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Au cœur du crime

« Salut, mec. »

Le type hurle, comme une fillette, fait marche arrière et se pète la gueule en trébuchant sur une pile de journaux. Je peux pas lui en vouloir, moi aussi j’aurais peur si, en me levant pour pisser en pleine nuit, je voyais un type grimper par mon balcon.

« T’en fais pas, hein, je viens en paix. »

Il gigote et essaie de chopper quelque chose sous sa table, maladroitement. J’ai bien fait de venir : tout m’indique qu’il survivrait pas en cas de problème. Heureusement que je suis là, maintenant. Un redresseur de tord. Un protecteur des opprimés. Qu’est-ce qu’ils feraient sans moi?

Ah. Il sort un flingue. Droit vers ma tronche.

« Tu m’as pas écouté?
- Qu’est-ce que vous me voulez? C’est Sanders qui vous envoie, c’est ça?
- Ben non. Enfin, indirectement, un peu. Tu veux bien discuter?
- Non ! »

Pour ponctuer ce mot qui me brise le cœur, il vérifie d’un geste le barillet de son revolver. Grâce à mon entraînement d’agent de terrain, et à mes propres capacités d’analyse, je déduis de son regard paniqué qu’il a oublié de foutre des balles.

« Si je voulais te tuer, ce serait déjà fait. Tu sais, d’où je viens, on nous apprends à devenir des tueurs nés. »

Il recule encore plus, vers un vieux meuble poussiéreux dont il sort d’un tiroir quelques balles. Je crois que c’était pas une bonne idée de lui parler de mon cursus académique.

« Écoute, je sais qui t’es. Et surtout, je sais ce que tu fais. Plus important encore, je sais pourquoi tu le fais. Mais surtout, et c’est le plus important, je sais ce qu’il risque de t’arriver. Alors é-
- Forcément, que vous le savez. Vous allez me buter. Et faire passer ça pour un accident ! Je connais vos combines.
- Mais non, justement… J’ai dis « ce qu’il risque de t’arriver », alors r-.
- … Vous êtes pas sûr de me buter?
- A la base je viens pas pour ça, mais si tu continue de me couper je vais peut-être changer d’avis.
- Ah… »

Ses mains se décrispent, il baisse un peu son arme. J’en profite pour me mettre à sa hauteur d’un bond rapide. Il sursaute mais se laisse faire quand je prends son revolver et que je le pose sur le côté. Il a l’air résigné, mais plutôt soulagé d’être en vie.

« Bon. Désolé de rentrer comme ça, hein, mais tu m’aurais pas laisser rentrer si j’avais toqué, et c’était plus simple que de crocheter quinze serrures. D’ailleurs, ça, c’est bien, que je fais en pointant du doigt sa porte d’entrée blindée. Garder sa fenêtre ouverte la nuit, ça c’est moins bien.
- C’est pour l’odeur de renfermé, qu’il bredouille.
- Vaut mieux sentir le renfermé que le cadavre, non?
- Ben… Ouais, sûrement.
- Bon. On va commencer par là, alors. »

C’est moi qui prend l’initiative, lui reste immobile. Il a l’air un peu bête, mais je sais qu’il l’est pas tant que ça. Je ferme la fenêtre, la seul de son taudis, d’ailleurs. Je fais de mon mieux pour caler un machin qui empêche de l’ouvrir trop facilement de l’extérieur. C’est pas dingue, mais bon. Il me regarde faire pendant que je vérifie que tout les verrous sont bien fermés. Puis je fais un signe de tête vers son revolver, toujours posé sur sa table couverte de paperasse et de notes.

« T’attends quoi pour y foutre tes balles? »

Un éclair de lucidité lui traverse enfin l’esprit, puis il se dépêche de s’exécuter, en tremblotant.

« Je te fais le topo vite fait, moi = gentil. Considère que tout les autres = méchants, ok?
- Les autres?
- Les petits copains de Sanders. Ils savent que t’es là.
- Roh merde…
- Mais tout va bien, parce que moi aussi je sais que t’es là.
- Vous êtes qui, déjà?
- Ah ! Oui. Je m’appelle Friedrich. »

Il a pas l’air convaincu. En même temps, à bien y réfléchir, je suis pas sûr d’avoir une tête à m’appeler comme ça.

« Je m’appelle Louis, et je suis là pour t’aider.
- Vraiment?
- Ben, en théorie, je suis là pour protéger ton travail, toi, c’est moins important. Mais comme je suis vachement sympa, je vais quand même t’aider.
- C’est vrai que c’est sympa.
- Eh oui. T’as quoi, sur Sanders? Que je demande en jetant un œil vers la ruelle en contrebas, par la fenêtre.
- Euh… Lieutenant Colonel Sanders, en charge de la sous-division de marine qui supervise la région. Longue liste de faits-d’armes, plusieurs années sur Grand Line… Capture de plusieurs dizaines de révolutionnaires… Démantèlement de réseau de contre-bande… Blabla, blablabla… Bla? »

Je fini par plus trop l’écouter, parce que tout ça, c’est déjà dans le briefing qu’on m’a fait en m’envoyant ici.

« Ce que je veux savoir, c’est pourquoi c’est un salopard.
- Ah… Extorsions, abus de pouvoir, arrestations injustifiées…
- Jusqu’ici, un gradé classique.
- … Menaces, outrepassement de l’autorité, et plus récemment, accointance avec la mafia locale. »

Ah, déjà plus intéressant. Je rejette un œil en contrebas.

« Et tentative de meurtre, » que je commente.

Il se rue vers sa table, et jette un œil sur ses journaux et notes. Il jette des papiers sur le côté, puis se gratte la tête.

« J’ai rien de tout ça, moi. Vous êtes sûr?
- Plutôt, oui.
- C’est récent? Contre qui? Comment j’ai pu passer à côté de ça…
- Tout récent, c’est même là maintenant. Contre toi. T’en fais pas, tu vas pas passer à côté. »

Dans la ruelle, je vois plusieurs silhouettes se faufiler. Je reconnais leur uniforme de mouette : j’ai le même sous mon imper, j’ai pas eu le temps de me changer. Ils se mettent en formation, puis pénètrent d’un coup, en silence, dans l’immeuble où moi et mon pote on se trouve. La plupart des habitants sont des travailleurs pauvres, parfait pour notre ami, qui n’a peut-être pas l’air trop débrouillard, mais qui reste plutôt futé.

Ça me fait penser que je t’ai pas encore vraiment parlé, tiens. Désolé. A vrai dire, j’ai pas trop eu le temps. Tu vois, d’habitude, on se fait plutôt chier en mission, surtout au début. Sauf que là, à peine débarqué, j’ai même pas eu le temps de me fondre dans mon régiment que j’entends tout plein de rumeurs. Des rumeurs vachement plus intéressantes que ce qu’on m’a filé avec mon ordre de mission, au Cipher Pol. Moi, je devais juste vérifier qu’il respectait bien la chaîne de commandement et que son boulot était bien fait. Au final, je me retrouve à sauver les miches d’un journaliste qui peut prouver son lien avec les pires malfrats du coin. Tout ça parce que j’ai joué au dés avec mes nouveaux collègues.

Paraît que le Lieutenant est pas jouasse.
T’as entendu? Le lieutenant a pété un câble tout à l’heure.
Tu trouves pas que le Lieutenant a mauvaise mine? On dirait qu’il dort plus.

Moi, d’entendre tout ça, ça me donne juste envie de lui coller aux miches encore plus. Et crois moi, au Cipher Pol, on sait y faire avec les miches. Alors c’est ce que j’ai fait. Il m’a pas fallu longtemps avant de comprendre pourquoi il était pas content, ce salopard.

« Garde ton arme avec toi. Tu l’as chargé?
- O...Ouais, c’est bon.
- Tes notes, tes preuves… T’as des doubles? Cachés quelque part, au cas où il t’arrive quelque chose?
- Euh… Non, tout est là. »

Merde. Je lui fais signe de rassembler tout son dossier. J’en profite pour regarder son boulot d’un peu plus prêt. La vache. Le gars a tout ce qu’il faut. Il a fait des liens entre articles de journaux, témoignage, il a même réussi à chopper des archives, et à faire le lien entre un fait divers de cruauté animale et Sanders. Putain, y’a même des photogrammes incriminant. Je vais passer pour quoi, moi, si il fait tout le boulot à ma place? Je l’aide à tout récupérer, parce qu’il galère. Je lui fout son gros dossier sur les bras, et j’ouvre la fenêtre. Y’a deux mouettes qui font le guet à l’entrée de l’immeuble. Pendant une seconde, je me dis que je pourrai prendre le dossier, laisser le journaleux là et me barrer. Je tourne la tête pour le jauger une seconde. Je crois qu’il a lu dans mes pensées, il sert son dossier contre lui, comme si c’était son gamin, et me regarde d’un air inquiet. Nan, aujourd’hui, je suis sympa, j’ai dis.

« Grouille. Faut qu’on descende.
- Et les deux là?
- Tu préfères attendre que toute l’équipe toque à ta porte? Je penses pas qu’ils sachent dans quel appartement t’es, alors on a quelques minutes, au mieux, le temps qu’ils frappent à toutes les portes en prétextant qu’un type louche se cache ici. Et t’es qu’au deuxième étage, mon pote. »

Je le pousse par la fenêtre, et je l’aide à reprendre son équilibre une fois sur son balcon. A côté, y’a une sortie de secours, en escaliers de métal. C’est par là que je suis monté. J’ai du jeter un œil à plein d’appartement avant de trouver le bon. Un appart miteux, mal éclairé, avec des affiches et des coupures de journaux collés sur tout les murs, j’avais peu de chance de me gourer. Je saute le premier, lui hésite. Tant mieux, je dois me faire voir avant lui. Je commence à descendre, à la hâte, et je fais de mon mieux pour me donner un air paniqué. Avant que j’oublie, je me débarrasse de mon manteau.

« Hey ! Oh ! »

Les deux soldats en contrebas lèvent les yeux vers moi. L’un d’eux approche sa lanterne des escaliers, pour mieux y voir. Son collègue dégaine, mais baisse son arme en voyant mon uniforme.

« Il s’est barré par l’arrière, il a sauté le con. Faut qu’on se grouille ! »

Ils se regardent, penauds, puis se mettent à courir quand je prononce le nom d’un des deux. Je l’ai croisé, dans les couloirs de la base, et je l’ai reconnu parce que même l’obscurité parvient pas à cacher sa moustache ridicule. Je fais mine de les suivre, puis fait signe à l’autre gus de me rejoindre. Il manque de se péter la gueule en voulant aller trop vite. Pas grave, je préfère ça à la lenteur. Je le relève, puis on se rue de l’autre côté. Je risque un coup d’œil vers la fenêtre de l’appartement qu’on vient de quitter. De la lumière, ces connards y sont déjà. Avant qu’un d’eux passent la tête et nous voit, je tire mon nouveau copain dans une ruelle, à l’abri. Il a déjà plus de souffle.

« Ils sont de mèche avec lui?
- Certainement. »

Dommage de pas avoir pu en isoler un pour le chopper, mais bon, ça vaut peut-être pas le coup de risquer une vie pour ça.

Aller, cassos.
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