ton passage menaçant car il ne verra pas le jour. Tu auras un navire qu’Hubert, actuel président de Parisse, nous filera pour nous aider à renvoyer toutes les troupes révolutionnaires. Ce navire sera naturellement muni du minimum pour naviguer dans de bonnes conditions jusqu’à Grand Line. Pour ce qui est du barbier, tu te débrouilles, vieil homme. Je ne suis ni ta mère, ni ta gonzesse. En bon ami, je peux évidemment m’en occuper, mais pas certain que tu sois rassuré à l'idée que je tienne une lame aiguisée au niveau de ta gorge, conclut-il en lui souriant.
Nous partirons dans trois jours.
"On a pas trois jours."
Je reviens dans la conversation. Je m’en fiche un peu que ces deux mâles se testent l’un l’autre dans un concours pour savoir qui à la plus grosse sans baisser son froc. Seulement on perd un temps précieux en palabres inutiles.
"Quand Teach va battre le rappel de ses lieutenants il verra bien qu’Arturo manque à l’appel. Et il aura vite fait de savoir où ce satané manchot est parti. Il va envoyer ici plusieurs de ses sbires à sa recherche. Ce serait fâcheux pour tous qu’ils nous trouvent ici en train de picoler joyeusement à côté du cadavre de leur copain..."
D’ailleurs, en parlant de boisson, je récupère ma bouteille et je m’enfile une généreuse lampée de rhum dans le gosier. Puis je la garde contre moi, hors de question d’en refiler à quiconque maintenant.
"Heureusement pour toi, Ragnar, Arturo est venu en bateau. Y’a juste à récupérer les navire, à bien nous le garnir pour service rendu à la cause révolutionnaire. Oui, tu m’as bien entendu. Après tout, c’était tes ennemis qui tenaient cette gare. On s’en est débarrassé pour toi, donc tu nous en dois une. Et, en plus, ce n’est pas vraiment ton intérêt qu’on s’éternise ici."
Encore un peu de rhum pour renforcer mon argumentation.
"C’est un échange gagnant / gagnant. Nous on se tire loin d’ici et de l’influence de l’autre malade. Et toi, tu évites que Parisse devienne à nouveau l’épicentre d’un lutte sanglante. Mais par contre, faut se bouger le train, il se pourrait même que les renforts du Malvoulant soient déjà en route."
Oui, je crois que j’ai un peu trop bu. Ou alors que j’ai bu trop vite. Je sens l’alcool le monter à la tête et endormir mes sens ainsi que ma conscience. Je m’étire et je me mets à l’aise pour me laisser doucement glisser dans une torpeur éthylique.
Putain, les jeunes, ils ont plus le respect...
Mais la vrai question ici, c'est plutôt, est ce que ça vaut le coup de lui meuler la gueule façon sauvage pour essayer de lui apprendre un truc ?
Pour moi, à tous les coups c'est se donner du mal pour rien, des mecs comme lui c'est trop tard pour leur apprendre les bonnes manières de toute façon. Ou alors faudrait taper vraiment fort, et a tous les coups on croirait que je veux juste récupérer le barème combat.
Bref, ça passe pour cette fois, y'a des atouts de la révolution qui ne connaissent pas leur chance de s'en tirer comme des fleurs.
-T'as entendu la dame Ragnar. On veut pas n'importe quel un bateau, on veut celui la. Alors sois gentil, je suis sur que t'es pas venu complétement à poil, tu sais ce qu'on veut, t'as plus qu'a passer quelques coups de fil pendant qu'on continue à te regarder.[...]
Et deux heures de discussion plus tard, à la tête d'un petit groupe qui a décidé de tenter sa chance avec nous en mer plutôt qu'en retournant à la vie civile à Parisse, nous sortons tous les trois de la gare pour suivre la voie de chemin de fer vers la mer, la ou Arturo a laissé son navire quand il a mis pied à terre sur mes traces.
Une progression sous haute protection, tant les militaires du coin n'ont toujours pas digéré d'avoir été chassé de la gare, et tant les amis de l'atout n'aiment pas trop le voir jouer les otages au milieu de types louches.
Cela dit, malgré l'ambiance tendue tout se passe bien, et quand arrive la soirée et le début de la marée descendante, nous sommes maitres à bord d'un navire pirate de bonne taille, et tout prêt à nous lancer à nouveau à travers les mers du nouveau monde.
Juste le temps de lever l'ancre, de déposer l'atout dans une chaloupe avec des rames, d'ignorer le navire révolutionnaire qui nous surveille et se retient visiblement de nous envoyer par le fond, et nous voila enfin à nouveau en eau.
Et a nouveau Libres Pirates.