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Lune méditante

Ce soir-là, la lune se suspendait dans le ciel. A la fenêtre d’une petite maison, un jeune garçon la contemplait. Il était tard, le jeune Mayhem ne trouvait pas le sommeil. L’étrange astre illuminait la noirceur de la nuit et lui donnait une atmosphère singulière. Lorsque ce paysage idyllique faisait son apparition, le garçon ne pouvait se résigner à se plonger sous sa couette. Il restait là des heures entières, les bras croisés le long de sa fenêtre, à contempler les innombrables cratères qui recouvraient cette sphère gigantesque. Parfois, certaines questions lui traversaient l’esprit et il se laissait porter par la réflexion. Parfois, il se contentait de taire ses pensées et d’admirer ce qui s’offrait à lui. Ce soir-là, il pensait.

Quelques mois auparavant, il recevait son diplôme d’archéologie de l’université d’Al-Médie, et à cela s’ajoutèrent les louanges et les compliments. Aux yeux des gens, il était le jeune prodige des Mayhem, destiné à une grande carrière de chercheur comme son père. Mais tout ceci, il ne le comprenait pas. Il ne comprenait pas comment ceux qui l’entouraient pouvaient accorder autant d’importance à ces choses qu’il considérait fermement comme futiles. En réalité, il n’avait que faire de ce bout de papier et surtout de ce statut social qui l’accompagnait. Ce qu’il lisait, ce qu’il expérimentait, ce qu’il découvrait, tous ces efforts-là n’avaient jamais eu vocation à le propulser vers une quelconque carrière ou vers des honneurs qui le flatteraient. Il n’aspirait qu’à apprendre, car au fond, la seule chose dont il était persuadé, c’était que ce monde avait beaucoup trop de choses à offrir. Même bien trop pour qu’une seule vie suffise pour tout étudier. Un jour peut-être, il quitterait la chaleur du désert pour découvrir de son propre chef tout ce que les mers pourraient renfermer.

Il chassa ses pensées, il était bien trop tard pour se laisser emporter par l’imagination. Cela ne lui aurait pas déplu, toutefois, une journée éprouvante l’attendait le lendemain. Il se releva de sa chaise en bois qu’il avait disposé près de la fenêtre et la rapporta à son bureau. Il se glissa finalement sous sa couette et navigua dans l’infinité des rêves.


« Debout, espèce de tire-au-flanc ! »

Une voix résonna à ses oreilles comme le tonnerre grondait dans la tempête. Lorsqu’il la reconnut, il s’arracha d’un sommeil profond et bondit hors de son lit. Tel une machine programmée par les meilleurs algorithmes, il rangea sa literie avec la plus grande parcimonie et s’assura qu’aucun pli n’entachait l’harmonie de ses draps. Dans ces moments-là, contester l’impatience et l’autorité de sa chère mère n’était pas une bonne idée. Il n’osa même pas croiser son regard perçant, par peur de s’y perdre dans sa noirceur et d’être propulsé tout droit en enfer.

« Tu sais quelle heure il est ? Tu as cinquante-neuf secondes de retard. » s’écria-t-elle d’une voix qui aurait pu faire trembler les dieux.

Sans un mot, Ned s’inclina d’un mouvement de torse pour s’excuser platement. Son visage se crispa, il s’attendait à recevoir une tape derrière la nuque pour son méfait. Heureusement pour lui, il n’en fut rien. A la place, il entendit le grognement de sa mère qui se préparait intérieurement à lui faire vivre un calvaire pour le restant de la journée. L’adolescent prépara son sac et attrapa ensuite ses deux katanas de bois soigneusement accrochés au mur. Ni une ni deux, il emboîta le pas de sa mère hors de la chambre. Il croisa son père, attablé, le visage plongé dans le journal quotidien. Les yeux rivés sur sa lecture, Klaus salua son fils d’un geste de la main et lâcha un soupir d’empathie lorsqu’il le vit suivre sa femme avec une mine désespérée.

« Ned, tu as regardé la lune cette nuit ? Elle brillait de mille feux non ? »

Le directeur du centre de recherche d’Al-Médie se figea d’effroi et avala craintivement sa salive en voyant sa tendre Tsukino le foudroyer du regard. Encourager le jeune Ned à se coucher tard lorsque sa mère était dans les parages n’était assurément pas une brillante idée. Tsukino, déjà suffisamment agacée, tira la poignée de la porte d’entrée et sortit de la petite maison des Mayhem, suivie de près par son tendre fils qui se sentait terriblement fatigué alors même que la journée ne faisait que commencer. Avant que celui-ci ne franchisse le pas de la porte, Klaus échangea un bref regard avec son garçon et lui laissa discrètement un sourire en guise d’encouragement.

Le soleil pointait à peine le bout de son nez. L’atmosphère était encore emplie d’humidité, mais les quelques rayons lumineux qui apparaissaient n’allaient pas tarder à déverser une chaleur extrême sur Hinu Town. La ville d’Al-Médie était silencieuse ce matin-là, il faut dire qu’exceptés les Mayhem, se lever à des telles aurores n’était pas commun ici. Tsukino enfourcha Abraham, le vieux dromadaire de la famille, qui grommela après avoir été brusquement réveillé. Ned, quant à lui, grimpa sur Seth, le plus jeune. Ainsi, la mère et le fils s’élancèrent à travers les petites rues pavées d’Al-Médie jusqu’à s’éloigner de la ville pour rejoindre l’immense désert sablonneux.


Voilà plusieurs heures qu’ils arpentaient les dunes, s’engouffrant petit à petit au cœur du désert d’Hinu Town. Dans le ciel trônait l’immense astre lumineux dont Ned se protégeait en recouvrant son visage de son foulard beige. La chaleur était accablante et l’adolescent suffoquait sous ses épaisses couches de vêtements. Tsukino, en tête, guidant son fils à travers les étendues de sable, semblait en forme. Quelques épaisses gouttes de sueur parcouraient son front et ses pommettes, mais son regard ne laissait transparaître que rigueur et sérieux. Après avoir vagabondé durant un temps qui parut infini, le duo familial atteignit une gigantesque oasis.

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Cet endroit n’était autre que le lieu d’entraînement privilégié de Tsukino. Elle emmenait régulièrement Ned ici, dès que celui-ci n’était plus occupé aux fouilles archéologiques de l’IHAS. Jeune apprenti samouraï, tel était le quotidien du garçon, qui n’avait finalement que peu de temps pour souffler.

« Descends. Et hydrate-toi. » lança la Rônin en tendant sa gourde d’eau à son fils qui semblait dépérir à vue d’œil tant il était assoiffé.

Ned s’exécuta sans broncher, il sauta par-dessus son fidèle dromadaire, puis l’attacha à un grand palmier. Cette oasis lui était plus que familier, il retrouva ses mannequins d’entraînement en toile de jute plantés dans le sable. Défigurés, déchirés, usés, c’était encore un miracle qu’ils aient survécu au climat et aux innombrables coups que Ned leur avait portés. Excédé par la chaleur qui l’accablait sans relâche, l’adolescent retira ses tuniques et son foulard et plongea tout son buste dans l’imposante étendue d’eau, qui faisait la spécificité de cette oasis. Ici, le duo ne manquerait pas de s’hydrater. Tsukino, voyant son fils se jeter dans la mare comme un enfant, afficha un rictus enjoué. Elle s’approcha de lui et le tira par la taille.

« Allez mon Ned, nous ne sommes pas ici pour nous prélasser. C’est l’heure de l’entraînement.
- D’accord… répondit Ned, qui n’avait pas l’air très motivé. »

Tsukino s’assit en tailleur dans le sable chaud et son fils fit de même.

« Bien, récite-moi les sept vertus du samouraï.
- Droiture. Courage. Bienveillance. Politesse. Sincérité. Honneur. Loyauté.
- Penses-tu être digne d’embrasser la Voie du Sabre jusqu’à ton dernier souffle ?
- Ben… j’ai pas le choix non ?
- Hé ! s’écria Tsukino qui envoya une tape sur la tête de son garçon.
- Aïe, oui je serai digne ! »

Tsukino eut du mal à contenir ses rires.

« Tu seras ?
- Non je le suis !
- Bon. Ces principes ne sont pas importants, je suis contente de voir que tu doutes d’eux.
- Mais…
- Relève-toi… et va me chercher ces fichus katanas, qu’est-ce que tu attends ?! »

Ned se précipita vers Seth, qui se prélassait à l’ombre. Il empoigna son sac et ses katanas accrochés à la selle, fit volte-face et se dirigea au pas de course vers sa mère. Elle lui donna plusieurs instructions dont il s’assura de ne pas perdre une miette et se mit au travail sans tarder. Sous une chaleur accablante, le jeune adolescent faisait le tour de l’oasis, en courant, avec un gros sac rempli de pierres sur le dos. Et ce n’était que l’échauffement. Suant à grosses gouttes, haletant comme un chien assoiffé, ce footing qui ressemblait plus à un supplice, dura presque une heure. Durant tout ce temps, Tsukino s’était adonnée seule à la pratique du sabre et n’avait certainement pas profité du calvaire de son fils pour se reposer, en bon mentor, elle tâchait de montrer l’exemple. Exténué par cette course, Ned n’eut pas le temps de se reposer qu’il dut enchainer par d’autres exercices physiques. Pompes, nage, tractions, il s’entraîna sans relâche durant un temps qui parut interminable. Et après avoir fourni autant d’efforts, il retourna auprès de sa mère, abattu, mais satisfait d’avoir réussi.

« Tu as terminé ? Bon, on peut commencer à s’entraîner alors.
- Hein ?! »

Malheureusement pour lui, la voie du Samouraï ne faisait pas de cadeau. Après avoir bu quelques gorgées d’eau, durant la seule pause qui lui fut accordé, il put enfin passer à la pratique du sabre. Katanas en bois en main, il s’exerça sur un mannequin d’entraînement. Les coups pleuvaient sans cesse, des coups vifs et anormalement puissants pour quelqu’un de son âge, mais ils étaient grossiers, manquaient de finesse et d’habileté. En tout cas, c’est ce qu’en jugea l’œil expert de Tsukino, qui, les bras croisés, observait attentivement ses gestes. Ce travail s’écoula durant plusieurs heures. Ned frappait, encore et encore, tandis que sa mère s’assurait de rectifier ses mouvements en le conseillant.

Le soleil commençait à se coucher, ses rayons ne frappaient plus aussi vivement et l’horizon se teintait peu à peu d’un orange annonçant la nuit. Le corps endolori et la mine fatiguée, Ned passait enfin à la dernière épreuve de la journée.

« Tiens, prends mon arme. »

Tsukino remit son katana à son garçon. Cela lui faisait toujours un effet particulier de recevoir un si noble sabre entre les mains, il ne s’en croyait pas digne.

« Allez, il faut que tu réessayes. »

Il savait parfaitement en quoi consistait cet exercice. Fendre un arbre, ni plus ni moins. Ou plutôt, ici, un palmier. Il avait à son actif d’innombrables tentatives, mais toutes avaient lamentablement échoué. Ned s’approcha de sa proie, hésitant. Comment pouvait-il fendre en deux un palmier si grand et si épais ? Cela lui paraissait tout simplement surhumain. Il n’avait pas la force de le faire, surtout après ce qu’il venait d’accomplir. Le voyant douter, Tsukino s’approcha et dégaina sa deuxième lame.

Puis, un geste. Un geste qui parut à la fois vif et gracieux, maîtrisé et instinctif. Dans un craquement, un palmier chuta, le tronc parfaitement fendu en deux. La découpe était si nette qu’on aurait pu penser qu’une machine en était à l’origine. Puis, elle replaça son sabre. Elle semblait n’avoir fourni aucun effort, tout paraissait si naturel. Ned, malgré cet exemple probant, n’avait pas repris confiance. Il tenta vainement d’imiter sa mère. La lame fondit sur le palmier et incisa légèrement le tronc. Et puis de nouveau. Encore. Et encore.

Rien. Quelques entailles, tout au plus. Désespéré, Ned avait baissé le regard. Tsukino s’approcha et posa une main rassurante sur son épaule.


Assis en tailleur sur le sable froid à l’entrée dans la tente, Ned contemplait la lune. L’astre, si grandiose, semblait danser dans la nuit. Les mains sur ses joues pour tenir sa tête, il laissait son esprit vagabonder dans une imagination infinie. Près de lui, au fond de la tente, Tsukino sirotait un thé brûlant.

« Maman, pourquoi as-tu accepté de m’entraîner ? questionna Ned, les yeux rivés sur la lune.
- Parce que je voulais te faire plaisir, répondit-elle, le sourire aux lèvres.
- Non, je sais que ce n’est pas la vraie raison. Maman…pourquoi ? »

Un silence s’immisça dans la tente et Tsukino but une gorgée de thé.

« Parce que je veux que tu sois libre.
- Libre ?
- Tu es bien trop curieux pour le désert. Nous savons tous les deux que tu ne t’en contenteras pas toute ta vie. Mais, tu ignores encore ce monde et ses travers. Certains tenteront de t’arracher ta plus grande force.
- Ma plus grande force ? De quoi parles-tu ?
- Ta curiosité. Ce monde la déteste et il fera tout pour entraver ta liberté. Si je te forme, ce n’est pas pour faire de toi un grand samouraï, ni pour faire de toi un combattant. Si je te forme, c’est pour que toute ta vie, tu aies les moyens de défendre ta liberté.
- Mais alors, je ne suis pas libre ?
- Non, tu ne l’es pas, je pense que tu le sais. Tes chaînes ne sont pas physiques, mais certaines choses t’entravent encore l’esprit. Libère-toi de tes influences, questionne tout. Ne prends jamais rien pour acquis sans l’avoir traité au préalable. Libère-toi de ce diplôme d’archéologie et de la pression sociale qui en découle, libère-toi du code du samouraï et de celle qui te demande de répéter machinalement les sept vertus.
- Me libérer de toi ? Je ne comprends pas, c’est toi qui m’as tout appris !
- Je n’ai qu’une chose à te dire Ned : trace ta propre voie. Pour devenir libre, il faut d’abord que tu comprennes que tu ne l’es pas et pourquoi tu ne l’es pas. A toi d’agir en connaissant ton enchaînement. Car le connaître est l’étape-clé pour parvenir à s’en débarrasser. »

Perplexe, il retourna à ses songes, ne se doutant pas que ces mots résonneraient tout au long de sa vie.


« Ecoute-moi. Dans ce monde, il y a des sabreurs qui ne peuvent rien couper, d’autres qui peuvent fendre ce que bon leur semble. Il ne s’agit que d’une respiration.
- Une respiration ? Raaah, je ne comprends pas ! »

Une puissance pour ne rien couper et tout couper à la fois ? Ned ne comprenait rien à ce charabia. Comment pouvait-on couper et ne pas couper ? Cela n’avait aucun sens.

« Arrête de penser ! »

Alors, il se concentra et tâcha d’évacuer ces questions pour pouvoir mieux y répondre.
Une respiration. Le sable soufflé par le vent, les glissements de l’eau, les battements de son cœur, ceux de sa mère, le temps qui s’écoule, l’écorce d’un palmier, son bois, sa respiration…
Un tintement métallique et la lame se tira hors du fourreau. Un geste, vif et gracieux, maîtrisé et instinctif. Le palmier se fendit et chuta.

Une première chaîne brisée.
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