« J’ai une proposition à vous faire.
-Je sais, c’est pour ça que vous êtes là. »
Ewen regarda l’homme, incertaine de comment répondre. Face à elle et dos à la lumière, le contraste rendait son visage difficilement visible, mais son attitude –lire un rapport pendant qu’il lui parlait- ne laissait planer que peu de doutes. Devant lui, le bureau en bois exotique soutenait des piles bien organisées de dossiers, qui contenaient sans doute plus d’informations compromettantes que la police ne pourrait en étudier pendant des années.
La pièce elle-même était assez dépouillée. N’y figurait qu’une horloge sur le mur, un vieux tapis sur le sol et deux fauteuils faisant place au bureau, l’air peu confortable. La jeune voleuse était restée debout. Aux quatre coins de la pièce, se fondant dans l’ombre, des hommes de main la surveillaient, l’air négligent.
« Je vais aller droit au but, alors. Je sais que vous vous intéressez au chantier et je peux vous donner des informations dessus.
-Et où est le piège ? »
Bobby Lapointe posa le papier qu’il était en train de lire et entreprit de fouiller dans l’un des tiroirs.
« Il n’y en a pas. Je souhaite juste vous montrer ma compétence afin de pouvoir faire affaire avec vous plus tard. Voyez ça comme l’équivalent d’un échantillon gratuit.
-J’espère bien que non, la qualité de ces trucs est toujours dégueulasse. Et si votre produit est dégueulasse, il n’y a aucune chance que j’achète un produit comme ça. A vrai dire, je n’apprécierais pas beaucoup qu’on m’en propose tout court. »
Les mots restèrent en suspens comme les menacent qu’ils étaient, alors que le mafieux pris une large bouchée d’un sandwich au thon.
« Si je suis ici, c’est que vous êtes intéressé. Mais comme vous l’avez signalé, il faut que l’information vous soit directement utile pour que j’espère retenir votre attention par la suite. Je vous propose donc de choisir une information qui vous intéresse, les autres seront payantes. J’ai les plans du chantier, l’état financier actuel du chantier, les listes et les informations des clients et des fournisseurs, ainsi qu’un scandale non révélé impliquant le directeur.
-Quel genre de scandale ? »
Pour la première fois depuis le début de l’entrevue, l’homme avait cessé ses activités et la regardait directement.
« Il a protégé un collègue meurtrier des conséquences de son acte.
-Tu vois, quand tu veux ! LA, ça m’intéresse. Dit moi tout.
- ça remonte à Octobre 1620, monsieur Delabère était alors ingénieur naval –un cadre des chantiers, mais pas encore le directeur- et le meurtre est effectué par un de ses collègues, un autre ingénieur du nom de Valrose. Après s’être occupé lui-même de vérifier la sécurité d’un treuil sans personne pour l’assister, chose suffisamment habituelle pour être noté, il a nommément demandé que l’un de ses ouvriers, monsieur martin, s’occupe d’une tâche qui le mettait directement en danger si le fameux treuil était défaillant, ce qu’il était manifestement.
Je vous passe les détails, mais toujours est-il qu’une commission interne, vu les faits accablants, à déduits que l’ingénieure était coupable mais a, pour des raisons qui me sont inconnues, décidé de ne pas agir en conséquence et d’envoyer un rapport falsifié à la police. Monsieur Delabère était l’un des membres du comité était donc au courant.
Là où ça devient intéressant c’est que, une fois devenu directeur, il ne l’a pas dénoncé non plus et l’a gardé dans son équipe, et ce jusqu’à la retraite de l’ingénieur, alors qu’il était dans une position de pouvoir qui lui permettaient de le faire sans subir de pression. »
Le silence lui répondit. Les hommes de main avaient le regard de personnes qui avaient appris à ne pas écouter ce que racontaient les gens, par désintérêt et par volonté d’éviter les ennuis. Le parrain, lui, paraissait perdu dans ses pensées. Incertaine de comment réagir, l’informatrice laissa le silence s’éterniser. Tous attendirent, les yeux fixés sur Lapointe, qui ne réagissait pas.
Surpris par l’arrêt du silence, tout le monde sursauta lorsque le parrain reprit la parole :
« Tu as des preuves de ce que tu avances ?
-Evidemment. Je n’ai pas le rapport initial, il a été détruit, mais j’ai vu tous les autres documents, qu’ils ont visiblement décidé de garder. Les preuves ne sont pas directes, mais il y a largement de quoi condamner l’ingénieur pour meurtre et démontrer la complicité des deux directeurs. Je peux vous fournir les photos des documents, ainsi que vous indiquer où trouver les originaux.
-le tout pour un prix dérisoire, c’est ça ?
-Non. Obtenir ces informations a été risqué et a représenté un travail important. Les brader ne serait pas seulement une perte directe, mais vous ferait également penser que mon travail a peu de valeur, diminuant d’autant mes chances de refaire affaire avec vous. Je peux vous fournir le tout pour un prix raisonnable. »
Son interlocuteur secoua la tête, souriant.
« Tu ne manques pas d’ambition, je te reconnais ça. Mais, un conseil, apprend à rester à ta place. C’est moi qui fixe les règles ici, et c’est moi qui décide combien vaut ton information. Passe voir mon secrétaire demain avec les photos, il te donnera ton salaire. »
L’homme retourna à ses papiers sans plus lui adresser un regard. Après quelques secondes d’hésitation de la part d’Ewen, un des gardes lui confirma d’un signe de la main que l’entrevue était terminée. Une fois la porte fermée, la jeune femme s’autorisa enfin à respirer, ce qu’elle n’avait plus fait depuis sa pauvre tentative de négociation. Qu’est ce qui lui avait pris de faire ça ? Ce n’est pas comme si elle avait la moindre chance d’obtenir ce qu’elle voulait de toute façon !
Enfin… ça ne s’était pas SI mal passé, elle avait fait sa première vente après tout, et auprès de quelqu’un d’important, en plus. A défaut d’argent, elle aurait au moins de la visibilité dans le milieu. Au moins avait-elle assez de réserves pour tenir encore quelques semaines. Le temps d’être recontacté ou d’avoir trouvé une autre source de revenu. Dans le doute, elle avait sans doute intérêt à commencer à faire du repérage dans les quartiers riches…
Elle secoua la tête, chassant ces préoccupations. Elle avait atteinds son but, après tout. Le reste de la journée dédié au repos pour fêter ça !
La mince silhouette de la voleuse rejoint bientôt une des artères de la citée où elle se mêla à la foule. Autour d’elle, les riches bâtiments du quartier de la colline s’élevaient en ordre rangé, entouré à l’est par le quartier du marché, à l’ouest par celui des guildes. Au sud, dominant la ville de sa masse imposante, le chantier de Bliss s’étendait d’un air tentaculaire aussi loin que portait le regard. Il contenait ses propres ports, des champs de hangars, des forêts de grues, de cimetières de bateaux et d’hommes. La ville entrait et sortait de ses lourdes portes par d’imposants flots de personnes et de marchandises. Depuis le sud, le vent se mit à souffler.
-Je sais, c’est pour ça que vous êtes là. »
Ewen regarda l’homme, incertaine de comment répondre. Face à elle et dos à la lumière, le contraste rendait son visage difficilement visible, mais son attitude –lire un rapport pendant qu’il lui parlait- ne laissait planer que peu de doutes. Devant lui, le bureau en bois exotique soutenait des piles bien organisées de dossiers, qui contenaient sans doute plus d’informations compromettantes que la police ne pourrait en étudier pendant des années.
La pièce elle-même était assez dépouillée. N’y figurait qu’une horloge sur le mur, un vieux tapis sur le sol et deux fauteuils faisant place au bureau, l’air peu confortable. La jeune voleuse était restée debout. Aux quatre coins de la pièce, se fondant dans l’ombre, des hommes de main la surveillaient, l’air négligent.
« Je vais aller droit au but, alors. Je sais que vous vous intéressez au chantier et je peux vous donner des informations dessus.
-Et où est le piège ? »
Bobby Lapointe posa le papier qu’il était en train de lire et entreprit de fouiller dans l’un des tiroirs.
« Il n’y en a pas. Je souhaite juste vous montrer ma compétence afin de pouvoir faire affaire avec vous plus tard. Voyez ça comme l’équivalent d’un échantillon gratuit.
-J’espère bien que non, la qualité de ces trucs est toujours dégueulasse. Et si votre produit est dégueulasse, il n’y a aucune chance que j’achète un produit comme ça. A vrai dire, je n’apprécierais pas beaucoup qu’on m’en propose tout court. »
Les mots restèrent en suspens comme les menacent qu’ils étaient, alors que le mafieux pris une large bouchée d’un sandwich au thon.
« Si je suis ici, c’est que vous êtes intéressé. Mais comme vous l’avez signalé, il faut que l’information vous soit directement utile pour que j’espère retenir votre attention par la suite. Je vous propose donc de choisir une information qui vous intéresse, les autres seront payantes. J’ai les plans du chantier, l’état financier actuel du chantier, les listes et les informations des clients et des fournisseurs, ainsi qu’un scandale non révélé impliquant le directeur.
-Quel genre de scandale ? »
Pour la première fois depuis le début de l’entrevue, l’homme avait cessé ses activités et la regardait directement.
« Il a protégé un collègue meurtrier des conséquences de son acte.
-Tu vois, quand tu veux ! LA, ça m’intéresse. Dit moi tout.
- ça remonte à Octobre 1620, monsieur Delabère était alors ingénieur naval –un cadre des chantiers, mais pas encore le directeur- et le meurtre est effectué par un de ses collègues, un autre ingénieur du nom de Valrose. Après s’être occupé lui-même de vérifier la sécurité d’un treuil sans personne pour l’assister, chose suffisamment habituelle pour être noté, il a nommément demandé que l’un de ses ouvriers, monsieur martin, s’occupe d’une tâche qui le mettait directement en danger si le fameux treuil était défaillant, ce qu’il était manifestement.
Je vous passe les détails, mais toujours est-il qu’une commission interne, vu les faits accablants, à déduits que l’ingénieure était coupable mais a, pour des raisons qui me sont inconnues, décidé de ne pas agir en conséquence et d’envoyer un rapport falsifié à la police. Monsieur Delabère était l’un des membres du comité était donc au courant.
Là où ça devient intéressant c’est que, une fois devenu directeur, il ne l’a pas dénoncé non plus et l’a gardé dans son équipe, et ce jusqu’à la retraite de l’ingénieur, alors qu’il était dans une position de pouvoir qui lui permettaient de le faire sans subir de pression. »
Le silence lui répondit. Les hommes de main avaient le regard de personnes qui avaient appris à ne pas écouter ce que racontaient les gens, par désintérêt et par volonté d’éviter les ennuis. Le parrain, lui, paraissait perdu dans ses pensées. Incertaine de comment réagir, l’informatrice laissa le silence s’éterniser. Tous attendirent, les yeux fixés sur Lapointe, qui ne réagissait pas.
Surpris par l’arrêt du silence, tout le monde sursauta lorsque le parrain reprit la parole :
« Tu as des preuves de ce que tu avances ?
-Evidemment. Je n’ai pas le rapport initial, il a été détruit, mais j’ai vu tous les autres documents, qu’ils ont visiblement décidé de garder. Les preuves ne sont pas directes, mais il y a largement de quoi condamner l’ingénieur pour meurtre et démontrer la complicité des deux directeurs. Je peux vous fournir les photos des documents, ainsi que vous indiquer où trouver les originaux.
-le tout pour un prix dérisoire, c’est ça ?
-Non. Obtenir ces informations a été risqué et a représenté un travail important. Les brader ne serait pas seulement une perte directe, mais vous ferait également penser que mon travail a peu de valeur, diminuant d’autant mes chances de refaire affaire avec vous. Je peux vous fournir le tout pour un prix raisonnable. »
Son interlocuteur secoua la tête, souriant.
« Tu ne manques pas d’ambition, je te reconnais ça. Mais, un conseil, apprend à rester à ta place. C’est moi qui fixe les règles ici, et c’est moi qui décide combien vaut ton information. Passe voir mon secrétaire demain avec les photos, il te donnera ton salaire. »
L’homme retourna à ses papiers sans plus lui adresser un regard. Après quelques secondes d’hésitation de la part d’Ewen, un des gardes lui confirma d’un signe de la main que l’entrevue était terminée. Une fois la porte fermée, la jeune femme s’autorisa enfin à respirer, ce qu’elle n’avait plus fait depuis sa pauvre tentative de négociation. Qu’est ce qui lui avait pris de faire ça ? Ce n’est pas comme si elle avait la moindre chance d’obtenir ce qu’elle voulait de toute façon !
Enfin… ça ne s’était pas SI mal passé, elle avait fait sa première vente après tout, et auprès de quelqu’un d’important, en plus. A défaut d’argent, elle aurait au moins de la visibilité dans le milieu. Au moins avait-elle assez de réserves pour tenir encore quelques semaines. Le temps d’être recontacté ou d’avoir trouvé une autre source de revenu. Dans le doute, elle avait sans doute intérêt à commencer à faire du repérage dans les quartiers riches…
Elle secoua la tête, chassant ces préoccupations. Elle avait atteinds son but, après tout. Le reste de la journée dédié au repos pour fêter ça !
La mince silhouette de la voleuse rejoint bientôt une des artères de la citée où elle se mêla à la foule. Autour d’elle, les riches bâtiments du quartier de la colline s’élevaient en ordre rangé, entouré à l’est par le quartier du marché, à l’ouest par celui des guildes. Au sud, dominant la ville de sa masse imposante, le chantier de Bliss s’étendait d’un air tentaculaire aussi loin que portait le regard. Il contenait ses propres ports, des champs de hangars, des forêts de grues, de cimetières de bateaux et d’hommes. La ville entrait et sortait de ses lourdes portes par d’imposants flots de personnes et de marchandises. Depuis le sud, le vent se mit à souffler.
Dernière édition par Ewen Chantenuit le Ven 19 Aoû 2022 - 22:42, édité 1 fois