C'était une bien belle Dégringolade mais maintenant faut remonter !
Doppio...Pourquoi Doppio ? Ben oui, c'est mon nom, une tâche cradingue et fugace, mais non, d'un autre côté, si tu prends du recul, que tu regardes mon portrait de loin, bah tu vois Craig... J'ai un énorme clou dans mon crâne autour duquel ma cervelle fait du pole dance. Rien n'a de sens, mais, bah, ça me convient, ok ! Le sens c'est lourd, on s'envole plus facilement quand on s'en embarrasse pas.
... tu te souviens de ce qu'on vient de vivre ?
Donne moi trente secondes, hein ? Je creuse, et je dégringole. Pas la peine, c'est trop sombre. J'ai que des émotions, une purée d'émotions, de la joie intense mixée avec une terreur innommable, mon âme s'est brisée de nombreuses fois et a été réparée à la va-vite au moyen de glue magique. Si je la secoue trop j'ai peur de la péter à nouveau.
Hihihii. Elizabeth ?
Oui ?
Elle a rien l'air conne... Je dois la haïr ou l'adorer ? Je suis partagé. Pour l'instant restons simplement sur cette observation : elle a rien l'air conne et vu son fumet elle a du plonger dans un bain de boyaux très récemment, comme à son habitude.
... Tu vas bien ?
Oui. Mais toi ?
Radieux. Je... J'ai fais un rêve. Un rêve totalement barré, et je me souviens de détails, ici et là, j'arrive pas à rassembler les morceaux. Tous, vous tous, étiez dans le rêve, ça c'est sûr.
C'était pas un rêve, Craig. Je parle bien à Craig, là, non ?
Oui... Ben oui. On est p-
Une balle déchire ma viande, quelques millisecondes d'une douleur hurlante, mon crâne je l'entends croustiller puis : rien
La piscine de Néant dans laquelle nage les âmes après leur mort
Noir, puis rêve. Et du rêve j'arrive à m'enfuir.
Q-QUI m'a tiré dans la tête ?!
Du sang me ruisselle le long du museau, un sang glacial et boueux, un sang qui me chante une comptine perverse à propos des Abysses qui ne sont qu'une frontière entre mon petit monde étroit et les éternelles plaines du Vide mais -
Personne ! Calme toi !
Je n'avais jamais vu M'sieur Doppio aussi agité. Figurez vous que même lors des communions du week-end où nous devions mélanger nos hémoglobines respectives avant de les boire en shakers, il restait toujours très mesuré.
- Ton dernier souvenir, Craig ? Le dernier souvenir dont tu te souviens vraiment ?
Un marine. Un pétard. Plus rien...
Mon crâne est un ballon de baudruche. C'est pas possible, je manque de cerveau. J'en avais plus avant. Le marine m'en a arraché lorsqu'il m'a gueulé dessus avec sa bouche à feu. Il a troué mon esprit et quelque chose en a profité pour s'engouffrer dedans, ouais, par une sorte d'appel d'air mystique, Doppio a été aspiré dedans. Doppio...
Une nonne, une pote d'Elizabeth ? Elle danse devant moi. Je pige... que dalle. Dans le doute, je me déhanche autant que je peux, moi aussi, mais je crois qu'au passage je chie une de mes côtes. Déçue de ma chorégraphie, la nonne hausse les épaules, adresse un regard désolé à Elizabeth. Désolé.
Si seulement j'avais quelques ingrédients, du phoque, du citron, un soupçon de gin, une ou deux molaires, je lui aurais concocté son cocktail préféré. Un bon repas reconstruit l'esprit et invoque des souvenirs.
Des... molaires ?
Je les réduits en poudre, voyez-vous, elles magnifient l'amertume du citron et-
J'avais pas demandé de détails.
Ils se causent entre eux. J'écoute plus. S'ils parlent pas de moi ça me concerne pas. J'en ai rien à foutre. Je préfère mater un moustique. Il me virevolte autour de la face en bourdonnant bruyamment, il cherche à attirer mon attention, comme s'il cherchait à dessiner un mot, ou une bite, avec sa trajectoire. Il dessine rien, finalement, il se pose sur mon bras, juste en-dessous de ma manche rose déchiquetée. Il se lèche les babines, et puis il se rend compte de son erreur, trop tard. Il est mort. La peste muette qui s'attarde en moi lui a simplement arraché l'âme. D'une pichenette, je dégage son cadavre. Les cadavres, c'est sale, j'en veux pas sur moi.
-On a un... amnésique... sur les bras, et moi, je n'ai toujours pas retrouvé le reste de mon équipage, ni mon navire. On a tous, vraiment, vraiment besoin de souffler. Il faut qu'on réfléchisse à la suite.
Je propose de nous rapprocher de la ville... en leur signifiant bien que nous venons en paix.
Ville ? Le truc là-bas ? Autour d'un moulin... qui brasse... de l'air, de l'eau ? On sait pas, ça pourrait aussi bien être des âmes, qu'il brasse, ce bidule, de l'ectoplasme, ses hélices hypnotiques, m'arrachent les yeux, les font tournoyer... Me manque une partie du cerveau, je crois que... je crois que c'était celle qui contenait TOUT ce qui comptait pour moi. Et depuis, je tournoie autour du moulin.
Une aube timide pointe, merveilleuse, et je me sens pas légitime à la regarder. Elle est merveilleuse, car ces immenses murs d'eau déchiquète l'aube, des confettis de reflets brûlants descendent lentement autour de nous. Je suis pas légitime, de tous les univers imaginables, celui-ci est l'erreur.
Tu peux marcher ? Tu veux t'accrocher à mon épaule ?
Non ! Non de la tête. Mais je retiens. Qu'il est bien urbain. Alors lui, et Elizabeth, tout deux cipher pol, c'est clair. Je me suis fais cipher poler par le gouvernement et ils m'ont passionnément asticoté jusqu'à ce que ma raison me coule par les oreilles. Non, c'est pas ça. Trop simple. La nonne et le binoclard ont pas des bouilles du gouvernement. Et Doppio ? T'es où, Doppio ?
Gueules d'enterrement, tous, ils ont vu un fantôme ? J'en suis un, un décalque, je le sens, la version décaféiné du Craig d'avant, d'avant qu'il ne meurt. Ils se mettent en marche, sans un mot. Le mec cool s'assure que je me relève bien, et que j'arrive à caler un pas devant l'autre, et à ce sport là, je me débrouille pas mal, même si j'ai de la compote dans les jambes et que je titube comme un faon que sa maman viendrait de chier. Comment il s'appelait, ce gars ? Il était capital, pour Doppio. Il construisait de loooongues phrases en empilant des mots, des mots qui suintaient la folie, je me souviens que ça se passait dans son carnet.
Ce mec cool, je le sens en train de crever, je sais pas, il pue la mort, il va caner : il a été exposé à des forces qui méprisent les bestioles pourvues d'âme et elles lui ont bien fait comprendre. Il va mourir ouais ! Mais on s'en remet très bien, j'en suis la preuve !
J'accroche la chemise de Machin avant qu'il s'éloigne trop vite... Chaque geste que je tente me rappelle que j'ai les muscles d'un cadavre.
Toi... T'as écris quelque chose... sous l'impulsion de... l'Autre... de Doppio ? Montre moi.
Dernière édition par Doppio le Sam 21 Aoû 2021 - 19:38, édité 1 fois