Deux jours plus tôt Si son frère avait passé une bonne partie du trajet à se plaindre de la limonade et à lui poser des énigmes impossibles qu’elle n’avait même pas chercher à comprendre, elle, avait passé le trajet à observer l’horizon. Elle aimait ça, prendre la mer, d’autant qu’elle avait renfilé l’uniforme de la Marine. Bon, c’était celui de la régulière, mais c’était mieux que ces choses façon pingouins qu’on leur imposait – sans grand succès – au Cipher Pol.
Elle avait écouté d’une oreille les divagations scientifiques de son frère, pardon, du chimiste en chef qui l’accompagnait.
Dégoter des infos sur un pirate. Bon, jusque-là rien de bien compliqué, et par conséquent ça n’avait rien de très excitant. Ils avaient accosté sur Kage Berg. Elle avait fait ses devoirs et savait que c’était une île rurale, de type bouseux en tous genres.
« On a de la chance Monsieur le Chimiste, il fait beau. »Ce n’était pas un euphémisme. Le soleil tapait fort. La jeune femme qui avait teint ses cheveux en noir à reflets rouge pour se différencier de son frère lui balança un coup de coude peu délicat en respirant l’air frais. Ils avaient accosté à un port peu actif, rien d’étonnant l’île n’était pas connue pour son activité de pêche prolifique. Elle avait ses armes dans le dos et glissa une main dans sa poche.
Elle lâcha un soupir bruyant et un gars, un peu bourru peu gradé qui les approcha avec deux chevaux tenus par un bride. Il leva sa main pour saluer Yoligan
« Madame la Chimiste en chef, Vice-lieutenant… Je suis Popolite, on m’a dit de vous escorter… »Tiens tiens… La jeune femme leva un sourcil en l’observant. Elle regarda Yoligan les sourcils froncés. Pourquoi est-ce que c’était toujours lui qu’on prenait pour le marine. Elle tenait son dos droit. Elle fit un petit mouvement.
« Repos Soldat, je suis le Vice-Lieutenant Caroline, vous devriez revoir vos grades et vos écussons. » Ce qui la hérissait le plus c’était qu’il n’avait même pas pris le temps d’observer leurs uniformes qui n’avaient rien en commun. Elle lâcha un soupire et regarda son frère avec un petit rictus en attrapant la bride d’une jument blanche et grande. Popolite se confondit, devenant aussi rouge qu’une tomate, il leur tendit les rênes du cheval.
« Ça ira monsieur le Chimiste ? Dans mes souvenirs vous ne montiez pas à cheval comme un cador. »Yoligan lui lança un regard noir. Il ne pouvait pas la rabrouer comme il aurait voulu alors il se contenta de répondre plus froidement.
« Ça ira, merci de votre attention. »Il avait l’air si piqué que la jeune femme ne put que rire avant de monter sur son cheval d’un mouvement souple. Elle assura son assise avec un petit rictus, observant Yoligan enfourché sa monture, on ne peut plus raide. Vous savez ce qu’il y a de drôle quand on a un balai dans le fondement ? On peut tenter autant qu’on veut de monter à cheval correctement, si on a le dos droit comme un piquet, on finit sous le cheval immanquablement. Et Sohalia savait si bien ça qu’elle en jubilait d’avance. S’il tentait souvent de la mettre au pied du mur avec ses énigmes à la con, elle savait qu’il n’en menait pas large quand il fallait faire des trucs avec son corps. A croire que ce dernier l’encombrait. Peut importait finalement.
Les ports sur les îles étaient souvent l’entrée de la ville, ici aussi ça aurait pu être le cas, mais à part quelques baraques, qui semblaient pour la plupart être des petits entrepôts et boutiques, sûrement pour de l’import-export, il n’y avait pas grand-chose. La jeune femme qui n’était pas vraiment férue de Géographie ne s’en formalisa pas, et ses quelques pensées interrogatives furent rapidement balayées par la vue qui s’offrait à eux.
Si Yoligan était trop concentré à ne pas finir sous sa monture, et si leur guide était trop stressé, elle ne put pour sa part que lâcher un sifflement admiratif.
Des plaines à perte de vue. L’odeur de l’herbe fraîche la prit aux tripes. Il fallait le dire, si elle n’avait pas été en mission elle aurait passé des heures à gambader dans les prés d’herbe verdoyante.
Son île de Sanderr était plutôt verdoyante en été, mais vallonnées de montagnes, elle n’avait jamais, non jamais observer pareil paysage. La route n’était que de la tête graveleuse, il n’y avait que peu de route en y regardant de plus près, il s’agissait plutôt de chemin qu’avaient creusés les pas des chevaux et des hommes, le reste n’était que… Prairies à perte de vue. Le ciel était si bleu, si beau, si doux… Des arbres disséminés qui abritaient des vaches qui mastiquaient avec lenteur à l’ombre de leurs branchages en cette journée chaude.
Les vents balayaient les douces collines, les clôtures, tantôt de bois bruts, tantôt peintes de blanc, il y avait quelques choses de presque mélancolique en ce paysage.
Bientôt, ils passèrent d’un chemin de terre à la prairie.
« Alors Popolite, l’île est joli, qu’est-ce que ça fait d’être en service ici ? »Il chevauchait à côté d’elle, au pas, tranquillement. Il avait vu qu’elle observait le paysage et n’avait pas cherché au vu de la raideur de leur Chimiste d’accélérer la cadence. L’agente jeta un œil à son frère sur lequel elle voyait une perle de sueur perlé tant il tentait de se tenir sur l’animal. Serrant les cuisses. C’était là qu’elle voyait que c’était une bonne bête, il ne rechignait pas alors qu’il serrait trop les cuisses pour se tenir dessus. Bref, revenons-en à nos moutons.
« Je suis de la région Madame, j’ai grandi ici. Alors je suis content, parce que j’avais pas la fibre avec les bêtes. ‘Fin vous savez ici on élèves des vaches et des moutons, on a bien quelques personnes qui font pousser des fruits et légumes, mais c’est surtout les bêtes. C’est d’ailleurs pour ça qu’on monte tous à cheval, parfois, ils laissent les vaches aller paître loin alors pour les ramener, on utilise les chevaux. Et puis c’est plus rapide, l’île est grande, vous savez. Oh et puis comme je n’étais pas doué avec les moutons – c’est ce que ma famille élève – alors quand il y a eu l’incident avec le tueur, en 1626, j’ai décidé de m’enrôler. J’ai pas pu être très utile, mais j’espère que je serai utile dans le futur. » Tout ragaillardit par sa tirade le caporal rougit en se rendant compte qu’il avait beaucoup parler. Pour sa part, Sohalia ne put que sourire, ce besoin d’être utile elle ne pouvait que le comprendre. Elle sourit.
« Pas besoin de rougir Popolite, vous aimez votre île et c’est une bonne chose pour pouvoir la protéger. Bon alors et ces moutons ? On n’en n’a pas encore vu. »Il eut l’air un peu heureux qu’elle en parle.
« Bientôt Madame. On y sera bientôt, les prés pour les vaches sont en premier, on va passer devant un pré de moutons. L’île fait pas mal d’import-export. »Elle acquiesça, au moins, il faisait la conversation. Il n’était pas désagréable et elle pouvait observer tranquillement la végétation. L’herber n’était pas, comme elle l’avait soupçonné plus tôt d’un vert brillant qui reflétait le ciel dans un vert d’eau agréable, elle y voyait maintenant les pissenlits, les marguerites qui y fleurissaient gentiment. La jeune femme profitait de la balade pour se détendre un peu, sa jument était agréable à monter, elle avait un guide touristique qui parlait avec passion de cette île et surtout une vue imprenable sur son frère qui serrait les fesses à en faire péter une noix, pour ne pas tomber. La belle vie quoi.
Elle ne sut pas exactement combien de temps ils mirent à traverser l’île pour se rendre à la Garnison de Kage Berg. C’était une espèce de mur externe en pierre, le Caporal n’eut pas besoin de les annoncer pour qu’ils franchissent la grille, elle était ouverte. C’était un signe assez évident que l’île était en paix quasiment toute l’année. Sans compter la Foire de la Vache évidemment. À l’intérieur, il y avait des baraques de pierre, pas très hautes, assez modeste, mais bien entretenues, ils laissèrent les chevaux à l’entrée. Les premières bâtisses étaient des étables de bois. Elle tapota avec affection l’échine de la brave bête – qui s’appelait Pâquerette elle l’avait appris – et ne put retenir un rire un peu narquois en voyant son frère marcher en canard. Ouais, il avait vachement serré les fesses. Elle lui tapota le dos alors qu’on les accompagnait.
On avait dû les annoncer parce qu’une Adjudante chef vînt les accueillir droite comme un piquet. Elle avait des cheveux blonds et courts, elle les salua avec raideur, mais un petit sourire.
« Je suis L’adjudante Chef Sora. Je suis là pour vous conduire au prisonnier, nous l’avons installé dans une salle d’interrogatoire pour vous. »
Eh bah voilà, ils entraient dans le vif du sujet ! L’agente acquiesça.
« Vice Lieutenant Caroline et Chimiste en Chef Nervin. Merci pour votre accueil… Et pardon pour l’air grognon de mon camarade mais il va se souvenir un bon moment de cette balade. » Elle savait que s’il avait pu, il aurait répondu quelques choses de très mature comme « nya nya nya » au lieu de quoi il grommela un peu dans sa direction et salua avec sérieux la femme qui leur fit signe de la suivre.
« Il y a des chances qu’il ne soit pas très loquace, mais vous obtiendrez peut-être des informations que nous n’avons pas réussi à avoir. Qui sait, on peut toujours rêver. »Elle semblait un peu désespérée, peut-être agacé, c’était sûrement un sacré machin qu’ils devaient interroger. Génial, génial. Elle s’en frottait les mains d’avances, si ça prenait trop de temps, on l’autoriserait peut-être à taper du poing sur la tables, une histoire de gentil flic et de méchant flic. Elle lança un regard à Yoligan.
« On fera de notre mieux. Il y a des chances que nous ayons quelques techniques que vous n’avez pas. »Evidemment, il n’allait pas admettre qu’ils allaient peut-être se planter au même titre que la garnison de l’île. Yoligan restait Yoligan. Dans tous les cas ils ouvrirent la porte de la cellule et allèrent s’asseoir en face d’un jeune homme, taille moyenne, carrure assez développée, cheveux bruns en bataille, l’air assez méprisant, et situation plus marquante il lui manquait un bras. Ouais du pirate quoi. La jeune femme tira la chaise et s’assit en croisant les chevilles sur la table.
Que la partie commence.