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Jacynthe - Danse sous la nuit de Little-Zaun

- Si tu n'as ne serait-ce qu'une once de bon sens, tu accepteras sans rechigner de te coucher !

Noah lançait un regard noir à Maxden, le cadet face à lui qui s'amusait de voir la détresse sur le visage du commandant. Car oui, le jeune Grantz se savait perdant dans cette partie, tant et si bien que les coups qu'il donnait maladroitement sur les linteaux de bois de la petite table près de laquelle il était assis ne suffisaient pas à calmer ses nerfs. La défaite, c'était un sentiment avec lequel il avait appris à être familier, mais qui avait toujours ce don de le rendre irascible au possible. Sûrement ne s'habituerait-il jamais à sa douce compagnie.

Pourtant, cette banale partie de cartes avait plutôt bien débuté. La main du jeune homme avait été bonne dès le début, de même que les nombreuses feintes qu'il avait pu faire à ceux qui jouaient avec lui, dans la pénombre du sous-bassement de la caserne. Noah prenait rarement part à ce genre de petite compétition, où le salaire était bien souvent mis en jeu, mais il avait été attiré cette fois par le goût du risque. Un peu de spontanéité et d'amusement ne pouvait pas faire de mal à sa vie si bien rangée et sa droiture si intransigeante.

Sûrement aurait-il dû se mordre la langue avant d'accepter, puisque déjà plumé des trois-quarts du pactole qu'il avait emmené avec lui. Bien piètre chanceux dans l'âme, il aurait dû se douter du dénouement de cette partie de jeu. Aussi, sous le regard plus qu'amusé de Maxden, il posa finalement ses cartes sur la table, signe qu'il abandonnait la manche. Il n'avait pas envie de devoir finir le mois sur les rotules, pour le simple amusement d'une soirée passée en bonne compagnie.

- T'as bien fait, Grantz !

Le jeune cadet dévoila son jeu à son tour. Il avait une main bien plus faible que celle du commandant, aussi se mit-il à rire d'un éclat tonitruant pour marquer sa victoire. Il y était allé au bluff, et ça avait payé. Noah ne pouvait pas en dire autant, aussi acceptait-il, non sans bouillir de colère à l'intérieur, les brimades de ses camarades. Ils continuèrent à jouer encore une petite heure, avant que chacun ne retrouve le doux confort de sa chambre. Noah, par son grade, avait le privilège de dormir seul, dans une pièce qu'il avait pu emménager à sa convenance. Mais, vu le peu de centres d'intérêts qu'il avait hormis son travail, la chambre était quasiment vide de toute décoration. Un simple lit, une armoire et une table de chevet sur laquelle trônait fièrement une photo de sa mère et lui enfant, unique souvenir qu'il avait conservé d'elle depuis son entrée dans le service actif.

Il y avait peu de fois où il se permettait le luxe de ressasser le passé. Après tout, c'était aujourd'hui une enclume qu'il ne voulait plus traîner à son pied, et il se devait d'avancer libre de tout regret. Pourtant, chaque fois que l'on évoquait sa famille – ce qui arrivait régulièrement dans un royaume où celle-ci était à la tête du pouvoir – il ne pouvait s'empêcher de replonger dans de vastes souvenirs perdus. Les casseroles frémissantes de sa mère quand elle lui préparait des gâteaux à la rhubarbe, ou encore le doux son de sa voix quand elle lui chantait une berceuse pour l'endormir. Même le contact de ses lèvres sur ses plaies d'enfant lui revenait en mémoire, et il avait bien du mal à se concentrer après tout ça. Aussi, comme unique exutoire, il avait choisi que sa chambre était le seul endroit où il pouvait se permettre de faiblir. En dehors, il se devait d'afficher l'air impassible, franc et droit qu'on attendait d'un homme de son grade. Une rigueur sûrement abjecte vue de l'extérieur, mais à laquelle il se forçait à tenir pour éviter de perdre pied.

Ce confort qu'il avait gagné dans la sueur et l'ardeur, il n'était pas sûr de le conserver longtemps. Après tout, la moindre erreur dans ses faits d'armes pouvait tout aussi bien le faire chuter à l'échelle sociale qu'il était en train de gravir. Le plus petit écart, la plus sinistre maladresse, et Noah risquait de redevenir l'enfant apeuré qu'il avait été au moment de la mort de sa mère. Aussi lui fallait-il tout faire pour être sûr de rester l'homme sans faille et sans peur qu'il s'adonnait à être lorsque le masque du public l'y contraignait. Un boulot de tous les jours, bien plus fatiguant que celui qu'il exerçait au quotidien pour le compte du gouvernement mondial.

C'était finalement une bien piètre mesure la lourdeur qui attenait son rang de commandant par rapport à celle de son sang de Grantz. Et, bien loin des affres de la vie bourgeoise et des mille saveurs des mets florissants, Noah était bien content d'avoir obtenu ce qu'il avait toujours rêvé à la simple ardeur de ses mains calleuses. Sa mère, si tant est que le paradis existe, devait sûrement être fière de lui. Fière qu'il n'ai pas choisi la solution de facilité en retournant près de ceux qui avaient entaché son simple nom. Peut-être était-elle même heureuse de voir que son fils commençait à s'épanouir dans son travail, à faire respecter la justice telle qu'il l'entendait.

Alors qu'il commençait doucement à trouver le sommeil, à une heure plus que déraisonnable pour une nuit complète et réparatrice, Noah fut réveillé par un coup contre sa porte. Quelqu'un se trouvait derrière, et semblait apparemment avoir besoin de le voir. Bien conscient que son boulot lui imposait d'être disponible à toute heure du jour et de la nuit, il enfila à la hâte le pantalon qu'il venait d'enlever, histoire de ne pas agresser son pauvre interlocuteur de la vie de sa virilité tout juste formée. Une pointe d'agacement dans la tête, alors même qu'il espérait que cette nuit lui fasse oublier la défaite qu'il venait de subir aux cartes et l'argent qu'il venait de perdre, il ouvrit la porte. Derrière se trouvait un cadet, que Noah ne connaissait pas mais qui, vu son affolement, était là en train d'effectuer une de ses premières courses pour un gradé. Il se souvenait de l'époque où lui aussi servait de pigeon voyageur pour ses supérieurs. C'était une mission légèrement dégradante, mais qui permettait de se faire les pieds et surtout de nouer des contacts avec quelques têtes d'affiches des bases où l'on était en poste. Autant dire que tout le monde passait par là, et que l'expérience n'en était que plus enrichissante avec un peu de recul.

- Commandant Grantz, excusez-moi pour le dérangement à une heure si tardive !
- J'vous en prie.
- Le...Le colonel Bava Aok requiert votre présence dans son bureau. Ça ne peut pas attendre demain matin, selon lui.

À cette heure-là ? La dernière fois que Noah avait été convoqué en pleine nuit, c'était... Ça ne lui était jamais arrivé, à vrai dire. Le colonel n'était pas connu pour être le plus grand insomniaque de la base, loin de là. Il avait ses propres priorités, et celles-ci passaient bien souvent par de bonnes nuits de sommeil afin de reprendre des forces. S'il venait à convoquer Noah à cette heure-là, c'était soit qu'il avait une demande expresse à lui fournir qui ne pouvait pas attendre le lendemain, soit qu'il était arrivé quelque chose de grave. Autant dire que c'était loin d'être bon signe, aussi le jeune homme s'empressa d'enfiler son uniforme officiel, non sans remercier le cadet qui était venu faire la commission et l'autoriser à retourner se coucher. Inutile qu'il l'attende pour l'emmener au bureau du colonel, Noah connaissait la route comme sa poche.