Pendant un instant, le temps parut se figer, le chef des cannibales regardait les deux aventuriers en haut du temple, un large sourire sur le visage. Il était toujours dans sa position préférée, à genoux, les bras appuyés sur ses articulations. Il révéla ses dents pour faire comprendre qu’il maîtrisait absolument la situation depuis le début. Il se permit même un mouvement de tête pour saluer les deux invités à la fête.
En voyant ce débarquement, une sueur froide coula le long de la colonne de notre duo, ils ne voyaient qu’une seule fin à leur vie, elle serait courte et douloureuse. À cette pensée, Zigg ne voulut pas se laisser faire et posa ses mains pour activer de nouveau le mécanisme pour ouvrir les souterrains.
Nous partir par en-dessous. Eux pas pouvoir nous suivre là.
Mais ils vont voir ce que tu fais pour ouvrir le passage Zigg. Ils nous suivront peu de temps après et vu comme les racines sous le temple sont dangereuses, nous mourrons d’une chute. Aussi sûrement que de se faire manger par ton peuple.
Quoi faire alors ?
Je vais faire diversion pour que tu puisses t’enfuir. Je n’ai fait que courir le temps que je suis sur cette île, il est temps de montrer de quel bois se chauffe une cuisinière de Sanderr à ce petit chef de pacotille. Elle sortit sa feuille de boucher ainsi que son couteau de chef, deux armes plutôt lourdes dont elle avait l’habitude, elle avait toujours cherché à savoir manier un sabre pour plaire à ses parents, en faire une extension de son bras, néanmoins, elle avait déjà sa lame avec elle au travail, dans sa mallette. Elle ne le réalisait que maintenant qu’elle allait perdre la vie.
Une larme coula le long de la joue de Robina, elle ne voulait pas se voir finir ici et maintenant, cependant, elle le présentait, il était l’heure de tirer le rideau et de tirer sa révérence. La pièce aurait duré vingt-cinq ans, une belle durée pour une pièce de théâtre. Elle aurait juste voulu que cela continue encore longtemps, devenir la meilleure cuisinière du monde, découvrir de nouveaux plats, expérimenter de nouvelles façons de cuire, de trancher, d’écouter son instinct.
Elle regarda le médecin et ils n’eurent pas besoin de mot pour se comprendre. Tous deux savaient que c’était un adieu, ils ne se connaissaient que depuis quelques jours pourtant ce rapprochement se faisait naturellement vu la situation dans laquelle ils étaient. Passant son bras sur le visage, elle écrasa ses pleurs et se retourna vers son adversaire qui jubilait. Elle ne lui laisserait pas le plaisir de voir qu’elle se savait condamnée. Il lui restait de plus une dernière chance, le vaincre lui en duel, ainsi que tous ses hommes et là elle pourrait souffler et se considérer comme sauver.
Elle avait besoin d’un miracle. La tristesse de se sacrifier, de voir arriver la fin remonta, elle allait craquer, quand elle croisa les yeux de Vorzoth. Ses yeux riaient aux éclats, il attendait ce moment depuis tellement longtemps, sa prophétie se réaliserait, son pouvoir serait assis, il régnerait en maître sur son peuple, seul et unique Téphrop, adulé de tous et craint de ses ennemis. C’est ainsi que ces derniers s’asséchèrent, son regard se fit plus ferme, plus dur, elle ne laisserait pas le plaisir à son tortionnaire de la voir en détresse.
Tu me cherchais, je suis là.
Le fanatique ne comprit pas les mots de l’étrangère, pourtant, il déchiffra les intentions de la Sanderrienne sans difficultés. L’hilarité qui s’affichait sur la face de l’homme accroupi s’effaça pour faire place à un sérieux, mortel. Il avait vu l’efficacité de celle qui était le messie des Dieux. Déjà six hommes à son tableau de chasse, un acte que peu réussissait seul. Pour les étrangers, ça n’était même jamais arrivé.
Il se releva lentement et écarta les bras, deux chamans se précipitèrent pour le dévêtir de sa toge d’homme parlant avec les Dieux ainsi que de chef incontesté. Le corps de l’homme était sanglé de cuir noir, des runes avaient été taillée à l’intérieur. Le cri de ralliement de son peuple pour ceux qui pouvaient le lire. Les cannibales s’étaient déployés, la chasseuse de primes se retrouvait cernée, le Tikishes à la puissante carrure, à la crête blanche, la seule du clan. L’assurance extraordinaire qui se dégageait de lui, semblait le protéger comme une armure.
Vorzoth se tenait maintenant face à elle. Il goûtait ce moment comme un millésime, ses yeux ne se lassant pas de voir la beauté de la naufragée. Elle lui appartenait et il était maintenant sûr de ne pas la laisser s’échapper. Un peu plus loin, l’herboriste cria, il venait de se faire attraper, on le ramenait vers les deux personnes au centre de l’attention.
Ut em sialp erègnarté, ec iuq tse erar. Ut sa’n sap ruep ed iom iuh’druojua, ut selbmes emêm etêrp à em ercniav. Ut-se ellof ?
Tu me plais étrangère, ce qui est rare. Tu n’as pas peur de moi aujourd’hui, tu sembles même prête à me vaincre. Es-tu folle ?
Sur ces mots, on jeta ce qui allait se révéler le traducteur de la conversation qui suivrait.
Siaf iul erdnerpmoc !
Fais lui comprendre !
Zigg s’exécuta, il n’avait plus d’échappatoires, il servirait d’interprète jusqu’à sa mort, qu’il espéra sans souffrance.
Est-ce que j’ai l’air d’une folle ?
Non. Je dois te remercier, grâce à toi, la chasse a été passionnante. Elle restera dans les mémoires pour nous avoir ouvert les portes d’au-delà l’horizon. Nous la conterons de génération en génération, tu as poussé mes hommes à donner le meilleur d’eux-mêmes pour te capturer. En récompense, je te propose une fin honorable : affronte-moi dans un duel à mains nues. Ta fin sera toujours mieux que de te faire torturer par mes hommes.
Et si j’arrive à te vaincre, nous laisseras-tu partir Zigg et moi ?
À ces paroles, Vorzoth détailla la jeune femme avant d’éclater de rire, suivi par la foule autour.
Tu n’as aucune chance de me vaincre, cependant, je trouve ton idée si comique que j’accepte ton marché. Si tu arrives à me vaincre, vous pourrez vous balader sans que l’on vous fasse le moindre mal. Vous entendez Tikishes ? Reculez-vous, laissez-nous de la place cependant, surtout, ne faites rien contre eux !
Durant leur conversation, le chef pisteur de la horde vint lui voler ses couteaux de cuisine. Robina ne résista pas, elle perdit ses instruments comme une punition, elle perdait une extension d’elle-même. Néanmoins, la solution pour rester en vie, lui demandait de se défaire d’eux, et elle ferait tout pour les retrouver. Le roi des cannibales se délesta de ses hachettes et autres armes sacrificielles qu’il confia à son aide puis se retourna vers la chasseuse de primes.
Pas de feuille qui volait pour retomber sur le sol, de papillon qui s’envole pour donner le signal de départ, ici celui qui gouvernait fit un décompte avec ses doigts, arriver à zéro, celui-ci partit.
Une feinte, une autre puis une dernière, le prophète se déploya en direction de la cuisinière, arqué sur ses jambes selon un angle impossible, effectuant la ruse habituelle qu’il réalisait pour ouvrir ses combats. Il remonta sa main vers le visage de la naufragée, floue de vitesse. Cependant, la pichenette qu’il destinait au nez de son adversaire fut évitée d’un bon en arrière au dernier moment, elle détourna même le coup d’un violent revers de main.
Le regard allumé par la surprise Vorzoth recula.
Tse’c erocne xueim euq ec euq siarépse’j.
C’est encore mieux que ce que j’espérais.
Il surveilla la demoiselle du coin de l’œil et se détourna d’elle pendant un temps pour s’exclamer au public.
Suov-zelucer erocne ! Iom-zessial sulp ed ecalp, tuotruszenevretni’n sap, tse’c neib sirpmoc ? Ettec erèirreug, tnanev ed tueirétxe’l, tse ruop iom te as trom ares el ervueo’d-fehc ed erton euqart !
Reculez-vous encore ! Laissez-moi plus de place, surtout n’intervenez pas, c’est bien compris ? Cette guerrière, venant de l’extérieur, est pour moi et sa mort sera le chef-d’œuvre de notre traque !
Ce que ressentait avec netteté, était que l’homme face à elle était son adversaire le plus puissant jusqu’à maintenant. Même Abhou Dhabi ne lui arrivait pas à la cheville. Le Téphrop avança une seconde fois sur la fille aux cheveux bleus, ses genoux fléchis. Il semblait glisser sur le sol, capable d’une agilité hors du commun. La messie n’avait pas d’autre choix que ce duel, les dizaines d’autochtones autour d’elle interdisaient tout espoir de fuite.
Le combat débuta enfin, équilibré en apparence. Les coups étaient lancés par chacun, avec une grande adresse, puis parés ou esquivés, tout aussi efficacement. Le chef du peuple de l’Îlot Flottant s’était transformé en vent furieux, il anticipait chaque mouvement de Robina, quelque soit le style qu’elle utilisait, celui de sa mère ou son père. Elle touchait sans causer de réels dommages, tandis que chaque frappe qu’elle prenait était un coup de massue. Le plaisir sadique que prenait le Tikishe était visible sur son visage, à sa manière de se replacer après chacun de ses assauts.
Le Téphrop appuya ses attaques, il atteint la Sanderienne au foie, il se baissa sur ses genoux, campé sur un angle impossible. Il prit appui sur ses avant-bras, qu’il avait plaqués au sol et, d’un bond, se détendit vers le haut et l’avant. Ses pieds rencontrèrent le visage de la naufragée qui fut étourdie. Le chef se remit sur ses jambes d’une torsion des reins et pivota sur lui-même dans un coup de pied retourné. Celui-ci fut paré au dernier moment par les mains croisées de la femme qui saisit la cheville de son adversaire et l’emprisonna dans un mouvement de torsion, le but étant de lui briser.
Le pugiliste accompagna la rotation en décolla du sol, parallèle à celui-ci. Son pied libre frappa Robina au visage et la prise fut relâchée, laissant le pied libre. Vorzoth retomba avec souplesse comme à son habitude. Il feinta à droite et s’engouffra à l’opposé, visa le menton et de paume ouverte. Cette dernière évita le coup d’une torsion de son torse et riposta d’un coup de coude qui atteignit l’homme à la pommette. Il accusa le coup, elle voulut enchaîner avec un revers à l’aiselle, mais le Téphrop la repoussa d’un coup de genou dans les côtes, reprenant tous les deux leurs distances.
La foule ne disait plus rien. Le combat s’était déplacé, pourtant aucun ne loupait un instant de ce qui se passait sous leurs yeux. Ils se trouvaient maintenant à côté d’un gouffre de racine, les deux adversaires pouvaient à tout instant plonger dans les profondeurs de la mangrove pour s’écraser plus bas. Le touché passa sa main sur sa pommette enflée et sourit. La pause était finie.
Il avança de nouveau, quand il fut de nouveau à portée, il ouvrit sa garde et partit d’un assaut avec un coup de pied sauté. Robina fit un pas de côté et tenta de faucher ses jambes, néanmoins celui-ci sauta hors de portée. Elle suivit le mouvement, bondissant sur lui. Tout juste arrivé au sol, Vorzoth bascula en avant, frappant d’un coup de pied arrière dans le ventre. La naufragée recula, durement atteinte, elle contra deux frappes enchaînées de ses avant-bras puis reçut un coup de coude sur le cou. Elle riposta d’un coup de tête au front, elle jouait sa vie sur cet affrontement.
Pourtant, le Tikishes continuait de se montrer légèrement supérieur, sa maîtrise du combat, son assurance, son charisme étaient tels qu’ils faisaient douter celle qui se battait pour survivre. Son niveau ne suffisait pas, elle douta, elle n’arrivait pas à entrer entièrement dans ce deuxième round. Elle n’était pas prête.
Ej sius port trof ruop iot, ut en xuep neir.
Je suis trop fort pour toi, tu ne peux rien.
Le chef de la tribu se remit à se moquer de son adversaire, c’était de cette manière qu’il combattait. De nature hautaine, il s’enorgueillit de réussir à vaincre ses adversaires. Tandis que le jour se faisait dans l’esprit de la Sanderrienne, elle se vit surpassée. Elle se rendait compte, sans rien pouvoir faire pour éviter la défaite qui se profilait à l’horizon. Sa position défensive perdait du terrain à chaque instant, et bien qu’elle ne comprît pas ses mots, le ton de la voix de son adversaire ne mentait pas, il se gaussait d’elle.
Il continuait d’avancer, de déjouer la résistance de la naufragée, la frapper, tout en la raillant. Alors, Vorzoth prit appui sur ses deux jambes et partit d’une double frappe de ses pieds joints. L’attaque brisa la maigre garde de la chasseuse de primes. Le souffle coupé, au sol, son esprit brisé, elle était incapable de réagir. Elle tenta bien de se relever, mais un nouveau coup de pied retourné la percuta à la tempe, enchaîné par une frappe de la paume au plexus solaire.
Elle n’avait plus la force nécessaire pour se battre, cela ne faisait aucun doute pour personne. Elle tenta de se relever, échoua, elle essaya de nouveau jusqu’à se hisser sur ses jambes flageolantes. Elle se tenait dos au gouffre qui béait derrière elle. Culminant à quelques dizaines de mètres au-dessus des racines et de la mer. Un sourire de triomphe étirant son visage dans toute sa longueur, Le Téphrop la laissa faire. Il pourrait récupérer son cadavre plus tard en envoyant une équipe la repêcher. Elle était vaincue et ne représentait plus aucune menace.
Robina toisa le chef de la tribu qui l’avait aidé, mais préféra garder sa salive. Aucun mot, aucune injure ne pouvaient lui rendre la vie qu’elle allait perdre. Elle croisa le regard de Zigg et eut un léger sourire, elle aurait voulu le sauver lui aussi. Elle recula de deux pas et se retourna. S’ouvrant à son destin, elle ouvrit les bras à l’horizontale et se laissa tomber, droit vers les abysses.
Non !
L’herboriste se débattit et réussit à se libérer où il courut jusqu’au bord de la faille et se jeta à la suite de la jeune femme aux cheveux bleus, sans aucun temps d’hésitation. Ses mains agrippèrent la suicidaire dans le dos. Le petit corps chaud plaqué contre le sien, elle eut envie de sourire, de pleurer, de s’excuser, de remercier Zigg pour tout ce qu’il avait fait pour elle. Elle n’en fit rien, les mots étaient vides de sens à ce moment. La mort se précipitait vers eux sous l’aspect de rochers sous la surface de l’eau.
Cherchant quelques instants lors de sa chute, le Pygmée lança une graine sur une racine, plusieurs lianes se projetèrent vers nos deux héros qui virent leur chute se stopper à quelques mètres de la fin. Ils se balancèrent sur plusieurs mètres avant de se retrouver en sécurité. Le petit être avait toujours les côtes cassées, mais il préférait être vivant et avoir mal que s’écraser à la surface de l’océan.
À la surface :
Le temps que les Tikishes ne se penchent au-dessus du précipice, Robina et Zigg avaient déjà disparu. Vorzoth hurla de plaisir avant de retrouver ses armes et ceux de son adversaire maintenant morte. Il se tourna alors vers son chef des pisteurs.
La chasse est finie. Envoie une patrouille descendre récupérer les corps. Je veux le corps de cette femme pour réaliser la prophétie. Un large sourire sur le visage, il repartit, triomphant.