Rappel du premier message :
Parisse était loin derrière à présent. Nous voguions depuis plusieurs semaines et les hommes se lassaient de leur vie à bord, devenue routinière ; ils étaient pressés de refouler la terre du pied tout en sachant que cela pourrait mettre des mois. Les vents nous avaient été favorables depuis le début de notre expédition, mais notre départ en hâte nous avait fait écoper d'une navigation hasardeuse : où nous allions, seuls les flots tempétueux du Nouveau Monde pouvaient le dire.
« - Terre à l'horizon ! » beugla soudainement un homme à la vigie, que je suspectais fortement d'être la Guigne.
Soudain, l'activité sur le pont devint effervescente ; les hommes se pressaient sur le gaillard d'avant pour espérer voir de leurs propres yeux notre prochaine étape. De mon côté, je souhaitais identifier le plus vite possible l'île qui nous faisait face : les terres du Nouveau Monde pouvaient s'avérer suffisamment inhospitalières pour oser y mettre pied à l'aveuglette. Évidemment, je priais pour ne pas tomber sur les propriétés d'un Yonkou, sans quoi nous étions mal barrés.
À terme, nous pûmes suffisamment nous rapprocher pour identifier les coteaux rocheux qui nous faisaient face, puis les contourner pour arriver sur un paysage plus varié, plus coloré. Une herbe rase maculait la plaine qui surplombait les hautes falaises de couleurs prasines et irisées : le printemps fleurissait ici en donnant au pays un aspect idyllique, presque paradisiaque. C'était trop beau pour être vrai, je commençais à me douter de quelque chose.
« - Continue à longer les côtes, » intimai-je à Karen, au timon ; quelque chose n'allait pas, je le sentais dans l'air.
L'île n'était pas grande. Ce n'était pas un continent au même titre que Parisse ou Arcadia, même si elle semblait être vastement habitée. Des fois, de hautes structures nous surplombaient et laissaient entrevoir les détails de la civilisation qui vivait sur le caillou.
Nous mîmes plusieurs heures à entrevoir un port. Les hommes s'empressaient, s'activaient de plus en plus à sortir des caisses pour faire ami-ami avec les locaux, se balançaient au bastingage. Et puis la vigie sonna le glas :
« - Navire à l'horizon ! C-c'est le drapeau de la Déesse Enfant ! »
Merde. Remerde. Le destin était bien facétieux et je le signai d'un coup de l'arrête du poing sur le garde-fou, qui lâcha un gémissement.
« - Oh ! Attention Ele', on n'a qu'un seul navire.
- Pardon. »
Je retrouvai mon calme olympien, replaçant mon tricorne et sortant la longue vue pour préciser ma pensée. À mieux y regarder, le bâtiment devait faire partie d'une avant-garde, celle d'un Commandant à la limite. Il se dirigeait vers le port, dont l'entrée était strictement gardée par des rangées de canons et une gigantesque porte menant sur l'intérieur des terres. Pas le choix, donc.
« - Angelica, fais changer le pavillon, nous allons accoster sous couverture marchande.
- Tu veux mettre pied à terre ? Sur une île de Kiyori ?
- Tu m'as bien entendue. »
Je passai les prochaines dizaines de minutes renfermée sur moi-même, à envisager un plan. Au bas des portes, quelques bâtisses s'entassaient en amont des quais qui s'élançaient vers nous. Une heure nous en distançait, si bien que nous eûmes le temps de répéter : nous n'étions rien d'autre que d'humbles marchands souhaitant recharger leur pose sur l'île et faire un peu d'affaires.
« - Mais si ça se gâte, on fonce vers ces portes et on se réfugie hors de portée de l'artillerie. »
Plus facile à dire qu'à faire, avec les bouches des canons pointées sur nous. Deux hommes firent descendre la planche permettant d'accéder au ponton, sur laquelle nous ne tardâmes pas à faire glisser les caisses les plus légères. Supervisant le chantier, je jetai un œil inquiet vers le navire aperçu plus tôt qui mouillait à proximité. Un homme, peut-être le Capitaine du port, ne tarda pas à venir accueillir : c'était un petit énergumène barbu et grassouillet.
« - Messieurs-dames, bonsoir. Bienvenue sur Tetsu Island, domaine de la Déesse Enfant. Malheureusement nous ne pratiquons pas le commerce à l'extérieur des murs, mais nous sommes prêts à vous laisser passer si vous jurez allégeance à sa Majesté, l'Impératrice. »
Du coin de l’œil, je vis Funeste mimer un crachat... et se raviser bien vite en cernant mon regard, ravalant son glaviot dans un « slurp » discret. Je m'avançai alors en direction de l'autochtone, rentrant dans mon rôle en ne m'arrêtant qu'à un mètre de lui, dans la posture d'un marchand opportuniste intéressé par le gain facile.
« - Monsieur, je vous remercie pour votre accueil. Je commande effectivement ce navire et serais très intéressée pour faire affaire avec votre maîtresse. Je vous en prie, indiquez-moi le moyen de montrer patte blanche. »
J'étais coulante, mais pas plus qu'un commerçant ordinaire. L'homme me jaugea brièvement et passa plusieurs secondes à regarder par-dessus mon épaule, comme si je n'étais rien. Persuadé que nous ne représentions aucun risque, il m'invita à le suivre jusque dans sa cabine : un petit habitacle modeste où figurait le registre des entrées et sorties.
« - Nom ? Prénom ?
- Redcliff Eleanor, » je me fendis d'un clin d’œil imperceptible. « Je travaille pour la SGC Import-Export.
- Jamais entendu parler.
- Ah bon ? Vous ne devez pas souvent voir du pays alors. »
La remarque fit mouche, effaçant définitivement le sourire du bonhomme mais rajoutant une preuve à mon dossier. Il avait visiblement hâte d'en avoir terminé. Je le surpris un instant à compter le nombre de têtes à bord, puis il demanda :
« - Vous transportez quoi ?
- Un peu de tout. Du gin et du coton principalement. Je peux vous mettre une bouteille de côté, pour vous remercier de votre bienveillance. »
Il ne dit rien, mais je vis une lueur briller dans ses yeux. Il ne perdit pas plus de temps en bavardages et me posa une demi-douzaine d'autres questions sans intérêt particulier, avant de refermer son bouquin et m'escorter à nouveau jusqu'aux quais. Là, Angelica m'attendait, sur le pied de guerre ; je lui fis signe de nous sortir une bouteille pour le Capitaine du port. Quelques minutes plus tard, la Guigne nous amenait un cru que je tendis à notre hôte. Il l'inspecta quelques secondes avant de s'exclamer, tout sourire enfin :
« - C'est bon, vous pouvez rentrer. Montrez ça au garde, ils vous laisseront passer. »
Saisissant le papelard à la volée, je remerciai le bonhomme d'une discrète inclinaison du chapeau avant de faire signe aux hommes de rembarquer, non sans récupérer les caisses déchargées au préalable.
À notre grande surprise, les quais se poursuivaient jusqu'à la porte ; autour de nous, les lotissements longeaient les falaises et dessinaient les contours du canal qui nous portait. Une vingtaine de minutes après avoir levé l'ancre, nous nous arrêtâmes devant une sorte de mirador où des hommes à notre niveau contrôlaient l'ouverture des portes.
« - Titre de transport, » grogna un moustachu à travers une lucarne.
Cette fois-ci, l'opération fut plus rapide : l'homme vérifia rapidement le papier avant de faire signe à son compagnon que tout était en règle. Je remarquai alors la rotation discrète, vers l'extérieur de l'île, des canons qui nous avaient suivis depuis notre arrivée. Parallèlement, un grondement sinistre sonna l'ouverture des pans de roche qui gardaient l'entrée, nous garantissant enfin l'accès à Tetsu Island. Pour l'ennemi, nous étions aussi bien invités que prisonniers. Pour moi, ils venaient de faire rentrer le loup dans la bergerie et pour cela, je souriais, goguenarde.
Voilà longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de mettre des bâtons dans les roues à la Déesse Enfant.
Parisse était loin derrière à présent. Nous voguions depuis plusieurs semaines et les hommes se lassaient de leur vie à bord, devenue routinière ; ils étaient pressés de refouler la terre du pied tout en sachant que cela pourrait mettre des mois. Les vents nous avaient été favorables depuis le début de notre expédition, mais notre départ en hâte nous avait fait écoper d'une navigation hasardeuse : où nous allions, seuls les flots tempétueux du Nouveau Monde pouvaient le dire.
« - Terre à l'horizon ! » beugla soudainement un homme à la vigie, que je suspectais fortement d'être la Guigne.
Soudain, l'activité sur le pont devint effervescente ; les hommes se pressaient sur le gaillard d'avant pour espérer voir de leurs propres yeux notre prochaine étape. De mon côté, je souhaitais identifier le plus vite possible l'île qui nous faisait face : les terres du Nouveau Monde pouvaient s'avérer suffisamment inhospitalières pour oser y mettre pied à l'aveuglette. Évidemment, je priais pour ne pas tomber sur les propriétés d'un Yonkou, sans quoi nous étions mal barrés.
À terme, nous pûmes suffisamment nous rapprocher pour identifier les coteaux rocheux qui nous faisaient face, puis les contourner pour arriver sur un paysage plus varié, plus coloré. Une herbe rase maculait la plaine qui surplombait les hautes falaises de couleurs prasines et irisées : le printemps fleurissait ici en donnant au pays un aspect idyllique, presque paradisiaque. C'était trop beau pour être vrai, je commençais à me douter de quelque chose.
« - Continue à longer les côtes, » intimai-je à Karen, au timon ; quelque chose n'allait pas, je le sentais dans l'air.
L'île n'était pas grande. Ce n'était pas un continent au même titre que Parisse ou Arcadia, même si elle semblait être vastement habitée. Des fois, de hautes structures nous surplombaient et laissaient entrevoir les détails de la civilisation qui vivait sur le caillou.
Nous mîmes plusieurs heures à entrevoir un port. Les hommes s'empressaient, s'activaient de plus en plus à sortir des caisses pour faire ami-ami avec les locaux, se balançaient au bastingage. Et puis la vigie sonna le glas :
« - Navire à l'horizon ! C-c'est le drapeau de la Déesse Enfant ! »
Merde. Remerde. Le destin était bien facétieux et je le signai d'un coup de l'arrête du poing sur le garde-fou, qui lâcha un gémissement.
« - Oh ! Attention Ele', on n'a qu'un seul navire.
- Pardon. »
Je retrouvai mon calme olympien, replaçant mon tricorne et sortant la longue vue pour préciser ma pensée. À mieux y regarder, le bâtiment devait faire partie d'une avant-garde, celle d'un Commandant à la limite. Il se dirigeait vers le port, dont l'entrée était strictement gardée par des rangées de canons et une gigantesque porte menant sur l'intérieur des terres. Pas le choix, donc.
« - Angelica, fais changer le pavillon, nous allons accoster sous couverture marchande.
- Tu veux mettre pied à terre ? Sur une île de Kiyori ?
- Tu m'as bien entendue. »
Je passai les prochaines dizaines de minutes renfermée sur moi-même, à envisager un plan. Au bas des portes, quelques bâtisses s'entassaient en amont des quais qui s'élançaient vers nous. Une heure nous en distançait, si bien que nous eûmes le temps de répéter : nous n'étions rien d'autre que d'humbles marchands souhaitant recharger leur pose sur l'île et faire un peu d'affaires.
« - Mais si ça se gâte, on fonce vers ces portes et on se réfugie hors de portée de l'artillerie. »
Plus facile à dire qu'à faire, avec les bouches des canons pointées sur nous. Deux hommes firent descendre la planche permettant d'accéder au ponton, sur laquelle nous ne tardâmes pas à faire glisser les caisses les plus légères. Supervisant le chantier, je jetai un œil inquiet vers le navire aperçu plus tôt qui mouillait à proximité. Un homme, peut-être le Capitaine du port, ne tarda pas à venir accueillir : c'était un petit énergumène barbu et grassouillet.
« - Messieurs-dames, bonsoir. Bienvenue sur Tetsu Island, domaine de la Déesse Enfant. Malheureusement nous ne pratiquons pas le commerce à l'extérieur des murs, mais nous sommes prêts à vous laisser passer si vous jurez allégeance à sa Majesté, l'Impératrice. »
Du coin de l’œil, je vis Funeste mimer un crachat... et se raviser bien vite en cernant mon regard, ravalant son glaviot dans un « slurp » discret. Je m'avançai alors en direction de l'autochtone, rentrant dans mon rôle en ne m'arrêtant qu'à un mètre de lui, dans la posture d'un marchand opportuniste intéressé par le gain facile.
« - Monsieur, je vous remercie pour votre accueil. Je commande effectivement ce navire et serais très intéressée pour faire affaire avec votre maîtresse. Je vous en prie, indiquez-moi le moyen de montrer patte blanche. »
J'étais coulante, mais pas plus qu'un commerçant ordinaire. L'homme me jaugea brièvement et passa plusieurs secondes à regarder par-dessus mon épaule, comme si je n'étais rien. Persuadé que nous ne représentions aucun risque, il m'invita à le suivre jusque dans sa cabine : un petit habitacle modeste où figurait le registre des entrées et sorties.
« - Nom ? Prénom ?
- Redcliff Eleanor, » je me fendis d'un clin d’œil imperceptible. « Je travaille pour la SGC Import-Export.
- Jamais entendu parler.
- Ah bon ? Vous ne devez pas souvent voir du pays alors. »
La remarque fit mouche, effaçant définitivement le sourire du bonhomme mais rajoutant une preuve à mon dossier. Il avait visiblement hâte d'en avoir terminé. Je le surpris un instant à compter le nombre de têtes à bord, puis il demanda :
« - Vous transportez quoi ?
- Un peu de tout. Du gin et du coton principalement. Je peux vous mettre une bouteille de côté, pour vous remercier de votre bienveillance. »
Il ne dit rien, mais je vis une lueur briller dans ses yeux. Il ne perdit pas plus de temps en bavardages et me posa une demi-douzaine d'autres questions sans intérêt particulier, avant de refermer son bouquin et m'escorter à nouveau jusqu'aux quais. Là, Angelica m'attendait, sur le pied de guerre ; je lui fis signe de nous sortir une bouteille pour le Capitaine du port. Quelques minutes plus tard, la Guigne nous amenait un cru que je tendis à notre hôte. Il l'inspecta quelques secondes avant de s'exclamer, tout sourire enfin :
« - C'est bon, vous pouvez rentrer. Montrez ça au garde, ils vous laisseront passer. »
Saisissant le papelard à la volée, je remerciai le bonhomme d'une discrète inclinaison du chapeau avant de faire signe aux hommes de rembarquer, non sans récupérer les caisses déchargées au préalable.
À notre grande surprise, les quais se poursuivaient jusqu'à la porte ; autour de nous, les lotissements longeaient les falaises et dessinaient les contours du canal qui nous portait. Une vingtaine de minutes après avoir levé l'ancre, nous nous arrêtâmes devant une sorte de mirador où des hommes à notre niveau contrôlaient l'ouverture des portes.
« - Titre de transport, » grogna un moustachu à travers une lucarne.
Cette fois-ci, l'opération fut plus rapide : l'homme vérifia rapidement le papier avant de faire signe à son compagnon que tout était en règle. Je remarquai alors la rotation discrète, vers l'extérieur de l'île, des canons qui nous avaient suivis depuis notre arrivée. Parallèlement, un grondement sinistre sonna l'ouverture des pans de roche qui gardaient l'entrée, nous garantissant enfin l'accès à Tetsu Island. Pour l'ennemi, nous étions aussi bien invités que prisonniers. Pour moi, ils venaient de faire rentrer le loup dans la bergerie et pour cela, je souriais, goguenarde.
Voilà longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de mettre des bâtons dans les roues à la Déesse Enfant.