Les arcades blanches de la grande pièce renvoyaient les rayons du soleil perçant à travers les grandes baies vitrées. Le gorosei présidait, dans l'attente, comme à son habitude. Une silhouette svelte, de taille mannequin, patientait adossée contre un des piliers, tandis que les hommes rendaient leurs jugements sur des affaires internes, petits monarques. Elle avait plusieurs fois surpris le regard de Basaara en train de couler sur elle, elle y était habituée, mais ne se permit aucun sourire, aucune gestuelle allant dans le sens de la séduction. Elle patientait, voilà tout. Et cela faisait bien une dizaine de minutes maintenant.
Lentement, les hommes vidèrent la pièce. Ils avaient eu du retard sur l'ordre du jour à cause d'un désaccord. Fallait-il oui ou non rénover le deuxième ascenseur du G-0 ? Quelque part, on n'avait pas souvent besoin de rapatrier toute la base à Marie-Joie. C'était de l'ordre des options imaginées pour des scénarios catastrophes.
Des cinq étoiles, Vagner était le plus coquet. Il ne s'habillait pas toujours dans les sempiternels kimonos blancs, il aimait parfois revêtir des vêtements plus normaux, plus citadins. C'était un rocker dans l'âme et un joueur : ses tatouages sur sa tête et un peu partout sur ses bras renvoyaient l'image d'un homme qui avait bien profité de la vie. Il pouvait se montrer sérieux, mais son visage était souvent rieur ou souriant. C'était Monsieur Politique après tout. Ses dossiers sous le bras, il s'approcha du Vice-Amiral.
« - Excusez-moi pour l'attente, Amiral Dessign, lorsque ces vieilles biques commencent à parler, on ne les arrête plus.
- Vous êtes tout excusé, Vénérable Vagner. »
Un entretien avec les étoiles, ce n'était pas tous les jours. Jusqu'ici, elle n'avait eu l'occasion de discuter qu'une seule fois avec Kitano, un autre homme à la poigne d'acier, au regard perçant mais aux rides trahissant sa bonté. Beth ne remettait pas en question ce qu'elle voyait de ces hommes, que ce soit leur autorité ou leur gentillesse ; elle ne saisissait pas toujours les subtilités de chacun et plaçait sur un piédestal ses supérieurs. L'idée même qu'un homme aussi important puisse feindre ou mentir lui échappait. Marchant à côté de Kyozu vers son bureau, elle gardait le silence car elle ne savait pas où se mettre.
« - J'ai entendu beaucoup de bien de vous, Amiral. Sachez que vous êtes un élément sur lequel nous avons l’œil. Et le bon.
- Vous me flattez, Monseigneur.
- Je vous en prie, appelez-moi Kyozu. C'est ici. »
La porte se déroba sous l'impulsion de l'étoile et, tel un gentleman, il resta à son côté le temps que la jeune femme en robe de soie, vêtue pour l'occasion, le dépasse et se retrouve devant son bureau. Il referma et se porta à son bureau, invitant d'une main son invitée à s'asseoir avant lui. Malgré le décolleté saillant de Beth, le vieil homme n'eut aucun mal à garder son regard rivé dans ses yeux ; certaines rumeurs circulaient sur son goût pour les hommes, mais on n'osait les vérifier. Essentiellement car il s'agissait de sa vie privée.
« - Je sais que vous avez pour ambition d’œuvrer dans le Nouveau Monde, mais l'affaire pour laquelle je vous ai convoquée aujourd'hui n'a rien à voir avec cela, j'en ai bien peur. »
Le cœur de la jeune femme manqua un battement. Cela se vit peut-être sur son visage ; l'homme se stoppa et tint à se corriger :
« - Non, non, vous n'avez rien fait de mal, bien au contraire. J'aurais besoin de vos talents.
- Mes talents ? »
Elle s'imaginait qu'il parlait de sa force et seule une petite voix au fond de son esprit murmurait qu'elle se trompait. Beth était consciente de ses formes et de la beauté qu'on lui prêtait, sans être elle-même convaincue de la chose. Ah, ce qu'elle aurait préféré être brune, plus svelte, plus musculeuse... Elle se trouvait trop grosse, certaines parties de son corps étaient à son désavantage. Mais elle n'en parlait jamais, elle le gardait pour elle, sinon on essayerait de la rassurer pendant des heures et ça, elle avait donné.
« - Voyez-vous, vous êtes une figure pour la Marine, un élément excellent pour notre publicité. Votre réputation vous précède au point que votre passage est vu d'un bon œil, quand bien même la Marine ne possède pas que des amis parmi certains gouvernements...
- Il s'agit donc plus de mon image ?
- Exactement. Et de votre voix.
- Je ne suis pas une fine locutrice comme vous, véné- euh Kyozu. »
L'homme cessa de sourire. Elle se sentit aussitôt coupable. C'est vrai, comment osait-elle remettre en question la parole d'une Étoile ? On lui confiait une mission et elle rechignait. Elle essaya de rattraper sa maladresse.
« - Mais si vous avez besoin de moi pour servir d'ambassadrice, je ferai le nécessaire pour être à la hauteur de vos espérances.
- Bien, c'est ce que je voulais entendre. »
Le courant d'air glacial qui avait refroidi la pièce disparut, comme Vagner reprenait son air jovial. Il n'avait visiblement pas terminé : sa main était venue chercher quelque chose sur son bureau... un dossier. Il l'ouvrit et le fit tourner en direction de la rousse.
« - Doscar, vous connaissez ? C'est un pays de Grand Line avec lequel nous avons longtemps été en confrontation pour des raisons qui ne concernent que mes prédécesseurs. Je ne remets pas leurs actes en question, toutefois j'ai bien l'intention de mettre un terme à cette vendetta futile en ramenant la paix avec le Gouvernement Mondial sur place. Nous y possédons déjà une ambassade et la Reine est ouverte aux négociations, pour peu que nous lui montrions notre bonne foi.
- Comment puis-je aider à cela ? »
Elle n'était pas agent du Cipher Pol ni une politicienne, pourtant elle sentait qu'elle était un élément central du scénario prévu par le vieil homme. Celui-ci creusa un peu plus ses fossettes :
« - Tout le monde dans la royauté n'est pas favorable à une reprise des contacts avec le Gouvernement Mondial. Tessa, la reine et une proche amie, œuvre dans ce sens mais est bloquée par le fanatisme de son mari et tiraillée à l'idée de devoir s'opposer à son propre fils. Enfin, celui-ci est encore jeune et n'a jamais connu que les armes et la propagande, il est important de donner une autre figure à ses adversaires. Nous ne sommes pas des monstres, vous en êtes la preuve incarnée. »
Beth resta pensive. Elle n'avait pas grand chose à répondre à cette tirade, elle se sentait minuscule face à un tel homme, déjà qu'elle n'osait pas s'imposer face à ses confrères. Ce n'était que lorsqu'on la poussait dans ses derniers retranchements que la petite souris devenait un tigre. Sa placidité laissa penser à Kyozu qu'elle comprenait la situation. Bien sûr qu'elle saisissait, mais ce n'était pas un travail pour un soldat de la Marine.
« - Autre chose à savoir : nous prétendons avoir des agents du CP1 sur place pour les besoins diplomatiques. Ce n'est pas entièrement vrai. Si nous avons bel et bien des agents sur place, ils sont issus de plusieurs pôles portés sur l'opérationnel. Voilà peut-être un an que ces hommes travaillent sans relâche pour ouvrir des docks fantômes et laisser entrer des criminels sur l'île. Et cela a suffisamment porté ses fruits. Je compte sur vous pour informer le souverain du trou dans son filet de sécurité et gagner ainsi sa confiance.
- Cela ne risque pas de compromettre leur mission ?
- À vous de vous assurer que ça ne le soit pas. Une telle faute ne peut incomber qu'au chef de la police locale, un ancien as de la révolution du nom de Visaro. Son influence perpétue des idées archaïques, l'alliance révolutionnaire et conforte le roi dans sa désillusion. Un agent envoyé sur place est déjà au courant de votre venue, vous allez collaborer avec lui pour prouver la culpabilité de cet élément. »
Quand bien même les plis de sa robe étaient larges, Beth s'y sentait à l'étroit. Elle n'avait pas la carrure d'un agent secret, ce n'était qu'une militaire formée à donner des ordres et obéir à sa hiérarchie, Kenora en l’occurrence. Pourtant, elle n'était pas là pour arbitrer la discussion, était-elle seulement au courant de cette mission ? Après tout, la Commandante du Septentrion avait quartier libre pour œuvrer dans le Nouveau Monde à présent. Kyozu ne disait pas tout, il cachait définitivement des choses.
L'Amiral, elle, ne savait quoi répondre. Kyozu fronça les sourcils :
« - Y a-t-il quelque chose qui vous chiffonne, Bethsabée ?
- Aucunement Monsei- Kyozu. Votre objectif sera mené à bien.
- C'est ce que je voulais entendre. Bon, eh bien, je suppose que notre petit entretien touche à son terme. Un navire diplomatique a été affrété pour l'occasion, il devrait appareiller dans quelques heures. Cela vous laisse le temps de faire vos préparatifs. »
Il souriait. Mais cette fois-ci, l'innocente ne l'était plus. Elle voyait que tout était factice.
Elle n'était définitivement pas sereine. Kyozu ne lui avait pas inspiré confiance. Sa mission ne lui inspirait pas confiance. Doscar ne lui inspirait pas confiance. Elle rechignait encore à mettre le pied sur cette île qui se rapprochait dangereusement et, avec elle, les gueules béantes de ses gigantesques canons. Un coup et le frêle esquif sur lequel elle voyageait, avec une poignée de soldats qu'elle ne connaissait pas et qui jetaient sur elle des regards lubriques, serait de l'histoire ancienne. Mais aucun coup ne tonna, aucun tir ne partit. Les quais leur tendaient les bras, quand bien même ils n'étaient peuplés que par des hommes, des femmes et même des enfants armés jusqu'aux dents.
Ce qu'elle remarqua en premier après avoir mis pied à terre, c'est que les armes à feu étaient un vêtement, au même titre que des chaussures ou un caleçon. Tout le monde en avait au moins une, chargée, prête à tirer. Mais tout le monde semblait aussi si fatigué, si maigre, sur cette île grise et morne où presque rien ne poussait, où il n'y avait que la ville à perte de vue. Ça et les canons, omniprésents, qui vous surveillaient de leur œil unique, qui vous rappelaient que vous n'étiez pas la bienvenue ici.
L'Étoile avait vu juste sur une chose : elle n'était pas un monstre. Les regards se posaient sur elle, mais elle avait l'habitude. Non pas qu'elle se considérait importante, mais elle savait que son physique interpelait et ne pouvait rien y faire. On lui avait conseillé de s'habiller légèrement, pourtant il ne faisait pas chaud. Elle avait choisi sa robe orange dont les épaulettes lui tombaient sur les bras et lui faisaient un léger décolleté, moulant le reste de son corps jusqu'à la moitié de ses cuisses où elle s'arrêtait net. Ce n'était pas le plus confortable, ce n'était pas non plus une tenue pour le combat, de toute façon elle ne devait pas renvoyer cette impression. Elle venait nue de toute arme et de toute intention hostile, encadrée de soldats qui n'avaient gardé leur fusil que pour assurer sa protection. C'était la moindre des choses.
Sa première étape se fit à l'ambassade, où elle rencontra des pairs de Vagner, en chemin vers l'intérieur du bâtiment. Mêmes expressions tirés, même sourires forcés, mêmes salutations distinguées. Elle ne saurait dire si sa présence était bien vue ou non, mais elle était dans tous les cas acceptée, de gré ou de force. Lorsqu'elle se présenta au secrétariat, posant ses coudes sur le comptoir, elle eut l'impression de foudroyer le petit homme qui s'y tenait et ne pouvait s'empêcher de garder la bouche ouverte.
« - Amiral Dessign, je suis venue pour une mission diplomatique. Peut-être pouvez-vous me renseigner, je dois contacter un certain... Thomas Lewis. »
Lentement, les hommes vidèrent la pièce. Ils avaient eu du retard sur l'ordre du jour à cause d'un désaccord. Fallait-il oui ou non rénover le deuxième ascenseur du G-0 ? Quelque part, on n'avait pas souvent besoin de rapatrier toute la base à Marie-Joie. C'était de l'ordre des options imaginées pour des scénarios catastrophes.
Des cinq étoiles, Vagner était le plus coquet. Il ne s'habillait pas toujours dans les sempiternels kimonos blancs, il aimait parfois revêtir des vêtements plus normaux, plus citadins. C'était un rocker dans l'âme et un joueur : ses tatouages sur sa tête et un peu partout sur ses bras renvoyaient l'image d'un homme qui avait bien profité de la vie. Il pouvait se montrer sérieux, mais son visage était souvent rieur ou souriant. C'était Monsieur Politique après tout. Ses dossiers sous le bras, il s'approcha du Vice-Amiral.
« - Excusez-moi pour l'attente, Amiral Dessign, lorsque ces vieilles biques commencent à parler, on ne les arrête plus.
- Vous êtes tout excusé, Vénérable Vagner. »
Un entretien avec les étoiles, ce n'était pas tous les jours. Jusqu'ici, elle n'avait eu l'occasion de discuter qu'une seule fois avec Kitano, un autre homme à la poigne d'acier, au regard perçant mais aux rides trahissant sa bonté. Beth ne remettait pas en question ce qu'elle voyait de ces hommes, que ce soit leur autorité ou leur gentillesse ; elle ne saisissait pas toujours les subtilités de chacun et plaçait sur un piédestal ses supérieurs. L'idée même qu'un homme aussi important puisse feindre ou mentir lui échappait. Marchant à côté de Kyozu vers son bureau, elle gardait le silence car elle ne savait pas où se mettre.
« - J'ai entendu beaucoup de bien de vous, Amiral. Sachez que vous êtes un élément sur lequel nous avons l’œil. Et le bon.
- Vous me flattez, Monseigneur.
- Je vous en prie, appelez-moi Kyozu. C'est ici. »
La porte se déroba sous l'impulsion de l'étoile et, tel un gentleman, il resta à son côté le temps que la jeune femme en robe de soie, vêtue pour l'occasion, le dépasse et se retrouve devant son bureau. Il referma et se porta à son bureau, invitant d'une main son invitée à s'asseoir avant lui. Malgré le décolleté saillant de Beth, le vieil homme n'eut aucun mal à garder son regard rivé dans ses yeux ; certaines rumeurs circulaient sur son goût pour les hommes, mais on n'osait les vérifier. Essentiellement car il s'agissait de sa vie privée.
« - Je sais que vous avez pour ambition d’œuvrer dans le Nouveau Monde, mais l'affaire pour laquelle je vous ai convoquée aujourd'hui n'a rien à voir avec cela, j'en ai bien peur. »
Le cœur de la jeune femme manqua un battement. Cela se vit peut-être sur son visage ; l'homme se stoppa et tint à se corriger :
« - Non, non, vous n'avez rien fait de mal, bien au contraire. J'aurais besoin de vos talents.
- Mes talents ? »
Elle s'imaginait qu'il parlait de sa force et seule une petite voix au fond de son esprit murmurait qu'elle se trompait. Beth était consciente de ses formes et de la beauté qu'on lui prêtait, sans être elle-même convaincue de la chose. Ah, ce qu'elle aurait préféré être brune, plus svelte, plus musculeuse... Elle se trouvait trop grosse, certaines parties de son corps étaient à son désavantage. Mais elle n'en parlait jamais, elle le gardait pour elle, sinon on essayerait de la rassurer pendant des heures et ça, elle avait donné.
« - Voyez-vous, vous êtes une figure pour la Marine, un élément excellent pour notre publicité. Votre réputation vous précède au point que votre passage est vu d'un bon œil, quand bien même la Marine ne possède pas que des amis parmi certains gouvernements...
- Il s'agit donc plus de mon image ?
- Exactement. Et de votre voix.
- Je ne suis pas une fine locutrice comme vous, véné- euh Kyozu. »
L'homme cessa de sourire. Elle se sentit aussitôt coupable. C'est vrai, comment osait-elle remettre en question la parole d'une Étoile ? On lui confiait une mission et elle rechignait. Elle essaya de rattraper sa maladresse.
« - Mais si vous avez besoin de moi pour servir d'ambassadrice, je ferai le nécessaire pour être à la hauteur de vos espérances.
- Bien, c'est ce que je voulais entendre. »
Le courant d'air glacial qui avait refroidi la pièce disparut, comme Vagner reprenait son air jovial. Il n'avait visiblement pas terminé : sa main était venue chercher quelque chose sur son bureau... un dossier. Il l'ouvrit et le fit tourner en direction de la rousse.
« - Doscar, vous connaissez ? C'est un pays de Grand Line avec lequel nous avons longtemps été en confrontation pour des raisons qui ne concernent que mes prédécesseurs. Je ne remets pas leurs actes en question, toutefois j'ai bien l'intention de mettre un terme à cette vendetta futile en ramenant la paix avec le Gouvernement Mondial sur place. Nous y possédons déjà une ambassade et la Reine est ouverte aux négociations, pour peu que nous lui montrions notre bonne foi.
- Comment puis-je aider à cela ? »
Elle n'était pas agent du Cipher Pol ni une politicienne, pourtant elle sentait qu'elle était un élément central du scénario prévu par le vieil homme. Celui-ci creusa un peu plus ses fossettes :
« - Tout le monde dans la royauté n'est pas favorable à une reprise des contacts avec le Gouvernement Mondial. Tessa, la reine et une proche amie, œuvre dans ce sens mais est bloquée par le fanatisme de son mari et tiraillée à l'idée de devoir s'opposer à son propre fils. Enfin, celui-ci est encore jeune et n'a jamais connu que les armes et la propagande, il est important de donner une autre figure à ses adversaires. Nous ne sommes pas des monstres, vous en êtes la preuve incarnée. »
Beth resta pensive. Elle n'avait pas grand chose à répondre à cette tirade, elle se sentait minuscule face à un tel homme, déjà qu'elle n'osait pas s'imposer face à ses confrères. Ce n'était que lorsqu'on la poussait dans ses derniers retranchements que la petite souris devenait un tigre. Sa placidité laissa penser à Kyozu qu'elle comprenait la situation. Bien sûr qu'elle saisissait, mais ce n'était pas un travail pour un soldat de la Marine.
« - Autre chose à savoir : nous prétendons avoir des agents du CP1 sur place pour les besoins diplomatiques. Ce n'est pas entièrement vrai. Si nous avons bel et bien des agents sur place, ils sont issus de plusieurs pôles portés sur l'opérationnel. Voilà peut-être un an que ces hommes travaillent sans relâche pour ouvrir des docks fantômes et laisser entrer des criminels sur l'île. Et cela a suffisamment porté ses fruits. Je compte sur vous pour informer le souverain du trou dans son filet de sécurité et gagner ainsi sa confiance.
- Cela ne risque pas de compromettre leur mission ?
- À vous de vous assurer que ça ne le soit pas. Une telle faute ne peut incomber qu'au chef de la police locale, un ancien as de la révolution du nom de Visaro. Son influence perpétue des idées archaïques, l'alliance révolutionnaire et conforte le roi dans sa désillusion. Un agent envoyé sur place est déjà au courant de votre venue, vous allez collaborer avec lui pour prouver la culpabilité de cet élément. »
Quand bien même les plis de sa robe étaient larges, Beth s'y sentait à l'étroit. Elle n'avait pas la carrure d'un agent secret, ce n'était qu'une militaire formée à donner des ordres et obéir à sa hiérarchie, Kenora en l’occurrence. Pourtant, elle n'était pas là pour arbitrer la discussion, était-elle seulement au courant de cette mission ? Après tout, la Commandante du Septentrion avait quartier libre pour œuvrer dans le Nouveau Monde à présent. Kyozu ne disait pas tout, il cachait définitivement des choses.
L'Amiral, elle, ne savait quoi répondre. Kyozu fronça les sourcils :
« - Y a-t-il quelque chose qui vous chiffonne, Bethsabée ?
- Aucunement Monsei- Kyozu. Votre objectif sera mené à bien.
- C'est ce que je voulais entendre. Bon, eh bien, je suppose que notre petit entretien touche à son terme. Un navire diplomatique a été affrété pour l'occasion, il devrait appareiller dans quelques heures. Cela vous laisse le temps de faire vos préparatifs. »
Il souriait. Mais cette fois-ci, l'innocente ne l'était plus. Elle voyait que tout était factice.
Quelques jours plus tard
Elle n'était définitivement pas sereine. Kyozu ne lui avait pas inspiré confiance. Sa mission ne lui inspirait pas confiance. Doscar ne lui inspirait pas confiance. Elle rechignait encore à mettre le pied sur cette île qui se rapprochait dangereusement et, avec elle, les gueules béantes de ses gigantesques canons. Un coup et le frêle esquif sur lequel elle voyageait, avec une poignée de soldats qu'elle ne connaissait pas et qui jetaient sur elle des regards lubriques, serait de l'histoire ancienne. Mais aucun coup ne tonna, aucun tir ne partit. Les quais leur tendaient les bras, quand bien même ils n'étaient peuplés que par des hommes, des femmes et même des enfants armés jusqu'aux dents.
Ce qu'elle remarqua en premier après avoir mis pied à terre, c'est que les armes à feu étaient un vêtement, au même titre que des chaussures ou un caleçon. Tout le monde en avait au moins une, chargée, prête à tirer. Mais tout le monde semblait aussi si fatigué, si maigre, sur cette île grise et morne où presque rien ne poussait, où il n'y avait que la ville à perte de vue. Ça et les canons, omniprésents, qui vous surveillaient de leur œil unique, qui vous rappelaient que vous n'étiez pas la bienvenue ici.
L'Étoile avait vu juste sur une chose : elle n'était pas un monstre. Les regards se posaient sur elle, mais elle avait l'habitude. Non pas qu'elle se considérait importante, mais elle savait que son physique interpelait et ne pouvait rien y faire. On lui avait conseillé de s'habiller légèrement, pourtant il ne faisait pas chaud. Elle avait choisi sa robe orange dont les épaulettes lui tombaient sur les bras et lui faisaient un léger décolleté, moulant le reste de son corps jusqu'à la moitié de ses cuisses où elle s'arrêtait net. Ce n'était pas le plus confortable, ce n'était pas non plus une tenue pour le combat, de toute façon elle ne devait pas renvoyer cette impression. Elle venait nue de toute arme et de toute intention hostile, encadrée de soldats qui n'avaient gardé leur fusil que pour assurer sa protection. C'était la moindre des choses.
Sa première étape se fit à l'ambassade, où elle rencontra des pairs de Vagner, en chemin vers l'intérieur du bâtiment. Mêmes expressions tirés, même sourires forcés, mêmes salutations distinguées. Elle ne saurait dire si sa présence était bien vue ou non, mais elle était dans tous les cas acceptée, de gré ou de force. Lorsqu'elle se présenta au secrétariat, posant ses coudes sur le comptoir, elle eut l'impression de foudroyer le petit homme qui s'y tenait et ne pouvait s'empêcher de garder la bouche ouverte.
« - Amiral Dessign, je suis venue pour une mission diplomatique. Peut-être pouvez-vous me renseigner, je dois contacter un certain... Thomas Lewis. »