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Porté disparu

Le boulonné se réveilla tard dans l'après-midi, comateux et vaseux comme après une sieste trop longue qui n'avait pas fait honneur à son office revigorante. Le médecin avait en effet passé quinze heures au bloc. Sans repos, sans repas et sans autre pose d'agrément nécessaire à la vidange humaine. Mais qu'étaient quinze heures d'une vie face au succès d'une opération qui avait été condamnée à l'échec par les pontes de la profession ? Qu'étaient quinze heures d'une vie face à l'annonce heureuse d'une âme sauvée ? Pour lui, comme pour beaucoup de ses pairs. Rien. Rien, mais il était quand même crevé et il aurait bien dormi quelques heures de plus, lorsqu'il entendit la voix sûre du Docteur Amsterdam. Le N°10 du toubib 20 avait été un véritable soutien au binoclard depuis son arrivée au CHU de Drum. Il l'avait soutenu dans son installation et avait mis en œuvre tout ce qui était en son pouvoir pour permettre à ce dernier de retrouver la mémoire. En effet, c'est dans un sale état que le boulonné fut accueilli en ce saint temple d'Ascelpios, et si son corps avait été soigné, sa mémoire, elle, ne l'avait pas été.

“Mochi ?” appela le sage satisfait en loquetant la porte de la petite chambre de fortune.

Le nom résonna comme un choc dans le souvenir du jeune médecin, qui, se levant ouvrit la porte, se mit à seriner à l’infini le nom révélé. En un petit pas, il se rassit mécaniquement sur le lit et le paterne toubib entra en secouant un avis de recherche qu’il tenait entre ses doigts.

“J’ai retrouvé ton identité. J’y travaille depuis des mois et figure-toi que c’est un étudiant qui dans une taverne, a trouvé cette vieille affiche toute poussiéreuse.” déclara t-il sans émettre la moindre jugement que ce fût à l’égard du picoleur ou du criminel.

Mochi prit l’affiche et observa silencieusement son portrait. Dix millions de berries, “Mort ou vif”. Voilà donc son passé, il était une petite frappe, de quoi foutre un coup à sa prestigieuse position de médecin du CHU de Drum. Position renforcée par la proposition qui lui avait été faite de devenir membre du toubib 20 -La place de numéro 12 étant vacante-. Avec l’annonce nouvelle de ce passé de brigandage, il y avait à croire que l’offre ne tiendrait plus. Mais Mochi qui n’était pas de ces âmes bourgeoises et préoccupés par les vaines mondanités, ne se souciait pas le moins du monde des affres de sa position sociale. La seule chose qu’il voulait, c’était recouvrer la mémoire.

“Est-ce que tu as plus d’informations ?” questionna le criminel.

Le mystérieux N°10 sortit alors une nouvelle affiche qu’il tendit à Mochi, lequel l’attrapa aussi machinalement que la première. Celle-ci mettait à l’honneur, un rouquin dont la tête valait la belle somme de soixante dix millions. Le visage lui était familier. Presque réconfortant. Comme si au plus incertain moment de l’existence, il retrouvait un ami, une vieille connaissance à la rassurante présence. Presque instantanément lui vînt une odeur, salée, iodée. Puis des sons, une voix. Plusieurs mêmes. Vint ensuite le clapotis des vagues qui venait tapoter la coque d’un navire en une mélopée reconnue. Bientôt la petite chambre se mit à dodeliner au gré de ces remous nostalgiques.

“Ça te parle ?” demanda l’autre, curieux, ramenant Mochi à la réalité de l’obscure et froide chambre.

“Alors comme ça je suis un pirate ?” reprit-il comme à lui-même en hochant de la tête.

“Sache que tu es en sécurité ici. Tu peux rester. J’ai parlé au Docteur Avicenne et ça ne change rien quant à  … ” commença le médecin qui se voulait rassurant.

“Et ce … Roy D. Aston ? Où est-il” demanda Mochi en lui coupant la parole.

“Porté disparu.”

Il n’en saurait pas plus. Aucune information ne circulait. Voilà une bonne année qu’il était à Drum. Son avis de recherche était encore alourdi par quelques poussières. Qu’un brigand de seconde zone comme lui tombe dans l’oubli n’était pas franchement surprenant. Mais qu’un bonhomme dont la tête pesait aussi lourd que ce Roy dissimulait peut-être mystère plus lourd.

Pour l’heure cependant, il ne s’en soucia guère. Il remercia son informateur et le pria de le laisser dormir. Il était encore épuisé par l’opération qu’il avait réalisé la veille.
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Jusqu'ici, le boulonné avait trouvé quelques joies à officier à Drum, une félicité et une paix certaines, lesquelles avaient été chamboulées par la découverte de son identité et des bribes de son passé. Il avait trouvé quelques menues informations sur l'illustre inconnu qu'il était. Rien sur ses origines, sur sa vie d'antan. Les rares journaux traitant de sa petite personne, entre sérieux et presse à scandale de West Blue, ne le faisait apparaître que comme pirate, brigand et horrible personnage, comme s'il ne fut rien d'autre que le méchant dépeint dans quelques vieux papiers oubliés. Il en fut de même sur celui qui fut son capitaine et quelques autres de ses compagnons de fortunes, visages pourtant toujours inconnus. Pas-grand-chose en somme. Vile alliance avec des homme-poissons, ici décrit comme des bêtes furieuses et terribles, meurtre d'un officier de marine, noble représentant des forces du gouvernement mondial et … c'était tout. Comme si le reste ne comptait pas. L'homme n'intéressait pas, seule la violence transparaissait dans ces quelques articles. Il ne s’attendait guère à plus. Le reste, il le savait, n’intéressait pas. Après tout, c'était ce qui faisait vendre. Après tout, n'était-ce pas la vie elle-même qui était violence ? Arraché à la vie, jeté sur les mers, vagabonds sous le ciel et livré à soi-même, seul, face à la haine du monde, quelle autre solution que de répondre par la violence ? Dix millions et des poussières. Voilà ce que valait le sang coulé. Sans doute plus, en réalité, mais il n'avait été là qu'un second, qu'un sous-fifre et n'en avait pas retiré grande gloire. Mochi, par ces quelques pensées brouillonnes, ne cherchait pas à se disculper. Non, il le savait déjà au fond de lui. S'il n'avait aucun souvenir clair, il sentait bien, en fin de compte, qu'il n'était pas qu'un sympathique médecin de campagne.

“Et maintenant quoi ?” Voilà la seule et unique question qu'il avait à se poser aujourd'hui. Recherché et mis à prix, devrait-il s'en aller remettre sa tête au gouvernement mondial, dans un sursaut moral de culpabilité ? Ou dans un espoir de rédemption ? Après tout, il était médecin. Et un génie dans son domaine qui plus est. Il pourrait se racheter en faisant ce qu'on appelle vulgairement “le bien”, servant le camp de la justice. Il avait entendu dire que le Docteur Mangue Zélé du toubib 20 avait lui-même pu bénéficier d'une grâce de ce genre. Mais du peu qu'il savait de lui, de toutes les rumeurs qu'il avait entendues sur l'étrange personnage, il y avait peu à parier que sa culpabilité ait joué le moindre rôle là-dedans. Le bougre avait surtout trouvé un auditoire attentif à ses folies les plus farfelues et il en était même sorti avec les honneurs, médaillé, disait-on, des plus hautes sanctions du gouvernement mondial. Enfin, on disait beaucoup de choses sur le gaillard.

Une autre solution pourrait être de repartir à la recherche de son capitaine. S’il ne se souvenait plus de son passé, il savait que s’il avait suivi ce Roy, c’est qu’il éprouvait à son égard, un respect certain et peut-être même, une amitié sincère. Et même sans ce capitaine perdu, il sentait en lui l’appel du grand large, une attraction féroce pour les grandes étendues, pour les vents puissants et les vagues terribles. L’Océan, ça ne mentait pas. Violence, voilà ce que sont les mers. Et en cela, la Vie même ! Généreux, terrible et capricieux tout à la fois. S’il avait pris la mer une première fois, c’est que son instinct l’y avait poussé et on ne renie pas son instinct.

Mais pour l’heure, on toquait à la porte. Le docteur Mochi, perdu dans ses pensées, sursauta, surpris d’être dérangé à une heure si tardive. Ce ne pouvait être qu’une urgence.

“J’arrive” dit-il, se levant lentement.

À sa grande surprise, c’est le docteur Avicenne qui apparaissait devant lui en cette heure tardive. Un homme qui se faisait bien rare à Drum tant il était sollicité de par le monde. Mochi ne l’avait que rarement vu, aussi s’inquiéta-t-il de sa présence ici.

“Docteur Mochi, j'espère que vous allez bien.” commença t-il, avant de continuer sans s'arrêter “Je suis de passage ici pour quelques jours. Comme vous le savez sans doute, le 12ᵉ siège du toubib 20 est vacant depuis un certain temps et il est temps pour nous de combler ce vide. Nous procéderons demain à l'élection du nouveau membre et vous avez été chaudement recommandé par le Docteur Amsterdam. Il y a un autre candidat potentiel. Nous procéderons aux votes dès demain"

“Ah, y aura t-il un t…”

“Pour toute question Hmmm … Demandez à Amsterdam, je suis assez pressé, une opération en attente. Je crois que vous avez passé la journée au bloc, alors, reposez-vous pour l’instant” conclut le ponte avant de disparaître dans les couloirs de CHU.

Ainsi, une nouvelle option s’offrait à Mochi, il pourrait s’enfermer dans le confort bourgeois d’une position peinarde et prestigieuse de l’hôpital le plus illustre du monde.

“Pas moyen” conclut-il.
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Retournant sur sa chaise, il se mit à fouiller frénétiquement dans ses tiroirs. Il en retira un peu d'argent et un genre de sablier. De son passé, Mochi n'avait gardé rien d'autre que boulon enfoncé dans le crâne et un Eternal Pose indiquant une destination inconnue. L'inconnu, la seule chose qui l'animait réellement. Il s'en rendait compte désormais, peu importe qui il était, il ne saurait se satisfaire d'un boulot, d'une maison et de tout le tralala qui allait avec. L'immobilité lui pesait déjà et il sentait en lui le besoin de mouvement.

Il était décidé à partir. Il enfilerait dans la minute son manteau le plus chaud et prendrait la porte de sa chambre de garde. Personne ne viendrait le déranger, car il sortait d'une éprouvante opération. Il descendrait en ville, à Bighorn et chercherait un navire commerçant. Il avait de quoi se payer un billet pour une île assez proche. Alabasta, ou ailleurs, peu importait. De là, il prendrait le temps de se trouver une petite bicoque flottante et il suivrait l'Eternal pose qui était en sa possession. Il pourrait ainsi en apprendre un peu plus. Peut-être.

Une disparition classique comme il en arrive parfois, arbitrairement, dans la vie des gens ordinaires. Un voisin, un ami qui, du jour au lendemain, ne donne plus de nouvelle, à la plus grande surprise de ses connaissances. “C'est fou, lui qui était si poli”, “Il disait bonjour”. Un caprice de l'éternel venu s'abattre dans un barbant coin de ville. Ils s'en délecteront un petit peu, comme d'un ours qui goûte un bon miel et puis on l'oublierait vite. Aussi vite qu'on s'était fait à lui. Plus vite encore peut-être.

C’était le plan. Simple, efficace et sans fioritures. Mais à peine sortit de sa petite permanence qu’on l’interpellait.

“Mo … Docteur Doe” car s’est sous ce pseudonyme qu’il était connu au CHU, “Docteur Doe, c’est moi, Amsterdam. J’ai une mauvaise, très nouvelles mauvaises nouvelles à t’annoncer” commença Amsterdam, tout essoufflé, loin du calme métaphysique qui le caractérisait habituellement.

“Et bien Professeur, que vous arrive t-il ? Je ne vous ai jamais vu dans un état pareil …”

Il reprenait ses esprits, rassemblait tout son courage, là où ses rictus trahissaient une erreur manifeste, une culpabilité paralysante. Il avait merdé.

“J’ai … Mes recherches sur ton passé … Elles m’ont été subtilisées, volées, dérobées …”

“Oui, inutile d’accumuler les synonymes, qu’est ça peut bien faire ?” rétorqua Mochi.

Il savait au fond de lui que la vérité serait rapidement connue et dans le même temps se voulait rassurant pour son interlocuteur, mais celui-ci ne semblait pas en démordre et son visage ne s’apaisait point.

“C’est le docteur Alrus qui a mis la main dessus” dit-il en se ressaisissant, “ton concurrent direct au poste de numéro 12 du toubib 20, un arriviste de la pire espèce. Si la marine n’est pas déjà au courant de ton identité, ils le sauront bien vite.”

L’amnésique aimait quand un plan se déroulait sans accroc. Et ça n’était clairement pas le cas ici. Il se mit à tournoyer sur ses talons, faisant des allers-retours devant l’anxieux numéro 10. Ce qui, n’arrangeait en rien ses inquiétudes. Le docteur Alrus avait une dent contre lui. Et il l’avait dure, la dent. C’est qu’il était effectivement carriériste, soucieux de briller par des coups d’éclats, médicaux qui étaient tout à son honneur. Et malgré ses travers, il était un médecin fabuleux. Mais un jour qu’il était sorti — rejoindre, dit-on, les quartiers de plaisirs de Bighorn- il avait manqué à l’appel. Faute médicale s’il en est. Grave impair qui lui avait coûté en prestige, car c’était un membre de la famille royal qui était en demande. Mochi, au pied levé, avait remplacé l’absent, qui, depuis, lui avait tenu une tenace rancœur.

Mais à la réalité, cela ne changeait rien aux plans de Mochi. Il lui faudrait juste être un peu plus discret en ville, mais sous ses manteaux d’hiver, qui pourrait bien le reconnaître ?

“Confidence pour confidence, docteur Amsterdam, rejoindre les toubibs 20 ne m’intéresse pas franchement, j’ai beaucoup appris à vos côtés et avec les autres, je vous remercie, mais aujourd’hui est le jour de nos adieux”, il s’inclina, taquin et afin d’éviter des adieux trop larmoyants, s’en alla aussitôt.

La fugue se devait rapide afin de limiter tout risque de découverte.
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Vif, Mochi arriva bien vite à Bighorn, camouflé par un épais manteau d’hiver en cette saison où, même pour Drum, l’air se faisait de plus en plus piquant, pénétrant. Par précaution, il avait fait en sorte que son boulon reste invisible sous les couches de vêtements et empêchait tout gonflement suspect.

Le centre-ville, de prime abord, était aussi calme que d’habitude. Sur le port, rien ne présageait une surabondante activité de la marine. Quelques soldats cela-dit faisaient leurs rondes, discutaillaient, mêlés aux badauds et habitants de la ville qui déambulaient dans les rues. Quelques navires accostés semblaient sur le départ. Ceux-ci étaient organisés par la capitainerie afin d’éviter d’encombrer le port. Deux navires partaient dans la demi-heure qui suivait. Il lui fallait impérativement faire un choix. Le boulonné se dirigea dare-dare vers le premier d’entre eux, un fameux trois mâts aux larges cales et aux larges tonneaux. Le genre à transporter quantité de marchandises. Peut-être était-il venu ici pour faire le plein de marchandise. Malheureusement, celui-ci refusa d’accueillir le toubib, arguant le fait qu’ils étaient au complet et qu’ils ne pouvaient se permettre un matelot de plus. Qu’à cela ne tienne, le second navire accepta le binoclard. C’était un sloop de petite taille, souple et rapide. Après réflexion, Mochi s’était demandé pourquoi il n’avait pas choisi ce navire en premier. Son intuition l’avait trompé. Le capitaine, un dénommé Cook, semblait être un brave gaillard, peu curieux, il n’avait posé aucune question et avait proposé au médecin un prix des plus honnêtes. Il paya comptant.

Le médecin monta donc à bord avec son petit pécule, se posant à une distance lui permettant de voir les quais, sans toutefois y apparaître trop visible. Près de lui, les marins s’afféraient à leurs tâches, chargeaient les derniers colis, et préparaient à larguer les amarres.

“Je vous en prie, venez vous installer dans mes quartiers, je suis toujours ravi de discuter avec mes hôtes” proposa le capitaine du navire.

Mochi qui était encore un peu anxieux à l’idée de voir la marine débarquer, déclina poliment l’offre.

“Si vous le permettez, j’aimerais rester sur le pont, pour voir l’île encore un peu, je vous y rejoindrais après” répondit-il.

“À votre aise, je serai dans mon bureau, n’hésitez pas à venir quand vous le souhaitez” conclut poliment l’officier.

Et il s’en alla. Mochi resta là encore, jusqu’à ce que le navire se détache lentement des quais. Une fois qu’on commençait à prendre le large, le boulonné soupira, soulagé. Il avait beau l’avoir joué dans une apparence frivole et sûre, il n’en menait pas large. S’il ignorait beaucoup de son passé, il savait, par les quelques journaux qu’il avait lu et qui parlait de lui, qu’il avait perdu de sa superbe et de l’audace qui semblait le caractériser jadis.

Alors que le sloop partait, il restait encore à quelques distances de l’énorme navire de commerce qui était parti en avant de lui. Et s’il pouvait le distancer, il semblait vouloir voguer au pas. Mochi n’en tint pas rigueur et entra dans la cabine du capitaine afin d’honorer la gracieuse proposition. Le capitaine avait ôté son long manteau bordeaux, laissant apparaitre une chemise de marin, flottante et légère, l’intérieur était bien chauffé et permettait des fantaisies que le cruel hiver de Drum ne permettait pas, même à cette distance.

“Ah, vous voilà, retirez donc votre veste, vous allez avoir chaud” commença t-il tout naturellement, avant de se diriger vers une mappemonde qu’il ouvrit pour laisser apparaître quelques bouteilles de grands crus, “qu’est-ce que je vous sers ? Un whisky ?”

Mochi, rendu confiant par pareil accueil, ôta sans hésiter ses massives épaisseurs pour laisser apparaître son visage. À peine eut-il retiré son vêtement que le capitaine Cook tendit un verre à son invité. Il le prit et examina d’un vif coup d’œil la salle. Petite -conforme en cela à la nature du navire- elle bénéficiait toutefois de tout le luxe possible pour ce genre de cabine. Cela impliquait même un petit bureau en bois d’ébène dont le dos laissait apparaître une fenêtre, étroite verrière qui permettait de voir les trainées laissées par le rafiot et qui, par là même, illuminait la pièce.

“Quel étrange boulon, que vous est-il arrivé ?” demanda t-il.

Dans le même temps, l'officier présenta un bol d'olives noires que le médecin picora avec joie. Une denrée qu'il appréciait et qui se trouvait être rare dans le royaume de Drum où le paysage aime davantage accueillir des pins.

“Oh, c'est une longue histoire” répliqua le binoclard qui n’était pas du genre à crier ses mésaventures sur les toits et qui ne voulait pas faire de sa mémoire défaillante une affaire d’État.

“Eh bien ! voilà notre homme !” lança le capitaine à haute voix, surprenant ainsi son auditeur.
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Le toubib sentit soudain quelque chose, une sensation froide et étrange. Six personnes qu’il ne voyait pas et qui pourtant se trouvaient dans la pièce. Il s’était fait avoir. Et bientôt des portes dissimulées se dévoilèrent, s’ouvrant, une à une, une poignée de marines pointèrent le bout de leur nez de armateur leurs fusils devant un médecin bien désemparé. Enfin, un dernier homme, massif, puissant, vêtu à la mode des montagnards de Drum, un manteau d’officier de la marine venait recouvrir ses épaules. Le faux capitaine Cook se mit au garde à vous.

“Colonel Young, comme promis, je vous livre le pirate Mochi ! On ne saurait s’y tromper une seule seconde !” confirma t-il satisfait.

Young, Adam Young, Mochi avait entendu parler de lui, sans jamais l’avoir rencontré. Un gars de Drum, un officier féroce avec une haine farouche des pirates. Se dégageait de lui, une confiance et une puissance brut, écrasante, face à laquelle le médecin se sentait impuissant.  

“Félicitation Lieutenant, votre plan est une merveille ! Mochi …” commença t-il.

“Docteur Mochi” précisa l’intéressé.

“Docteur” grommela le colonel “Vous êtes en état d’arrestation !”

Le docteur se retrouvait encerclé de toutes parts, d’un côté le prétendu Cook, de l’autre côté un colonel de marine et ses hommes de main. Le choix était vite fait. Le pirate afficha un sourire satisfait, béat, de nature à surprendre son auditoire, brisa son verre et se faufila derrière le lieutenant, héro du jour après lui avoir mis un bon coup de poing dans le ventre et posa délicatement la pointe de son morceau de verre sur la gorge de son otage, en un point précis où une simple pression contre la peau lui aurait transpercé la glotte et ôter ce qu’il avait de plus précieux : la vie.

Enfin, c’est ce qu’il se voyait faire. Car à peine eut-il décollé le talon que le colonel Young anticipa. Se jetant le premier sur le binoclard, il l’abrutit d’un coup de poing bien placé à l’estomac qui calma aussitôt toute velléité de la part du médecin. L’officier lui lança un regard oblique et froid, prenant des airs assurément supérieur. C'était un de ses regards que les puissants jettent au faible. Ni bon, ni mauvais, il s'agissait là du regard de celui qui constate une nuisance superflue, agaçante, mais médiocre. Le docteur se sentait pareil à une mouche face à un homme.

“Où se cache Roy D. Aston ? Il est sur Drum lui aussi ?” demanda l’officier.

Le médecin, souffle coupé, n’eut pas le temps de répondre et se força à maintenir la bouche close. Un sourire inaperçu se dessina toutefois brièvement sur son visage. Il ne savait pas ce qui était arrivé à son capitaine, mais en tout cas, il n’était pas entre les griffes de la marine. L’officier enchaîna sans prendre garde à ces zygomatiques aussi naïves que narquoises.

“Menottez-le et envoyez-moi ça en fond de cale, on retourne à Drum.” ordonna t-il avec fermeté.

Mochi cependant, avait avalé une rapide poignée d'olive quand il avait senti la présence des six gaillards camouflés. Aussitôt qu'il en eut l'occasion, il cracha les noyaux avec une force phénoménale sur chacun de ses opposants. Il commença sur le colonel afin de le surprendre, car il le savait, au vu du coup qu’il avait reçu, qu'il n’aurait aucune chance face au bonhomme. Précis, son acuité de médecin lui permit de viser juste et paf, le noyau frappa l'œil de de l’huile. Et il fit de même avec tous les autres, parce que ceux-ci ne pouvait absolument pas rivaliser en vitesse. Ces derniers, hurlèrent de douleurs, surpris qu’ils étaient par le coup. Après avoir balancé ses noyaux sur tous les soldats, il en envoya une seconde dans le globe oculaire encore épargné du colon, et ce, afin de s’assurant un peu plus de répit.

Profitant de la surprise, le toubib sauta par la fenêtre, brisant le verre fin à grand fracas. Sous ses pieds, l'océan. Il entraîna avec lui la chaise du capitaine taillée dans un massif tronc de chêne. Ainsi les borgnes entendirent la chute, lourde, d’un corps dans l’eau.

En réalité, l'homme au boulon avait entraîné la chaise dans les tréfonds de l'océan. Quant à lui, il s'était accroché en contrebas du navire, en un point où sa présence était indétectable. Au-dessus, il entendait ses victimes qui s’agitaient.

“Colonel, il a plongé ! On l’a perdu” lança une voix.

“C’est impossible qu’il survive bien longtemps, on ne voit déjà plus Drum” continua un autre.

“Colonel ?”

Un silence s’installa, alors que l’on entendait les bottes du massif officier s’avancer.

“Il n’est pas dans l’eau. Faites fouiller toutes les cales !” ordonna t-il.

Mochi, mis au courant, se mit en quête d’un hublot suffisamment grand lui permettant de s’immiscer à l’intérieur du navire. Il était au plus profond de celui-ci et d’en haut lui parvenait le brouhaha des soldats et leurs courses désordonnées sur le pont et les étages supérieurs. Dans les tréfonds humides du navire, il tomba sur un canon désaffecté, engin inutilisable en proie à la rouille, mais il trouva également quelques explosifs, poudres en tout genre et de quoi mettre, faire, péter tout le navire. Il y raccorda une mèche suffisamment longue pour lui laisser le temps de prendre la poudre d’escampette et assez courtes pour que la détonation se fasse avant que le poteau rose ne soit découvert.

Alors que la mèche partait, serpent enflammé annonciateur de malheur avançant lentement vers la mort, le toubib se fit surprendre par un soldat, matelot debpremière classe, surpris et un peu effrayé de tomber nez à nez, seul contre le pirate. Il arma son fusil en criant:

“Là ! Venez là !” hurla t-il.

Mochi, ni une ni deux bondit pareil à un fauve sur la vigie, lanceur d’alerte, qu’il vint frapper de plein fouet, l’envoyant valdinguer contre l’escalier en bois dont les premières marches se brisèrent. D’autres gaillards arrivèrent et notamment le colonel Young. La flamme, elle, continuait son chemin, l’explosion allait vite avoir lieu. Le colonel, paniqué, remarqua aussitôt la flammèche.

“Mon colonel, j’espère que vous savez nager !” et Mochi se jeta à l’extérieur plongeant dans les abîmes, dans le seul espoir de rejoindre le navire marchand qui avait encore une légère avance sur le sloop et qui était encore visible. La mer heureusement était calme.

Ce calme fut interrompu par l’explosion du navire. Magnifique feu d’artifice qui vint déchiqueter les planches du navires, qui fit brûler ses voiles et tuer ses marins.

Le médecin fut propulsé par la trainée explosive. Il valdingua et manqua de se noyer tant il fut entraîné par une puissante spirale sous-marine. Mais forçant la nage, il parvint, épuisé, à remonter à la surface. Au loin, les marins hurlaient, les survivants, désemparés, tentaient de sauver leurs vies au milieu des flammes. Le spectacle pathétique d’une vie tentant de s’arracher à la mort. Que n’était-il une métaphore de la vie de tout un chacun ?

Le colonel Young, homme bon s’il en est, se démenait pour sauver le plus possible de ses hommes. Ils étaient sa préoccupation première. Il ne chercha pas un instant à poursuivre le fugitif, ni même ne lui jeta le moindre regard. Mais de son imposante carrure, enveloppa ses hommes les plus proches afin de les protéger de la déflagration. Mochi fut frappé d’une sincère admiration pour l’homme et se convainquit qu’en d’autres circonstances, il aurait été le genre de gaillard avec lequel il aurait sympathisé. Pour l’heure, il lui fallait avant tout le fuir.

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Mochi nagea jusqu’au navire de commerce. La course fut rapide, d’autant que l’énorme engin était en train de manœuvrer pour faire demi-tour et pour secourir les marines. Montant à bord de la frégate, le toubib entendait les cris des matelots de la marine marchande qui hurlaient des ordres en tous genres afin d’accélérer le mouvement, mêlé à des lamentations et des manifestations d’incompréhensions. Mais leurs errements ne durèrent pas longtemps, car le toubib, qui se savait en sécurité sur ce bateau sans guerrier, bondit directement sur le pont sans précaution aucune, suscitant l’indignation et la colère de l’équipage. Équipage qui avait naturellement été mis au courant par la marine et c’est pour cela qu’il n’avait pas accepté, en première instance, de recevoir le médecin à bord. Ils n’avaient toutefois pas pu différer leur départ, tant ils étaient en retard sur leurs livraisons et s’étaient vus attribuer une autorisation par la marine de quitter port à l’heure initialement prévue. Erreur salvatrice pour l’homme au boulon qui avait vu là sa bouée de secours, son cordon de sortie.

“Le pirate ! Le pirate !” hurlèrent les bonshommes.

“C’est lui qui a coulé le navire !” lança un autre, "Le salaud !"

“Aux armes !” cria un dernier.

Mais le toubib ne leur laissa pas le temps d’en faire à leurs guises et en assomma plusieurs grâce à ses techniques de Medic Kenpo. Il bondissait, pareil à une puce, d’un gaillard à l’autre, infligeant des dégâts, frappant des organes parmi les plus sensibles afin de paralyser ses opposants sans les tuer pour autant. Sa précision lui permettait en effet de rester superficiel. Les organes étaient aléatoirement visés : Un viscère par-ci, un foie par là, un testicule par-ci. On admettra ici que des connaissances médicales approfondies n’étaient pas spécialement nécessaires.

Devant leur impuissance, les matelots encore épargnés jetèrent les armes et le capitaine, qui était jusque-là resté à la barre, s’avança vers l’homme en blouse, lui jetant un regard de dégoût, de colère, de haine. Le regard plein du ressentiment des faibles face à celui qui, plus puissant, capricieux, impose son unilatérale et inébranlable volonté. Mochi, lui, n’avait aucun grief envers le capitaine de ce nouveau navire. Il était même, celui qui permettrait son évasion, son bon samaritain.

“Que voulez-vous, Pirate ?” lança froidement le navigateur.

“Rien, rien sinon que vous continuiez sagement votre route. Avec moi à bord bien entendu.” répondit le toubib. “Ah et pas de demi-tour. Gardez votre cap.”
Le marchand regarda en arrière, l’air désespéré, le visage marqué par une souffrance qu’il ne chercha pas à dissimuler.

“Et vous voudriez que je laisse ces braves gars dans la merde ? Je ne suis pas de ce genre, je ne suis pas de votre genre” conclut-il avec un aplomb qui le surprenait lui-même.

Le médecin fit la moue. D’un côté, il partageait ces avis. De l’autre, il ne voulait prendre aucun risque. Il savait que le colonel Young lui foutrait une belle branlée s'il retournait en arrière.

“Gardez le cap, c’est un ordre” s’amusa à dire Mochi, prenant des airs pathétiquement grandiloquent “Et passez-moi tout de suite un Den den en liaison avec le poste de commandement de Drum”.

Le capitaine ordonna que l’on annule les manœuvres et que l’on continue sur la voie prévue. La destination restait inchangée et l’on abandonnait les marines en détresse. Un officier subalterne ramena l’escargophone commandé et au pas de course, comme s’il eut reçu en pleine guerre, un ordre de son légitime supérieur. Il suait. Le binoclard attrapa l’animal, un Capitaine sur Drum était déjà en ligne.

“Moshi mosh” lança nonchalamment Mochi

“Qui est en ligne ? Que pouvons-nous faire pour vous” répondit une voix aussi molle qu’indifférente.

“Je m’appelle Mochi, je viens de couler un de vos sloops, celui dans lequel le colonel Young a embarqué il y a quelques heures. Ils ont besoin d’aide, magnez-vous de rappliquer pour leur sauver les miches” demanda Mochi avec une bienveillance non feinte.

L’annonce fit l’effet d’une bombe, et un long silence s'ensuivit. À tel point que Mochi croyait à une coupure. Il secoua le den den et demanda si le bonhomme était toujours là. En guise de réponse, l’officier se mit à invectiver avec violence et insulte le boulonné. Tous les noms d’oiseaux y passèrent. Le toubib y coupa court, ne souhaitant pas s'éterniser ici.

“Je suis très sérieux, manier vous, sinon ils mourront tous” et il raccrocha, exaspéré, puis il se retourna vers son nouvel hôte en affichant un grand sourire “Alors ? On va où ?”
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