Les portes claquèrent et grincèrent. Une rai de lumière filtra au travers des battants, au rythme des volets qui frappaient contre le bois de la première taverne à des lieues à la ronde. Un petit bonhomme rougeot émergea après quelques secondes de l’extérieur en se frottant les mains, son par-dessus maculé de sable et de terre. Il venait d’attacher les volets de sa mansarde et entama d’allumer les candélabres rapiécés qui trônaient un peu partout, ainsi qu’une vieille roue de charrue en hauteur pour faire office de lumière.
« Ah, mes bons amis, la tempête se lève, je crains qu’il faille vous décider à attendre ici que les vents se calment : il ne fait jamais bon de sortir par pareil temps, ah ah ! » fit le commerçant, tout en posant sa veste élimée sur un des montants du bar.
Il entreprit alors de nettoyer quelques verres, sous l’œil pâteux des clients, qui se comptaient sur les doigts d’une main, à peine plus même. Un type affalé sur une table, sa veste débordant sur ses épaules. Une chope vide dans une main. Un autre aux allures de truand, à qui il manquait un œil et une jambe. Encore une, au chapeau long et qui dissimulait une partie de son faciès, et les autres n’étaient guère mieux. De vraies gueules cassées, comme le démontra un glaviot éjecté avec classe dans un crachoir en laiton. Le crachat tinta contre le métal, comme un coup de départ pour les vents qui se mirent à fracasser l’enseigne, faisant craquer la baraque et grincer chacun de ses gonds. Les battants claquèrent de nouveau lorsqu’un autre individu fit son entrée. Affublé d’une étrange tenue, il boitait légèrement, sa main posée contre son flanc. Les deux pans de sa veste tombaient loin sur ses chevilles, et la tunique blanche qu’il portait était maculée de crasse. Un mousquet pendait à sa ceinture et chacun de ses pas faisait résonner les étoiles qu’il portait aux talons.
Intrus dans un décor qui ne l’était pas tant pour lui : il avança de quelques pas, tira quelques regards étonnés, puis tira un tabouret. Il s’assit en faisant jouer son trench-coat qui claqua, puis indiqua une bouteille d’un doigt sans prononcer un seul mot. Le tenancier s’empara alors de son meilleur whisky puis entreprit de servir le nouvel arrivé. Les battants des portes n’avaient cessé de bouger depuis son entrée fracassante, et le vent allait et venait au gré de ces derniers. Une fois le verre servi, l’aubergiste entreprit de courir vers la porte pour la verrouiller le temps que les éléments se calment. Il verrouilla l’un des loquets, puis le second en soufflant et devenant encore plus rouge. Il sua, s’essuya sur son tablier puis ferma à clef. Le vent n’était plus qu’un mauvais bruit à présent, dans le crépuscule moite de l’auberge, à peine alimentée par les lumières des bougies.
Le petit bonhomme entreprit de collecter des bûches et d’aller nourrir l’âtre de la cheminée où une peau d’ours trônait, sous deux fauteuils abîmés par le temps. Il touilla les braises, ajusta ses bûches et les flammes reprirent de plus belle. Et alors qu’il se dirigeait vers la cuisine pour aller réchauffer le ragout qui servirait de repas à la communauté, trois coups lourds furent portés contre la porte du taudis. Espacés, puissants. Qui ne souffraient aucune attente. Le tavernier pesta dans sa moustache opulente, s’essuya le crâne dégarni de son torchon puis se dirigea vers la porte, tira le loquet de ses deux mains.
Et, à nouveau, le vent s’engouffra dans la dernière Taverne avant le Bout du Monde …