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Négocations cacaotées

Le château derrière nous, nous avancions tranquillement dans les allées les plus étroites de Cacao City. Maintenant que j'étais plus au courant de la situation, l'inanition des habitants me sautait au visage : je pensais qu'il n'y avait que les bâtiments qui étaient délibérés, mais en vérité c'était toute la population qui souffrait, qui mourait dans les rues. Parfois, en dépassant une ruelle, on pouvait être sûr de voir une masse noire allongée et immobile. Parfois, on croisait certains enfants, assis sur le perron de leurs maisons, au teint extrêmement jaune et aux joues creusées.

« - Quelles sont les conséquences d'un régime exclusivement composé de chocolat ? » m'interrogeais-je, consciente que ma question arriverait aux oreilles du soldat.

Celui-ci n'était pas insensible à tout cela, clairement. Il passa devant les gamins affamés, les mâchoires crispées, incapable de formuler la moindre question; Je me doutais que les patrouilleurs devaient être les plus à plaindre : c'était eux qui ramassaient les cadavres. Lui n'en était pas un, c'était un garde tout ce qu'il y avait de plus royal.

Il me répondit tout de même, après une minute de silence :

« - Vous ne voulez pas savoir. »

Non, mais je me doutais de la réponse. Parfois, nous croisions des silhouettes à demi-noyées dans des flaques jaunes ou marronâtres et malodorantes ; certains malades étaient encore parcourues de spasmes, d'autres froids depuis longtemps. Le cacao est une puissante neurotoxine ; ce n'est pas sans raison que l'on n'en donne pas aux animaux.

Nous bifurquâmes pendant presque quinze minutes avant d'arriver à bon port. Le temps m'avait semblé plus long, mais peut-être était-ce à cause de la misère environnante qui offrait un spectacle certain. L'endroit où séjournait notre homme ne payait pas de mine : c'était une auberge toute aussi miteuse que le reste de la ville, quand bien même on devait pouvoir y trouver des repas complets. Un luxe.

Lorsque le soldat et moi entrâmes dans la boutique, le gérant qui se trouvait derrière le comptoir, sur notre gauche, se figea. Il était vrai que les petites gens, particulièrement les hommes, avaient peur de la princesse...

« - Q-que puis-je faire pour vous ?

- Nous sommes à la recherche de l'étranger. »

Il déballa le mot comme s'il évoquait quelque chose d'aussi désagréable qu'une piqûre de moustique. Je me rappelais encore le traitement auquel j'avais eu le droit à mon arrivée. J'espérais juste que le marchand ne traînait pas dans des affaires trop louches pour être à ce point honnis. Peut-être s'était-il juste mis Erika ou ses hommes à dos. Rien ne disait non plus que tous les gardes cautionnaient les faits et gestes de leur souveraine.

L'hôte nous regarda gravement, tout en essayant de se rappeler de quelque chose. Comme si la clientèle était légion. Clairement, il n'avait pas toute sa tête ou bien rêvait d'être ailleurs.

« - Oui, ça me revient !

- Ah.

- Deuxième étage, appartement 3B. Il devrait encore y être, il a payé pour un mois. »

Un mois ? Visiblement l'énergumène avait de la suite dans les idées. Tant mieux, cela servait mes intérêts. Je me tournai aussitôt vers mon escorte et tentai de la congédier de la façon la plus diplomatique possible :

« - Je n'ai plus besoin de vous, vous pouvez retourner auprès de la princesse. »

L'homme me toisa. Il ne me faisait pas confiance, s'imaginant peut-être que je préparais un sale coup. Malgré tout, il n'avait pas le choix : les ordres sont les ordres. Sans un salut, il fit volte-face et prit la porte dans un tintement de clochettes. Le réceptionniste constata la scène sans rien dire. Tant mieux.

Avisant l'escalier qui montait juste après la loge, je décidai de rallier la chambre numérotée sans trop m'attarder sur l'état des murs ou du « bois ». Le chocolat moisissait tout autour en larges plaques blanches et vertes, à l'image de Cacao Island. 3B.

Toc, toc, toc.

Aucune réponse ; je réitérais de plus belle, plus fort, suffisamment fort pour que même le voisin l'entende. Des bruits de pas se firent entendre et des loquets se déverrouillèrent. Une bouille enfantine encadrée d'une chevelure blonde légèrement féminine apparut :

« - C'est pour ?

- Permettez-moi de me présenter : Eleanor Bonny. Vous avez sûrement déjà entendu parler de moi. »
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Le visage figé et mon regard bloqué dans le sien, j'ai un sourire crispé.

- Eleanor Bonny...

Je lève les yeux au ciel, fait mine de réfléchir, répète le prénom, hachure chaque syllabe.

- Oh! Cette Eleanor ?! ... Veuillez m'excuser un instant, je ne suis pas en état de vous recevoir dignement...
...
Un instant, je vous pris.


Grand sourire, je glisse doucement ma tête derrière la porte sans lâcher l'interlocutrice du regard.
Grand sourire, je referme la porte tout doucement.
Grande peur, je me retourne aussi vite que le loquet a été mis.
Grande peur, je cours jusqu'au lit de Leï, le secoue. Ivre il ne réagit que d'un geste de la main signifiant laisse moi tranquille.


- Maître ! Maître ! Faut se barrer vite fait !

Est-ce que mes mots passent à travers les cloisons aussi fine que du papier de clopes aux chocolats ? Certainement mais, je n'ai pas la présence d'esprit d'y penser.
Est-ce que mes pas pressés résonnent dans le couloir cacaoté ? Certainement mais, je n'ai pas la présence d'esprit d'y penser.

J'attrape ma sacoche, la met en bandoulière, ouvre la fenêtre. Dernier regard dans la pièce... Il saura se débrouiller.


- Oh putain... C'est haut.

Je m'assois sur le rebord, me retourne et me laisser pendre par les mains.

*Aller Will', Aller !*

Je lâche, réception pas terrible, je roule en arrière. Le dos contre le sol, j'ouvre les yeux.

- Ah... merde...
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Intéressante réaction, mais je m'y attendais. Tandis que les bruits de pas et les voix résonnaient à l'intérieur de la pièce, j'étais descendue, dévalant l'escalier sous le regard interdit de l'aubergiste, avant d'ouvrir grand la porte. En un tournemain, j'étais derrière l'immeuble à attendre que le colis arrive à destination.

Sbaff !

L'homme avait sauté depuis le deuxième étage. Son visage affichait une expression de douleur intense ; tel qu'il s'était reçu, sur le dos, on pouvait deviner que ses vertèbres n'avaient pas aimé. Pas aimé du tout. Après avoir fortement plissé les yeux, il les ouvrit pour me voir tenue debout au-dessus de loin, le regardant avec un air épaté.

« - Bravo, une bien belle démonstration. Mais j'ai bien peur qu'il va falloir faire bien mieux que cela. »

Ce faisant, je sortis l'un de mes poignards, m'amusant à surenchérir sur l'effroi déjà bien installé de l'olibrius. Il écarquilla grand les yeux, avant que je ne jette la lame à quelques centimètres de sa tête, la laissant se ficher dans le sol avec un petit « ploff ».

« - Si je vous avais voulu du mal, je n'aurais pas pris la peine de me présenter. Alors respirons un bon coup, retrouvons nos esprits. Je suis là pour faire affaires. »

L'homme s'exécuta, comme son souffle était effectivement resté coupé depuis ma petite blague. Serrant les dents, lâchant un grognement dans la foulée, il parvint à se redresser. Je ne pris pas la peine de tendre une main secourable : elle n'aurait sûrement pas été saisie. La moitié d'une minute passa avant que nous soyons tous les deux debout, lui se tenant les lombaires. Ce n'était pas un géant, il ne me toisait que d'une dizaine de centimètres grand maximum, mais cela ne lui donnait pas le droit de se croire supérieur à moi. Il s'en doutait.

« - Cela vous va si l'on regagne votre « chambre » pour discuter calmement ? »
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Douloureux, mon mental et mon dos me tirent la bourre.
Toutes les histoires, vraies ou fausses, toutes les anecdotes, les ragots et journaux me disent inconsciemment de fuir.
Mes lombaires, et une pointe de honte mêlée à la peur, me disent le contraire.

Debout, je dépasse de peu la femme devant moi mais, je me sens plus petit qu'elle. Est-ce son regard et charisme qui me pétrifie ? Ou bien le fait que, d'un claquement de doigts, elle puissent m'éparpiller aux quatre coins de Cacao Island façon puzzle ?... J'ai un penchant pour simplifier le tout : j'suis dans la merde. Chez ces gens là, on rigole pas messieurs dames. On ne rigole pas...


- Ma chambre... À moins que vous souhaitiez entendre des ronflements et sentir des reflux de saké, je vous propose d'aller autre part... Et, je n'ai pas confiance dans le gérant.

Je tourne la tête vers l'établissement et aperçois, à l'une des fenêtres, un mouvement de rideau chocolat.

- Bien ce que je disais... Je connais un coin plus tranquille. Si vous voulez bien me suivre.

J'avance et passe devant la pirate tout en resserrant ma sacoche. Je n'ai pas grand chose à l'intérieur : des papiers, un stylo, une mini flasque de saké (gentiment cédée par Leï) ainsi qu'un jeu d'échecs de mauvaise facture.

Toujours suivi, je n'ose me retourner. Je sens son regard fixé entre mes omoplates, guettant un geste malencontreux de ma part. Je n'oserai pas, pour raisons évidentes, et à quoi bon ? Elle veut faire affaires. Pour le moment, j'ai l'avantage même si la partie n'est pas à armes égales.

Les rues, lugubres et engluées, laissent petit à petit place à du chocolat solide à la couleur encore vive. Malgré cet aspect luxueux, on ressent quand même la détresse à travers les regards et les démarches. La faim, comme une maladie, n'attends qu'un affaiblissement des esprits et des corps pour se propager et manger son sus.
Un embranchement nous laisse devant une place libre. Ses angles arrondis donne une perspective d'étoiles avec les différentes rues perpendiculaires.
Au centre, une sorte de parc, un espace vert (ici, dégradé de marrons aux pointes blanches) où quelques tables permettent le repos des touristes absents.


- Est-ce que cela vous convient ? Nous aurons un oeil sur tout ce qui nous entoure et donc personne pour écouter aux portes.

Petit sourire de ma part quant à ce rappel sur notre rencontre et ma fuite.
Enfin assis l'un en face de l'autre :


- Bien. Ne passons pas par quatre chemins.
Que me voulez-vous ?

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Observateur. L'homme ne faisait visiblement confiance à rien ni personne. J'appréciais cela, il semblait avoir plus de jugeote que je ne l'avais escompté. Il fallait dire que sa tentative de fuite ne lui avait pas permis de briller par son intelligence. Mais que voulez-vous, on ne peut pas être bon dans tous les domaines.

Nous avions donc esquivé la chambre d'hôtel pour nous poser au milieu de la ville, dans un square où il n'y avait pas âme qui vive. Peut-être respirait-il moins quand Cacao City était encore une ville resplendissante et pas un cimetière à moitié dépiauté. Les arbres en chocolat, aux feuilles si réelles qu'on en aurait dit des vraies, nous couvait de sa plus haute branche, bien garnie elle. Un contraste saisissant avec le reste de la ville.

Il fallait toujours faire bonne impression, la première fois. Une table un peu branlante, en cacao évidemment, me distançait de mon interlocuteur. Je déployais dessus la trousse à outils que j'avais toujours sur moi. Certains outils très spéciaux semblaient n'avoir d'utilité que dans des situations très spéciales.

Il tremblait, je m'amusais juste. Ce n'était pas tous les jours que je pouvais rompre le pain avec un simple marchand, j'avais envie de savoir jusqu'où les histoires allaient. Son teint livide laissait penser qu'elles ne dépeignaient pas de moi un beau portrait. Je sortis un scalpel légèrement incurvé ; la dernière fois que je m'en étais servi, c'était pour écorcher vif un confrère. Longue histoire, je n'avais pas particulièrement apprécié.

Le faux bois de la table devint rapidement ma toile, comme j'en détachais de longues épluchures qui bouclaient sur elle même et formaient des arabesques satisfaisantes à regarder.

« - Cette île est merveilleuse. Je l'ai su dès que je l'ai vue.

- J'ai du mal à voir ce que cela a à voir avec moi...

- Patience. »

Je continuais mes traits. Pour l'instant ils ne reflétaient rien. Pour l'instant.

« - Je ressors d'un entretien avec la Princesse qui m'a dit où vous trouver. Apparemment, vous lui aviez proposé un marché.

- Ah ?

- J'ai envie de savoir lequel.

- Oh... »

Il n'allait pas bien, cela se voyait. Il se remisait sur sa chaise constamment. Son regard faisait des va-et-vient entre le support en chocolat et celle qui le malmenait. Progressivement, cela prenait forme, mais c'était abstrait : des lignes qui se croisaient, des corps entremêlés. Je n'étais pas une grande dessinatrice et un piètre sculpteur, mais je m'étais entraînée à copier le symbole. Plusieurs fois. Les bas-fonds de Dead End en étaient tatoués à présent, l'un d'entre eux se dissimulait dans les ténèbres du Fan Club, là où Craig faisait pousser ses...

« - Rien d'extraordinaire. Je vends entre autres du poisson et-

- Du poisson ?

- Fraichement pêché de Poiscaille, conditionné à Alba pour être exporté dans le monde entier. Je traverse Grand Line pour trouver des clients. »

Peu commun. Personne ne se décarcassait autant pour faire la promotion d'une matière première aussi facilement exploitable. Toutes les îles avaient leurs pêcheurs ou presque. Cacao Island faisait exception, visiblement. En même temps, les poissons pouvaient très bien être en chocolat ou en pesto. Si les prix du bonhomme n'étaient pas trop exorbitants, étrange qu'Erika n'ait pas cherché plus loin. Cela cachait quelque chose.

Cessant ma sculpture, je pointai la flasque que l'homme avait caché dans sa veste :

« - Il ne font pas d'alcool ici, ça j'en suis sûr. Vous m'avez dit que votre ami récupérait d'une gueule de bois. Comment est-ce possible ? »

L'homme aux cheveux blonds se mordit la lèvre. Avais-je touché un point sensible ? Peut-être faisait-il de la contrebande d'alcool, peut-être dissimulait-il un navire chargé de biens illégaux et volés. Si c'était un pirate ou un criminel, je perdais mon temps.

« - Maître Leï a tenu à ce qu'on ait de quoi boire le temps du séjour. Un archipel de nourriture ça ne l'intéresse pas, tout ce qu'il veut c'est prendre des cuites à répétition... »

Sa voix était chargée de reproches. Le négociant se trainait donc un alcoolique.

« - Et vous êtes arrivés par...

- Dites donc, vous en posez des questions pour quelqu'un qui ne prend pas la peine de répondre aux miennes av- euh, on a débarqué du Cuisino. »

L'arme blanche légèrement redressée en direction de la jugulaire du jeune homme avait suffit à calmer les esprits. Passant ma main sur la table, j'en balayai les épluchures, dévoilant mon œuvre d'art et rangeant le biseau. On pouvait vaguement reconnaître deux poissons entremêlés. Des rascasses.

« - Vous ne vouliez pas aller par quatre chemins, cela me va très bien. Écoutez, Erika a besoin d'un coup de main, mais je ne peux pas l'aider directement à cause de ma... popularité. J'ai de l'argent, beaucoup d'argent, et je compte bien le fructifier. Ce dont cette île a besoin dans l'immédiat c'est de s'émanciper du Roi de Shishoku qui lui fait vivre un embargo et compte bien laisser la population mourir de faim jusqu'à ce qu'elle destitue son souverain. Ni vous ni moi n'avons envie d'être là lorsque cela arrivera. »

Je laissai un instant planer le silence. L'homme m'écoutait, ses yeux détaillaient l'emblème sur la table. Cela ne lui disait rien, pour l'instant. Dans quelques mois, peut-être que tout serait différent. Peut-être qu'il y repenserait et ferait le lien.

« - J'aurais besoin de quelqu'un pour jouer les intermédiaires sur le Cuisino. Il y a des hommes influents là-bas, des hommes riches qui attendent que des opportunités s'offrent à eux. Juicy Berry n'est jamais loin, l'argent attire l'argent et Shishoku est une véritable mine d'or. De la nourriture qui pousse à même le sol, qui se cultive seule, pure, sans pesticides, sans rien. Un trésor gardé par les dirigeants, mais leur guerre intestine sert nos intérêts. Nous pouvons faire de Cacao Island une île plus riche, un site touristique. Il faut en faire la promotion. Et j'ai besoin d'un partenaire. »

Celui qui s'était appelé Will plus tôt resta de marbre. Son cerveau mit un certain temps à faire le point sur la situation, mais lorsque cela se fit, son regard s'éclaira :

« - Vous voulez que moi je vous serve d'homme de paille car votre réputation vous précède ?

- Exactement. Et j'ai un plan pour faire de vous un élément précurseur qui saura attirer la convoitise des autres investisseurs. »

Sur la table, je posai le contenu de l'une de mes poches. Ce n'était qu'une petite partie du magot qui était resté à bord de l'Anonyme, dans ma valise. Tout de même, une liasse de cent billets de dix milles berries. Un million si on faisait le calcul. Et ce n'était même pas un centième de ce que j'étais prête à dépenser.

« - Que diriez-vous d'ouvrir avec moi une chocolaterie. Monsieur Will... ?

- White. William White. Vous savez, c'est une drôle de coïncidence, car je ne fais pas que dans le poisson... »
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- White. William White. Vous savez, c'est une drôle de coïncidence, car je ne fais pas que dans le poisson.
Cependant, chez moi, le poisson a de nombreuses significations.
Il représente la multitude et l'abondance même s'il est souvent opposé au soleil car évoluant dans un monde d'ombres et d'ignorances intangibles cherchant désespérément la lumière.
Deux poissons inversés, quant à eux, représentent la dualité du monde : le bien et le mal, la force et la souplesse, jusqu'à la cyclicité du monde et de toutes choses. Celui, tête vers le bas, représente une évolution négative tandis que l'autre, tête vers le haut, est une évolution positive.
La question ici, est de savoir dans quel sens ils se dirigent...


Je pose un doigt sur le haut de la valise pour en refermer le côté relevé. Sourire à mon interlocutrice avant de plonger dans mon sac pour y ressortir plusieurs documents et un stylo. Le tout en entamant à ma réponse :

- Voyez-vous, Madame Bonny, j'ai depuis quelques temps une société appelée la Patte Blanche.

Je pose le premier document sur la table, ma carte de visite, et lui fait glisser :

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- Cette société a été créée dans le but de permettre l'accès au droit fondamental du libre échange à tout un chacun. Le principe est simple : en étant affiliée à la Patte Blanche, vous cédez de façon légale votre fond de commerce à mon entreprise. Vos revenus sont préservés et, à travers différents fonds, toucherez 100% de votre investissement.
Je pense que cela vous convient vu que vous souhaitez que je sois votre homme de paille.


Deuxième document auquel je reïtère mon mouvement :

Spoiler:

- Cela dit, votre nom est redouté dans le monde entier... À juste titre. Sans vous mentir, j'ai une habileté naturelle pour l'estimation.
Je peux affirmer aisément que la malette proposée contient exactement 1 million de Berrys. Et, je peux affirmer aisément que cette coquette somme, pour les uns, ne représente qu'un caillou dans l'eau pour vous.
Vous êtes crainte et respectée.

Le symbole incrusté dans la table me le confirme : des rascasses, le scorpion des mers de son autre nom. Se mêlant aux rochers dans lesquels ils se fondent, ils attendent leurs proies avant de les gober d'un seul mouvement. Venimeux et solitaires, ils se déplacent principalement la nuit et gardent jalousement leur territoire...
Tous les pêcheurs de chez moi le redoute malgré sa chair de qualité et sa valeur marchande.

Vos ennemis, nombreux, ainsi que le gouvernement, ne tarderaient pas à débarquer et enfermer toute personne ayant eu l'audace de discuter avec vous.
Je peux gérer le côté légale et juridique de cette chocolaterie.
Je peux m'occuper de négocier des affaires avec le Cuisino.
Mais je ne peux lutter contre la force physique et la possible destruction des lieux.
Quels sont vos engagements à ce niveau là ?

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J'avais saisi la carte de visite et les papiers. Tout cela me paraissait authentique, une drôle de coïncidence. Ou peut-être pas. Cela expliquait mieux ce que White faisait sur Grand Line, au mépris de tout danger. S'il cherchait à faire fleurir les affaires de criminels grâce à son fonds d'investissement, c'était le meilleur endroit.

Tout se goupillait à merveille, il ne me restait qu'un détail à régler...

Rangeant ma trousse à outils dans sa poche d'orgine, je glissai ma main vers la couture et en détachai mon propre stylo. Celui-ci était encore marqué du sceau du Gouvernement Mondial, un cadeau d'adieu du CP9. Je m'attardai sur les détails de cette collaboration, lisant les moindres petites lignes pour m'assurer qu'il n'y avait pas anguille sous roche. Il n'oserait pas : il s'était peut-être calmé, mais il n'en demeurait pas moins sur ses gardes.

Finalement, après avoir complété le texte à trou, je signai et paraphai le document.

« - Eleanor Bonny, ça vous convient ? Annabella Sweetsong n'est plus, qu'il s'agisse de sa fonction comme de son nom.

- Aucun problème. »

***

Quelques heures s'étaient écoulées depuis mon rendez-vous avec le marchand. Je tapotais des doigts sur la table d'une des nombreuses chambres du palais, attendant que la princesse termine ses préparatifs. Les gardes étaient sur les nerfs, elle ne savait pas combien de temps elle arriverait à les conserver sous ses ordres dans de telles conditions. Elle devait souvent faire montre de patience et négocier, choses qui n'étaient pas son fort. Mais si elle commençait à transformer ses hommes en statues de chocolat...

« - Voilà, j'ai terminé, » fit-elle en débarquant dans le salon et en saisissant les deux grands panneaux en bois pour nous isoler.

Nous n'étions pas dans un schéma classique. La Patte Blanche se chargerait peut-être de l'investissement comme de superviser la création de la chocolaterie, mais Erika avait, malgré elle, des responsabilités dans ce projet qui transformerait probablement le visage de son île. Je lui fis le topo, une lueur d'espoir brilla dans son regard :

« - Cette idée de chocolaterie n'est peut-être pas si mauvaise que cela...

- C'est un bon moyen d'attirer des investisseurs en leur montrant que vous êtes prête à céder du territoire pour ne plus dépendre de Shishoku. Les denrées peuvent venir d'ailleurs, au moins le temps de vous refaire et gagner suffisamment d'influence pour vous opposer au Roi. Vous trouverez plus facilement du soutien avec des personnalités influentes à vos côtés.

- Il ne fait aucun doute, voilà à peine quelques heures que vous êtes à Cacao et j'entrevois déjà la fin de ce cauchemar. »

Ou bien le début, si White décidait de me trahir et vendre ma position sur l'île. Mais cela ne profiterait à aucun d'entre nous et le blondinet semblait mieux avisé que ça. Nous avions déjà prévu de nous revoir le lendemain.

« -Je vais devoir rester ici quelques jours de plus, le temps d'amorcer le chantier. Il vaut mieux que mes hommes et moi restions loin de l'agglomération pour ne pas nous faire remarquer.

- Vos hommes ? Ah, oui, je vais ordonner à ce qu'ils soient escortés jusqu'à l'ancienne bergerie. Plus personne ne s'y rend depuis des lustres.

- Parfait. J'oubliais : je vais avoir besoin d'aide pour exporter les produits de la chocolaterie. Je ne peux assurer que leur production, pas le transport... »

La jeune femme resta pensive. Il n'y avait pas de port à Choco Island, pas plus qu'il n'existait une flotte sous les ordres de la dirigeante, susceptible de servir mes desseins. Pourtant, j'avais déjà une idée en tête. Alors qu'elle s'apprêtait à répondre, j'enchaînai :

« - Vous êtes une femme charmante et belle. Nul doute que vous arriverez à trouver un moyen de résoudre ce problème.

- Vous ne sous-entendez tout de même pas que...

- Vous avez tout intérêt à vous trouver un homme fortuné parmi les investisseurs qui se présenteront à vos portes. Vous connaissant, ils se suspendront certainement à vos lèvres. Si vous souhaitez arriver à vos fins, il vous faudra donner de votre personne, princesse. »

Je poussais le bouchon un peu loin ; le regard d'Erika me lançait des éclairs. Pourtant, elle ne fit rien pour punir mon insolence : elle qui cherchait un amant depuis si longtemps savait qu'il lui fallait un bon parti pour remettre l'économie du pays à flot et asseoir davantage sa place de dirigeante. C'était triste, mais probablement pas définitif. Le mari pouvait aussi bien périr dans un triste accident de jetski...

« - Je vais considérer votre demande, » lâcha-t-elle en haussant le menton.

Je souris. Une bonne chose de faite. Puis, saisissant le chapeau dont je m'étais délestée en entrant, je le vissai à nouveau sur mon crâne et l'inclinai légèrement en guise de salutation. Je m'étais absentée suffisamment longtemps, il me fallait retrouver mon équipage. Ni Angelica, ni Karen ne verraient mon entreprise d'un bon œil, mais elles ne discernaient pas les choses comme moi.

Nous resterions probablement ici une petite semaine, le temps que les engrenages se mettent en marche. La première étape était de raser un terrain en bordure de Cacao City ; c'était là que je devais retrouver William aux premières lueurs, loin des regards indiscrets.

***

Les voiles se gonflaient sous l'impulsion du vent. Nous avions pris le large à nouveau, après une semaine passée sur l'île. Et quelle semaine ! Il n'en fallut pas beaucoup pour montrer aux voyageurs du Cuisino que Choco Island était un paradis inexploité, prêt à tisser des relations avec des investisseurs étrangers. De grandes choses étaient prévues pour l'île, que ce soit à Cacao City comme dans ses mines de chocolat. Même le petit port de pêche serait aménagé pour pouvoir y recevoir davantage de navires. Erika était ouverte à l'idée, aux anges de voir que les marchands avaient tenu promesse en important en urgence des denrées pour la population. Erika avait payé de sa poche pour en faire la distribution, elle avait dépensé sans compter, retrouvant ainsi la confiance de son peuple. Ce n'était pas son premier sacrifice et ce n'était pas son dernier : elle savait qu'elle devrait céder des terrains, faire des concessions, pour pouvoir conserver son autonomie. Que Choco Island devait se mettre à importer massivement pour fleurir dans le giron du commerce international. D'éminents économistes, venus avec les flux monétaires, se penchaient déjà sur la question : ils avaient tenu à faire le déplacement sur Shishoku car les rumeurs allaient bon train...

White restait sur place pour superviser la Shishokolaterie, il avait joué son rôle pour le reste. Grâce à la centaine de millions de Berries dont je m'étais délestée, un bâtiment gigantesque allait pousser parallèlement au palais, à l'autre bout de la ville. Il fallait marquer le coup, un simple atelier n'aurait pas suffit à mettre les industriels, les grands patrons, en confiance. C'était ainsi.

L'effet secondaire était que toutes ces activités créaient un besoin constant de main d’œuvre. Avec le temps, Choco Island rayonnerait sur l'archipel et attirerait des travailleurs de toutes les îles. La Shishokolaterie avait autant besoin de bouchers que de confiseurs et la promesse de pouvoir faire manger aux enfants des légumes en chocolat nécessitait même des maraîchers...

Nul ne savait comment tout cela finirait. Avant de partir, Erika m'avait informée de son intention de se désolidariser du royaume. Elle savait qu'en faisant cela, elle provoquerait l'ire de son frère, mais personne ne pouvait prédire comment le Goinfre réagirait. Elle n'était pas fermée à l'idée de commercer avec le reste de l'archipel, mais se doutait bien que ce ne serait pas une option envisagée par Sibien. La princesse n'était pas forcément en mauvais termes avec tous les dirigeants, elle saurait avoir le soutien de Candy et Tonic avec le temps. Nous avions convenu d'un silence pour meubler la fin de la conversation, mais nous savions toutes les deux ce que cela voulait dire. Elle savait qu'au besoin, je pouvais intervenir aussi, quand bien même je ne souhaitais pas mettre à mal sa popularité. J'avais tout à gagner à ce que mon amie survive à un conflit avec son demi-frère et prenne même les rênes du pouvoir.

Il s'était avéré de plus en plus difficile de voir la dirigeante au fil des jours. Tandis que les hommes d'affaires affluaient, que le centre-ville recommençait à retrouver des couleurs et de l'activité, la jeune femme avait été bombardée de réunions, d'entretiens et de... prétendants. Tous avaient quelque chose à offrir en échange de son amour, de sa beauté ; c'était des hommes à qui on ne disait jamais non, suffisamment aisés pour dilapider une fortune sur le Cuisino et rester riches même après ça. Nous n'en avions pas parlé, mais elle savait que je l'attendais au tournant : si les produits de la Shishokolaterie restaient cloués au sol, l'affaire serait caduque. Par chance, il était toujours possible de s'arranger avec l'un des propriétaires de compagnies maritimes qui avaient mis le pied sur l'île ; je comptais sur William pour arrondir les bords et trouver une solution. La Shishokolaterie n'était pas une simple usine classique, c'était une œuvre politique et économique conjointement réalisée avec Erika : il avait ainsi la mission de l'épauler dans ses décisions en mon absence. Même si j'aurais souhaité pouvoir consacrer plus de temps en temps que conseiller de la princesse.

Tandis que le navire voguait vers l'azur, l'île devenait progressivement un cercle puis un point noir à l'horizon.

***

Plusieurs mois s'étaient écoulés désormais. Comme nous voguions en direction de Mangrove, je recevais des nouvelles du gérant trouvé par la Patte Blanche pour s'occuper de la Shishokolaterie. La construction du bâtiment avait été bouclée en un temps record, ce qui n'était rien en comparaison des changements que Cacao City avait connus. Désormais la ville foisonnait d'activité, en grande partie reconstruite avec des matériaux durables, et était la capitale du nouveau Royaume de Cacao, dirigé par Erika. Apparemment, la jeune femme était si sollicitée qu'elle avait dû former un gouvernement pour l'aider à diriger. Sa popularité était montée en flèche, que ce soit auprès des autres dirigeants, même ceux qui ne lui accordaient pas leur confiance jusqu'alors, et on lui avait même proposé une place au Conseil des Nations. En contrepartie, elle avait dû cesser ses frasques et les « statues » avaient été retirées des remparts ; elle n'avait toujours pas trouvé de mari, mais elle s'était débrouillée pour honorer sa promesse. Les exportations battaient un record : au-delà des limites de Shishoku, tout le monde s'arrachait les poules et les lapins en chocolat.

Mais la situation avec Homer Sibien s'était cruellement envenimée, comme on pouvait le prévoir. Le roi supportait mal l'absence de chocolat sur son menu et envisageait désormais de reconquérir Choco Island par la force. La bonne nouvelle, c'est que jouer aux tyrans lui portait préjudice : il était plus isolé que jamais, quand bien même les forces sous ses ordres étaient suffisantes pour attaquer le Royaume de Cacao. Erika n'était pas confiante, elle savait qu'elle n'arriverait à résister à un conflit armé que si les autres dirigeants l'assistaient et lui prêtaient des hommes. C'était un conflit davantage politique que militaire pour l'instant, une course contre la montre... Et malheureusement, je ne pouvais intervenir, mais seulement suivre les évènements de loin et espérer que Sibien n'en sorte pas gagnant.

D'une certaine façon, j'avais joué ma carte, pariant sur un avenir de Shishoku aux mains de Chaos. Pariant sur une femme pleine de ressources, un peu névrosée, mais réfléchie. Et mon pari avait porté ses fruits, jusqu'à lui donner l'opportunité de monter sur le trône et rayonner sur le monde entier.
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