Un coup. Deux coups. Trois coups. Craac. Le crâne cède, la marmelade de cervelas se répand par l’ouverture nouvellement créée, de force, par ce délicieux instrument que représente le marteau entre les mains de l’individu masqué. A ses pieds, le corps désormais sans vie de l’employé de sécurité chargé de surveiller ce vaste bâtiment qu’est le magasin de jouets Kork et Marty. Le sang, propagé en spray comme un vaporisateur le ferait avec des produits d’entretien, a taché ses belles chaussures noires et le bas de son pantalon. L’homme n’y prêt pas attention, c’est une chose courante dans son métier que de recevoir quelques éclaboussures sauce tomate deluxe de la part des malheureux qui tombent sous ses coups. Sa main, rougie par le raisiné de sa victime, tombe sur la poignée de porte et tourne cette dernière, s’assurant que l’accès lui est désormais autorisé.
Le magasin a fermé ses portes depuis une bonne heure déjà, la lueur du jour est faiblissante et l’obscurité grignote seconde après seconde le terrain. Sur la gauche du tueur, un bruit se fait entendre. Quelque chose qui traîne au sol, frotte sur la surface sans discontinuer et se rapproche inexorablement. Il n’a pas besoin de tourner la tête pour savoir de qui il s’agit. Tenant une cheville dans chaque main, le reste des dépouilles inanimées glissant par terre dans un couple de sillons ensanglantés, un homme habillé d’un costard bicolore noir et blanc s’avance. Silencieux, la tête dissimulée sous un masque géant d’un animal qui s’apparente à un ours ou un castor, sourire macabre figé, de grands yeux sanguins affublés de minuscules iris rouges, et un chapeau usé de marin sur le haut du masque. Il largue ses victimes sur place, sans adresser un mot à son partenaire.
Depuis le temps qu’ils bossent ensemble, parler est devenu obsolète.
Le premier chasseur de têtes, dont l’identité est également voilée par un masque, pousse simplement la porte et ouvre ainsi la voie. La tête de chien derrière laquelle il se cache se tourne vers son camarade et l’un après l’autre, ils s’engouffrent à l’intérieur…
Dans le long couloir qui sépare en deux diverses salles servant principalement au personnel du magasin, ils croisent le pauvre Klin Heur, un bon petit gars d’une vingtaine d’années, bossant au service de nettoyage pour se payer une petite embarcation qui lui permettra de prendre la mer et découvrir les mers.
C’est finalement la lame froide d’un poignard qu’il se prendra pleine gorge, l’extrémité en acier ressortant sous les narines avant d’être sèchement extraite dans une envolée d’hémoglobine. Mais qui ira nettoyer tout ce sang qui s’écoule sur le sol qu’il venait bravement de laver ?
Une mélodie sifflée s’envole dans les locaux, légèrement étouffée sous les masques des protagonistes meurtriers. Le funeste binôme aux allures de mascottes de fête foraine déambule allègrement dans les corridors, exécutant chaque personne qu’ils croisent.
Nââ Dhin, la caissière quinquagénaire qui tape sur les nerfs de tous les employés avec ses tendances mythomanes et un réel penchant pour les commérages au boulot, verra son crâne se faire percer par une chignole, bonne vieille perceuse à main. Si elle n’avait pas autant traîné ce jour-là à blablater avec la petite jeune tenant également les caisses, elle serait déjà avachie sur son vieux fauteuil empestant le parfum pour vieille célibataire à l’heure qu’il est, à bouquiner un vieux livre de Boudelière, grand écrivain de l’époque.
So’fy, la petite jeune en question, s’est ramassée un coup de batte à l’arrière du crâne tandis qu’elle copulait avec Bordelino D. Dawadelo, à califourchon sur ce mâle plein de fougue s’improvisant cheval pur sang pour quelques minutes de folie sexuelle. Un Bordelino qui se fera tordre le cou simultanément avec la batte assénant son coup mortel à So’fy.
Les relations amoureuses au travail c’est mal, ils auraient dû le savoir. Trouver son chemin au milieu de tous ces couloirs, quand on est jamais venu, n’est pas si évident. Le bâtiment est grand et les plans censés aider à se repérer en cas d’évacuation d’urgence sont quasiment illisibles, ou juste le duo n’y comprend rien. Ils y vont à l'instinct, au hasard, sans se presser. Ils n’ont pas décroché un mot depuis qu’ils ont commencé le boulot, et arpentent désormais un couloir faiblement éclairé qui semble déboucher sur une pièce bien plus grande. Ils se retrouvent dans ce qui s’apparente à l'entrepôt de jouets, le coin où ces derniers sont déposés quand ils sont jugés défectueux ou simplement pour y être stockés en attendant que ceux en magasin soient écoulés.
Ils se rapprochent de leur cible, ils peuvent le sentir. En revanche, l’illustre inconnu sur lequel ils tombent en pénétrant dans le hangar, ils ne l’ont pas senti arriver. Tout juste le bruit de ses pas fit office de sonnette d’alarme, avant que les regards se croisent et qu’un silence s’installe, l’individu ayant coupé net sa progression devant le binôme couvert de sang. C’est sans doute ce qui caractérise le mieux l’expression être au mauvais endroit, au mauvais moment.
Tiky
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