Port de Ykhion :
Une heure plus tard, ils étaient sur le navire qui faisait la navette entre les deux îles. Emmitouflée dans ses vêtements la jeune fille retrouvait les sensations familières qui lui avait tant manqué pendant son voyage. Elle ne savait pas exactement ce qu’avait son père en tête, cependant elle lui faisait confiance. Il avait toujours été bon avec elle, il l’avait toujours poussé à s'améliorer et à suivre ses rêves, c'est pour ça qu'elle était partie de Sanderr.
Se retrouvant sur le port, ils passèrent à côté du galion antique sur lequel était venu la chasseuse de primes, le conseiller du pays regarda un instant l'épave flottante et secoua la tête.
Nous devrions nous débarrasser de ça, il ne va pas t'emmener très loin ma chérie.
Tu penses ? Tu crois que si on le réparait, il serait capable de me faire voyager ?
Peut-être, mais je ne suis pas charpentier, il y en a peu sur l’île, je verrai peut-être dans la journée pour me renseigner.
Pressant le pas, il se dirigea vers le palais royal en avalant les pavés qui crissaient alors que la neige les recouvrait. Des dizaines de personnes le saluaient, il était bien connu dans toute la ville pour son rôle auprès de la famille royale, toujours à l'écoute, la main sur le cœur, il avait aidé presque chacune des personnes au moins une fois. Ils prirent des nouvelles de sa fille qui se trouvait à ses côtés, lui demandant s’il allait bien et en continuant à s'activer pour ouvrir leur boutique où déneiger le pas de leur porte.
Aux portes du palais de givrelames gardaient l'entrée, ils saluèrent respectueusement le conseiller avant de pousser l'un des battants pour le laisser passer lui et sa fille. Ne prenant pas cette entrée pour venir travailler dans les cuisines, la jeune femme s'émerveilla de la décoration des chandeliers en or, des portraits finement peints, des escaliers en marbre ainsi que du mobilier en bois précieux dégageaient une atmosphère d'opulence dont elle n'avait pas l'habitude.
Au détour d'un couloir, le décor raffiné disparue, ils venaient de s'aventurer dans les passages réservés aux petites mains travaillant dans l'ombre pour servir les grandes ce monde. Un milieu dont était beaucoup plus familière notre fille aux cheveux bleus. Néanmoins, ils grimpèrent des étages et se retrouvèrent profondément dans le dédale de couloirs du château troglodyte, ici les ornements avec été remplacé par des armes, des armures, la caserne été dans les environs et Danjai se stoppa devant la porte du capitaine de la garde.
Je vais te laisser là, j'ai du travail à faire, je vais juste le prévenir que tu es arrivée, et tu pourras discuter avec lui.
Mais je n'ai aucun lien avec Sinar !
Peut-être, mais moi, j'en ai, alors tu vas m'écouter, et tu as beau avoir vingt-quatre ans maintenant je peux toujours t'en mettre une !
Tu ne m’as jamais frappé.
Oui, bah, ça va peut-être changer !
Pouffant intérieurement de rire, elle vit son père rentrer dans le bureau avec le paquet qu'il portait sous le bras depuis leur départ de la maison. Il avait retardé leur départ pour récupérer quelque chose, dont il n'avait pas voulu discuter jusqu'ici. Trente secondes plus tard, il ressortait du bureau et fit un signe à sa fille avant de s'éloigner, stressé de rencontrer le chef des givrelames, que l'on disait imperturbable, elle déglutit avec force avant de pousser la porte.
L'homme n'était pas en armure complète, comme elle se l'était toujours imaginer et comme on lui avait décrit, dans des vêtements confortables une cape épaisse sur les épaules, il écrivait un document avec une plume de dodo. Ne sachant pas quoi faire Robina attendit sur le pas de la porte, l'homme leva les yeux de son document lui fit signe de s'asseoir sur une des chaises devant son bureau. Le paquet qu’avait porté son père se trouvait maintenant au côté de Sinar.
Dans un silence pesant, mise à part le grattement de la plume sur le papier, la cuisinière regarda ce qui se passait autour, malheureusement l'austérité de la pièce n'aidait pas à se changer les idées. L’homme vivait pour son travail et mise à part des décorations remise à part le roi de Sanderr et des diplômes affichés au mur, rien ne permettait de se vider l'esprit.
Quand l'homme posa sa plume, il fixa la jeune femme elle eut l'impression d'être transpercée de part en part comme s’il pouvait voir à l'intérieur et deviner ce qu'elle pensait. Il posa son nécessaire d'écriture sur le côté avant de croiser les mains sur son torse, il s’intéressait pour la première fois à la jeune fille sa voix puissante mais rocailleuse s'éleva dans les airs comme s’il avait du mal à parler ou que le fait d'articuler des mots le mettait en souffrance.
Je sais ce qui te tracasse, ton père m'a expliqué la situation. Tu sais, je suis passé par là aussi quasiment tous les givrelames en sont passés par là, même ton ami d'enfance Leevan.
Il sortit une gourde d'un de ses tiroirs pour en boire une gorgée et continuer.
Ce n'est jamais facile de tuer quelqu'un, si ça le devient, c'est qu'il y a un problème.
Le visage de la jeune femme de Robina se décomposa en entendant le discours du capitaine, elle n'avait pas envie de cela, elle ne voulait pas revivre les derniers événements de l’Îlot.
Tu n'as sûrement pas envie d'entendre un vieux briscard te faire la morale sur ce que tu viens de faire, cependant ton père se fait du souci, il voit que d'avoir tué cet homme te mine. Explique-moi, dis-moi comment ça s'est passé, je veux tout savoir.
Elle ouvrit la bouche et pour la première fois depuis longtemps, un flot ininterrompu de paroles se déversa, elle lui expliqua tout : son naufrage sur l'îlot flottant, ses aventures, la mort des hommes d'équipage, le fait qu'elle ait été droguée, sa fuite, la rencontre avec les hommes poissons, son premier combat contre le chef des cannibales, le plan pour s'enfuir, la défense du temple, la mort de Vorzoth.
Je vois. Il défit la couverture qui cachait le paquet, se trouvait à l'intérieur Libertalia, la légende pirate. Sache que tu as bien fait, tu ne l'as pas tué par envie, par soif de sang ou que sais-je encore… Non, tu l'as fait pour te défendre, pour sauver les hommes qui se trouvaient avec toi à ce moment-là, si tu ne l'avais pas fait, tu serais morte, les hommes avec toi serait mort. Ton père serait triste, ta mère aussi et je suis sûr que d'autres personnes te pleuraient. Tu t'es bien comportée, ce n'est pas forcément la plus facile des décisions, je le sais et là avec tous les événements qui se sont enchaînées, je comprends que tu sois choquée, mais il ne faut pas que ça t’arrête.
Ce sabre ne t'a pas influencé, il n'a pas fait esquiver ton adversaire, il a fait son travail. Celui de trancher, il a coupé la gorge de ton adversaire, tu l'as maudit pour ça et pourtant, tu lui dois la vie. Sans lui, en ce moment, tu serais dans l'estomac des autres cannibales. Tu comprends ce que je veux dire ?
Mais il est mort ! J'aurais pu le neutraliser ! Le mettre hors d'état de nuire.
Oui peut-être, mais ce n'est pas le cas. Maintenant, il faut que tu arrives à avancer, car sinon tu resteras toujours coincée sur cette île infernale.
Comment vous faites pour vivre avec le fait d'avoir tué quelqu'un ?
On apprend, on ne se fait jamais à l'idée de tuer quelqu'un, mais plutôt on arrive à mettre les événements en arrière-plan. Il faut savoir relativiser, tuer quelqu'un pour survivre ce n'est pas un meurtre, ça ne fait pas de nouveau une bête sanguinaire, un pirate, une meurtrière, un assassin. Cela fait vous quelqu'un qui a voulu survivre, vous n'êtes pas un monstre mademoiselle Erwolf, vous êtes une fille tout ce qu'il y a de plus normale.
Éclatant en sanglots, Robina ne sut quoi répondre, elle était perdue, pourtant les paroles de l'homme face à elle la réconfortaient. Elle n'était pas le monstre qu'elle s'était imaginé être devenu, son père lui avait répété des dizaines de fois, néanmoins, les paroles d’un étranger qu’elle ne connaissait pas il y a encore deux heures lui remontait le moral.
Et donc je m'y habituerais ?
Non, on ne s'habitue jamais vraiment à tuer quelqu'un, pas à mon sens en tout cas, vous comprendrez cependant qu'il faut parfois tuer son adversaire pour avoir la vie sauve, c'était votre cas ici.
Je vous enjoins à récupérer votre épée, elle ne vous fera pas de mal, elle ne fera pas de vous quelqu'un de mauvais, je pense même plutôt qu’elle sera une amie pour vous défendre. Peut-être, je dis bien peut-être, devrez-vous en arriver de nouveau à une telle nécessité, de prendre la vie de quelqu'un d'autre. Nous vous connaissons tous et nous savons à quel point vous êtes une fille douce et gentille avec les autres. Je comprends que cela vous ai bouleversée, toutefois le monde à l'extérieur de Sanderr n'est pas paisible.
Est-ce que vous comprenez ce que je veux vous dire mademoiselle ?
Oui, en un sens oui. Mais je n'ai pas envie de tuer quelqu'un.
Vous savez, moi-même, je n'ai envie de tuer personne, pourtant quand je dois le faire, je le fais, car sinon mes ennemis et les ennemis du pays tueront ceux que je n'ai pas défendu. Et je préfère tuer une personne pour en défendre dix que de voir dix personnes mourir parce que je n'ai pas réussi à en tuer une. Vous comprenez ce que je veux dire ?
Oui bizarrement et j'ai eu du mal au début, je le comprends maintenant. Il ne faut pas que je m'en veuille, c'est ça ?
Non, ne vous en voulez pas sinon la personne qui vous a poussé à ce duel aura gagné. Néanmoins, c'est vous qui êtes ici, vous devez continuer de vivre et non pas de dépérir comme vous le faites maintenant.
Robina hocha de la tête comprenant que la discussion était finie.
Je vous remercie de votre temps. Je vais retourner voir mon père.
Vous avez raison et je vous le redis encore une fois ne vous en voulez pas. Vous êtes quelqu'un de bien Robina Erwolf.
Elle se leva de sa chaise et fit demi-tour, elle posait la main sur la poignée quand la voix de Sinar retentit derrière elle.
Prenez ceci avec vous mademoiselle ! Il tendit l'arme qu’avait apportée le père de la cuisinière. Je sais que vous n'en voulez pas, en tout cas pas forcément maintenant, mais sachez que c'est un symbole, le symbole que vous avez réussi à sauver cinquante hommes et femmes d'un despote. Soyez fière de porter cette épée !
Hésitante, la jeune chasseuse de primes attrapa le fourreau en cuir et le passa à sa ceinture.
Merci encore capitaine.
Il lui fit un signe de tête et lui indiqua la sortie sans rajouter un mot de plus. Quand elle mit un pied dehors les nuages qui obscurcissaient son esprit s'étaient levés. Elle se sentait toujours coupable d'avoir pris une vie, cependant elle comprenait maintenant pourquoi elle l'avait fait, cela ne faisait pas d'elle le monstre qu'elle s'était imaginé, elle avait juste fait ce qu'il fallait faire au moment où il le fallait.
Elle n'était pas une héroïne de cape et d'épée dans des romans qu'elle adorait dévorer le soir venu. Elle était humaine, comme lui avait dit le capitaine, elle devrait peut-être de nouveau se battre et tuer. Mais pour se défendre et sauver des gens auxquels elle tenait, elle voulait bien faire ce sacrifice. Elle raffermit la prise qu’elle avait sur le pommeau du sabre de Libertalia et se dirigea d'un pas ferme pour voir son père.