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rêves de grandeurs

« J’ai une proposition à vous faire.
-Je sais, c’est pour ça que vous êtes là. »

Ewen regarda l’homme, incertaine de comment répondre. Face à elle et dos à la lumière, le contraste rendait son visage difficilement visible, mais son attitude –lire un rapport pendant qu’il lui parlait- ne laissait planer que peu de doutes. Devant lui, le bureau en bois exotique soutenait des piles bien organisées de dossiers, qui contenaient sans doute plus d’informations compromettantes que la police ne pourrait en étudier pendant des années.
La pièce elle-même était assez dépouillée. N’y figurait qu’une horloge sur le mur, un vieux tapis sur le sol et deux fauteuils faisant place au bureau, l’air peu confortable. La jeune voleuse était restée debout. Aux quatre coins de la pièce, se fondant dans l’ombre, des hommes de main la surveillaient, l’air négligent.
« Je vais aller droit au but, alors. Je sais que vous vous intéressez au chantier et je peux vous donner des informations dessus.
-Et où est le piège ? »
Bobby Lapointe posa le papier qu’il était en train de lire et entreprit de fouiller dans l’un des tiroirs.
« Il n’y en a pas. Je souhaite juste vous montrer ma compétence afin de pouvoir faire affaire avec vous plus tard. Voyez ça comme l’équivalent d’un échantillon gratuit.
-J’espère bien que non, la qualité de ces trucs est toujours dégueulasse. Et si votre produit est dégueulasse, il n’y a aucune chance que j’achète un produit comme ça. A vrai dire, je n’apprécierais pas beaucoup qu’on m’en propose tout court. »

Les mots restèrent en suspens comme les menacent qu’ils étaient, alors que le mafieux pris une large bouchée d’un sandwich au thon.
« Si je suis ici, c’est que vous êtes intéressé. Mais comme vous l’avez signalé, il faut que l’information vous soit directement utile pour que j’espère retenir votre attention par la suite. Je vous propose donc de choisir une information qui vous intéresse, les autres seront payantes. J’ai les plans du chantier, l’état financier actuel du chantier, les listes et les informations des clients et des fournisseurs, ainsi qu’un scandale non révélé impliquant le directeur.
-Quel genre de scandale ? »

Pour la première fois depuis le début de l’entrevue, l’homme avait cessé ses activités et la regardait directement.
« Il a protégé un collègue meurtrier des conséquences de son acte.
-Tu vois, quand tu veux ! LA, ça m’intéresse. Dit moi tout.
- ça remonte à Octobre 1620, monsieur Delabère était alors ingénieur naval –un cadre des chantiers, mais pas encore le directeur- et le meurtre est effectué par un de ses collègues, un autre ingénieur du nom de Valrose. Après s’être occupé lui-même de vérifier la sécurité d’un treuil sans personne pour l’assister, chose suffisamment habituelle pour être noté, il a nommément demandé que l’un de ses ouvriers, monsieur martin, s’occupe d’une tâche qui le mettait directement en danger si le fameux treuil était défaillant, ce qu’il était manifestement.
Je vous passe les détails, mais toujours est-il qu’une commission interne, vu les faits accablants, à déduits que l’ingénieure était coupable mais a, pour des raisons qui me sont inconnues, décidé de ne pas agir en conséquence et d’envoyer un rapport falsifié à la police. Monsieur Delabère était l’un des membres du comité était donc au courant.
Là où ça devient intéressant c’est que, une fois devenu directeur, il ne l’a pas dénoncé non plus et l’a gardé dans son équipe, et ce jusqu’à la retraite de l’ingénieur, alors qu’il était dans une position de pouvoir qui lui permettaient de le faire sans subir de pression. »

Le silence lui répondit. Les hommes de main avaient le regard de personnes qui avaient appris à ne pas écouter ce que racontaient les gens, par désintérêt et par volonté d’éviter les ennuis. Le parrain, lui, paraissait perdu dans ses pensées. Incertaine de comment réagir, l’informatrice laissa le silence s’éterniser. Tous attendirent, les yeux fixés sur Lapointe, qui ne réagissait pas.

Surpris par l’arrêt du silence, tout le monde sursauta lorsque le parrain reprit la parole :
« Tu as des preuves de ce que tu avances ?
-Evidemment. Je n’ai pas le rapport initial, il a été détruit, mais j’ai vu tous les autres documents, qu’ils ont visiblement décidé de garder. Les preuves ne sont pas directes, mais il y a largement de quoi condamner l’ingénieur pour meurtre et démontrer la complicité des deux directeurs. Je peux vous fournir les photos des documents, ainsi que vous indiquer où trouver les originaux.
-le tout pour un prix dérisoire, c’est ça ?
-Non. Obtenir ces informations a été risqué et a représenté un travail important. Les brader ne serait pas seulement une perte directe, mais vous ferait également penser que mon travail a peu de valeur, diminuant d’autant mes chances de refaire affaire avec vous. Je peux vous fournir le tout pour un prix raisonnable. »
Son interlocuteur secoua la tête, souriant.
« Tu ne manques pas d’ambition, je te reconnais ça. Mais, un conseil, apprend à rester à ta place. C’est moi qui fixe les règles ici, et c’est moi qui décide combien vaut ton information. Passe voir mon secrétaire demain avec les photos, il te donnera ton salaire. »

L’homme retourna à ses papiers sans plus lui adresser un regard. Après quelques secondes d’hésitation de la part d’Ewen, un des gardes lui confirma d’un signe de la main que l’entrevue était terminée. Une fois la porte fermée, la jeune femme s’autorisa enfin à respirer, ce qu’elle n’avait plus fait depuis sa pauvre tentative de négociation. Qu’est ce qui lui avait pris de faire ça ? Ce n’est pas comme si elle avait la moindre chance d’obtenir ce qu’elle voulait de toute façon !
Enfin… ça ne s’était pas SI mal passé, elle avait fait sa première vente après tout, et auprès de quelqu’un d’important, en plus. A défaut d’argent, elle aurait au moins de la visibilité dans le milieu. Au moins avait-elle assez de réserves pour tenir encore quelques semaines. Le temps d’être recontacté ou d’avoir trouvé une autre source de revenu. Dans le doute, elle avait sans doute intérêt à commencer à faire du repérage dans les quartiers riches…
Elle secoua la tête, chassant ces préoccupations. Elle avait atteinds son but, après tout. Le reste de la journée dédié au repos pour fêter ça !

La mince silhouette de la voleuse rejoint bientôt une des artères de la citée où elle se mêla à la foule. Autour d’elle, les riches bâtiments du quartier de la colline s’élevaient en ordre rangé, entouré à l’est par le quartier du marché, à l’ouest par celui des guildes. Au sud, dominant la ville de sa masse imposante, le chantier de Bliss s’étendait d’un air tentaculaire aussi loin que portait le regard. Il contenait ses propres ports, des champs de hangars, des forêts de grues, de cimetières de bateaux et d’hommes. La ville entrait et sortait de ses lourdes portes par d’imposants flots de personnes et de marchandises. Depuis le sud, le vent se mit à souffler.


Dernière édition par Ewen Chantenuit le Ven 19 Aoû 2022 - 22:42, édité 1 fois


    Une vie paisible comme on les aime. Quelques jours, peut-être quelques semaines, que j’étais maintenant un ingénieur naval du chantier naval de Bliss. J’en avais terminé avec le bricolage, quoi que je continuais les bricolages dans notre nouvel appartement, où Eärendil et moi habitions depuis peu. Elle était extrêmement exigeante et je manquais de temps pour l’affronter dans cette puérile bataille. Alors oui, je bricolais encore un peu et, dans le fond, j’aimais ça. Mais je devais bien l’avouer, ces nouvelles compétences, ces nouveaux chantiers, me plaisaient bien plus encore.

    J’arrivais au chantier avec la banane, un grand sourire aux lèvres, mes plans sous le bras, une tasse de thé à la main, à zigzaguer entre les clients, les fournisseurs et les ingénieurs. Souvent, on s’attendait à l’entrée avec Celeborn. Nous étions devenus presque inséparables. Comme deux frères, deux meilleurs potes, à faire les pires coups ensemble. J'appréhendais mon installation sur Bliss, surtout sur Portgentil, peu adepte des villes vivantes et festives. Mais finalement, on s’y faisait relativement vite. Idem pour le chantier. Arriver avec le géant m’avait grandement facilité les choses.

    - Prêt pour une nouvelle journée ? Demanda Celeborn en claquant violemment mon dos.

    - Comme tous les jours, rétorquai-je en reprenant mon souffle. Tiens, d’ailleurs, regarde ces plans. Enfin surtout les annotations. En changeant ces éléments, le navire gagnerait probablement en vitesse, non ?

    Il s’arrêta et consulta les documents avec beaucoup d’attention. Sous ses airs de brute, on ne le croirait pas comme ça, mais Celeborn était un ingénieur phare du chantier et ses compétences dépassaient de loin l’ensemble des travailleurs lambdas. Il avait toute la confiance du directeur, Marshall, qui comptait beaucoup sur lui.

    - T’es quoi au juste, Al’ ? J’veux dire par là que tu n’y connaissais rien en machinerie à vapeur. Y'a encore quelques jours, tu m’demandais de t’expliquer des fondamentaux, et là tu m’sors des modifs d’un plan fait par un type qui d’la bouteille. On va montrer ça à Marsh’ pour qu’il valide.

    Nous allâmes donc à la rencontre du directeur de ce chantier, ce brave Marshall, avec lequel je m’entendais relativement bien. En fait, s’il n’était pas autant surchargé par l’administratif, nous formerions certainement un trio avec Cele’, mais nous devions nous contenter de quelques verres dans son bureau. Marshall, c’était le genre à discuter avec ses employés, à prendre du temps pour les écouter, à hausser la voix quand c’était nécessaire... Bref, vous l’aurez compris, j’admirais ce type. Et ça, c’était bien trop rare pour le souligner, n’étant pas du genre à m’émerveiller sur des personnes.

    - Salut les gars, c’est un peu tôt pour l’apéro ? Fit le directeur, étonné de voir son duo préféré arriver à une heure si matinale.

    - J’apprécie la manière dont tu nous considérés, rétorquai-je en feignant la déception.

    - Clair ! Pas pendant les heures de boulot ! On est des travailleurs rigoureux ! Regarde ces plans au lieu de raconter des âneries !

    Un bref regard échangé entre les deux hommes avant que Marshall se décida à saisir lesdits plans. Il laissa de côté ces paperasses et entra progressivement dans l’univers que j’avais conçu. Un regard sur l’ancien plan, un regard sur le nouveau, ses yeux alternèrent entre l’un et l’autre à grande vitesse. Entre deux coups d’œil, il leva la tête vers moi, juste pour être certain qu’il s’agissait bien de mon œuvre. Le visage obscurcit par mon couvre-chef, l’élargissement de mes lèvres, le sourire qui se dessina, n’échappa à personne.

    - Beau travail, Celeborn.

    - C’est malheureusement pas mon travail, abruti.

    - Alma ? Déconnez pas, les gars, c’est trop tôt pour les blagues.

    Le géant n’en rajouta pas davantage. Marshall dut se résigner à l’évidence, j’étais le concepteur de ces plans.

    - Merde alors. Il y a encore quelques jours...

    - Je sais. Je lui ai déjà dit la même chose.

    - Bien, bien, dit-il en remettant de l’ordre sans sa tête. Vendu. Filez donc me concevoir cette merveille aussi belle qu’ingénieuse. C’est un gros client.

    Après de légères salutations, nous partîmes vers le chantier, quand la voix du chef me stoppa.

    - Alma ! Quand vous aurez terminé ce chantier, tu viendras me voir pour quelques ajustements administratifs et salariales.

    La journée ne pouvait pas mieux commencer. Je n’en toucherai aucun mot à Eärendil, elle me pompait déjà bien trop de fric. Fallait bien m’en garder un peu de côté.



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    Le gardien de la porte C regarda d’un air peu impressionné les hommes qui s’approchaient. Les deux du milieu portaient des costumes de qualités et des bijoux discrets qu’il devinait hors de prix, tandis que quatre armoires à glace autour, dans des costumes simples mais toujours élégants, leur servaient de gardes du corps. Il reconnaissait le style de garde, c’étaient ceux de la mafia. N’importe qui avec de l’argent pouvait les embaucher pour faire croire qu’il avait également du pouvoir. Ce genre gus, on en voyait quelques fois par semaines venir avec une « proposition en or » qui n’intéressait jamais personne. Il les arrêta pour leur demander s’ils avaient rendez-vous, connaissant pertinemment la réponse.
    « Tout à fait, j’ai rendez-vous avec le directeur à 11h20. Je suis monsieur Lapointe »
    Il ouvrit la bouche pour leur dire qu’il ne pouvait pas les laisser rentrer avant que les mots ne lui soient suffisamment rentrés dans le crâne pour reprendre le pas sur son habitude. Il balbutia une excuse puis fonça vérifier le planning qu’on lui avait fourni. Et le type avait vraiment rendez-vous, première surprise.

    Robert Lapointe traversa tranquillement le chantier en direction du bureau du directeur. A ses côtés, Loïc Sombreville, le responsable des finances de la famille le surveillait, prudent. Il était d’un peu trop bonne humeur ces derniers temps, et s’était mis à travailler bien plus que d’habitude. Pour lui qui le côtoyait au quotidien, il était évident que Bobby avait quelque chose en tête, et le regard possessif qu’il portait sur le chantier lui donnait la dernière pièce du puzzle.

    Marshall Delabère, assit à son bureau, posa le document qu’il venait de lire. C’était un rapport sur la construction d’une corvette pour une duchesse de Logue Town. Le projet avait actuellement trois jours de retards sur le planning annoncé aux ouvriers, soit près de deux mois d’avance sur le véritable planning. Intrigué, il avait envoyé un inspecteur pour vérifier l’état des travaux. Le rapport venait d’arriver et tout était parfait. Pas un boulon de travers. Tout marchait, tout fonctionner. Le chantier dans son ensemble, cette machine infernale, hoquetante, bruyante et crasseuse, cette machine impossible à laquelle il avait consacré sa vie, tournait. Pour qui n’avait pas l’habitude les retards suivaient aux accidents, qui eux-mêmes précédaient les tablées de mécanos, mais chacun de ces risques était connu, pris en compte et le temps pour le régler était prévu avant même qu’il n’arrive. Les chantiers, après tout ce temps, recommençaient à véritablement fonctionner.


    Les trois coups secs de la secrétaire frappèrent la porte dans un rythme rapide et le parrain entra, suivit du financier. Le directeur leur indiqua les fauteuils tandis que son visage, malgré ses efforts, se fermait. Il avait oublié cette visite et, surtout, n’avait pas compris que l’homme se déplacerais lui-même.

    « Bonjour Monsieur Lapointe. Je dois dire que je ne m’attendais pas à vous voir en personne. Que me vaut votre visite ?
    -Je vais très bien, je vous remercie. Je vais prendre un verre de Brandy, si vous le voulez bien. Et vous comment vont les affaires ?
    -Je dois dire que je ne me souviens pas de voir avoir proposé pour le verre. Et les affaires vont bien, merci. »
    Les deux hommes, habitués des sphères de pouvoirs et tous deux arrivés dans leur position après avoir navigué de complexes toiles de politiques, se regardèrent en chiens de faïence, conscients du duel de volonté et de pouvoir qui avait commencé. L’invité arborait un large sourire, confiant dans sa victoire, tandis que l’hôte lui opposait un mur neutre et lisse en matière d’expression.

    « Comme je l’ai indiqué à votre assistante, je souhaiterais vous offrir mes services. Voyez-vous, j’ai récemment entendus l’histoire tragique de Pierre Jarpin. J’étais, comme vous pouvez vous en douter, extrêmement touché par cet incident, et j’ai réalisé que je pourrais peut-être aider.
    Voyez-vous, je suis un homme sensible qui n’aime pas rester insensible face à la misère du monde et j’ai donc, entre autres, développé un buisness qui me permet de protéger les gens ainsi que ce qui leur appartient. »
    Pas un muscle du visage de Marshall ne bougea en entendant la tirade. La fin était un clair euphémisme –le reste des activités de son vis-à-vis étant de causer des problèmes contre lesquels se protéger- mais le début était la partie dangereuse. Il savait quelque chose, restait à savoir quoi.
    « Je pense voir de quel ‘buisness’ vous parlez, oui. Mais je ne pense pas que nous aurons besoin de vos services, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, l’incident dont vous parlez remonte aujourd’hui à plusieurs années et notre sécurité a bien évolué depuis. De plus, la mort de cet homme, bien que tragique, a été causé par un problème matériel et, sauf erreur de ma part, vos hommes ne sont pas techniciens confirmés.
    -En effet, mais l’expertise que je pourrais offrir est ailleurs. D’après certains documents que j’ai pu consulter, l’erreur de vérification n’était pas accidentelle, mais volontaire. Non seulement la chose a, semble-t-il, échappé au comité de l’époque, mais le coupable semble aussi ne jamais avoir été renvoyé.
    -Ce sont de graves accusations. Puis-je savoir qui est censé être le coupable ?
    -Bien sûr, il s’agit de Gilbert Valrose. »

    Pour la première fois, la façade de confiance du directeur se fissura et il ne répondit pas. Le sourire de Bobby s’agrandit encore, dévoilant ses dents. Il posa tranquillement un dossier sur le bureau en chêne. Un dossier cartonné bleu, tout simple, sur lequel était écrit « Commission d’enquête au sujet de Jarpin » suivit des noms des différents membres.

    « Je vous laisse ici les copies des preuves dont je vous ai parlé. J’attends votre réponse à ma proposition, que j’espère positive. Demain vers 15h heures, disons ? Ça devrait être assez pour tout mettre en place, si vous ne trainez pas trop. »

    Marshall Delabère, pâle comme la mort, regarda les deux hommes disparaitre dans le couloir, avant de se prendre la tête entre les mains.


    Dernière édition par Ewen Chantenuit le Ven 19 Aoû 2022 - 22:42, édité 3 fois


      Des hommes en costard, un bandit accompagné de sa troupe, pas le genre qui passait inaperçu. Nos regards se portèrent naturellement vers ces messieurs qui se dirigèrent vers le bureau du directeur. Je rappelai à tous les petits curieux qu’ils avaient du boulot, sans pour autant appliquer ma propre consigne. J’étais respecté et je comptais bien profiter de ce pouvoir. Cependant, Celeborn, tout comme moi, resta focalisé sur la porte du bureau qui vint se fermer une fois passés l’homme et son escorte. En fait, en creusant un peu dans ma mémoire, j’étais certain d’avoir déjà vu ce type quelque part. Cette idée me glaça le dos, car je ressentis à cet instant comme un malaise intérieur.

      - À en juger par ta tronche, tu ne l’sens pas, fit le géant en s’approchant de moi.

      - Celeborn, rétorquai-je froidement. La mafia vient souvent rendre visite à Marshall ?

      À mes mots, le visage de mon camarade se crispa, m’indiquant qu'il ne comprit que maintenant que le petit homme en costume était un chef truand. Beaucoup craignaient les pirates, les empereurs, les corsaires... tapis dans l’ombre, les mafieux représentaient une part importante des assassinats commis dans les royaumes, et ce, sans prime et en toute impunité. Avec de l’argent, des relations, une certaine forme de discrétion, de déguisement, on pouvait aisément agir en passant au-dessus de certaines lois. Un roublard comme Celeborn comprenait aisément ce genre de chose. Moi, j’angoissai un peu plus à chaque seconde qu’ils passaient dans ce bureau.

      - Alma ! On a b’soin d’toi au quai numéro 4 ! On a merdé et on est complètement bloqués. Un mouvement et toute la structure s’écroule. C’pas faute d’avoir suivi tes plans.

      - Pas faute d’avoir suivi mes plans, hein, fis-je d’une voix douce mais d’un regard qui trompait cette douceur. Vous mériteriez de tout recommencer, abrutis ! Se précipiter pour une fumer une clope, sérieusement.

      J’échangeai un regard avec mon vieil ami.

      - S’il se passe quoi que ce soit, j’te fais signe, Alma. Tu peux réparer les conneries de ces clowns.

      Tout penaud, le charpentier m’emmena au quai en question pour constater l’étendue des dégâts. Le constat était sans appel. Mauvais assemblage dans la charpente. Aussi bien avec les planches de bois qu’avec les pièces métalliques. Ma première idée fut de tout démonter et recommencer depuis le début, mais en voyant la date de rendu annoncée, je me rendis compte que cela ne collait pas du tout. Le retard deviendrait alors trop important et cela nuirait à la réputation du chantier. En fait, je ne peux m’empêcher de penser à Marshall avec ce mafieux, et que la moindre erreur de notre part pouvait lui faire défaut.

      - Je vais faire ramener des poutres en urgence pour maintenir les charpentes, vous permettre de vous en détacher et retourner au boulot. Tout n’est pas jeter dans ce que vous fait, mais nous allons devoir repasser dans certains endroits clés pour stabiliser l’assemblage. En attendant, branleurs, tenez le coup !

      J'hurlai des ordres à tout va. Des hommes, sur des chantiers à côté, quittèrent leur poste pour accéder à mes demandes. Sous l’urgence brièvement expliquée, les plus vifs n’hésitèrent pas un seul instant pour sauver la patrie. Ce que j’aimais par-dessus dans ce chantier, c’était bien cette camaraderie, cette solidarité pour les beaux jours de l’entreprise. Grâce à cet élan de bonté, nous arrivâmes à stopper l’hémoragie et repartir sur une base plus saine. Le quai numéro quatre, le temps de quelques heures, fut complètement sous ma direction et je le lui rendis bien.

      Tourmenté, à la fin du service, après m’être assuré d’avoir sauvé le navire, je partis aussi vite que possible rejoindre Celeborn. Le visage peu rassuré, je compris que la visite de la journée n’eut guère un effet positif sur notre directeur. Nous décidâmes de mettre les pieds dans le plat et directement interroger le principal concerné, manifestement au fond de sa vie. Ce dernier sortit trois verres qu’il remplit de son meilleur whisky, s’assura que personne n’écoutait derrière la porte et nous raconta tout le récit. Une fraude que tout homme aurait commise pour protéger un ami. Malheureusement, c’était largement préjudiciable et la prison l’attendait certainement si ces preuves tombaient dans les mains de la justice. Cependant...

      - Tu dois refuser, dis-je sèchement. Tu as couvert le coupable sous menace, ce dernier tenait ta famille ou que sais-je...

      - Je ne peux faire ça à un ami.

      - Lui faire quoi ? D'après tes dires, il a quitté le chantier et Bliss depuis les événements en question. Ils ne vont pas s’emmerder à le traquer pour une affaire déjà réglée, surtout s’il n’est pas dans les parages. En ce qui concerne les autorités locales, je crois qu’elles ont déjà bien à faire avec les Everglades... Refuse.

      Sur ces mots, nous bûmes cul-sec, décidés à ne pas céder au chantage de ce vil personnage. J’avais la ferme intention d’aider mon ami jusqu’au bout, Celeborn aussi.



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      Ewen grogna lorsque la serveuse la secoua dans son lit avant de finalement consentir à ouvrir les yeux devant son insistance. Il ne devait pas être midi, bon sang ! Ce n’était pas une heure pour réveiller les gens.
      En s’asseyant sur son lit, elle fit comprendre à la jeune femme que son aide n’était plus nécessaire. Elle s’habilla lentement, tentant d’extraire sa conscience des brumes du sommeil sans l’aide salvatrice de la caféine. Ce ne fut pas une grande réussite.
      La voleuse tenta néanmoins de se donner une apparence présentable avec l’aide du miroir de sa commode avant de finalement descendre. Il serait impoli et imprudent de faire attendre son invité plus longtemps.
      Elle sortit de la taverne avec un signe de tête de remercîment envers la patronne avant de se dépêcher en direction d’une autre auberge, situé près du port. L’adresse qu’elle avait donnée à Lappointe n’était pas la vraie. Elle n’était pas folle, non plus.

      L’homme attendait, assis au bar, l’air d’avoir déjà pris une paire de verre pour occuper son attente. Il ne remarqua pas son arrivé avant qu’elle ne tire un siège à côté de lui.
      « J’ai cru comprendre que mon travail avait été utile. »
      Le messager marqua un temps de pause, ne sachant comment répondre face à quelqu’un qui prenait l’initiative.
      « Comment vous savez ça ?
      -C’est mon métier. Je vous paye un verre ? »
      Pour rendre à césars ce qui revient à césars, il récupéra rapidement son contrôle et exposa ouvertement ce pourquoi il était là. A savoir la suite des opérations. Comme l’informatrice l’avait déjà appris, une première approche avait déjà été tentée par les chefs, mais elle n’avait pas montré les résultats escomptés. Ce qui arrangeait d’ailleurs la jeune femme, d’un point de vue purement financier. Et ils avaient maintenant un plan une tête pour la suite. Ewen l’écouta, incrédule.
      « Donc, si je résume, vous voulez que je me débrouille, sans l’aide de la famille, pour saouler l’ensemble des ouvriers du chantier – ouvriers qui, soit dit en passant, sont la chose sur la terre ferme qui se rapproche le plus des marins – saouler l’ensemble des ouvriers, donc, avant de les exciter afin qu’ils créent une émeute. »
      Elle tenta laborieusement d’expliquer à son interlocuteur que le point le moins problématique de ce plan était de récupérer une quantité d’alcool égale à la consommation annuel d’un petit pays.
      Il ne le prit pas bien, réagissant agressivement, la traitant d’incapable et, par là-même, attirant l’attention de la salle sur lui. Ç’allait être long.

      L’informatrice n’était pas une personne violente, parole, mais elle commençait à très sérieusement à souffrir physiquement du fait de ne pas mettre son poing dans la figure méprisante du mafieux lorsqu’elle réalisa une chose. L’homme n’était pas stupide : il savait qu’elle était compétente mais jouait la stupidité afin de justifier de continuer à la payer peu. S’énerver ne faisait que lui rendre la tâche plus simple.
      A partir de là, les négociations furent bien plus simples à mener et la solution qu’elle proposait fut rapidement accepté. Une solution qui passait par le fait de faire découvrir par erreur un memo censé circuler entre les responsables et discutant des moyens de garder les travailleurs sous le joug de l’oppression, si possible par un syndicaliste convaincu. Pas évident à réaliser, mais faisable avec les bonnes connaissances.

      Ces connaissances, elle les avait déjà. Depuis la première vente, elle avait bien compris que la situation était partie pour être intéressante et avait entrepris de sociabiliser avec tout à un tas de personnes : des contremaitres communistes, des femmes d’ingénieurs et un des gardiens de la porte 3, entre autres. Aucun ne savait évidemment quel était son véritable objectif et elle n’était pas dans le secret des rois –du moins pas encore- mais elle savait tous des faits divers de ces derniers jours, des rapports hiérarchiques et du fonctionnement du chantier au globale.

      Restait maintenant à créer la directive et à la faire découvrir de façon convaincante. Les deux options évidentes consisteraient ou à la faire trouver dans une poubelle par une femme de ménage, ou la faire passer sous pli scellé par une personne connue pour être trop curieuse des affaires des autres.
      Inutilisable, les deux. La première était extrêmement aléatoire pour un résultat peu solide, la deuxième était pire. Elle pourrait essayer de l’inclure dans une pile de choses à trier par une secrétaire…
      Non plus, mais l’idée de l’inclure dans quelque chose était bonne. Elle finit par trouver. L’inclure au milieu des papiers que l’assistante du chef du service financier devait distribuer. Elle était notoirement sous l’eau en ce moment, ne vérifierait donc pas le détail des piles et les gens trouveraient normale qu’elle ait fait une erreur.
      Le destinataire devrait être choisi une fois sur place, en fonction des envois prévus pour le lendemain matin. Quant à la lettre elle-même…


      Dernière édition par Ewen Chantenuit le Ven 19 Aoû 2022 - 22:43, édité 2 fois


        Les jours suivants l’apparition mystérieuse des hommes de la mafia se passèrent pour le moins calmement. Je les avais presque oubliés. Nous travaillions de nouveau normalement, dans la joie et la bonne humeur, à la confection de merveilleux navires. J'étais réellement passionné par mon boulot et ne m’imaginais nulle part ailleurs. Bien que ces mois d’aventures diverses et variées m’enrichirent financièrement, cette peur constante de la mort me fit prendre dix ans d’âge. Cette sécurité et cette routine desquelles je jouissais n’avaient pas de prix.  

        Néanmoins, cette douce tranquillité ne dura pas longtemps. En effet, rapidement, des rumeurs commencèrent à circuler. J'avais une certaine popularité auprès des hommes du chantier, tout comme Celeborn, alors on venait souvent nous parler. Nous n’étions pas les syndicalistes du chantier, mais nous étions parfois plus efficaces que ces derniers, puisqu’on parlait directement au directeur quand quelque chose n’allait pas. Marshall était un directeur assez bienveillant qui optait pour le bien-être de ses salariés, dans la mesure du possible.  

        Alors quand ces rumeurs tombèrent, que le géant et moi-même étions maintenant informés, on ne pouvait pas laisser de telles vagues prendre de l’ampleur. Il fallait impérativement éteindre l’incendie. Apparemment, par erreur, l’assistante du directeur envoya des fiches d’information, dont une qui incriminait notre cher directeur. J’imaginais très mal Lise faire une telle chose. Et cela coïncidait bien trop avec l’apparition du tonton flingueur venu plus tôt dans la semaine. Cela n’avait pas de sens et allait rapidement être démenti. Un regroupement fut organisé à la fin du service.

        - Les gars, dis-je calmement alors que je bricolais sur une pièce métallique, ne soyez pas dupes. Vous savez bien que des types en ont après Marsh’ en ce moment. Après tout ce qu’il a fait pour nous, on va vraiment lui chier dans les bottes pour une rumeur qui ne tient pas debout ? De plus, les événements cités sont antérieurs à mon arrivée ici, mais je n'ai pas eu l'impression de subir une quelconque oppression des chefs.

        - C’est clair ! On a assez de boulot comme ça, ça se passe assez bien, préservons ce confort, non ? ajouta Celeborn.

        Les syndicalistes, se sentant inutiles, devaient en rajouter une couche.  

        - Il y a pourtant des preuves ! Il doit y avoir des sanctions ?  

        - Quelles preuves ? Un vulgaire papier qui est apparu sur votre bureau syndicaliste ! À croire que c’est p’tet vous qu’avez monté ces preuves !

        Aïe. Celeborn rentra dans le piège de celui qui a préparé ce plan. Un conflit entre le syndicat du chantier et la plus grosse personnalité du chantier. Une guerre se prépare entre les deux parties, une guerre inutile quand on réfléchissait posément. Je saisis deux barres métalliques et entrechoquai les deux avec force. Un bruit strident retentit et l’assemblée se tourna de nouveau vers moi.  

        - S’il vous plait, messieurs, un peu de tenu. Ni Marshall, ni Celeborn, ni même nos précieux syndicats sont coupables d’avoir créés ce maudit document. Ne voyez-vous pas qu’il n’a que pour unique but de nous séparer ? Ceux qui bossent ici depuis, êtes-vous réellement d'accord avec ce qui est écrit dessus?
         
        Peinés de s’être emportés, les anciens baissèrent la tête. Leur salaire, leurs conditions de travail se s'étaient nettement améliorés depuis que Marsh gérait l’entreprise. Je pointai donc du doigt le fait que nous n’ayons point de motif pour lever une armée de manifestants révoltés. Mais aussi que Marshall faisait suffisamment confiance à notre clarté d’esprit pour ne pas juger utile de se justifier devant nous de ces accusations. La braise s’éteignait peu à peu. Mais un type, dont je n’ai pas souvenir d’avoir déjà vu ici, proposa alors de trinquer et sortit quelques bouteilles de whiskey d’où on ne savait.

        “Donnez de cette boisson aux indiens et vous ne les reconnaîtrez plus” m’avait dit un homme. C’est exactement la même chose avec les charpentiers. Fort degré d’alcool et de piètre qualité, cette boisson à petit prix provoquait des dégâts chez les marins. Trop de coïncidences. Trop enjoués à l’idée de boire, les types ne m’écouteraient pas, Celeborn comprit. Mon regard s’assombrit et mes doigts s’agitèrent. Mes bagues vrombirent, le ciel s’obscurcit et l’orage gronda. Quelques petits instants plus tard, de fines gouttes irrégulièrement nous tombèrent dessus, avant qu’une véritable pluie calma les ardeurs de ces messieurs.  

        - Rentrons, camarades, dis-je en réajustant mon bob. Nous festoierons une prochaine fois, ce serait dommage d’attraper froid ici.  

        Nous partîmes nous abriter, chacun dans sa chaleureuse maisonnée. Le mystérieux personnage avait disparu.



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        « Comment ça, rien ? »
        Robert Lapointe, assis dans un sofa, écoutait le rapport de l’homme qu’il avait envoyé avec l’informatrice, le visage entre les mains. Il n’était pas content.
        « Ça partait bien, puis il y a eu une réunion avec ces deux cadres et ils ont calmé tout le monde, comme si de rien n’était. J’ai bien essayé de ramener les syndics au bar pour les remettre dans le bon état d’esprit, mais il s’est mis à pleuvoir. »
        L’homme se tordait les mains, conscient que le parrain n’appréciait pas entendre de mauvaise nouvelles. Bobby resta silencieux, se levant et allant à la fenêtre. Il réfléchissait. Il avait construit seul la famille de Bliss à partir des gangs rivaux qui parcouraient les rues et leur avait donné, par cette union, une force dont aucun n’aurait pu même rêver seul. La chose raisonnable était d’arrêter là, de reconnaitre que le chantier était un trop gros morceau pour lui, mais s’il parvenait à contrôler les chantiers, il aurait bientôt un pouvoir sur South blue comparable à celui que les sept familles avaient sur North.
        « Va me chercher la gamine. Je dois lui parler. »


        « Oui, c’est envisageable avec un peu d’aide. Je sais où trouver les navires et comment les atteindre.
        -Il te faut vraiment de l’aide pour foutre le feu à des gros tas de bois ?
        -Quand les tas de bois en question sont spécifiquement traités pour résister au feu, oui, je vais avoir du mal à les détruire. Quelques gars devraient suffire, à condition qu’il soit capable d’utiliser le cerveau un minimum. »
        Lapointe balaya la remarque d’une main : « Je peux libérer quatre hommes, tu feras avec eux.
        -Bien. Par contre, puisque les choses sont en train de s’accélérer, il va falloir que nous discutions de ma manière de travailler. »

        Ewen avait prévu de continuer, mais le regard du parrain l’arrêta net. « Dis-moi, ça ne serait pas des exigences que tu as là ? Par ce que ça ressemble beaucoup à des exigences. De la part de quelqu’un qui vient d’échouer, ça serais extrêmement malvenu. Donc si ce sont des exigences, tais-toi et care les toi là où je pense. »
        Le mafieux était écarlate et sa voix, qui se voulait poser comme à l’habitude devant stridente par moment. L’informatrice inspira profondément. Elle pouvait le dire, elle était en position de force, ici. C’était lui qui venait la chercher, maintenant, pas l’inverse. Elle tenta de réprimer son tremblement :

        « Vous avez raison, et c’est mon premier point. Les opérations où j’échoue à atteindre l’objectif, comme celle-là, et celle-là compris, seront entièrement remboursé. En revanche…» Le visage de son interlocuteur était aussi engageant qu’une porte de prison « en revanche, je travaille selon la doctrine des dégâts minimaux. Donc, autant que possible on ne blesse personne et, sauf absolue nécessité, on ne tue personne. »
        La voix de la voleuse était calme et douce, seul un léger tremblement à peine perceptible trahissait sa peur. « Bien évidemment, si ce sont eux qui attaquent, vous êtes libre de riposter ou de vous venger avec la force que vous voulez » s’empressa-t-elle d’ajouter alors que son interlocuteur commençait à ouvrir la bouche.

        Lapointe la dévisagea un long moment, l’air peu convaincu.
        « Je vais y réfléchir. En attendant, dépêche-toi d’obtenir des résultats. »


        Les hommes promis la rejoignirent le lendemain dans une taverne des Everglades où elle avait fixé le rendez-vous. C’était des gaillards dont le travail semblait peu avoir avec la subtilité, mais après quelques minutes de discussion il apparut rapidement qu’ils savaient néanmoins utiliser leur tête autrement que pour faire des grimaces.
        Il ne savait rien du vol à l’exception du racket, montrait des difficultés à lire de longs textes sans s’aider de leurs doigts –mais elle n’était elle-même pas tellement mieux- et n’avait qu’une vague idée de comment écouter aux portes. Mais l’un d’eux avait travaillé pendant quelques mois sur les chantiers.

        Elle ne pouvait pas grand-chose pour le deuxième point, mais le premier et le troisième se travaillaient. Le groupe prit la direction d’un terrain vague et la jeune femme leur fit enchainer les exercices pendant les deux jours qui suivirent. Tous savaient désormais crocheter des serrures simples, se déplacer de manière… Peut-être pas discrète, mais déjà moins visible, utiliser efficacement certains outils de chantier –la scie et la hache, pour être précis -, quelques rudiments d’escalade également. Mais plus que tout, ils avaient appris à travailler en équipe.

        La nuit du deuxième jour, Ewen partis en reconnaissance. Perché sur les toits alentours, elle observait le chantier avec des jumelles, repérant les différents postes de gardes, désormais plus nombreux, mais toujours peu actifs. Les façons de passer restaient nombreuses car aucune attaque physique n’avait encore été faite contre le chantier. C’était sans doute sa dernière mission simple, avant que les forces en jeu n’augmentent réellement.
        Elle passa le troisième jour à préparer des plans et étudier avec l’ancien marin les meilleures façons de saboter les navires dont elle avait les plans. Les autres eurent une journée tranquille avec pour seule consigne de se reposer, ce qu’ils firent avec beaucoup de compétence.


        Le rendez-vous était à minuit. Ils se retrouvèrent dans la même taverne et, sans boire d’alcool, attendirent. Attendirent que les fêtards les plus joyeux retournent en direction de leur lit, attendirent que se fasse jeter pour ébriété excessive. A trois heures du matin, enfin, ils se levèrent de leurs chaises et se mirent en route.
        La demi-lune qui avait éclairé la première partie de la nuit désormais cachée par de lourds nuages, ils avancèrent dans la lumière de la lanterne sourde d’Ewen. Le petit rond de lumière pâle ne révélait les pavés manquants qu’à quelques centimètres des premiers, aussi durent-ils avancer à un rythme lent sur l’ensemble du chemin, et bien souvent ils durent s’arrêter juste avant de percuter un mur venu leur barrer le chemin.
        Le trajet n’était heureusement pas long et les saboteurs virent bientôt se dresser devant eux la haute barrière qui encadrait les chantiers. Au loin, les lumières des camps de gardes indiquaient leur position aussi sûrement que des phares.

        La voleuse éteignit la lanterne, puis deux de ses complices firent la courte échelle à un troisième, qui lui-même aida Ewen à franchir la clôture. Une fois en haut, elle accrocha une corde puis se laissa glisser de l’autre côté, bientôt suivis par ses apprentis.
        Dans le noir total, ils avancèrent en direction des navires en construction, utilisant les gardes visibles pour trianguler leur position. Le résultat approximatif fut cependant suffisant et ils atteignirent bientôt les imposantes carcasses de bois.

        Les vigiles étant concentrés sur le périmètre, le bruit des scies, pieds de biche et même celui des haches passa inaperçu. Il était évidemment impossible pour le commando de cinq hommes de transformer les constructions en sciure en l’espace d’une nuit, mais ils s’attelèrent à casser les pièces clefs de la structure.
        Selon les plans étudiés dans la journée, ils arrachaient, coupaient et sciait les points importants de façon à ce que le poids même des ensembles rende inutilisables les morceaux restants. Ewen, moins solide physiquement, montait au sommet des mâts pour y accrocher de longues cordes. La tâche était laborieuse et l’effort conséquent, aussi la petite clepsydre de poches qu’ils avaient emmenées leur permettaient de ne pas perdre conscience du temps.

        Quarante minutes avant l’aube. L’informatrice donna le signal. Ils se dispersèrent au milieu des bateaux puis, lorsque le deuxième signale vient, se saisirent des cordes accrochées aux mâts et commencèrent à tirer. Leurs bases sciées ne résistèrent pas longtemps et les immenses pièces de bois vinrent s’écraser sur les ponts dans un vacarme retentissant.
        Le bruit attira instantanément l’attention des sentinelles encore réveillées qui commencèrent à converger vers les sites de constructions. En courant, les mafieux allèrent aux navires suivants et recommencèrent l’opération, réveillant sur le champ les plus endormis des surveillants.

        Le chantier était immense et, même au pas de course, les gardes mirent plusieurs minutes à arriver. Pendant ce temps, les hommes continuèrent leur saccage aussi longtemps qu’ils ne l’osaient avant de partir entre les lumières des gardiens sous le couvert de l’obscurité, toujours aussi total.
        La jeune femme atteint la barrière en même temps que le dernier de ses hommes, le cœur battant à toute allure sous le coup du stress. Elle sentait l’air froid bruler ses poumons et la crispation de ses muscles, douloureux d’avoir trop travaillé pendant qu’elle entendait au loin les cris d’alerte résonner. Elle se sentait vivante comme elle ne l’avait pas été depuis des années.


        Dernière édition par Ewen Chantenuit le Ven 19 Aoû 2022 - 22:43, édité 1 fois


          Les mâts tombèrent les uns après les autres, se heurtant comme des dominos, causant de nombreux dégâts sur de nombreux navires qui ne résistèrent pas tous au poids de ces grands bouts de bois. Alors que je me retrouvai sur les lieux du désastre, face à ces destructions incalculables pour mes émotions touchées, très tôt dans la matinée, alerté par Marshall en personne, mon humeur fut des plus maussades. Celeborn me rejoignit peu de temps après, complètement désemparé. Contrairement à moi, ce gros bébé était très expressif, ces yeux larmoyants imageaient très bien sa tristesse. Je le comprenais parfaitement.

          La marine fut également alertée et se trouvait sur place. Une enquête était en cours pour déterminer la cause accidentelle ou criminelles. Je laissai les prétendus experts examiner les débris durant la journée. La journée fut d’ailleurs destinée à prévenir les clients, à réaliser des ajustements commerciaux avec ces derniers pour ne pas perdre les chantiers en cours. Les retards seront évidemment considérables. Telles que les choses étaient présentées, la cause accidentelle était préférée pour ne pas semer la panique dans le prestigieux royaume de Bliss. Ou par incompétence. Celeborn et moi-même décidâmes de vérifier cela sur l’un des navires sur lequel le pont principal était encore en place.

          - T’en penses quoi, Al’ ? Accident ? demanda le géant en ne regardant que les dégâts les plus visibles.

          De mon côté, j’analysai le mât principal, celui qui tomba comme tous les autres autour de nous. D'après les experts, tous ces mâts tombés constituaient un défaut majeur dans la conception des navires. En plus de devoir faire face à cette tragédie, la réputation du chantier en prenait un coup. Néanmoins, après une brève observation, je remarquai des marques de crocs, comme ceux d’une scie, par exemple. Et seulement d’un seul côté. Cela prouvait bien le sabotage. Les coupables avaient sciemment coupé une partie du mât avant de tirer pour le faire tomber. Je vérifiai les autres mâts qui confirmèrent mes pensées. Je fis part de mes doutes au direction actuel.

          - Il s’agit de la mafia.

          - Je me doute. J’ai refusé toutes leurs propositions et n’ai pas cédé au chantage. C'est la suite logique des choses.

          - Sauf que la marine défend la cause accidentelle. Nous n’aurons pas leur soutien.

          - C’est politique. Et peut-même économique. Les mafieux ne sont pas des criminels officiellement, leurs activités sont absolument légales. Étant riches et puissants, ils exercent souvent une pression aux maires et chefs de garnison.

          Je me tins le menton et réfléchis un instant.

          - Ne réfléchis pas longtemps, Alma, fit le directeur pour m’interrompre. Nous ne sommes pas de poids.

          - Ecoute-moi bien, Marshall. Tu fais absolument ce que tu veux, mais je ne laisserai pas ce chantier tomber dans les mains de pourritures, conclus-je en claquant violemment la porte derrière moi.

          ***


          Le soir même, alors que la pluie tomba violemment sur Portgentil et ses alentours, les Everglades se trouvèrent momentanément plongé sous l’eau. Par ailleurs, les cieux semblèrent si en colère que la foudre s’abattit sur les entrepôts de Robert Lapointe, provoquant divers incendies et évidemment la destruction des biens entreposés à l’intérieur. Impossible de prouver la cause criminelle, mais le hasard ne pouvait exister chez un tel personnage. Alma, le sorcier utilisateur du climat tact, était définitivement décidé à protéger sa famille.



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          … et deux cent quatre-vingt quatre auquel on soustrait soixante-trois, on multiplie par cinq, on rajoute 37… ça faisait mille cent soixante et un, non ? Ewen posa avec précautions la feuille de dépenses courantes avant de se masser les tempes. Elle n’y arrivait simplement pas. Malgré ses efforts, les chiffres ne fléchissaient pas devant son regard et continuaient de lui résister avec obstination. Même les lettres perdaient lentement du terrain, mais l’invention du diable qu’était les multiplications se riait d’elle, encore et toujours.
          Autour d’elle les assistants fournis par Lapointe, plongés jusqu’aux genoux dans la documentation, la surveillait du coin de l’œil et profitèrent de son désespoir momentané pour se détendre légèrement. Ils s’en sortaient un peu mieux qu’elle, mais même le mafieux aurait croisé les doigts avant de dire que la chose était simple.
          Ils avaient trouvé quelques détails intéressants, mais pour la plupart inutiles. L’un des hommes de ménage se faisait visiblement payer sa bière quotidienne aux frais des chantiers, par exemple. Un ou deux était intéressant et un dernier avait l’air très juteux, mais demandait une quantité inimaginable de documentation. L’équipe, chef inclus, se regarda, cherchant désespérément une excuse pour ne pas retourner à la mer de papier qui les enfermait.

          Répondant à leur prière, la porte du local s’ouvrit, faisant tomber deux des hautes piles. Le gros bras qui s’encadrait dans l’ouverture ouvrit la bouche en se donnant un air mauvais, la referma en découvrant que le local contenait plus de pages qu’il ne lirait de mots dans sa vie. Sans doute plus que ce que n’importe quelle personne saine d’esprit voudrait lire. Les apprentis espions étaient bien d’accord. Ayant absorbé l’information, il reprit son air mauvais et rouvrit la bouche :
          « Le patron veut te voir. Et il n’est pas content, alors bouges-toi le cul ! »
          L’espoir se réveilla dans les regards alors qu’Ewen se dirigea vers la porte. Jusqu’à ce qu’elle se retourne pour leur dire de reconstruire les deux piles détruites.


          Arrivé à l’hôtel particulier de son employeur, Ewen passa des mains de son guide à celle d’un valet qui la conduisit dans une petite antichambre où on la laissa patienter un long moment. Quelque chose lui disait que ça avait moins à voir avec de l’impolitesse qu’avec des efforts peu concluant de calmer le maitre des lieux. Les cris qu’elle entendait à travers la porte étaient un bon indice.
          La porte s’ouvrit pour faire sortir un messager, qu’elle intercepta immédiatement. Sa réticence initiale s’arrêta net quand elle lui fit remarquer que s’il ne lui expliquait pas ce qui se passait, elle devrait le demander au boss directement. Après avoir appris les derniers éléments, elle laissa l’homme retourner à sa mission, quelle qu’elle soit.
          Bon. Le patron était à bout de patience, donc il allait lui falloir un coup d’éclat. Ça voulait dire qu’elle pouvait arrêter d’essayer de la jouer subtile pour le moment, mais aussi qu’il allait lui falloir accepter que, d’après ce qu’elle entendait à travers la porte, « buter chacun de ces connards en place publique en les cramant après les avoirs écartelés » n’était ni une solution acceptable ni une bonne idée. Même rendus aveugle et sourde par un gros sac de berries, la marine ne pourrait pas ignorer un coup pareil. Ça ne s’annonçait pas simple.

          Ça ne le fut pas. Chacun resta campé sur ses positions sans accepter la moindre concession et le ton d’Ewen commençait à se rafraichir, presque aussi rapidement que celui De Bobby Lappointe s’échauffait.
          « ALORS MAINTENANT TU VAS M’ECOUTER !!! Je veux que tu me butes sa femme et ses putains d’enfant. Lentement. Si tu n’as pas le courage de t’en occuper toi, tu me les amènes, je saurais faire, oh oui, je saurais m’occuper d’eux. »
          -Non. C’est hors de question, pour deux rai-
          -Je m’en branle de tes raisons, je t’ai donné un ordre !
          -Premièrement, comme je vous l’ai déjà dit, c’est contre ma façon de faire. Ensuite
          -ENSUITE TU VAS M’ECOUTER ET FAIRE CE QUE JE TE DIS !
          -Taisez-vous. Non. Fermez votre bouche, rallumez votre cerveau et écoutez-moi. »
          Robert jeta un regard ahuri à la petite femme qui décidait soudain de lui tenir tête et se heurta à celui glacial d’Ewen. Il réalisa seulement à ce moment que celle qui lui faisait face n’était pas effrayée, mais presque aussi en colère que lui.
          « La deuxième raison, donc, c’est que notre contrat stipule que je ne dois pas faire ce que vous me dîtes, mais faire en sorte que vous atteignez l’objectif. Cette façon de faire vous condamne à l’échec. Vous les voulez mort de peur, pas mort tout court. S’il ne lui reste plus rien à perdre, alors il se battra jusqu’à la mort, et vous ne voulez pas le voir mort. Entre autre, tant que vous vous contentez de viser le chantier, l’affaire reste professionnelle. Si vous vous attaquez à sa famille, sa deviendra personnelle et la marine ne pourra pas rester en dehors du coup en prétendant qu’elle n’a rien vue. »
          La tirade ne fut pas du goût du parrain, qui grogna d’un air franchement hostile.
          -Et donc tu penses que tu sais mieux quoi faire que moi ? Que la blanc-bec que tu es peut faire mieux que moi qui ai construit cet empire seul ?
          -Non. Vous êtes plus capable que moi dans ce domaine, mais vous laissez votre colère prendre le pas sur votre réflexion et vous faîtes des erreurs. Notamment, vous pensez que les méthodes que vous avez appliquées jusqu’à maintenant vont fonctionner de la même manière, sans réaliser que la proie est suffisamment grosse pour être dangereuse et que l’odeur de son sang attire une orque. Ou un contre-amiral. »

          Le ton s’était adouci, la voleuse sentant une ouverture avait décidé de jouer la carte de l’apaisement. La légère flatterie eut l’effet escompté et Bobby finit par accepter son plan, ainsi que le budget qui y était associé.


          En entendant la cloche de la porte sonner, Lepebin finit consciencieusement de découper sa planche, arrêta la machine, puis seulement leva la tête. La femme se baladait dans son atelier, lui accordant autant d’attention qu’il lui en avait donné. Dans les trente-cinq ans, des habits de qualités et une attitude qui lui donnait à penser qu’elle avait l’habitude d’être obéis sans discussion, sans qu’il ne parvienne à mettre le doigt sur ce qui lui faisait penser ça.
          Il la regarda un moment jouer avec les planches et les échantillons de bois d’une main amateur avant de se rapprocher pour demander s’il pouvait l’aider.
          « C’est possible, en effet. J’ai cru comprendre que vous aviez l’habitude de garder un stock de stock de cèdre ?
          -Parfaitement. En revanche, c’est un bois aux propriétés un peu particulières. Puis-je savoir pourquoi vous en avez besoin ?
          -Je souhaite en faire des meubles. »
          Le vendeur haussa un sourcil, l’air peu impressionné.
          « Je ne pense pas que ce soit le cèdre que vous vouliez pour ça, c’est un bois qui sert plutôt pour les constructions, notamment naval et … » L’acheteuse l’interrompit d’un signe de la main et lui sourit.
          « Je reconnais humblement que je ne suis pas une spécialiste du bois. Mais ceux pour qui je travaille avec moi le sont. Et c’est véritablement de cèdre dont j’ai besoin, mes projets sortent quelque peu de l’ordinaire. »

          Lepebin haussa les épaules. Si le client refusait d’écouter les conseils, qu’il achète donc. Même s’il partait avec l’ensemble du stock. SURTOUT s’il partait avec l’ensemble du stock.


          Assis sur un banc, Giuseppe observait les passants pressés dans l’air frais du matin. Les pécheurs étaient passés voilà une heure, pendant que les premières lumières de l’aube coloraient le ciel. Pendant un moment il avait alors eu la rue pour lui tout seul. Il avait passé ce moment, comme à son habitude à rêver tout en admirant les lumières du soleil qui jouaient avec la brume matinale. Quelques amis l’avaient rejoint sans qu’il y fasse attention. Tous respectaient ce petit moment de paix qu’il s’offrait chaque matin, même si la plupart ne le comprenaient pas vraiment.
          Il sentait les premiers rayons du soleil toucher la peau de son visage, tentant désespérément de combattre le froid de la nuit qui tenait encore la ville. L’hiver finissait de s’installer sur l’île et le temps se rafraichissait sérieusement ses derniers jours, mais il aimait toujours sentir l’air vif du matin se glisser à l’intérieur de sa tunique et le long de sa peau, même s’il devait désormais les écourter.
          Sentant ses doigts commencer à s’engourdir, il se releva en soupirant et refermant son manteau. C’était un beau manteau, en cuir noir et taillé par un artisan de talent. Il l’aimait beaucoup et aurait aimé être prévenu avant du travail à faire pour pouvoir en prendre un autre. Ça allait être salissant et il ne pourrait probablement pas rattraper le vêtement après.

          Les premiers employés du chantier arrivaient doucement, par petits groupes dispersés. Quelques-uns leur jetèrent un œil curieux, mais ils revinrent rapidement à leurs discussions. Le lent flot commença doucement à s’épaissir, à mesure que les milliers de travailleurs qui nourrissaient chaque jour les navires. D’autres personnes vinrent rejoindre leur petit rassemblement en marge du mouvement. Ceux-là n’étaient pas des amis.
          Il les accueillit néanmoins d’un signe de tête pendant que les gros bras lui tendaient une barre à mine avec un certain respect derrière lequel se cachait néanmoins une certaine moquerie. L’homme à la droite de celui qui lui tendait son arme prit un air d’innocence empressé qui n’aurait pas trompé un enfant relativement doué et commença à mettre sa main sur le métal. Il croisa le regard de Giuseppe et eu la bonne idée de se taire.
          Désormais, les travailleurs ne les quittaient pas du regard. Ils avaient parfaitement compris ce qui allait arriver. La panique n’avait pas encore commencé, mais quelques costauds avaient commencé à faire demi-tour pour aller chercher des armes.
          Il soupira. Le signal n’arrivait pas et il ne pouvait plus se permettre d’attendre. Il sortit un petit escargophone de sa poche :
          « Bobby ? On va commencer à danser. »
          Les hommes qui l’entouraient s’avancèrent soudainement vers la foule, sans attendre d’autres indications. Les plus proches commencèrent à reculer, mais se heurtèrent bientôt à la foule qui les entourait.

          Les cris commencèrent avant les coups, et ils ne s’amélioraient pas. A la terreur s’ajoutèrent bientôt la douleur et le craquement des os brisés. Les gens essayaient de fuir mais étaient bloqués par ceux qui arrivaient derrière eux. Quelques-uns tentaient de se battre, mais leur mains vide, pour puissante qu’elles étaient, ne pouvait tenir la cadence des barres de métal. Lui-même frappait, à un rythme cadencé, les gens devant lui, un homme et une femme, deux autres hommes, encore et encore. Le geste devenait automatique, on oubliait presque ce que l’on faisait.
          Quelqu’un parvient à attraper son arme. Avant que Giuseppe n’ait eu le temps de comprendre ce qui se passait, il avait envoyé son pied dans le ventre de son opposant, lui avait arraché la barre de fer et l’avait frappé en revers à la tête. Le sang jaillit du nez du charpentier pour venir tâcher son manteau déjà maculé.
          Les ouvriers commençaient à s’organiser et leur nombre largement supérieur commençait à peser. Ses bras étaient fatigués et son souffle court. Derrière eux, certains des hommes qui avaient atteint le chantier revenant en courant avec des haches et autres masses. Il était temps de partir.

          Son coup de sifflet résonna, mettant la bataille en pause et résonnant dans son crâne, au-dessus du tumulte de la mêlée. Les mafieux commencèrent lentement à reculer, suivis par un petit groupe d’ouvrier vindicatif. Ils passèrent quelques rues à toute allure, puis se retournèrent pour faire regretter leur imprudence à leurs poursuivants. Par charité, ils leur laissèrent leurs sous-vêtements. Au loin, les chantiers brulaient.


          Ewen s’élança en courant vers le dernier entrepôt de bois. Les flammes hautes du premier attiraient toute l’attention de quelques personnes sur le site, et personne n’imaginait que les saboteurs étaient encore sur place. Le deuxième ne montrait pas encore le feu qui commençait à dévorer les réserves de matériel.
          Elle arriva pour voir John, l’un des hommes sous ses ordres, balancer un sac de farine contre un mur. Le nuage blanc se dispersa dans les airs, qui avaient l’air déjà chargés en poussière alimentaire. Le brouillard farineux lui mit les larmes aux yeux.
          « Bordel, mais qu’est-ce que tu fous ? Où est l’huile ?
          -Pas besoin, ça sera beaucoup plus efficace. Fais-moi confiance, tu vas voir !
          -Pourquoi ils ont de la farine avec leur putain de poutre, de toute façon ?
          -Aucune idée, mais ça m’arrange ! Aide-moi à en exploser encore un ou deux sacs. »

          La blanche équipe s’exécuta, puis John posa une lanterne au milieu de la pièce. Avant qu’ils ne commencent à s’enfuir. Une dizaine de mètres après avoir passé la porte, il se retourna et tira.
          La lanterne explosa, le verre s’envolant tout autour pendant que la bougie en son centre enflait. La flamme nue entra en contact avec la farine qui flottait dans l’air confiné de l’entrepôt, l’enflammant dans la seconde. Dans l’air saturé, la minuscule particule incandescente en enflamma cinq autres avant de s’éteindre avant de se consumer aussi rapidement qu’elle s’était allumé. Les cinq en allumèrent chacune cinq à leur tour dans une réaction exponentielle. Heureusement pour les saboteurs, la concentration de farine n’était pas encore suffisante pour véritablement provoquer une explosion. La boule de feu dévora l’ensemble du combustible en un instant avant de disparaitre, laissant derrière elle tout ce qui n’était pas les murs de pierre en train de bruler. Aveuglés, Ewen et son équipe s’enfuirent, leur mission terminée.

          Habillé en catastrophe, Marshall Delabère écoutait les rapports successifs sur les évènements, en tremblant de rage. Dix groupes de mafieux avaient attaqué les travailleurs du chantier alors qu’ils se rendaient au travail, dont un qui avait eu le malheur de tomber sur Celeborn et Alma. Les rapports étaient confus, mais il semblait y avoir au bas mot cent blessés. Pendant que les gardes avaient accouru pour les aider à se défendre, un commando en avait profité pour mettre le feu à trois entrepôts. Ils étaient éloignés les uns des autres et la famille avait sans doute visé quelque chose spécifiquement, mais c’était le cadet de soucis à l’heure actuelle.

          Ils s’en étaient pris aux gars. Ils détruisaient son chantier. Ils voulaient le forcer à se rendre en une seule attaque. Eh bien s’il voulait la guerre, il allait leur montrer à quoi ressemblait la guerre. Après s’être assuré qu’on ne lui annonçait aucune catastrophe supplémentaire, il prit la parole d’un air absent, le regard vide :
          « Hugo, vous réveillez tous les médecins que vous pouvez trouver pour aider tout le monde. Lastré, vous vous assurez que tout le monde, y compris les familles, viennent se mettre en sécurité dans le chantier. Hector, vous allez voir la marine et vous enregistrez tout sans le montrer. Phileas, vous contactez le G-4. Vous leur dites tout… »
          Les consignes se succédèrent rapidement pendant que chacun dans la maison, l’un après l’autre, se mette à courir. Ne parvenant pas à penser à quoi que ce soit d’autre, le directeur finit par s’installer dans sa voiture avec une ultime consigne : l’emmener aux chantiers.


          Les chevaux s’arrêtèrent brutalement à quelques pâtés de maison de la destination, une barricade bloquant la route. Le chauffeur arrêta sa manœuvre de demi-tour, levant lentement les mains face aux fusils qui étaient apparus autour de lui. Robert Lapointe, vêtu d’un complet bleu foncé, ouvrit la porte du véhicule et se découvrit face au directeur.
          « Excusez-moi pour ces manières cavalières monsieur, mais je voulais absolument vous parler. » Face à lui, Marshall restait sans mot. « J’ai entendus parler de ce qui vous arrive et je veux vous offrir mon aide. Vous avez pu le constater, mes hommes sont efficaces et je serais en mesure de vous aider. Je vous en supplie, monsieur, laissez-moi vous aider. »

          Le regard que lui lança son interlocuteur suffit à faire reculer l’ensemble des gardes qui accompagnaient le parrain. « Vous ne mettrez pas un pied sur les chantiers, pas vous, pas vos hommes, jamais. Disparaissez, maintenant.
          -Monsieur, permettez de réitérer mon offre. Je sais que l’ensemble de vos réserves de cèdres ont brulé ce matin. J’en possède moi-même un stock et serais heureux de savoir qu’il aide à la production de navires.
          -Qu’est-ce que vous espérez, Bobby, que j’accepte comme ça de faire vos volontés ? Vous détruisez mes chantiers, attaquez mes hommes, dont certains ne marcheront plus jamais, et vous voulez que je vous regarde maintenant, que je baisse la tête et que je vous dise ‘oui monsieur’ ? ça n’arrivera pas. »

          Lapointe resta un moment à regarder le directeur d’un air pensif.
          « Vous savez, nous nous ressemblons plus que vous ne le pensez. Non, taisez-vous. Nous nous ressemblons. Nous avons dédié nos vies à construire des entreprises qui sont petit à petit devenues nos raisons de vivre et nous ne tolérons pas que quelqu’un puisse détruire ce que nous avons construit. Or, nous sommes dans le chemin l’un de l’autre. Et vous avez raison, vous n’abandonnerez pas. Ce qui est un souci car moi non plus. Mais, voyez-vous, il y a une solution. Quelqu’un d’autre abandonnera pour vous. »

          Marshall Delabère, directeur des chantiers navaux de Bliss, les plus grands des Blues, eut à peine le temps de voir le parrain entamer son mouvement qu’une balle vient se ficher dans sa gorge. Alors que le monde virait au noir, une unique larme eut le temps de couler de son œil.


          Dernière édition par Ewen Chantenuit le Ven 19 Aoû 2022 - 22:44, édité 2 fois


            Tout se passa si vite. Une émeute causée par l’intrusion de malfaiteurs contre lesquels on dut se battre. Des incendies provoqués à l’opposé de notre position. Un plan très bien ficelé contre lequel nous ne fûmes préparés. Impuissants. Cela représentait bien ce que nous étions. Le coupable ? J’en avais une vague idée et Celeborn également. À nous deux, nous eûmes la chance de nous défaire de nos opposants, mais dans d’autres coins, on recueillait encore des dépouilles et des blessés. Mais ce ne fut pas, à mes yeux, la nouvelle la plus tragique. En effet, alors que la garnison entière de la marine arrivait, on nous annonça que des tirs avaient eu lieu non loin de la résidence de Marshall. Inutile de m’en dire davantage, je devinai immédiatement ce qu’il en était devenu de ce dernier. On lui a tendu un guet-apens. Il était mort.  

            Outre la perte tragique d’un directeur extrêmement compétent, je perdis un ami. Cette nouvelle m’effondra au sol. Celeborn ne put me relever, il était dans le même état. Le cœur serré, la boule au ventre, ma vision se troubla et mes commencèrent lentement à couler. Mais le plus dramatique dans tout cela était qu’on ne me laissa guère le temps de pleurer mon ami. Les enquêteurs de la marine furent envoyés vers moi, désigné d’office comme le décisionnaire par intérim. Qui l’avait décidé ? Bref. J'étais complètement paumé. Ces enflures avaient bien réussi leur coup. Il me fallut immédiatement réaliser un état des lieux. Les navires en construction et la plupart de nos outillages s’en sortirent indemnes. Cependant, nos réserves de bois furent entièrement brûlées.

            Je ne pouvais accuser les mafieux. Du moins, pas ouvertement et sans preuve, on m’enverrait paître. Par ailleurs, je suis à peu près certain qu’il se pointerait lui-même avec une proposition. En l’honneur de mon défunt ami, je me promis de mettre fin au règne de ce fumier et de remettre sur pied le chantier. « Celeborn, je te prie, annonce l’arrêt temporaire et immédiat des travaux sur les navires. Qu’on les bâche, les sécurise, mais on y touche plus. Nous allons reconstruire le chantier naval. Je m’occupe d’écrire une lettre à chacun de nos clients en leur expliquant la situation. Ensuite, mon vieil ami, à la fin de la journée, quand nous aurons remis un peu d’ordre dans notre organisation des prochaines semaines, invite chacun des salariés à me rejoindre. J’aurais quelques mots à leur dire.  
            - Bien, fit simplement Celeborn, les joues rougies et les yeux larmoyants. »

            J'ouvris le bureau de Marshall et enfouit mes émotions au plus profond de moi-même. Je n’avais pas le temps pour lamenter. Je profitai de la sécurité fournie par la marine pour me concentrer uniquement sur l’organisation et l’écriture de la lettre. Celle-ci expliquera simplement les raisons de notre retard et la triste disparition du directeur de ce prestigieux chantier. Je resterai transparent et n’entrerai pas dans les détails liés à son décès. Une balle dans la gorge, c’était un assassinat. Je ne devais pas y penser. Entre les larmes, les pensées obscurs, les décisions à prendre, j’étais comme perdu dans un tourbillon de pensées. Chaque tâche me prenait un temps fou.

            ***

            On frappa à la porte : « Alma ! Tout l’monde est là. Nous t’attendons, dit Celeborn. » J’ai cru déceler son énergie habituelle. C’était vraiment une bête, ce géant. Je sortis du bureau et transmis les lettres au secrétaire qui se chargera, aussitôt mon discours finit, de les envoyer à leur destinataire. Je n’étais pas forcément adepte des grands discours, encore moins devant une foule de personnes, mais elle était nécessaire. Je devais asseoir mon nouveau statut par intérim et leur montrer ma détermination. Ils devaient avoir confiance en moi comme ils l’avaient envers mon prédécesseur. De plus, je risquais de retrouver mon boulot de charpentier, celui que j’aimais par-dessus tout, une fois le chantier de nouveau en marche. Une personne passionnée par la direction reprendrait certainement le flambeau.

            « Malheureusement, il nous a fallu attendre des morts pour avoir la sécurité que nous méritons. Les coupables ne sont pas à leur premier coup. Cela fait des semaines que nos détracteurs nous pillent et détruisent le chantier que nous chérissons tous. Cette nuit, une étape a encore été franchie. Pour cela, je vous demande de loger à l’intérieur du chantier avec vos familles. C’était le dernier ordre de Marshall avant sa tragique disparition. Il savait les nôtres en danger. Allez immédiatement les chercher. Nous avons encore des logements de fonction libres et des tentes à disposition. Nous rendrons confortables les habitations au fil des jours. Protéger notre grande famille et rebâtir notre chantier sont nos seuls objectifs. Au boulot ! »

            Je repris mon souffle. Celeborn me tendit un gobelet rempli d’eau que j’avala d’une traite. Cette dernière requête n’arrangeait personne. Cependant, loin d’être des gros stupides, ces gros durs préféraient savoir leur famille au plus proche des forces de l’ordre, en sécurité, donc au chantier naval actuellement. Ainsi se conclu cette épouvantable journée de laquelle nous mettrons tous beaucoup de temps à nous remettre. Je veillerai à resserrer les troupes aussi longtemps que nécessaire. Lorsque chacun partit rapidement à ses affaires, le géant vint me voir : « J’assurerai ta sécurité. Le type en costume va revenir. Peut-être même dès demain.  
            - Non. Nous avons besoin de toi ailleurs, fis-je d’un ton fatigué, en me dirigeant vers la porte du bureau.
            - Putain. Alma, merde ! C’est pas un jeu. Il va venir te proposer un marché qui, te connaissant, se conclura par un refus catégorique et il te flinguera exactement comme il a flingué Marshall.
            - Et comment ! Qu’il vienne. Je l’attends avec impatience. Puis… J’en profite parce qu’il ne pourra plus jamais me contredire, mais j’ai toujours été plus malin que Marsh’, conclus-je en laissant apparaître mes yeux larmoyants, précédent une larme qui coula de mon œil avant d’entrer dans le bureau. »

            ***

            La grande cantine du chantier n’avait jamais autant tourné que la nuit dernière. Nous finîmes la soirée autour d’un grand repas où bûmes en la mémoire de nos amis disparus. Depuis mon arrivée sur Bliss, je m’étais habitué à dormir relativement tôt et à me lever relativement tôt en conséquence. Je pliai ma tente avant de faire ma toilette et me restaurer avec des restes froids de la veille. Les autres prendraient le temps de préparer un petit-déjeuner, sauf que je ne disposais pas de ce temps. Je retrouvai rapidement le chemin du bureau dans lequel j’organisai les différents chantiers de la journée, lesquels seront donnés par Celeborn.  

            Mais avant l’heure du déjeuner, alors que tout le monde travaillait durement, le moment que j’attendais le plus arriva enfin. Monsieur Lapointe franchit le seuil de l’entrée du bureau dans lequel se tenait autrefois celui qu’il avait tué la nuit dernière. Un homme de petite taille, plutôt robuste, le regard aussi sombre que sa tenue, bien qu’elle fût des plus élégante. Chaque jour sonnait pour lui comme des funérailles. « Bonjour, Monsieur…
            - Ora, fis-je calmement en l’invitant à s’asseoir.
            - Monsieur Ora, donc, enchanté. Je me présente…
            - Je sais parfaitement qui vous êtes, Monsieur Lapointe. Que me vaut l’honneur de votre visite ?
            - Heh. Vous allez droit au but. Cela me rappelle quelqu’un. » Évidemment, il fit allusion à Marshall mais je fis semblant d’ignorer. « Bref, reprit-il. Je viens ici en toute amitié, par respect pour l’homme qui dirigeait autrefois ce chantier naval. Monsieur Ora, je vous propose mon aide, d’une part pour reconstruire ce qui ne peut plus être réparé, mais aussi pour vous fournir en stock de différents bois. Le principal fournisseur est actuellement en rupture. » Je m’étais aussi renseigné à ce sujet. Le fournisseur en question m’a bien dit qu’un client avait tout acheté la veille. Quelle étrange coïncidence. « Uniquement par respect, n’est-ce pas ? Vous n’attendez rien en retour ? » Le parrain croisa ses doigts et prit une posture plus haute : « En contrepartie, et cela ne devrait pas vous sembler excessif, j’aimerais obtenir trente pourcents des parts du chantier. Un simple retour sur investissement. » Trente pourcents qui se transformeront en cent pourcents lorsqu’il tentera de m’abattre.

            Il attendait impatiemment ma réponse. Il me regardait avec ses grands yeux globuleux. Cet homme ne connaissait pas le refus. Il était prêt à me sauter au cou. « Votre proposition ne m’intéresse pas. D’une part parce que nous avons suffisamment de main d’œuvre, d’autre part parce que j’ai des contacts avec d’autres fournisseurs qui sauront se montrer compréhensifs de notre situation. Maintenant, Monsieur Lapointe, j’ai encore beaucoup à faire avant de déjeuner avec mes hommes, fis-je en remettant à écrire sur la feuille blanche posée sur mon bureau. » L’homme d’affaire resta bouche-bée. Je lui indiquai la porte : « Je le répète : cet entretien est terminé. » Il s’empressa de plaquer sa main droite sur sa hanche, probablement à l’endroit où se trouvait son colt. « Je vous le déconseille, Monsieur Lapointe. D’innombrables personnes sont témoins de votre venue, notamment des soldats de la marine. De plus, après une enquête de voisinage, je puis précisément vous accuser du meurtre de Monsieur Delabère, de son chauffeur, de certains charpentiers, mais aussi de la destruction de ce chantier. Par ailleurs, si vous me tuez, il est fort à parier qu’en comparant la balle avec laquelle vous m’avez tué, ainsi que celle qui a tué Monsieur Delabère, un suspect soit rapidement tout désigné. Comme je vous l’ai dit plus tôt, je sais qui vous êtes, et surtout, je sais ce que vous avez fait. »

            Je ne daignai pas le regarder. Je continuai mes tâches sans me soucier de lui. Au bout d’un moment, il quitta le bureau sans piper mot. Enfin, je pus rependre mon souffle. Cette entrevue m’avait complètement tendue. Partagé entre le désir de le tuer et la peur d’être tué. Beaucoup trop intense pour un jeune homme tel que moi. Si seulement Rik se trouvait auprès de moi, pour me protéger et me mettre de l’ordre dans cette affaire. Il était ce qu’il était, mais son efficacité n’était plus à démontrer. Je me demandais parfois ce qu’il devenait, là-bas, à l’autre bout du monde. Bref. Je balayai d’un revers de main ces pensées futiles et me replongeai dans l’actualité. À moi de penser à un plan pour mettre un terme définitif au règne de ce Lapointe.

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            C’était une catastrophe. Perdue sur un toit quelque part en ville, Ewen tirait le constat défaitiste de l’opération. Le meurtre de Marshall qui avait attiré l’attention du G-4 condamnant de manière certaine la famille et fait au mépris le plus total des règles qu’elle avait énoncé, pour catastrophique qu’il soit, n’était que le dernier clou dans le cercueil. Ils avaient déjà échoué avant. Non. ELLE avait échoué.
            Bien sûr que son plan avait été meilleur que celui de Lapointe. Lui dire de casser chaque mur des chantiers avec sa tête l’aurait été aussi ! Ca ne voulait pas dire pour autant qu’il était bon ! Il n’y avait aucun monde où la marine, quelle que soit l’influence de la mafia sur l’île, pouvait se permettre de ne pas intervenir après l’agression. Elle n’avait fait qu’appliquer la façon de faire de la mafia, de manière correcte. Même pas brillante, juste correcte.
            Elle avait trouvé une occasion en or de rentrer directement dans la cours des grands. De se construire un nom en un seul coup et de réaliser son rêve. Elle aurait pu… Et elle avait tout gâché. Elle aurait dû mieux se renseigner, mieux s’entourer, trouver un meilleur plan. Elle n’aurait pas dû se faire emporter par la colère, elle aurait dû savoir canaliser le parrain, elle aurait dû savoir faire mieux…

            Occupée à ses pensées, elle continuait à errer au hasard sur les toits, pendant qu’un soleil insolant de splendeur l’aveuglait à chaque pas. Son corps avançait seul vers la rue suivante, prenait de l’élan, sautait sur les tuiles, trouvait une prise, recommençait.
            Sur pilote automatique, elle continuait d’avancer sans avoir plus aucune idée d’où elle était. Parfois, un passant étonné la remarquait depuis la rue ou la fenêtre de son grenier. L’aspirante courtière ne le remarquait même pas, continuant à avancer d’une démarche d’automate.

            Elle devait trouver un moyen de faire payer à Bobby Lapointe d’avoir brisé ses règles morales et leur contrat, sous peine de ne pas avoir de légitimité avec derrière, mais qu’est-ce qu’elle était censé faire ? Trouver une armée de mercenaires en ville prêts à faire le travail gratuitement ? Se présenter à la base de la marine la bouche en cœur et leur expliquer qu’elle avait les informations nécessaires à capturer le parrain ? Bien sûr que j’ai les preuves, officiers, j’ai aidé à créer le plan d’attaque.
            L’idéal serait de pouvoir finir le contrat, quitte à oublier ça, mais Lapointe était foutue bien au-delà de toute aide qu’elle pourrait espérer prodiguer. Sa chance à elle était que personne ou presque ne connaissait son implication et que celle-ci restait finalement mineure. Le gouvernement serait sans doute trop occupé à démanteler la famille pour s’intéresser à la présence d’une mercenaire de trop près.
            Bizarrement, ça ne l’aidait pas à se sentir mieux.

            Son esprit continua à tourner en rond pendant que son corps en faisait de même. La jeune femme réalisa soudain qu’elle venait de redescendre d’un bond devant l’auberge qui lui tenait lieu de campement de base et que son ventre criait famine. L’après-midi était bien entamé.
            Elle entra et se dirigea droit vers le comptoir pour commander un bol de gruau. Un des gars de son équipe lui sauta dessus alors qu’elle attendait son repas pour lui apprendre qu’ils la cherchaient depuis l’aurore, que Lapointe l’avait convoqué par ce qu’il voulait finir ce qu’ils avaient commencé, fermer son clapet à cet arrogant nouveau et attaquer le chantier.
            « Pardon ? Est-ce que tu peux me répêter lentement la dernière partie ? » Ewen, qui avait écouté le message d’une oreille distraite, décidé à ne pas retourner voir le boss réalisa avec quelques secondes de retard ce que son partenaire venait de lui dire. Après s’être fait réexpliquer ce que l’autre abruti avait prévu, elle envoya l’assistant chercher le reste de l’équipe pendant qu’elle mangeait son repas avec un calme annonciateur de tempête. La fureur qu’elle ressentait face à la stupidité bornée du petit homme et sa soif de sang autodestructrice suffisant à chasser ses idées noires.
            Mais… Pourquoi ? L’homme n’était pas un idiot. On ne restait pas le boss d’une mafia national quand on était un idiot. Pire, on n’en devenait pas un : Lapointe n’était pas un hériter, il avait créé la famille seule. Comment un homme capable de faire ça pouvait ne pas comprendre qu’il allait se casser les dents ?
            Elle y réfléchit tandis qu’elle avalait la soupe roborative. La seule explication convaincante qu’elle parvient à trouver était que l’homme se savait condamné, maintenant que le GM savait qu’il avait tenté de prendre le contrôle du plus grand chantier naval des blues, et qu’il était décidé à ne pas tomber seul.

            Les quatre gars que lui avait confiés le mafieu avait fini par arriver. Ils la regardèrent finir les dernières cuillères de son repas en silence. Ce dernier fini, elle regarda dans le vide et leur demanda comment ils pensaient que cette histoire allait finir. Ils échangèrent quelques chuchotements, comme si elle ne pouvait pas les entendre à cette distance, avant que l’un d’eux ne réponde nerveusement « Bah, on pense que ça va être un massacre.
            -Dans quel sens ?
            -Bah les ouvriers sont costauds mais… attends. La marine va intervenir cette fois, c’est ça ?
            -Oui.
            -Oh. Alors on est mort.
            -Si vous y allez, oui. »

            Les hommes de main tentèrent de lui expliquer que l’option de mourir restait très valable, jusqu’à ce qu’elle leur fasse remarquer que si la mafia se faisait décimer, il n’y aurait personne pour aller les chercher. Ce qui souleva la question de ce qu’ils allaient devenir.
            Ewen leur proposa de travailler pour elle à la place, ce qui souleva leur incrédulité. Dommage, ça lui aurait été bien utile, ils connaissaient bien la ville et son monde souterrain. Elle parvient néanmoins à les convaincre, contre un salaire correct, de faire ce qu’elle avait fini par décider de faire : accélérer la chute de la famille. Si possible contre rémunération pour elle, avec salaire assuré pour eux.

            Le directeur temporaire des chantiers n’avait pas exactement l’air de porter Lapointe dans son cœur, de ce qu’elle avait pu glaner. Et elle avait l’impression qu’il n’était pas étranger aux entrepôts de la famille qui étaient partis en fumée. Mais il risquait d’être méfiant. Mieux valait passer par le géant.

            Le lendemain Matin, Celeborn trouva dans son courrier une lettre contenant une proposition d’aide afin de faire tomber le parrain, un rendez-vous pour le soir et, en preuve de bonne volonté, l’emplacement des réserves de cèdre qu’avait récupéré la mafia, les forces en présence ainsi que les preuves d’achats nécessaires à justifier d’en être le propriétaire.


            Dernière édition par Ewen Chantenuit le Ven 19 Aoû 2022 - 22:45, édité 1 fois
               
              Le lendemain, lorsque Celeborn se pointa dans mon bureau, ce fut pour me remettre une lettre. Je l’ouvris et la lus en levant, de temps à autres, les yeux vers mon vieil ami. Cette lettre nous était clairement destinée. Elle nous indiquait les entrepôts dans lesquels étaient stockés les cèdres massivement achetés par un individu. Les yeux du géant pétillaient. Les miens, pas du tout. « On manque de bois, Lapointe a vidé les stocks du seul vendeur du royaume, et là, nous recevons une lettre qui nous indique où se trouve ce stock acheté. Ça pue clairement le piège, dis-je calmement en observant la lettre dans l’espoir d’y trouver un message. 

              - Il s’agit peut-être d’une personne attristée par la mort de Marsh’… 

              - Même si c’est le cas, cette personne nous vendra forcément le bois et nous n’aurons évidemment pas les moyens de l’acheter. 

              - J’irai vérifier. 

              - Non. Plus personne ne se mettra en danger. 

              - Et comment comptes-tu m’y empêcher ? dit-il en tournoyant sa hache. » Je compris que je n’avais pas d’autre choix que de l’accompagner. J’étais fondamentalement contre mais il ne me laissait pas le choix. 

              « Ce sera selon mes règles.  

              - Vendu. » Je mentis en disant que je partais en négociation au reste des salariés. Les entrepôts se trouvaient non loin des Everglades. Nous y allions le plus rapidement possible, à grandes enjambées, en prenant de ne pas être suivis. Malgré le grand soleil, à l’approche de ce coin reculé, l’obscurité s’empara de nous. Nous nous cachâmes derrière un bâtiment duquel nous pouvions observer l’entrepôt en question. Évidemment, il était bien gardé. Mais pas des masses non plus. Cela démontrait : la première étant qu’ils ne s’attendaient pas à notre venue ; la seconde, moins glorieuse, qu’ils avaient suffisamment confiance en eux pour ne pas surprotéger un stock de chêne dont nous avions besoin.  

              « Si l’on veut être peinards, va falloir s’occuper de tous ces types. 

              - Et la marine ne nous aidera pas. Ce bois a été acheté et appartient à son propriétaire. Même si je doute que le proprio’ se plaigne de sa disparition étant donné son actuelle situation. Néanmoins, comme tu le dis, si on veut tout ramener chez nous, on doit pouvoir le faire sans être emmerdé. 

              - Et pour ça… 

              - Celeborn, dis-je fermement. On ne tue. On neutralise, mais on ne tue pas. 

              - C’est pigé. » Il rangea sa hache et ramassa une barre métallique qui traînait au sol. Je confis à mon vieil ami la lourde tâche d’attirer l’attention sur lui, pendant que je m’infiltre sur le toit pour tenter d’avoir une vue de l’intérieur. Grâce à mes patins ventilo-dials, l’épreuve ne fut qu’une formalité. J’entendis la grosse voix de Celeborn jouer à l’ivrogne qui s’est perdu, traînant sa barre de fer et insultant tout le monde autour de lui. Le remue-ménage fut tel que la porte s’ouvrit, laissant d’autres gardes sortir. Je profitai de cet instant pour ouvrir une trappe sur le toit, menant à un pont métallique au-dessus d’une quantité pharaonique de bois. 

               
               
              Perdu dans mes songes, je ne m’aperçus pas de la présence d’un garde au bout de ce pont. Quand il m’aperçut, alors qu’il était en train de braquer son arme contre moi, je lançai ma canne qui frappa brutalement son front. Pas franchement adepte des combats, je savais cependant profiter d’une bonne occasion. J’allais donc profiter de cet étourdissement. Quand l’homme retrouva son équilibre, il se prit mon genou en pleine tronche, alors je récupérai ma canne en plein vol. À l’aide de mon climat-tact, je sautai de la passerelle et descendis tout en douceur, le malotru sur mon épaule. Je saisis son arme en observant rapidement son fonctionnement. J’attachai ma victime contre des barils, à l’aide d’une chaîne trouvée aux pieds de troncs d’arbre.  

              Celeborn allait être à court de solution, même s’il n’hésiterait pas à s’engouffrer dans une bonne bagarre. Je refusais des dégâts inutiles. D’un coup de pied, je défonçai la porte métallique (mais pas verrouillée) et pointai mon arme vers les soldats de Lapointe. « Lâchez vos armes et mains en l’air, dis-je calmement en m’assurant qu’aucun ne tente une manœuvre. » Malheureusement, ils explosèrent de rire. Un vieux plouc au bob n’intimidait personne. Mais cela ne m’atteignait pas. Je souriais même à cette situation. Derrière eux, un molosse arma sa barre de fer. Je fermai les yeux pour ne pas voir le massacre. Le simple son des os se fracturer au contact de cette barre me fit frissonner. 

              « Pas de morts, Cele’, merde ! 

              - Tu ne les entends pas gémir ? Ils ne sont pas morts, mec, fais pas chier. » Il disait vrai. 

              « Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? 

              - On appelle la marine. 

              - Sérieusement ? 

              - Ça l’est. Lapointe était déjà dans leur collimateur mais sans preuve concrète. Sans compter les officiers soudoyés. Mais là, il est mal, et crois-moi que tout le monde souhaite la fin de son règne. Le vendeur de ces bois m’a fourni une fausse facture au nom du chantier naval. En d’autres termes, on peut faire passer cela pour un vol. 

              - Enfoiré… Tu comptais m’le dire quand ? 

              - T’embête pas avec ça, l’ami. Seuls tes bras me sont utiles. » Le géant voulut protester, mais ne sachant pas comment le prendre, il décida de ne rien dire. Je sortis un denden et composai le numéro de la caserne. Je leur signalai une lettre anonyme nous informant la présence de bois que nous avions acheté. Ils arriveraient avec des navires entiers pour tout récupérer. Il y avait des avantages à être du bon côté de la balance. Après avoir attaché les quelques mercenaires au service du mafieux, nous partîmes rapidement pour retrouver le chantier.  

              « Dis, Cele’, tu n’as pas la moindre idée de qui pourrait être notre bon samaritain ?  

              - Si j’le savais, j’te l’aurais dit, abruti, pesta le géant. 

              - Parce que la personne n’a pas fait ça sans raison. Celle-ci désire forcément quelque chose en retour et reviendra vers nous dans de brefs délais. Restons sur nos gardes, mon ami. Je ne sais pas de quoi est capable Lapointe en dernier recours, puis... »  

              Je m’arrêtais là. J’ignorais tout des forces réellement en jeu dans cette affaire. Et je ne m’en occuperai pas après avoir assuré la sécurité et le bon fonctionnement du chantier naval. Mais ce type, Lapointe, n’était que la face visible de l’iceberg. Tant qu’il demeurera des têtes dans son organisation, Bliss sera en danger. La marine ne semble pas pouvoir gérer la menace avant qu’une catastrophe ait lieu. Tu parles d’une sécurité. Nous arrivâmes bientôt au chantier et demandâmes à ce que l’on soit prêt à décharger une quantité importante de bois et à les stocker dans un des entrepôts fraichement remis à neuf. Nous reprendrons bientôt les services pour lesquels on nous payait. 

               

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              Savoir quand déléguer est l’apanage des grands chefs. Malheureusement pour elle, Ewen ne savait pas quand faire confiance aux autres, aussi ne déléguait-elle que quand elle n’avait pas le choix. Ce fut donc elle qui, à plusieurs rues de distance, observa la razzia sur le bois, avec l’aide bienvenue d’une lunette.
              Ce fut également elle qui déposa l’enveloppe rouge au milieu des lettres destinées au géant le soir venu. Les chantiers formaient une ville grouillante d’activité où personne ne pouvait connaitre tout le monde ; n’importe qui s’y promenant d’un air afféré était assumé être un employé en plein travail.
              La technique se montrait d’une déconcertante efficacité depuis qu’elle l’utilisait, au point que certaines personnes la saluaient désormais lorsqu’ils la croisaient. Et si l’entrée restait compliquée, la sortie consistait principalement à souhaiter une bonne journée au gardien.

              La lettre en elle-même n’était pas très compliquée : elle proposait un lieu de rendez-vous, expliquait la volonté de Lapointe de lancer un assaut frontal ainsi que des offres de services d’espionnage et de sabotage à des tarifs généreux.

              La coursière aurait voulu faire plus, faire payer elle-même sa trahison au parrain, mais, outre le détail qu’elle n’aurait pas été payée pour ça, elle n’en avait surtout pas les moyens seule. Le chantier était la première option et la meilleure. La deuxième, plus risquée, passait par la mafia elle-même.
              Le rendez-vous du jour avec ses comparses se situait dans l’appartement de l’un d’entre eux, un petit studio peu reluisant, au cœur des Everglades. Chacun avait retrouvé ses fonctions dans le syndicat pendant la journée, et tous avaient laissé traîner leurs oreilles.

              La famille était inquiète, agitée. Personne ne disait rien, pas ouvertement, mais les hommes ne croyait plus en la réussite de Bobby. Ils ne croyaient pas dans la réussite de l’attaque, même s’ils préparaient leurs armes. Alors ils se mettaient à croire dans les tontons, et ces derniers se mettaient à murmurer qu’il fallait peut-être changer de dirigeant pour quelqu’un d’autre qui soit plus stable, plus à même de diriger, quelqu’un comme eux.
              Mais plus intéressant encore, une zone de calme semblait tenir au cœur de ces non-dits. Une zone qui entourait le numéro deux de la famille, l’homme qui gérait la partie légale de l’entreprise, qui semblait continuer à soutenir totalement Robert. Giuseppe Lapointe.

              La voleuse écoutait en silence les présentations des anciens mafieux, tentant de comprendre les fils de cette politique complexe. Elle se savait très loin au-delà de ce qu’elle maitrisait, mais c’était à vrai dire le cas depuis le début de cette aventure. Aussi, alors que les autres discutaient des avantages et inconvénients d’une alliance avec les divers tontons, elle tenta sa chance avec une contreproposition :
              « Pourquoi ne pas se rapprocher de Giuseppe, à la place ?
              -Par ce qu’il restera fidèle à Bobby, il ne va pas aller aider l’un des tontons à détrôner son frère.
              -Justement, il est de loin plus puissant qu’aucun d’eux, si je comprends bien, alors pourquoi ne pas forcer les chefs à se ranger derrière lui, au contraire. Il doit bien se rendre compte que son frère ne tiendra pas, alors il pourrait décider de prendre sa place lui-même, pour que l’entreprise reste dans la fratrie.
              -Ouais. A voir. »

              Ils n’avaient pas l’air convaincu.


              Dernière édition par Ewen Chantenuit le Ven 19 Aoû 2022 - 22:45, édité 1 fois
                Enfermé dans mon bureau pour y effectuer les comptes, Celeborn entra vivement en agitant une lettre : «  Tiens, une lettre pour toi. On croule sous les candidatures malgré ce qu’il s’est passé. » Le budget étant ce qu’il était, le recrutement n’était actuellement pas ouvert. Il ne l’était d’ailleurs pas davantage avant. Par respect, j’ouvrai malgré tout les lettres pour les lire, histoire d’honorer la démarche de chacun. Une simple candidature. Sauf que mon œil avertit n’arrivait pas à s’en défaire, à tel point que le géant me stoppa dans mes réflexions.

                « As-tu conservé la lettre de notre bienfaiteur anonyme ?
                - Yep ! J’dois pouvoir la retrouver dans ma sacoche. Attends deux p’tites minutes que j’te mette la main dessus. »

                Il s’exécuta et rechercha activement cette lettre. Entre ses outillages, la bouffe stockée et des lettres oubliées, cette sacoche représentait un véritable capharnaüm. Il lui fallut cinq bonnes minutes pour finalement mettre la main dessus et fièrement la brandir.

                « Ça y est ! Je l’ai ! »

                Il était temps, pensai-je en feintant de relever la tête de mes chiffres. Il me tint la dite lettre que j’inspectai ensuite scrupuleusement. J’avais les deux lettres dans chacune de mes mains et mes yeux alternèrent d’une à l’autre à grande vitesse. Sous le regard étonné de Celeborn, je finis par confirmer mes doutes. La police était identique. L’auteur de la première lettre était le même que pour la seconde. Par ailleurs, les expressions étaient quasiment identiques. Ce n’était vraisemblablement pas quelqu’un qui prenait le temps d’écrire et qui gardait son temps à d’autres réflexions.

                « Nous allons accepter cette candidature.
                - Huh ? Rétorqua simplement le géant.
                - Tu vas apporter ceci à la boîte aux lettres. Je retiens sa candidature. Nous n’avons pas d’adresse ou de numéro à joindre, alors j’imagine qu’il repassera ici. D’ailleurs étonnant qu’il ait pu déposer cette lettre. Bref, nous avons affaire à un expert, Cele’. Je veux le rencontrer pour connaître ses desseins. »

                Le camarade s’exécuta sans poser plus de questions.

                ***

                Plus tard dans l’après-midi, on m’informa de l’arrivée des bois, des pierres et de la ferraille. Le tout servira d’une part à reconstruire nos bâtiments, mais aussi à reprendre ce pour quoi nous étions ici, à savoir la réparation et la construction de navires. Le chantier ressemblait à une autoroute embouteillée, mais chaque mouvement était rythmé par le chef d’orchestre que je suis devenu. J’oubliai presque le bienfaiteur anonyme tant j’étais heureux de voir le chantier se relancer. À cette allure, j’estimai la reprise totale de l’activité à trois mois. Le chantier sera encore meilleur qu’il ne l’était.

                « Alma, le liste d’attente s’allonge, ça gueule de tous les côtés, dit le secrétaire en charge de prendre les commandes. »

                On ne pouvait pas se permettre de perdre des clients. Je pris le temps de réfléchir quelques instants, jusqu’à prendre une décision. « Bon… il est grand temps de remettre en selle l’unité de réparation. Dis-leur de quitter immédiatement le chantier de l’entrepôt et de rouvrir l’atelier. » L’atelier que j’avais monté avec eux quelques mois auparavant. Cela devrait un peu alléger la liste d’attente.

                ***

                Deux bonnes journées plus tard, alors que j’appréciai de mon bureau les bruits assourdissants d’un chantier actif, quelqu’un entra sans frapper ni même s’annoncer. Une jeune rouquine se présenta. Ce que je n’avais pas dit à Celeborn, c’était que les services proposés par cette femme n’étaient pas habituels. « Le bienfaiteur est donc une bienfaitrice, hein. Présente-toi, chère amie. »
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                Ewen s’avança dans le bureau et salua le nouveau directeur d’un signe de tête :
                « Appelez-moi Chantenuit. Il n’y a pas grand-chose à savoir sur moi. Je ne pense pas qu’il y ait dans ma personne grand-chose qui puisse vous intéressez, à pars les services que je peux vous rendre. Et j’ai cru comprendre que vous aviez un gros problème de vermine. Je peux vous aider à le résoudre. »
                La voix était posée, le langage froid. La voleuse, autant que possible, tentait de se donner un air professionnel. Son interlocuteur n’y fut pas sensible.
                « Vous êtes vraiment un grand samaritain, merci beaucoup. Quel problème de vermine, demanda le charpentier d'un air curieux. Le chantier ne refonctionne -t-il à merveille, mademoiselle Chantenuit ? »
                La réponse d’Alma Ora, ironique, ne semblait pas vouloir lui facilter les choses. Prenant son mal, et son stress, en patience, l’informatrice repliqua :

                « Son redémarrage est admirable, je le reconnais. Mais ça ne signifie pas que les rats ayant causé tous ces dégats sont partis. Le nid est toujours là. Ils se sont juste tenus tranquille durant quelques jours, ce qui n'est pas étonnant avec la forte présence de la marine dans les parages. Mais si on regarde où il faut, on remarque que les rats viennent en masse et que le chemin devant eux les mène droit aux chantiers. »
                Là encore, la tirade ne sembla pas impressionner son interlocuteur. Malgré un intérêt visible pour ce qu’elle avait à lui dire, le nouveau directeur des chantiers ne semblait pas le prendre au sérieux.

                « Il est vrai que la canaille doit encore roder aux alentours du chantier, à préparer tout un stratagème pour s'en emparer. Vous êtes drôlement bien informée. Peut-être même un peu trop. Dites-moi ce que vous voulez, ce que vous pouvez faire et l'intitulé exact de votre métier. »
                La réplique cingla, provocatrice. Refusant de se laisser entrainer dans la confrontation, elle reprit sur le même ton impersonnel.

                « Mon métier est justement de savoir ce qui se passe et d'en informer les autres contre rémunération. Ce que je veux, c'est vous aider à vous débarrasser de la menace de la mafia. Si vous voulez un nom de poste précis, je pense que 'courtier' correspond. Je peux vous aider à limiter les dégâts qu'ils pourraient causer, vous aider à les détruire, ou les deux.
                - Mademoiselle Chantenuit, je vais jouer franc-jeu avec vous. Comme vous l'avez dit, vous n'agissez que contre une rémunération. A mon humble avis, vous avez transmis des informations à Lapointe, ce qui lui a permis de tuer Marshall sans la moindre difficulté, à l'abri des regards. L'incendie a probablement été causé par vous-même, directement ou indirectement. Ce ne sont que des accusations sans fondement, sans preuve. Cela dit, les enquêteurs de la marine seront à même de faire le lien si je les aiguille vers cette piste. Le chantier n'a actuellement pas les moyens de payer vos services et, très sincèrement, étant donné les conséquences de ceux-là, je n'en ai pas particulièrement envie. Ce que je vous propose, c'est de fermer les yeux sur votre éventuelle implication dans le meurtre d'un homme important du royaume et de la destruction du plus grand joyau de cette île. Qu'en dites-vous ? »

                Assommée, Ewen réagie en relevant un sourcil d'un air blasé. Au moins elle avait réussi à garder les apparences. Le coup était porté au hasard, mais il avait terriblement bien touché. Son esprit s'affola, à la recherche d'une réponse adéquate. Elle reprit la parole, d'une voix toujours calme et maîtrisée, mais après un temps un peu trop long pour être innocent.
                "Beaucoup de spéculations, mais vous avez raison sur un point : j'ai bien travaillé avec Lapointe. Le passé est important ici. Ce monsieur est en rupture de contrat envers moi, en partie à cause de l'assassinat que vous avez mentionné. Dans le cas contraire, vous n'auriez pas entendu parler de moi : tant que le contrat est respecté, je ne travaille pas pour les concurrents de mon client, afin de prévenir les conflits d'intérêts."
                L'informatrice marqua une pause, cherchant comment tourner la situation. Il était impensable de travailler gratuitement, encore moins sous la menace. D'abord pour des soucis de réputations, mais aussi simplement par ce qu'elle ne savait pas combien de temps lui tiendrait l'argent du mafieu si elle voulait entretenir un bon réseau d'informateur.
                -Quand à l'état des moyens du chantier, je les connais très bien. Il est vrai que les derniers évènements ont été couteux, mais les réserves restent largement suffisantes pour vous payer mes services. D'autant que, vu les circonstances, une remise sur mes tarifs me semble de rigueur. Voilà mon offre. Refusez-là et nous en resterons là, dit-elle sans parvenir à se défaire tout à fait de l'idée que chacun des deux prétendait avoir plus de cartes en main qu'il n'en avait.

                Ce fut cette fois l’ingénieur qui s’arrêta pour réfléchir, les yeux dans le vague. Puis il se releva de son fauteuil et planta ses yeux dans ceux de son invitée.
                « Vos informations ne sont pas exactes. Je tiens moi-même les comptes depuis la mort de Marshall et personne d'autre n'y a accès. Le peu d'argent restant n'est dédié qu'à la reconstruction du chantier et rien d'autre. Je ne permettrai pas de payer la personne qui a en partie causé notre perte. »
                Ewen soupira, sortant un instant de son personnage. Rien ne se passait comme prévu et elle commençait à manquer d’option sur ce qu’elle pouvait faire.

                L’informatrice retrouva rapidement son personnage avant de prendre congé d’Alma, ayant acté son refus. Au moment de partir, elle se retourna pour tenter une dernière chose, sans trop d’espoir.
                « Si vous voulez me joindre, envoyez un message pour Chantenuit à l’auberge du petit loup, sur la place ronde. »


                Dernière édition par Ewen Chantenuit le Ven 19 Aoû 2022 - 22:45, édité 1 fois
                  J’avais pensé le plus clair de la nuit à cogiter. Cette femme m’avait complètement encombré l’esprit, à tel point qu’Eärendil ne put s’empêcher de s’agacer de me voir ainsi tourmenté pour une autre femme qu’elle. Les femmes, je vous jure… Néanmoins, bien qu’agitée, cette nuit fut des plus productives. Cette hésitation perçue chez elle m’avait conforté dans le fait qu’elle était impliquée dans l’assassinat de Marshall, de près ou de loin, mais aussi de l’incendie. Après tout, son passage n’avait rien de hasardeux, elle était bien informée de la situation du chantier.

                  Il était hors de question de débourser le moindre centime pour elle. Même dans le cas où, et je ne l’exclus pas, Lapointe ait pris la décision de tuer Marshall sans son consentement. Elle était quand même coupable et c’était un crime aux yeux de la justice. Mais j’avais encore besoin d’elle. Plutôt que d’envoyer un message, il décida de se rendre directement à l’auberge du « Petit Loup », avant les premières lueurs de jour. L’auberge était situé en plein centre de Portgentil. Je ne mis pas beaucoup de temps pour y accéder, vêtu d’une longue cape beige, qui recouvrit l’ensemble de mon corps. Arrivé à l’auberge, je demandais au tenancier de m’indiquer la chambre de Chantenuit.

                  Il n’était pas autorisé à la divulguer et je m’en moquai foutrement.

                  « Allez donc me la chercher, pardi ! Je me fous de savoir où est-ce qu’elle couche mais simplement la voir. 
                  - Change de ton, blondinet, rétorqua sèchement le gérant de l’auberge. Elle n’est pas ici, ta damoiselle. Cela dit, tu peux lui laisser un message.»

                  Je fus un peu surpris, puis déçu de ma bêtise. Il était évident qu’elle ne me filerait pas son adresse, je pourrais la balancer aux autorités compétentes et la mettre en danger. Comment avais-je pu être si naïf ? Je ne pouvais lui laisser mon message à l’écrit, à inconnu douteux. Je saisis un bout de papier, un stylo, puis écris un message extrêmement simple, ne contenant que l’heure d’un rendez-vous, dans une taverne juxtaposée à l’auberge.

                  ***

                  Il y avait des journées qui passaient vite, d’autres très lentement. Celle-ci se passa très lentement. Entre la fatigue accumulée et l’attente insoutenable de la fin de journée, c’était trop. Quand l’heure de fermer le chantier arriva, je confis le rôle à Celeborn de s’en assurer, je partis le plus rapidement possible. J’avais près d’une heure d’avance. Ce n’était pas spécialement la peur d’arriver en retard, mais plutôt l’envie de surveiller les entrées et sorties, m’assurer qu’Ewen ne me tendait pas un piège. Quelque part, je prenais un gros risque en venant la retrouver ici.

                  Les minutes et les secondes défilèrent, je scrutai le moindre élément suspect, accompagné d’un – peut-être deux verres d’un bon whisky. Ce qui était appréciable à Bliss, étant un royaume riche et prospère, protégé par le Gouvernement Mondial, c’était la qualité des produits dont on ne manquait pas. Je me savais être amené à beaucoup voyager dans ma vie, mais retourner sur Bliss sera toujours un véritable plaisir. On nous bassinait avec Grand Line et le Nouveau Monde, mais les royaumes des Blues n’avaient rien à envier aux autres.

                  Perdu dans mes songes, je fus alerté par l’entrée d’un individu qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à la personne que j’avais en-face de moi hier soir. Cheveux blonds, chemise blanche, impossible pour elle de me rater. Elle vint s’installer en-face et je lui proposai un verre pour accompagner cette discussion. Pour ne pas perdre de temps, j’entrai directement dans le vif du sujet.

                  « Comme je l’ai dit hier, les comptes sont minces et je ne peux te payer après ce que tu as probablement fait. Cependant, fis-je après une courte pause, j’ai une proposition à te faire. »

                  Moment fatidique.

                  « Tu retourneras dès demain matin retrouver Lapointe, tu lui proposeras tes services. J’ai cru comprendre qu’il était désespéré, condamné, mais néanmoins déterminé à vouloir détruire le chantier et son nouveau directeur par intérim. La nuit, quand tout le monde dort, c’est le seul moment où je peux me retrouver seul dans mon bureau, à faire les comptes ou boire un bon scotch. Tu indiqueras un accès secret, volontairement laissé sans surveillance, à Lapointe. Il viendra me liquider, seul ou avec des hommes, mais il viendra. Je m’occuperai du reste, ou alors je mourrai. Assure-toi d’être payée avant, fis-je en laissant échapper un petit clin d’oeil. »

                  Après m’être assuré que les informations furent bien intégrées, je me levai et pris la direction de la sortie.

                  « Après minuit, dans mon bureau, répétai-je. »

                  Je quittai l’établissement et retournai en direction du chantier.


                  Dernière édition par Alma Ora le Ven 5 Aoû 2022 - 2:14, édité 1 fois
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                  Ewen rejoint son lit en milieu de matinée, les yeux encore rouges, pour s’écrouler sur son lit. Elle avait passé la nuit à errer sur les toits, désespérée de trouver une solution à la solution actuelle. Elle ne pouvait pas continuer à travailler avec Lapointe, elle ne pouvait pas lui faire payer seule sa trahison, elle ne trouvait personne pour l’engager contre lui et elle ne pouvait pas abandonner. Sa carrière de courtière s’annonçait de courte durée.
                  La nuit n’avait pas été productive. Ses problèmes avaient tourné en rond dans sa tête sans qu’elle ne soit capable d’entrevoir une solution digne de ce nom. La voleuse pouvait encore espérer trouver un arrangement avec Giuseppe, mais après le refus des chantiers et de la marine, elle n’en avait même plus le courage.

                  Elle se réveilla d’une humeur qui n’était guère meilleure et descendit prendre son premier repas de la journée sous les coups de trois heures. C’est à ce moment-là que le rendez-vous lui parvient.
                  Alma n’avait pas laissé son nom, mais il était le seul à qui elle ai donné cette adresse. C’était une surprise bienvenue, mais néanmoins intrigante. L’homme lui avait paru complètement fermé à l’idée et l’attaque n’avait pas encore eu lieu. Donc pas de nouvelle raison pour lui d’accepter. Mieux valait pour elle se montrer prudente.

                  Elle arriva sur les lieux une heure avant le rendez-vous proprement dit, accompagné de deux des quatre hommes qui avaient accepté de l’aider. Ils commencèrent par effectuer un tour des environs pour s’assurer qu’il n’y avait pas de garde dans les environs. Une fois la chose terminée, l’un d’eux entra dans la taverne proprement dite pendant qu’Ewen allait discuter avec le patron du Petit Loup et lui payer sa commission. Toujours pas de piège en vue, et Alma Ora était déjà présent dans la salle.
                  Les deux hommes se disposèrent à l’extérieur sur sa consigne pour surveiller les environs pendant qu’elle-même entrait dans la salle d’un pas calme. Elle espérait avoir fait toutes ces vérifications pour rien et avait en même temps peur de ne pas en avoir fait assez. Le rendez-vous était terriblement suspect, mais en même temps trop important pour ne pas y aller.

                  * * * * * * *

                  La courtière sirota d’un air distrait son verre en regardant le directeur provisoire des chantiers navals de Bliss disparaitre. Il n’y avait pas eu de piège, finalement. Et la bière était bonne, pour ne rien gâcher. Il n’avait pas eu l’air à l’aise mais de vraiment vouloir la solution qu’elle pouvait lui apporter. Et si c’était un piège… De un, ça serais quand même sacrément compliqué, et de deux elle n’avait aucune intention de venir.
                  Quant à son plan… Oui, elle devait pouvoir le suivre. Elle ne pourrait évidemment pas le présenter comme un travail pour le compte des chantiers, mais ça pouvait faire le change comme vengeance après la rupture du contrat. Restait à espérer qu’Ora saurait finir le travail. Dans le cas contraire, elle improviserait. Mais quelque chose lui disait que ça n’en arriverait pas là. Elle ressortit de la taverne à son tour, la tête toujours ailleurs. Il fallait encore justifier son temps sans réponse à Lapointe et le convaincre de venir lui-même.
                  Au-dessus le ciel gris commença à laisser tomber quelques fines gouttes de pluie pendant qu’une brise se levait au large, lui apportant une odeur d’iode. La jeune femme savait que le problème n’était pas encore réglé, mais elle ne pouvait s’empêcher de sourire. Ça faisait quand même du bien d’avoir une solution.

                  * * * * * * *
                  Bobby Lapointe ne l’accueillit pas à bras ouverts. On pouvait même dire qu’il fit de l’ironie. Il voulait savoir pourquoi elle avait mis aussi longtemps à venir alors qu’il l’avait envoyé chercher plusieurs fois et attendait des explications. En affichant une assurance qu’elle était loin de ressentir, elle lui avait opposé une fin de non-recevoir :
                  « Je devais m’occuper d’une urgence. Et non, je ne peux pas vous en parler pour la même raison que je ne peux pas aller voir la marine et leur offrir les informations sur le sabotage des chantiers : ce serait une rupture de contrat. »

                  Il fallut un moment et l’aide de plusieurs de ses conseillers pour lui faire accepter la réponse. Vient alors la question de son prochain travail :
                  « Je veux que tu butes Ora. »
                  La voleuse soupira de manière dramatique et entreprit de lui expliquer qu’elle-même n’avait pas les compétences pour effectuer un assassinat.
                  « Mais je comprends bien que je ne peux pas exiger de rester en dehors de ces histoires, pas à ce stade et pas si je veux avoir une carrière. Alors si je ne peux pas m’occuper personnellement du directeur par intérim, je peux vous donner les informations nécessaires, contre une importante rémunération. »

                  S’ensuivit une houleuse discussion sur les salaires, leur importance, là où les gens qui en demandaient au chef de la mafia pouvaient se les mettre, là où ledit chef de la mafia pouvait se mettre les services d’Ewen s’il refusait de la payer.

                  « Allez, dit-il d’un ton sarcastique, et si tu peux me donner un plan complet pour l’atteindre maintenant, je te paye même d’avance ! »
                  La courtière le regarda droit dans les yeux et commença à sortir des documents de son sac. Elle expliqua comment Alma travaillait tard le soir, et seul, dans son nouveau bureau, comment il recevait régulièrement une « charmante visite » tard le soir (Ewen croisa les doigts pour que le parrain ne remarque pas qu’il s’agissait de sa femme sur la photo) et que, par soucis de discrétion il s’assurait qu’il n’y avait pas de garde à une entrée secrète de minuit à deux heures du matin. Une entrée que pourrait par exemple emprunter un commando.

                  Il fallut néanmoins lui arracher le payement d’avance en faisant remarquer qu’Ewen avait remboursé la totalité de l’argent (payé à chaque fois d’avance) quand une de ses missions avait échoué.
                  Restait le problème de la venue de Lapointe à l’opération. Ce dernier semblait hésiter sur la question et elle devait s’assurer qu’il y aille sans quoi tout ça n’aurait servi à rien. Elle prit donc son ton le plus professoral pour expliquer qu’elle se devait de lui conseillère de ne pas y aller pour sa sécurité et pour celle de la mafia.
                  La réaction de colère et de refus qu’on lui dicte ce qu’il devait faire fut exactement celle qu’elle espérait. Mais un des conseillers lui lança un regard qui la glaça. Il se doutait de quelque chose.

                  Après avoir récupéré son payement de Judas, elle s’en alla, marchant rapidement loin du QG de la mafia. Après avoir traversé quelques rues, elle trouva un passage offrant de bonnes prises et escalada rapidement jusqu’à rejoindre les toits. En regardant en bas, elle vit ce qu’elle craignait : un des promeneurs la regardait d’un air antipathique, sans chercher à se cacher. Il était probablement envoyé par le conseiller qui se méfiait d’elle.
                  Elle allait devoir faire attention.

                  * * * * * * *
                  La jeune femme quitta l’auberge, l’ensemble de ces quelques affaires sur le dos. Les papiers sur les chantiers avaient fini dans le four, avec la bénédiction du cuisinier. Il était temps pour elle de quitter le pays. Que le plan réussisse ou échoue, elle aurait bientôt la mafia aux fesses, et elle n’était pas encore de taille à les affronter de front. Elle rejoint les toits, amenant son bagage avec elle au prix de quelques difficultés.
                  En sautant de toit en toit, elle rejoignit l’esplanade du port. Elle dissimula ses affaires dans un nid de cheminées avant de finir de rejoindre le chantier.
                  Le ciel ne s’était que partiellement éclairci par rapport à la journée et la lumière de la lune qui finissait de se lever n’offrait qu’une lueur blafarde. La voleuse ralentit le rythme, s’assurant de bien repérer les limites des différents toits avant d’avancer.
                  Elle s’assit derrière le fronton d’une maison en face de « l’entrée secrète » qu’elle avait indiqué aux mafieux et attendit minuit. Au bout d’un moment, des lumières s’allumèrent le long du périmètre, une pour chaque poste de garde, jusqu’à ce qu’il y en ait une petite vingtaine. Un d’eux se trouvait en face d’elle et sa lanterne brulait bien, entourant les alentours d’une lumière orangée pendant que le reste du paysage disparaissait dans la grisaille de la pénombre.

                  Minuit approchait. L’ombre sur le toit se mit à surveiller les alentours au cas où la mafia ai envoyé du monde pour surveiller les hauteurs.
                  Elle sourit quand la lumière devant l’entrée s’éteint un peu avant minuit, comme prévu, avant de se reconcentrer en entendant les bruits de personnes montant le long des murs. Trois hommes de main de la mafia se hissaient sur un toit, deux maisons plus loin. Elle se prépara à décamper s’ils se mettaient à fouiller les environs, mais ils restèrent là à surveiller ce qui se passait dans les rues en contrebas.
                  Finalement, cinq silhouettes sortirent du dédale des ruelles pour rejoindre l’avenue qui entourait les chantiers. Ce n’étaient pas les silhouettes d’armoire à glace auxquelles Ewen s’était attendu, mais des ombres plus fines, comme celles des petits nerveux qui jouait avec des couteaux, une flamme étrange dans le regard. Elle espérait vraiment qu’Ora savait ce qu’il faisait.
                  L’une des personnes était cependant plus empâtée et pourrait correspondre à la silhouette de Lapointe, mais elle n’avait pas moyen de s’en assurer. Sans une hésitation, les hommes s’avancèrent vers l’entrée et pénétrèrent dans le chantier.

                  Elle n’avait plus qu’à attendre et à prier, désormais.


                  Dernière édition par Ewen Chantenuit le Ven 19 Aoû 2022 - 22:46, édité 1 fois
                    L’heure fatidique approchait. J’angoissais un peu à l’idée d’être l’appât de toute cette opération. C’était un piège extrêmement bête et j’en étais même étonné d’envisager que Lapointe se pointerait. Cependant, sa rage était telle qu’il était prêt à tout. Je ne pouvais de toute manière plus rien faire, alors j’en profitai pour faire de l’ordre sur mon bureau. De nombreux papiers éparpillés, que ce soit des plans pour des constructions, des factures, tout s’y trouvait mélangés. Il me faudra réellement une secrétaire à l’avenir, je passais trop de temps à gérer ces futilités. Cela m’aidait à avoir un œil sur les affaires du chantier, mais je n’étais plus beaucoup sur le terrain.

                    Minuit passée. Le chantier était vide. Tous les ouvriers partis depuis un moment, en famille ou dans les dortoirs, se reposant avant de recommencer une nouvelle journée. Celeborn avait fermé les dernières portes avant de rejoindre sa frangine. Il ne restait plus que moi. Mon bureau était, pour la première fois, entièrement rangé. J’avouais non sans mal que ranger était une nécessité. Le voir ainsi me donnait envie de bosser un peu plus tard. Mais bien rapidement, j’entendis des pas et vis de la lumière passer devant le bureau. L’ennemi s’assurait certainement d’être réellement seul avant d’entrer.

                    Je m’attendais à voir la porte valdinguer, mais au lieu de ça, l’un des hommes présents ouvrit délicatement la porte en pointant son arme à feu droit devant moi. Je restai relativement calme. Ils étaient plusieurs et j’imaginai les voir tous rentrer dans la pièce. Sans quoi, le premier m’aurait déjà abattu d’une balle dans la tête. Et bingo. Cinq hommes, quatre me tenaient en joue. Lapointe entra le dernier avec un large sourire aux lèvres. Il semblait avoir pris quelques années d’un seul coup, preuve d’un tourment assez intense. Derrière ce sourire, je sentais à la fois de la crainte et de l’impatience.

                    « Monsieur Lapointe, quelle surprise, fis-je ironiquement. Je ne vous attendais pas à une heure si tardive, encore moins avec des hommes armés. Que me voulez-vous ?
                    - Sale petit charpentier de pacotille. Tu es assis sur mon siège et tu diriges mon chantier naval. Tu as ruiné mes espoirs. Brisé ma vie.
                    - Vous comptez donc me réserver le même sort qu’à ce pauvre, Marshall, hein ? Tirer dans le dos, c’est votre spécialité, je me trompe ? Comment allez-vous faire maintenant que je me tiens face à vous ? »

                    Il se hâta de dégainer son arme dissimulée sous sa veste et s’avança dangereusement vers moi.

                    « Fouille merde. Tu pensais pouvoir jouer dans la cours des grands sans représailles derrière ? Ça n’existe pas. Le monde est impitoyable et tu payeras cette leçon de ta vie. »

                    Mon regard s’obscurcit.

                    « C’est donc ainsi que tu as tué Marshall ?
                    - Marshall par-ci, Marshall par-là ! Tu n’as que ce nom à la bouffe alors que la mort te pend au nez ! Et bien oui, je l’ai flingué d’une balle en pleine tronche ! Il m’a regardé avec ses petits yeux de merlan frit. Là, exactement comme toi !
                    - Je pense que tu te leurres. Marshall n’a pas pu te regarder avec ce regard. Il se savait probablement mort assez rapidement, alors il t’a affronté et tu ne l’as pas accepté. C’est la raison pour laquelle tu l’as canardé.
                    - Petit effronté !
                    - Maintenant ! »

                    Aussitôt le signal lancé, la porte s’ouvrit violemment derrière les cinq hommes, laissant entrer des hommes armés de la marine. Les placards se trouvant derrière moi dissimulèrent également des soldats qui sortirent, eux aussi armés. L’un des hommes tenta de tirer, mais une balle le priva de toutes ses chances. Un tir net et précis. Ils n’avaient plus aucune chance. Le colonel Bava Aok rentra ensuite, observa les lieux, puis lança les mots officiels sans la moindre émotion.

                    « Monsieur Lapointe, je vous arrête pour le meurtre de Marshall, directeur du chantier naval de Bliss. En plus de ce meurtre, vous avez causé des soucis à la marine, ainsi qu’au Gouvernement, en détruisant partiellement ce chantier naval. Vous serez donc jugé pour ces crimes, en plus des autres chefs d’inculpation que je détiens.
                    - Plutôt mourir ! »

                    Lapointe pointa son arme vers le colonel. Ni une ni deux, ce dernier dégaina sa lame et se retrouva derrière sa cible, rengainant soigneusement son katana.

                    « Porter atteinte à la vie d’un agent du gouvernement est susceptible de la peine de mort. »

                    ***

                    Lapointe mort, ses hommes arrêtés dans leur majorité, le chantier naval pouvait dorénavant s’investir pleinement dans les chantiers. Je fus félicité pour mon courage, mais ça n’en était pas. Simplement l’envie de venger l’honneur d’un ami et de remettre en marche son trésor. Rien d’autre. Aborder les choses sans épée Damoclès au-dessus de la tête, c’était quand même préférable. Ainsi, je continuais de tenir mes fonctions, personne ne semblait trop s’en plaindre. J’avais certes tenu la baraque, mais c’était avant tout grâce à l’aide et à l’investissement de tous. Même si je n’aimais pas m’exprimer à la foule, j’ai tenu à tous les rassembleur pour leur exprimer ma gratitude. On me chambra, me bouscula, me souleva, me jeta en l’air, mais j’étais pas loin d’être l’homme le plus heureux du monde.

                    Mais par-dessus tout, ce qui me rendait le plus heureux, c’était de reprendre du service. Remette la main à la patte, construire et réparer des navires, y ajouter des petites touches personnelles, résoudre des problèmes qui me faisaient réfléchir… J’aimais trop mon travail pour l’abandonner. Je n’étais bon qu’à cette tâche. Naviguer, cuisiner, chanter, tout cela m’était impossible. Mais la charpenterie et l’ingénierie étaient mes domaines et mes passions. Lapointe n’a fait que renforcer mon amour pour elles. Et grâce à lui, une collaboration s’est faite avec les deux garnisons de Bliss, notamment avec les deux colonels que je pouvais contacter directement en cas de pépin. Ils m’avaient bien fait comprendre que ce chantier naval était essentiel pour le Gouvernement et je comprenais l’investissement, parfois exagéré, de ce défunt Marshall.
                    • https://www.onepiece-requiem.net/t20921-alma-ora#243182
                    • https://www.onepiece-requiem.net/t20908-alma-ora
                    John, le chef de l’équipe qui avait travaillé avec Ewen, était posé au bar, une pinte à la main. Plus tôt dans la journée ils avaient, sur la consigne de la voleuse, expliqué qu’elle était à l’origine de la mort de Robert Lapointe, parrain de la mafia au conseil des tontons. On leur avait même filé une récompense pour ça !
                    La question de savoir combien mettre sur la tête de leur ancienne partenaire c’était donc ajouté aux disputes pour qui prendrait le poste de parrain. L’annonce de Giuseppe qu’il se retirait entièrement de la vie de la famille avait soulagé beaucoup des ambitieux et on avait été ravis de lui accorder ses quelques demandes contre la promesse de le voir dégager.
                    Pendant qu’il rêvassait, John aperçu approcher la silhouette d’Hector, le bras droit d’un des tontons.

                    Déjà loin en mer, les mains crispées autour du bastingage d’un navire de ligne, Ewen entendit son escargophone se mettre à sonner.