La solution semblait enfantine mais l'ambiance était bel et bien pesante. La jeune guerrière, volontaire malgré elle, ramassa son attirail de combat et observa la scène qui se déroulait sous ses yeux. L'ambiance était pesante, mais pas que, elle était surtout sérieuse. Le soleil commençait à décliner, lui-même ne voulait pas assister à la bataille ambiante. Là, deux clôtures de bois avaient explosé sous les terribles et solides cornes des musculeux assaillants. Deux groupes de moutons rouboulés, rouges avec la taille anormalement triplée, avaient été décimés. Quelques Tours, butin entre les cornes, avaient préféré faire demi-tour pour préserver un minimum de nourriture nécessaire à leur future hibernation. Ces idiots s'y prenaient toujours au dernier moment, c'est pourquoi stimuler leurs cerveaux par trois coups provoquaient un sommeil prématuré et il fallait ensuite les déplacer, difficilement, vers une zone neutre. Pas une zone de combat où les bâtiments et quelques blessés faisaient toujours parti des dommages collatéraux.
La jeune guerrière sentit un vent frais sur son visage, la température baissait à vue d'œil, alors elle en profita pour se reprendre en main dans ce climat vivifiant. Un corbeau signa le départ de son combat en s'envolant, effrayé lorsqu'une esquive d'un villageois fit heurter un Tours contre un solide chêne. Par dizaines dans leur parc les moutons couraient dans tout les sens, excitant par la même occasion les sens de leurs prédateurs. C'est pourquoi Fuerza était munie d'un balai ainsi que d'un bouclier orné d'un coussin rouge. La gamine hésita à s'aventurer dans le combat, elle aurait bien souhaité un nouvel élan sympathique d'un allié pour lui donner du courage, mais malheureusement l'heure n'était plus à la discussion mais bel et bien à l'action. Déjà occupé sur un autre ennemi, Fuerza courut en direction de celui qui avait déjà été affaibli par l'arbre. Elle espérait qu'après un tel choc il ne restait qu'un petit coup à donner mais elle se trompait, la force du coup donné n'avait rien à voir car c'est le nombre qui comptait. Lors de sa course, elle manqua de tomber au sol car ses jambes frétillaient de peur.
Mine de rien elle n'allait pas faire face à un misérable insecte, mais at un véritable Tours : deux protubérantes cornes de trente centimètres chacunes, une taille équivalent à trois mètres de longueur pour un et demi de hauteur, en soi de véritables monstres de la nature. Revenant à lui, l'affaibli se releva grâce à ses puissantes jambes et son sang ne fit qu'un tour lorsque son oeil de la taille d'une tomate se posa sur son bouclier. Fuerza fit de son mieux pour garder un certain sang-froid en soupirant tout l'air contenu dans ses poumons. Elle aurait bien aimé fermer un instant les yeux pour retrouver un coeur calme bercé par la concentration mais c'était impossible : il battait la chamade et elle devrait faire avec ce camarade trop excité, apeuré, à son goût.
- Yaaaah !
Elle s'élança, brandissant une arme en bois ridicule, et parvint à donner le second coup. Un second coup mal placé car le taureau-ours le contra avec sa corne, malin. Face à lui, au corps à corps, elle se sentait aussi fragile qu'une brindille. Pourquoi l'avait on recrutée à la va-vite, elle croyait que cela était sans danger, même inexpérimentée !
Le regard de l'animal croisa le sien, elle se sentit mal. Si elle possédait une imprenable et solide forteresse intérieure, voilà qu'en un regard elle se serait trouvée démolie. Elle n'avait pas le temps de réfléchir, il fallait agir, instinctivement agir, agir comme si elle avait été formée à l'épée ! Voilà pourquoi on l'avait choisie, à Tanuki, car les habitants et surtout l'aubergiste ne se fiaient par aux apparences car ils étaient habitués de voir des touristes compétents : pirates anonymes, discrets chasseurs de primes et autres constituaient une grande partie de leur clientèle.
D'un coup de tête, le Tours contra un second coup et désarma la petite qui décida dans le feu de l'action de pat-pater l'animal avec sa main et l'animal, comme ensorcelé, tomba de tout son poids. Soupir de soulagement. En réalité le balai était seulement utile car sa portée était plus grande. Fuerza chevaucha l'animal, se mit debout, et brandissant son balai elle cria au ciel :
- VICTOIRE
Elle descendit les yeux sur terre et à ce moment un homme se fit empaler et un autre termina dans le mur démoli de l'auberge, précisément dans la table où elle avait dégusté son lait. Elle comprit la chance qu'elle avait eu d'être sortie à temps, et aussi la malchance de la situation actuelle. Dans la taverne, le tenancier habitué lança successivement deux choppes vides qui toutes deux s'écrasèrent sur la tête de l'animal entré par effraction. Il tomba, endormi. Fuerza fit les gros yeux devant la facilité déconcertante qu'il a fallu à l'homme pour s'en débarrasser. Effectivement, les autochtones étaient habitués, d'habiles habitués.
Elle soupira un instant et rigola nerveusement face à sa propre connerie de crier victoire si tôt. Elle comprenait bien que l'attaque était à prendre sérieusement mais une part enfantine en elle avait, jusque là, continué de prendre la situation à la légère.
Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Six.
Elle compta les Tours restants et il en restait que six en lice.
Avant d'aller s'attaquer au suivant elle analysa rapidement son combat, qui mettait en valeur son inefficacité en tant que bretteuse, et le compara à celui du barman. Elle comprit qu'elle serait potentiellement plus douée pour les armes de jet.
Sur le champ de bataille, elle constata que quatre balais étaient dénués de propriétaires, dont un au beau milieu d'une flaque de sang. Soupirant une nouvelle fois face aux drames à déplorer, elle courut tous les ramasser et décida de dévisser la base des balais. La voilà en possession de cinq armes non létales à jeter. En les portant elle sentit sa confiance en elle monter d'un cran. Mieux, elle savait désormais qu'elles serait davantage redoutable et efficace au combat.
Brandissant son bouclier et faisant un mouvement de gauche à droite comme si elle l'utilisait pour faire coucou, elle attira l'attention d'un nouvel ennemi :
- EH OH ! EH OH !
L'animal se concentra sur elle et, à une vingtaine de mètres, fit voler en l'air des morceaux de terre signifiant son départ à toute allure. Fuerza soupira rapidement trois fois et secoua la tête pour se remettre les idées en place, là il ne fallait pas se rater. Il venait de face, une chance ! Perturbée par la vive allure de l'animal elle manqua son premier lancé, puis, se reprenant, elle lança les quatre autres projectiles en fermant un oeil, pour viser.
Un. Un seul toucha la tête de l'opposant. Elle fit une roulade sur le côté, esquiva, et sentit une énorme montée d'adrénaline prendre possession d'elle. Une aveuglante adrénaline qui lui dit de courrir chercher ses projectiles pendant que l'animal, à dix mètres, freinait pour revenir à la charge. Morceaux de balais en main, juste à temps, elle cria comme pour se rassurer :
- VAS-Y ! VIENS ! CH'T'ATTEND !
Premier lancé, loupé. Second, loupé. Troisième, touché ! Il ne lui restait qu'une arme en main... Elle ferma l'oeil gauche... Visa... Et loupa son coup. La solide bestiole se rapprochait, six, cinq, quatre mètres, et dans un élan de folie Fuerza décida de miser ses chances de survie sur un stupide coup de boule. Les chocs des têtes la plongea dans une temporaire confusion tandis que l'animal plongea, endormi, de tout son long. Les jambes de la guerrière furent prisonnières par le massif corps, immobilisée elle cria à l'aide et quelques minutes plus tard alors que les combats se finissaient un villageois vint l'aider.
- Bravo petite, tu as été courageuse !
Fuerza, se remémorant la bataille, ne parvint pas à formuler ne serais-ce qu'un seul mot. Raccompagnée dans la taverne elle souriait bêtement, et finit par lâcher un petit "oui" en guise de réponse. Mine de rien ce combat avait été fatiguant émotionnellement, il était temps de profiter de la fête qui suivit pour découvrir les nombreuses boissons locales avant de repartir pour de nouvelles aventures.