そして花の雌しべは腐る - Soshite hana no meshibe wa kusaru - «Et les pistils des fleurs pourrissent»
Les quelques pas en arrière que fit Noah ne lui permirent pas d'éviter la main qui vint frapper sa joue droite. Désemparé, tentant de se confondre en excuses, le jeune marin n'eut d'autres choix que de subir, passivement, les remontrances ubuesques de la vieille dame à qui il venait de toucher la poitrine. Ce n'était pas réellement de sa faute, puisqu'il avait trébuché sur un tonneau usé laissé à l'abandon par le tavernier du coin, mais il ne pouvait en vouloir à l'honorable dame de le sermonner. Une fois le différent réglé – si tant est que le jeune homme ne gagne pas une réputation de pervers gérontophile auprès de la population de Portgentil – Noah pu continuer sa lente inspection des auberges du coin.
- Franchement, vous avez fait fort cette fois, Commandant. Elle vous a mis une de ces roustes la p'tite mamie !
Barkley, l'homme qui venait de parler, était un soldat de la dix-neuvième division lui aussi, bien moins coincé et bien fripé que Noah. En théorie, Noah était son supérieur hiérarchique. En théorie, seulement, puisque les hommes que le Commandant avait sous ses ordres passaient la plupart de leur temps à le charier, s'amusant des gaffes qu'il produisait bien malgré lui. Mû par une malchance légendaire, Noah déplorait son manque de dextérité flagrant, qui le décrédibilisait auprès des têtes brûlées qu'il devait tempérer.
- Ne me cherchez pas, Barkley. Allez plutôt voir du côté l'auberge des Trois Brasseurs si y a pas d'soucis. Qu'on rentre au plus vite, j'suis crevé.
Un ton sec, froid et discipliné. Car si ses hommes avaient peu de confiance quant à ses mouvements bien trop imprécis, ils n'en étaient pas moins respectueux de l'homme de fer qu'ils avaient face à eux. Enfin, l'adolescent tout du moins, puisque Noah en était encore un légalement, même si les affres de la vie à la caserne l'avaient durablement marqué, donnant à son visage des formes bien plus rugueuses que celles qu'un gamin de son âge aurai dû avoir. Tant et si bien que désormais, le grade qu'on lui avait attribué avait bien moins de valeur que la fermeté avec laquelle il mettait les soldats peu respectueux au diapason.
Noah se frotta la joue, engourdie par la lesteté de la main de la vieille dame. Une gifle bien éclatante qu'il avait prise là, si bien que le feu commençait déjà à gagner ses pommettes émaciées. Il avait en horreur les inspections de nuit dans les quartiers nord de Portgentil. Certes, ça faisait parti de son boulot et veiller à la sécurité de la ville lui semblait important. Pourtant, la plupart du temps, les seules personnes qu'il croisait durant sa garde étaient les vieillards du coin, pas encore endormi ou pressés de pousser les portes du marché du coin pour faire leurs emplettes. Autant dire qu'il n'y avait rien de stimulant à ce type de mission. Aussi, quand c'était à son tour de gérer la veille d'un quartier, il faisait en sorte de s'entourer des hommes les plus tranquilles de la caserne. Cette fois, il avait quasiment réussi son coup, sauf pour Barkley, un bleu intrépide qui n'avait de cesse que de se foutre de lui, faisant fit des grades et des décorations.
- RAS de ce côté-là, Commandant !
- Idem par ici !
La petite escouade que Noah avait sous sa responsabilité se rassembla peu à peu autour de lui, leurs tâches dûment accomplies. Le dernier à revenir fut Barkley, les pieds traînant sur le sol comme le gamin impertinent qu'il était malgré sa trentaine bien passée. En rang d'oignons, la troupe mal coordonnée attendait la suite des ordres de leur Commandant, qui semblait bien satisfait de la mission rondement menée. Aussi se permit-il de se détendre un peu, faisant tomber ses épaules et la mine affreuse qu'il arborait comme unique masque d'apparat.
- Bien joué, les gars. On rentre à la base faire notre rapport, et tout l'monde au lit. Ça vous va ?
Légère acclamation dans les troupes, même si l'envie n'y était pas. La lune dansait déjà haut dans le ciel, signe qu'on s'approchait doucement de l'aube. Noah avait en horreur les rondes nocturnes, puisqu'elle décalait son cycle du sommeil qu'il avait mis des années à retrouver après le traumatisme de la mort de sa mère. Les cauchemars étaient de moins en moins fréquents, aussi se permettait-il des nuits bien plus longues, histoire de récupérer de ses journées à la fois chargées en responsabilité et de temps à autre en action.
- On précise dans l'rapport que vous avez agressez sexuellement une pauvre grand-mère, Commandant ?
Éclats de rires dans les troupes. La perspective de mettre dans l'embarrât leur supérieur semblait bien plus réjouissante que celle de retrouver un nid douillet pour la nuit. Noah avait envie de réprimander sévèrement Barkley pour son impertinence, mais ce petit trait d'humour semblait détendre les foules. Lui n'était pas doué pour cela, avec son attitude bien trop rigide et militaire. Aussi laissa-t-il passer l'intervention malvenue du soldat pour cette fois, même s'il songeait sérieusement à convoquer le matelot une fois à la base pour lui passer un soufflon digne de ce nom.
- Très drôle, matelot. J'espère que votre humour ne vous sert pas à compenser les nombreuses sessions d'entraînements auxquelles vous ne daignez pas vous montrer depuis quelques semaines ? Ou à compenser un atout bien plus important de votre virilité ?
Nouveaux éclats de rire, même si ce n'était pas l'effet recherché par Noah. Faisant fit des brimades de ses hommes envers Barkley et la remontrance cinglante qu'il venait de se prendre en pleine face, le jeune Commandant emboîta le pas à sa garnison pour prendre le chemin de la caserne de la dix-neuvième division. L'ambiance était au beau fixe dans les rangs, et Noah, dans sa tenue strictement protocolaire, faisait figure de proue en tête de file. Lui-même compensait son jeune âge par une prestance et une aura qui se voulait impressionnante, même si la nature même de sang aurait dû suffire à appuyer son autorité. Mais, vu qu'il ne mettait jamais en avant cette particularité et que la plupart des hommes de la base n'était pas au courant de son affiliation avec la famille royale, il se devait d'user d'autres stratagèmes. Il avait appris, avec le temps, à durcir son regard au besoin et à cintrer ses mots. Une façade bien peu solide, mais qui lui permettait de s'affirmer sans trop de mal face au menu fretin qui composait les rangs de la Marine.
- Hé, Commandant, y a un papi là-bas ! Ça ne vous dit pas d'aller l'agresser, lui aussi ?
Ils venaient de s'affranchir de la limite entre le secteur nord de la ville et celui de l'est, dans lequel se trouvait la caserne. Au détour d'une ruelle, Noah jeta un coup d'œil et remarqua en effet la présence d'un vieillard, qui se tenait debout à l'aide d'une canne en bois. Il était habillé d'une longue toge marron et miteuse. Des yeux cernés, une longue chevelure grisonnante et crasseuse, le tout serti par une mâchoire à demi-édentée, laissant pendre la moitié d'une langue râpeuse. Rien de bien suspect, malgré les blagues lourdes de Barkley. Pour autant, il avait la fâcheuse impression que quelque chose n'était pas à sa place. Comme si l'ambiance, dans cette nuit peu éclairée, venait soudain de changer de ton. Peut-être la lune chantait-elle une nouvelle sonate ? Même les hommes de Noah s'étaient soudain murés dans un silence profond, bien loin de leurs habituels chants de marins.
- A l'aiiiiiiide !
Un cri, perçant la nuit. Un cri d'effroi, d'alerte et de détresse. Noah regarda autour de lui, mais rien. Résonnant en écho dans les ruelles de la ville, le hurlement pouvait provenir de n'importe où. Il tourna la tête une nouvelle fois, pour remarquer que le grand-père dans la ruelle venait de se volatiliser. Mais peu lui importait la présence d'un vieillard, puisque c'était avant tout le cri d'une jeune demoiselle en détresse qui l'animait désormais.
- Ça vient de par là !
- Non, c'était vers la place principale, j'crois.
- Moi, j'ai entendu que ça venait du port.
- Moi je...
- Taisez-vous !
Noah avait eu besoin d'élever la voix pour faire taire les élucubrations de ses hommes, qui commençaient déjà à paniquer alors même qu'l n'y avait aucune raison pour l'instant. Et, dans la panique, c'était là qu'on perdait le plus de temps à se rassurer et qu'on loupait par la même occasion pas mal d'informations importantes. Noah mit une main sur sa tempe pour réfléchir, un petit tic qu'il avait pris depuis qu'il avait sous sa responsabilité une bande de gros bras écervelés.
- On se sépare en groupe de deux. Edith et Murray, vous ratissez les zones 12 et 13. Julian et Barkley, vous prenez les 8 et 9. Pierre et Maxwell, vérifiez les zones 11 et 14. Et moi, j'm'occupe de la 7. On concentre nos recherches sur le quartier Est, en priorité, compris ?
Comme une unique entité, les soldats approuvèrent de la tête, émettant par la même quelques grognements bestiaux.
- Bien, rompez !
Des ordres clairs, précis et réfléchis. Voilà qui suffisait à contenter ceux qu'il avait sous son commandement. Et, même s'il n'était jamais sûr que les décisions qu'il prenait à la hâte étaient judicieuses, Noah devait pour autant faire son possible pour les assumer fièrement devant ses hommes, et même devant ses supérieurs. Là, il avait choisi de ratisser large au niveau du champ de recherche, environ le quartier est dans sa globalité puisque c'était de là que semblait provenir le bruit, même s'il n'en était pas certain. Ses hommes avaient déjà pris la direction des zones auxquelles il les avait affectés, aussi se rendit-il à son tour dans la zone 7, celle qui se trouvait le plus proche du port principal de Portgentil. Il y mouillaient en permanence une véritable armada de navires en tout genre, la plupart sortant du chantier naval de l'île, réputé par-delà les mers pour son savoir-faire. Et, même si le jeune homme ne s'était jamais vraiment intéressé à la beauté d'une embarcation maritime, il devait reconnaître que le florilège de couleurs et de formes qui s'offraient à lui était somptueux.
- Aidez-moi, je vous en supplie !
Un nouvel hurlement venant éteindre la sérénité de la nuit. Noah en était quasiment sûr, si ses sens ne le trompaient pas, le bruit était tout près de lui. Dans l'agitation, il attrapa à la hâte le gonher 0/40 accroché à sa ceinture – son pistolet de service – et se mit à courir. Il posa son regard sur chaque ruelle, chaque intersection, chaque maison d'où s'échappait de la lumière. Et enfin, il arriva sur les lieux de l'incident. Une ruelle sombre et peu éclairée, ouverte d'un côté sur la place du quartier vide d'où venait le jeune, et l'autre côté débouchant sur l'allée principale du port.
Trois hommes, de hautes statures et à la mine dégarnie, encerclent une jeune fille, dont l'âge laisse peu de doute sur sa minorité. Blonde, les cheveux coupés mi- court, son visage encore poupon laisse présager une future beauté. Elle se débat, cri de sa voix perçante et tente même de griffer ses agresseurs. Mais ceux-ci ont pour seule réponse des rires qui viennent agresser les tympans et des coups qui viennent marquer le corps. Vu l'apparence des hommes, Noah ne doute pas un seul instant de leur allégeance à une quelconque branche de la piraterie. Des roublards de basse zone, des crevures de la pire espèce qu'il considère comme moins important qu'une vie d'insecte. Il veut agir, il veut intervenir.
Son arme est pointée, son cœur armé.
Une détonation. Mais ce n'est pas la sienne.
Les brigands viennent de lâcher un petit objet sur le sol qui, en touchant terre, libère un large voile de fumée. L'écran l'entravant, Noah se jette à corps perdu dans la bataille, franchissant l'écart qui le sépare de l'altercation pour venir en aide à la jeune fille, au risque de blessure. Les volutes de fumée viennent lui irriter les yeux. Il navigue à l'aveuglette mais finit par se rendre compte, alors qu'il met un pied sur les berges du port, que les brigands en ont profité pour prendre la fuite, emportant avec eux leur victime.
Noah laisse tomber son arme sur le sol.
- Franchement, vous avez fait fort cette fois, Commandant. Elle vous a mis une de ces roustes la p'tite mamie !
Barkley, l'homme qui venait de parler, était un soldat de la dix-neuvième division lui aussi, bien moins coincé et bien fripé que Noah. En théorie, Noah était son supérieur hiérarchique. En théorie, seulement, puisque les hommes que le Commandant avait sous ses ordres passaient la plupart de leur temps à le charier, s'amusant des gaffes qu'il produisait bien malgré lui. Mû par une malchance légendaire, Noah déplorait son manque de dextérité flagrant, qui le décrédibilisait auprès des têtes brûlées qu'il devait tempérer.
- Ne me cherchez pas, Barkley. Allez plutôt voir du côté l'auberge des Trois Brasseurs si y a pas d'soucis. Qu'on rentre au plus vite, j'suis crevé.
Un ton sec, froid et discipliné. Car si ses hommes avaient peu de confiance quant à ses mouvements bien trop imprécis, ils n'en étaient pas moins respectueux de l'homme de fer qu'ils avaient face à eux. Enfin, l'adolescent tout du moins, puisque Noah en était encore un légalement, même si les affres de la vie à la caserne l'avaient durablement marqué, donnant à son visage des formes bien plus rugueuses que celles qu'un gamin de son âge aurai dû avoir. Tant et si bien que désormais, le grade qu'on lui avait attribué avait bien moins de valeur que la fermeté avec laquelle il mettait les soldats peu respectueux au diapason.
Noah se frotta la joue, engourdie par la lesteté de la main de la vieille dame. Une gifle bien éclatante qu'il avait prise là, si bien que le feu commençait déjà à gagner ses pommettes émaciées. Il avait en horreur les inspections de nuit dans les quartiers nord de Portgentil. Certes, ça faisait parti de son boulot et veiller à la sécurité de la ville lui semblait important. Pourtant, la plupart du temps, les seules personnes qu'il croisait durant sa garde étaient les vieillards du coin, pas encore endormi ou pressés de pousser les portes du marché du coin pour faire leurs emplettes. Autant dire qu'il n'y avait rien de stimulant à ce type de mission. Aussi, quand c'était à son tour de gérer la veille d'un quartier, il faisait en sorte de s'entourer des hommes les plus tranquilles de la caserne. Cette fois, il avait quasiment réussi son coup, sauf pour Barkley, un bleu intrépide qui n'avait de cesse que de se foutre de lui, faisant fit des grades et des décorations.
- RAS de ce côté-là, Commandant !
- Idem par ici !
La petite escouade que Noah avait sous sa responsabilité se rassembla peu à peu autour de lui, leurs tâches dûment accomplies. Le dernier à revenir fut Barkley, les pieds traînant sur le sol comme le gamin impertinent qu'il était malgré sa trentaine bien passée. En rang d'oignons, la troupe mal coordonnée attendait la suite des ordres de leur Commandant, qui semblait bien satisfait de la mission rondement menée. Aussi se permit-il de se détendre un peu, faisant tomber ses épaules et la mine affreuse qu'il arborait comme unique masque d'apparat.
- Bien joué, les gars. On rentre à la base faire notre rapport, et tout l'monde au lit. Ça vous va ?
Légère acclamation dans les troupes, même si l'envie n'y était pas. La lune dansait déjà haut dans le ciel, signe qu'on s'approchait doucement de l'aube. Noah avait en horreur les rondes nocturnes, puisqu'elle décalait son cycle du sommeil qu'il avait mis des années à retrouver après le traumatisme de la mort de sa mère. Les cauchemars étaient de moins en moins fréquents, aussi se permettait-il des nuits bien plus longues, histoire de récupérer de ses journées à la fois chargées en responsabilité et de temps à autre en action.
- On précise dans l'rapport que vous avez agressez sexuellement une pauvre grand-mère, Commandant ?
Éclats de rires dans les troupes. La perspective de mettre dans l'embarrât leur supérieur semblait bien plus réjouissante que celle de retrouver un nid douillet pour la nuit. Noah avait envie de réprimander sévèrement Barkley pour son impertinence, mais ce petit trait d'humour semblait détendre les foules. Lui n'était pas doué pour cela, avec son attitude bien trop rigide et militaire. Aussi laissa-t-il passer l'intervention malvenue du soldat pour cette fois, même s'il songeait sérieusement à convoquer le matelot une fois à la base pour lui passer un soufflon digne de ce nom.
- Très drôle, matelot. J'espère que votre humour ne vous sert pas à compenser les nombreuses sessions d'entraînements auxquelles vous ne daignez pas vous montrer depuis quelques semaines ? Ou à compenser un atout bien plus important de votre virilité ?
Nouveaux éclats de rire, même si ce n'était pas l'effet recherché par Noah. Faisant fit des brimades de ses hommes envers Barkley et la remontrance cinglante qu'il venait de se prendre en pleine face, le jeune Commandant emboîta le pas à sa garnison pour prendre le chemin de la caserne de la dix-neuvième division. L'ambiance était au beau fixe dans les rangs, et Noah, dans sa tenue strictement protocolaire, faisait figure de proue en tête de file. Lui-même compensait son jeune âge par une prestance et une aura qui se voulait impressionnante, même si la nature même de sang aurait dû suffire à appuyer son autorité. Mais, vu qu'il ne mettait jamais en avant cette particularité et que la plupart des hommes de la base n'était pas au courant de son affiliation avec la famille royale, il se devait d'user d'autres stratagèmes. Il avait appris, avec le temps, à durcir son regard au besoin et à cintrer ses mots. Une façade bien peu solide, mais qui lui permettait de s'affirmer sans trop de mal face au menu fretin qui composait les rangs de la Marine.
- Hé, Commandant, y a un papi là-bas ! Ça ne vous dit pas d'aller l'agresser, lui aussi ?
Ils venaient de s'affranchir de la limite entre le secteur nord de la ville et celui de l'est, dans lequel se trouvait la caserne. Au détour d'une ruelle, Noah jeta un coup d'œil et remarqua en effet la présence d'un vieillard, qui se tenait debout à l'aide d'une canne en bois. Il était habillé d'une longue toge marron et miteuse. Des yeux cernés, une longue chevelure grisonnante et crasseuse, le tout serti par une mâchoire à demi-édentée, laissant pendre la moitié d'une langue râpeuse. Rien de bien suspect, malgré les blagues lourdes de Barkley. Pour autant, il avait la fâcheuse impression que quelque chose n'était pas à sa place. Comme si l'ambiance, dans cette nuit peu éclairée, venait soudain de changer de ton. Peut-être la lune chantait-elle une nouvelle sonate ? Même les hommes de Noah s'étaient soudain murés dans un silence profond, bien loin de leurs habituels chants de marins.
- A l'aiiiiiiide !
Un cri, perçant la nuit. Un cri d'effroi, d'alerte et de détresse. Noah regarda autour de lui, mais rien. Résonnant en écho dans les ruelles de la ville, le hurlement pouvait provenir de n'importe où. Il tourna la tête une nouvelle fois, pour remarquer que le grand-père dans la ruelle venait de se volatiliser. Mais peu lui importait la présence d'un vieillard, puisque c'était avant tout le cri d'une jeune demoiselle en détresse qui l'animait désormais.
- Ça vient de par là !
- Non, c'était vers la place principale, j'crois.
- Moi, j'ai entendu que ça venait du port.
- Moi je...
- Taisez-vous !
Noah avait eu besoin d'élever la voix pour faire taire les élucubrations de ses hommes, qui commençaient déjà à paniquer alors même qu'l n'y avait aucune raison pour l'instant. Et, dans la panique, c'était là qu'on perdait le plus de temps à se rassurer et qu'on loupait par la même occasion pas mal d'informations importantes. Noah mit une main sur sa tempe pour réfléchir, un petit tic qu'il avait pris depuis qu'il avait sous sa responsabilité une bande de gros bras écervelés.
- On se sépare en groupe de deux. Edith et Murray, vous ratissez les zones 12 et 13. Julian et Barkley, vous prenez les 8 et 9. Pierre et Maxwell, vérifiez les zones 11 et 14. Et moi, j'm'occupe de la 7. On concentre nos recherches sur le quartier Est, en priorité, compris ?
Comme une unique entité, les soldats approuvèrent de la tête, émettant par la même quelques grognements bestiaux.
- Bien, rompez !
Des ordres clairs, précis et réfléchis. Voilà qui suffisait à contenter ceux qu'il avait sous son commandement. Et, même s'il n'était jamais sûr que les décisions qu'il prenait à la hâte étaient judicieuses, Noah devait pour autant faire son possible pour les assumer fièrement devant ses hommes, et même devant ses supérieurs. Là, il avait choisi de ratisser large au niveau du champ de recherche, environ le quartier est dans sa globalité puisque c'était de là que semblait provenir le bruit, même s'il n'en était pas certain. Ses hommes avaient déjà pris la direction des zones auxquelles il les avait affectés, aussi se rendit-il à son tour dans la zone 7, celle qui se trouvait le plus proche du port principal de Portgentil. Il y mouillaient en permanence une véritable armada de navires en tout genre, la plupart sortant du chantier naval de l'île, réputé par-delà les mers pour son savoir-faire. Et, même si le jeune homme ne s'était jamais vraiment intéressé à la beauté d'une embarcation maritime, il devait reconnaître que le florilège de couleurs et de formes qui s'offraient à lui était somptueux.
- Aidez-moi, je vous en supplie !
Un nouvel hurlement venant éteindre la sérénité de la nuit. Noah en était quasiment sûr, si ses sens ne le trompaient pas, le bruit était tout près de lui. Dans l'agitation, il attrapa à la hâte le gonher 0/40 accroché à sa ceinture – son pistolet de service – et se mit à courir. Il posa son regard sur chaque ruelle, chaque intersection, chaque maison d'où s'échappait de la lumière. Et enfin, il arriva sur les lieux de l'incident. Une ruelle sombre et peu éclairée, ouverte d'un côté sur la place du quartier vide d'où venait le jeune, et l'autre côté débouchant sur l'allée principale du port.
Trois hommes, de hautes statures et à la mine dégarnie, encerclent une jeune fille, dont l'âge laisse peu de doute sur sa minorité. Blonde, les cheveux coupés mi- court, son visage encore poupon laisse présager une future beauté. Elle se débat, cri de sa voix perçante et tente même de griffer ses agresseurs. Mais ceux-ci ont pour seule réponse des rires qui viennent agresser les tympans et des coups qui viennent marquer le corps. Vu l'apparence des hommes, Noah ne doute pas un seul instant de leur allégeance à une quelconque branche de la piraterie. Des roublards de basse zone, des crevures de la pire espèce qu'il considère comme moins important qu'une vie d'insecte. Il veut agir, il veut intervenir.
Son arme est pointée, son cœur armé.
Une détonation. Mais ce n'est pas la sienne.
Les brigands viennent de lâcher un petit objet sur le sol qui, en touchant terre, libère un large voile de fumée. L'écran l'entravant, Noah se jette à corps perdu dans la bataille, franchissant l'écart qui le sépare de l'altercation pour venir en aide à la jeune fille, au risque de blessure. Les volutes de fumée viennent lui irriter les yeux. Il navigue à l'aveuglette mais finit par se rendre compte, alors qu'il met un pied sur les berges du port, que les brigands en ont profité pour prendre la fuite, emportant avec eux leur victime.
Noah laisse tomber son arme sur le sol.