La victoire a un drôle de goût dans ma bouche. Celui de l'illégitimité sans doute. Après tout, on gagne, mais Apache et la majeure partie de ses gros sbires est encore en vie. Et quelque chose me dit qu'on ne va pas tarder à les revoir. Heureusement, un gros banquet est organisé. On y mange et on y boit beaucoup. Ce que j'apprécie grandement! Et surtout, ça cause politique, alliances, bref, tout ce qui me passe à mille lieues au dessus de la tête. Et puis, pour les locaux, cette grande fête est l'occasion d'officialiser le passage de l'île sous giron révolutionnaire, mais aussi de rejoindre l'Alliance Contre Teach (ou ACT). Après tout, même s'ils sont assez renfermés sur eux-mêmes, ils ont bien conscience que tant que le Malvoulant ne sera pas hors d'état de nuire, cette victoire, aussi belle soi elle, ne sera qu'un répit.
A la fin du repas, je suis gavée comme une oie. Mais je n'ai pas fait que m'empiffrer. J'ai pu discuter avec le prince de la condition de la femme sur son royaume et aussi avec Ragnar de quelques affaires personnelles. Mais bon, à part ça, je me suis ennuyée ferme! Heureusement, quelques notes de musique changent l'atmosphère. Ca se lève et ça danse. Youpi! Je vais pouvoir m'amuser aussi! Une gorgée d'Eau de Ka, pour me donner du cœur au ventre et me voilà! Je respire l'odeur des corps qui dansent autour de moi. Je les effleure sans timidité dans une sorte d'insolence chorégraphiée. J'embarque le petit Yuki dans un collé-serré qui lui laissera quelques souvenirs. Et pas que lui, je danse avec tous. Suelto, Canaille, et même Kadelya qui se pensait à l'abri dans un coin. Red, Ragnar et le prince sont hors de ma portée, sinon, je les aurais embarqué dans ronde. Enfin, ce n'est pas grave! Il y a moult cavaliers et l'Eau de Ka coule à flots, notamment dans mon gosier.
Et même quand c'est plus calme, je ne veux pas m'asseoir! Je veux m'oublier. Je veux qu'on me drague, qu'on me regarde et qu'on me fasse tourner! Je ne veux pas m'asseoir, ça a trop duré! L'immobilité forcée, c'est terminé! Ce soir j'ai une vie à recommencer! Il faut que ça bouge! Il faut que ça tremble! Il faut que ça transpire! Je veux vivre! Je veux revivre! Je veux me sentir vivre! Je ne veux plus être ce cadavre ambulant que je traine jusqu'à présent. Et si le prix à payer c'est une grosse main caleuse au derrière, je m'en fiche! J'ai besoin de me sentir libérée, délivrée…
Moi je ne percute pas que je suis saoule, mais les locaux si. Et comme je suis bien plus agréable ainsi, ils s'assurent que je le reste en m'alcoolisant régulièrement.
The song of fire and ice.
J'ai laissé Ragnar jouer au roi de l'échiquier avec les locaux, depuis que j'ai refait la déco du château royal façon catastrophe naturelle et qu'ils ont compris que j'étais encore un cran au dessus de leur terreur du moment il leur est difficile de se concentrer quand je reste la à les regarder. Prévisible, humain, et je n'ai pas envie de passer du temps à leur expliquer a quel point l'avenir de leur trou glacé m’indiffère, de toute façon ils ne me croiraient pas...
J'hésite quelques seconde à me pointer à la fête, savourant façon voyeur les sensations diffuses que le haki me procure quand je me concentre sur les flammes de vie la bas, réflexion subconsciente sur l'envie de jouer les patrons ténébreux à la Tahar ? Ou plutôt accessible et jouissif façon Toji ? Après tout, il y a quand même un paquet de types en train de boire la bas et a qui je ne vais pas faire si peur que ça, ou en tout cas pas au point de ne me pas proposer un verre avant de trouver un prétexte pour filer.
Et puis, il y en a au moins une qui a de l'avance sur moi et que j'ai bien envie de rattraper. D'autant que le moment semble opportun...
Ou au contraire, pas du tout.
Bruit d'une main qui claque sur une paire de fesses nerveuse, ricanements, frottis, choc sourd de deux cranes qui s'entrechoquent, son de corps qui s'affaissent mollement sur le sol. Jeska tend un bras hésitant vers l'endroit ou se trouvait son admirateur le plus proche et ne rencontre que moi...
-J’espère que tu en as encore piqué assez pour deux.
Je suis trop alcoolisée pour percuter ce qu'il vient d'arriver à l'indélicat qui m'a pelotée. Et en fait, je m'en fiche un peu. Parce qu'il y a le contact d'un manteau que je connais bien. Le son d'un voix familière. Apaisante, même. Et son odeur…
"Si c'est pas Red que voilà!"
Je me suis jetée à son cou comme si j'étais une vieille amie et qu'on ne s'était pas vu depuis des années. L'attaque câlin surprise passée. Je me décolle de lui lentement. Ma joue caressant sa barbe. Je ne suis pas une grande amatrice des surfaces rugueuses d'habitude, mais étrangement, cette fois, je ne trouve pas ça si désagréable… Nos nez se frôlent et je finis de m'éloigner.
"Nan, désolée j'ai pas piqué d'alcool pour deux.. mais j'ai bu pour deux! Alors en moyenne, on est bons!" lui annonce-je avec le plus grand des sourires.
Je lui prend la main et l'entraine vers la piste improvisée. Je danse plus contre lui qu'avec lui, mais je m'en fiche un peu. J'ai envie de m'amuser! Et encore plus du fait que je suis ivre. Il y a des gens qui ont l'alcool joyeux, malheureux, belliqueux, moi, j'ai l'alcool amoureux! Et j'ai beaucoup trop bu!
Est ce que ce serait ça la recette ? Non je ne pense pas. Celle la je l'ai essayé souvent et elle ne marche pas bien avec moi, contrairement à la miss j'ai l'alcool triste et maussade, et je suis plus enclin à m'abrutir en solitaire en discourant pendant des heures avec les morts qui me hantent qu'a me laisser aller a perdre le contrôle.
Je crois que quelque part j'envie un peu Jeska. En tout cas si elle réussit vraiment à mettre de coté ses souffrances et ces cicatrices le temps d'une soirée et d'un peu d'alcool. Mais est ce vraiment le cas ? Je crois qu'il faut vraiment que j’arrête de me prendre la tête...
Dans mes bras Jeska n'a pas ce probléme, indifférente à tous ce qui nous entoure elle se laisse simplement aller, suivant la musique, traversant la piste en m'entrainant avec elle, aussi vive et brulante qu'une flamme, attirant les regards et les gens comme autant de papillons auquel je brule les ailes quand ils tentent de se rapprocher.
Ce soir, Jeska n'est à personne, mais surtout à personne d'autre que moi.
A force de danser, je finis fatiguée! Je ne peux pas vraiment feindre la surprise, ça devait arriver!
"Merci, Red, tu as été un super cavalier!"
Ce qui est faux, mais dans mon état, je ne le percute pas vraiment. Le principal, c'est que je me sois bien amusée! Je reprends la main de mon capitaine et je l'entraine vers le bar.
"Deux Eaux de Ka, siouplé!" demande-je au serveur avant de m'affaler sur le comptoir.
"Deux verres qui roulent!" répond le barman d'un air enjoué.
"Nan, deux bouteilles plutôt! Et pas besoin de verre. On va boire au goulot!" annonce-je fièrement.
Je ne prends pas le temps de m'offusquer de la réaction interloquée de l'homme. Red a remarqué un coin sympa. Elégamment, il me tient par la main pour me guider. D'habitude, ça m'ennuie qu'on joue les chiens d'aveugles pour moi, mais là, je dois avoir trop dansé, j'ai les jambes en coton. Ou alors j'ai trop bu.
Bref, je me vautre dans une sorte de sofa, Red à ma droite et nos litrons en face de nous. Je bois une généreuse série de gorgées.
"Rhaaaaaa! Ca fait du bien!" Un petit silence s'installe, que l'alcool décide de rompre à ma place. "Je suis contente que tu sois là. C'est vrai! Tout à l'heure, tu étais si seul après la bataille. Je voulais être avec toi, mais je ne m'en suis pas senti le droit. Après tout, j'ai perdu mon combat. Deux fois en plus! Comment je suis trop nulle! C'est affreux! Affreux, je te dis! Moi, je veux pouvoir être utile à mon capitaine! Mais en vrai, je sers à rien! Regarde! Lors de la bataille, j'ai pas pu me battre à fond. Tout ça à cause de ce fruit du démon! Vilain! Vilain poison! Le poison c'est nul. A cause de ça, je ne peux pas me battre auprès de ceux que j'aime sans risquer de les blesser..."
-Méfie toi Jeska, si tu te poses trop de questions après la bataille, tu vas finir souvent toute seule comme moi. En fait, je me dis souvent que c'est peut être ça la solution tu vois ? Pas se poser de questions. Bon, pas comme Ragnar, lui c'est parce qu'il est trop jeune, mais j'ai connu des pirates... Tahar par exemple, t'as connu Tahar ? Sombre, dangereux, solitaire...
Tahar ? Non mais qu'est ce que je raconte ? Tahar dans le fond a toujours été tout seul, et a passé sa vie a chercher des réponses, un but, une fin ? Ouais... C'est peut étre ça en fait. Tahar a toujours cherché une fin à la hauteur de sa vie... Est ce que c'est aussi ça que je cherche ? Est ce que c'est pour ça aussi que je m'accroche et que je retourne affronter Teach ? Parce que j'ai loupé ma fin ?
Il est temps d'écluser encore un coup, même dans ma tête je raconte des conneries...
-Non oublie, Tahar c'est pas le bon exemple... Alors euh... Jack, tiens voila, Jack sans Honneur, ça c'est un type qui se pose pas de questions, pur instinct, une vraie bête fauve ! Tu crois qu'il a des états d’âmes après la bataille lui ? Sur que non ! Et ben il faut penser comme Jack ! Tu dis que t'as perdu mais hé ! T'as vu la gueule de l'autre ? Pour moi une défaite comme ça ça ressemble salement à une victoire. Et puis ton fruit, t'as vu ce que t'as fait avec ? Je serais pas venu, t'aurais pas eu a faire gaffe aux révos qui trainaient partout, je parie que t'aurais pu la gagner toute seul la bataille.
Alors... Alors t'es utile ! Regarde bien, t'es même la plus forte de l'équipage ! C'est pas rien ça... Mais c'est sur qu'il va falloir faire attention aux plans.
Sinon... Hé ! Sinon je peux t'enlever tes pouvoirs ? Mais ce serait dommage...
J'écoute aussi attentivement que mon ébriété me le permet. Pas facile, mais je capte qu'il parle de son expérience de vie. Et moi, en vrai j'ai fait quoi? Nom d'une biscotte! Je viens de réaliser que toute ma vie se résume en un seul mot.
Abandon.
J'ai été abandonnée par mes parents. J'ai abandonné mes amis de l'Académie quand ils avaient le plus besoin de moi. J'ai abandonné la Marine. Deux fois! J'ai abandonné mon amour de jeunesse. Et fait de même avec mon précédent capitaine. J'ai aussi laissé mon fils en plan pendant un an. Bon, je suis allée le retrouver ensuite.
Mais quand même, je suis une serial-abandonneuse.
Du coup, est ce que je vais abandonner Red aussi? Et mon fils, de façon définitive? Il faut que j'arrête de penser, je me fais du mal. Je me raccroche au courage qui me reste, en l'occurrence une fiole d'Eau de Ka que je vide goulûment. Oui, je le sais, je ne fais que noyer mes soucis dans l'alcool! C'est vain, je le sais aussi. Depuis le temps, mes problèmes ont appris à nager, les bougres. Et puis soudain, mon cerveau s'arrête sur un nom.
Jack.
Le Jack. Je sors de mon introspection comme d'une trop longue apnée. En prenant une grande inspiration. Bon ça me fait monter pas mal d'alcool dans la caboche, mais au moins je suis de nouveau là. Dans la conversation.
"Ouais, enfin, voilà quoi! Je…"
Dans mon état normal, j'aurais sans doute dit que j'étais la seule femme à bord, donc que je n'ai pas grand mérité à être la plus forte.
"...crois que..."
Je n'ai pas non plus eu le plaisir de voir la tête de l'autre nouille car je suis aveugle! Nom d'une biscotte!
"...je vais v..."
Les mots sont sortis sans que je m'en rendre compte. Pas le reste. Le premier spasme me vrille les tripes. Je sais ce qu'il va se passer. Je mets ma main devant ma bouche pour éviter la catastrophe que je sais inévitable. Le mont Jeska rentre en éruption. Je retiens ce que je peux, au prix de joues gonflées d'un horrible goût âcre. Malheureusement, la réplique m'est fatale et je ne peux retenir ce magma qui coule le long de mon cou, sur ma robe contre ma peau. J'essaie de me relever, mais non seulement mes jambes ne me portent plus, mais une troisième secousse parachève ma déchéance. Je tremble, je vacille et surtout, je déborde. J'essaie de bredouiller des excuses. Mais, tout ce que je sens, c'est mon corps qui bascule sur le coté.
Étonnant qu'avec le fruit du poison Jeska soit encore aussi sensible aux effets de l'alcool. Cela dit je ne me sens pas très bien non plus... Je suppose que le temps dans la glace m'a servi de période de sevrage forcée, et que Jeska ne devait pas avoir droit souvent à sa tournée de rhum à fond de cale...
Je n'ai pas à profiter du retour d'analyse de Jeska que celle ci passe déjà à la phase rejet, et je n'ai que le temps de faire pivoter la demoiselle pour éviter d’être aussi atteint que le mur. Coup de bol, ce n'est qu'une réaction bien humaine et pas une de ces substances dont le fruit du poison a le secret, c'est moche mais rien ne fond et personne ne meurt, et si Jeska se ramollit soudain dans mes bras, cela n'a rien de particuliérement étonnant, et une longue habitude de fin de soirée alcoolisée me dicte tout ce que j'ai à faire ensuite, quelque soit le degré d'alcool qui m'embrume le cerveau...
D'abord, charrier la demoiselle sans me vautrer, ensuite, rejoindre les appartements qu'on m'a offert pour mon insigne participation aux combats, et mettre à l’essai ce merveilleux systéme de bains chauds provenant de sources souterraines locales... Une série d'étapes périlleuses que je mets bien trop longtemps à accomplir pour Jeska, qui ronfle déjà quand je fini de la dessaper avant de l'immerger dans un bain chaud. Autant pour la fin de soirée attendue et place au boulot de nourrice. On lave, on sèche, et on met au lit en se préparant pour la gueule de bois de demain.
Je me demande quelle soirée passe Apache...
Je me réveille sans souvenirs de m’être endormie. C’est étrange. Mais bon depuis que je fréquente Red, je bois bien trop et surtout trop fréquemment. Du coup, ne plus être en mesure de me remémorer comment je suis arrivée là ne me choque guère. J’ai juste un terrible mal de crâne. Et une bouche pâteuse pleine d’un horrible goût de bile. J’ai dû vomir. Je ne peux pas vraiment faire mon étonnée, je finis souvent mes soirées la tête au dessus de la porcelaine à regretter d’avoir trop bu, à promettre qu’on ne m’y reprendrait plus, et à remettre ça le lendemain.
J’ai besoin d’eau. Parce que j’ai soif, mais aussi parce que je suis naïvement convaincue que me jeter de l’eau glacée sur la figure va me dégriser plus vite. Alors je me lève. Dieu que mon corps est lourd! Ce n’est qu’une fois que j’ai quitté le confort douillet de ma couche que je réalise que je suis nue. Et que je me caille! Malheureusement je ne connais pas cette chambre, alors je dois me diriger à tâtons pour trouver la salle d’eau. J’ai une chance inouïe de trouver ce que je cherche du premier coup! Après tout, j’avais autant de chance de découvrir la porte de sortie et de me retrouver en tenue d’Ève dans un couloir.
L’onde est glacée, mais elle a le mérite de me réveiller et de me remettre les idées en place. Déjà, je devrais être dans un sacré état pour ne pas avoir pensé à enfiler de pyjama. Bah, ça arrive aussi, après tout, j’étais torchée. Je retourne dans la chambre pour me couvrir un peu quand je sens une odeur familière et j’entends une respiration qui tient plus du ronflement. Je ne suis pas seule. Une autre personne dort dans cette pièce! Mon cerveau met du temps à faire le lien. Et encore plus à reconnaître le propriétaire du parfum.
D’abord je suis dans le déni. Je me dis que Red m’a galamment raccompagnée, déshabillée, et couchée. Je m’approche de lui à pas de loup. Il ne faut pas que je le réveille, mais il faut que j’en aie le cœur net. Je prends donc mon courage à deux mains pour aller explorer sous les couettes. Aussi délicatement qu’une fille bourrée le peut, je glisse ma main sous les draps pour tâter le terrain. Et quand je réalise qu’il est nu, lui aussi, je manque de m’évanouir.
Oh là là! Jeska qu’as-tu fait? La situation est pire qu’elle en a l’air. C’est une catastrophe! Déjà, je me parle à moi même, signe d’une situation gravissime, s’il en est. J’ai couché avec mon capitaine, et je ne m’en souviens même pas! C’est terrible! Non, ce n’est pas d’avoir oublié qui est affreux, espèce de Marie-couche-toi-là! C’est de l’avoir fait. Maintenant nos rapports vont être étranges. Oh non! Il ne faut plus qu’il y ait de rapports entre nous!
Et surtout, je fais quoi, maintenant? Je ne peux pas vraiment m’éclipser, on navigue ensemble! Il faut qu’on en discute, mais pas de suite. Je ne peux décemment pas le réveiller pour parler de ça! Et puis, il fait rudement froid en dehors des couettes. Alors, le plus doucement du monde, je me faufile dans le lit et je me couche. Je vais juste attendre qu’il se réveille et lui dire quelque chose. Et alors que j’essaie de trouver comment lui présenter la chose, je ne trouve pas de meilleure chose à faire que de me rendormir.
"Alors, bien dormi? Tu en avais bien besoin, vu comment tu étais déchaînée hier soir…"
J’émerge encore plus difficilement que tout à l’heure. Mais par contre, je comprends très bien ce qu’il me dit. Et ça confirme les pires craintes. Alors, timidement, j’essaie de lui dire ce que j’ai sur le cœur.
"Écoute, Red. Hier soir j’ai vraiment trop bu et j’étais plus maître de moi-même. Mais toi, tu as été très bien. C’est juste que… ce qu’il s’est passé cette nuit doit rester entre nous. Même si on s’est bien amusés, il n’y aura pas de seconde fois, tu comprends?"
Avec l'entrainement du Cipher Pol, ne dormir que d'un œil devient une seconde nature, et vigilance constante une règle de vie. Comme ces animaux qui ne mettent en veille qu'une moitié de leur cerveau pour passe instantanément du sommeil à l'action sans même s'en rendre compte, l'agent du gouvernement est impossible à surprendre quand il dort, et le bruit le plus infime dans sa zone de confort le ramène sur le champ à la conscience, prêt à agir...
Mais quand je ne me réveille qu'au moment ou la main de Jeska, encore glacée par sa douche froide m'effleure l'épaule, il me faut bien admettre que niveau vigilance constante, je crois que j'ai un peu perdu. Par contre niveau résistance à l'alcool, je suis toujours au top, et j'accueille comme une vieille amie cette sensation d'avoir passé la nuit à se faire marteler la gueule par un lingot d'or enroulé d'une rondelle de citron. Après un an de caisson cryogénique, même un lendemain de gueule de bois semble être un vrai bonheur. Il y a peut être quelque chose à creuser niveau soin de la dépression ?
Et puis, c'est encore meilleur quand on est pas seul. D'autant que personne ne rangerait Jeska dans la catégorie mauvaises surprises de sortie de biture. Enfin, si, peut être. Il y a toujours des gens a qui la force, les cicatrices et les souffrances enfouies font peur. Comment ne pas voir que c'est ça qui la rend si magnifiquement désirable...
-J'ai peur qu'on ait fait un peu trop de bruit pour que ça reste juste entre nous deux. Et puis, moi je me suis amusé, mais toi je ne suis pas sur. Alors ce serait vraiment dommage de rester la dessus non ?
Sa réponse me fait virer au cramoisi en moins de temps qu'il ne faut pour dire Alabasta. Je commence à m'enfouir sous les draps quand je réalise qu'il est en tenue d'Adam et que le geste pourrait être mal interprété. Surtout qu'il veut qu'on remette le couvert!
"Tu veux qu'on recommence? Là, maintenant?" balbutie-je.
Après tout, on est déjà nus! Namého! Jeska, tu t'entends penser là? Coucher avec Red était déjà une bêtise, le faire un deuxième fois, c'est pire! Nom d'un biscotte, je ne suis pas à ce point en manque d'affection pour me laisser embarquer par le premier venu! Cependant, il y a bien quelque chose dont j'ai besoin c'est effectivement de tendresse et d'amour. Et je serais bête de repousser un homme qui est disposer à accepter la fille cabossée par la vie que je suis.
Et mon corps répond de lui même. Je me colle contre lui, tendrement, glisse contre le sien pour me retrouver à cheval sur lui, mes longs cheveux tombant comme des rideaux, encadrant nos deux visages. Je me penche pour l'embrasser quand tout d'un coup, c'est comme si je venais de me faire frapper par la foudre! Immédiatement, je m'éloigne de cet homme d'un bond. C'est si soudain et si violent que je percute le mur du fond de la pièce dans un "blam!" sonore. Mon corps a agi de son propre chef. Et mon esprit me renvoie à l'Asile, dans cette cellule sordide ou les hommes du Malvoulant m'ont… Je sens leurs mains, leur haleine, l'odeur de leur sueur. J'entends leurs rires gras. C'est comme si j'y étais! Une partie de mon esprit sait que je suis en sécurité, avec Red dans une chambre sur Winter Island. Mais mon corps et le reste de ma psyché sont retournés en enfer.
Je crois que je suis en train de devenir folle. J'essaie de repousser des tortionnaires imaginaires. Je tente de m'enfuir. Seulement la géographie de la pièce n'est pas la même que celle de mon délire et je percute violemment l'encadrement de la porte de la salle de bains. Le choc, au lieu de me faire reprendre conscience, me fait plonger d'avantage dans l'illusion. J'ai envie de hurler à l'aide, mais ma voix refuse de sortir. Et puis à quoi bon. Dans l'Asile, il n'y a personne pour prêter attention aux cris des suppliciés.
Dernière édition par Jeska Kamahlsson le Mer 12 Jan 2022, 09:38, édité 1 fois
Miracle ou fardeau de l’Empathie avec une majuscule, j’ai parfaitement conscience de la peur panique qui remplace le simple embarras dans le crâne de Jeska avant d’irradier jusqu’au mien. Souvenirs atroces, peur, douleur, honte.. Je n’ai jamais entendu que des rumeurs sur les talents de ceux qui gèrent le tristement célèbre asile du Malvoulant, mais pour m’être souvent tenu de ce côté de la barrière du temps de la vie au Cipher Pol, je suis parfaitement renseigné sur les milles et une façon de briser un être humain et de transformer le plus dur des pirates en une boule de nerfs frémissante et détruite, prête à toutes les abjections et les lâchetés pour éviter que la douleur reprenne. Jeska a son lot de cicatrices de surface, mais sans surprises, les vraies blessures sont bien plus profondes que celles qui lui marquent la peau.
Luttant contre les ennemis qui hantent ses souvenirs, Jeska se débat sans aucun espoir de s’en tirer, mais elle s’accroche quand même, mâchoire serrée, regard aveugle braqué sur des horreurs qu’elle est seule à ressentir, et pour l’aider je fais la seule chose qui me vienne en tête, essayer de l’isoler des sensations qui la tirent en arrière vers l’endroit où on a tenté de la briser.
La pièce entière disparaît dans les ténèbres pendant que mon pouvoir engloutit tout ce qu’elle contient, nous plongeant Jeska et moi dans un vide apaisant, sombre et confortable.
-C’est fini Jeska. C’est fini. Il n’y a que nous.
Je me débats, je convulse, je me contorsionne… je dois leur échapper! Il en va de ma survie! Mon esprit à sevré toute connexion avec le réel, et me torture. Pourquoi? Pourquoi ici? Pourquoi maintenant? Et puis soudain, ça me traverse comme une évidence. En fait, je ne suis jamais sortie de ma cellule! Je n’ai jamais quitté l’Asile! Parisse, Red, Ragnar, Winter Island, Armada, Yuki et Kardy… tout ça je l’ai déliré pour supporter la souffrance. Même mes retrouvailles avec mon fils. Rien de tout ça n’est vrai. Ma seule réalité, c’est les deux mètres carrés qui délimitent mon enfer personnel.
C’est alors qu’une sensation désagréable m’envahît. Ce n’est ni liquide, ni solide. Ni même vaporeux. C’est là sans être là. Et je déteste cette chose que je ne peux appréhender. Les ténèbres de Red. Cette réalité heurte de plein fouet mon délire. Le fissure. Le fragmente. Et finit par le faire voler en éclats. Je me retrouve seule, roulée sur moi même comme un tube de dentifrice vide. Et pourtant, seule, je ne le suis pas. La voix de cet homme m’atteint. Elle caresse mon âme meurtrie comme un baume. Je m’apaise. Lentement. Je tremble encore. Toujours en état de choc, je replie mes genoux contre ma poitrine et j’entoure mes jambes avec mes bras. J’ai froid. Et en me tenant ainsi, j’essaie vainement de conserver le peu de chaleur qu’il me reste. J’oscille d’avant en arrière comme un vieux culbuto en fin de course. Ce mouvement me calme un peu. Il me berce.
Red me dit que c’est fini. Il ne comprend pas. Ce ne sera jamais fini. Je resterais pour toujours la fille de la cellule 703. Une victime. Je déteste ça. Je voudrais oublier. Vivre normalement. J’y ai même cru. Mais voilà, le bonheur se refuse à moi. Dès que je le sens à portée de main, il me fuit. Et je vais me retrouver dans cette cellule à chaque fois? C’est horrible l’espoir. Surtout quand il se brise. Je sais maintenant que je ne guérirais jamais. Si mes yeux pouvaient encore le faire, j’en pleurerais. Je n’aurais pas la vie heureuse que j’appelle de mes vœux. Je ne pense pas mériter ça. Survivre au pire, c’est pire que d’en mourir. Ça vous aspire l’âme et la remplace par des cauchemars.
"Je te demande pardon, Red. dis-je entre deux sanglots.
Et je répète cette phrase à l’infini. Parce qu’il le faut. Il faut qu’il me pardonne. J’en ai besoin. Il est une des seules sources de réconfort de mon existence. Il faut qu’il reste à mes côtés. Sans lui, je me serais perdue. Sans lui, je serais encore captive. J’ai besoin de lui. Bien plus qu’il n’a besoin de moi, à mon avis. Je ne peux pas me permettre qu’il m’abandonne.
"C’est fini, je vais mieux. C’était un moment de faiblesse, mais c’est passé!"
Je me redresse, encore chancelante, et j’esquisse un sourire qui se veut rassurant. Mais c’est un piètre mensonge que je sers à mon capitaine et, pire encore, à moi même. Mais je me refuse à avouer que je suis sur le point de m’effondrer à nouveau.
-Ce n'est pas le genre de cicatrices qui disparait. Mais au fil du temps ça s'estompe, ça s'éloigne, on les laisse derrière comme une mue de serpent...
Bien conscient de ce qui a provoqué cette soudaine crise de panique, je tends une main secourable à Jeska, prenant soin de ne pas la toucher et de la laisser choisir de la saisir ou pas, d'établir un contact ou de continuer à l'éviter.
-Et tu n'as rien à te faire pardonner. Tu sais ce qu'on dit non ? L'important c'est pas le nombre de fois ou on tombe, c'est le nombre de fois ou on se relève.
-C'est ce qu'on dit au cipher pol ?
-Hum... Non... Je crois que j'ai du lire ça dans un biscuit wanokunien.
La main de Jeska se referme sur les mienne et je la rattrape quand elle manque de basculer en avant et me tombe dans les bras, sans que cette fois la situation ne dégénère à nouveau en une crise de cauchemars et de souvenirs. Jeska est douloureusement abimé et marquée mais il s'en faut de beaucoup qu'elle ne soit brisée. Une preuve de plus peut être que le Malvoulant n'est finalement qu'un homme, et faillible comme tout un chacun malgré son aura de plus terrible croquemitaine des mers...
-Cela dit, contrairement à ce qu'on peut raconter, la vengeance fait du bien. C'est comme un baume apaisant sur une vieille brulure, tu l'as bien senti à Parisse... Et quand tu en auras besoin. Le jour ou tu te sentiras prête à passer au feu toute cette merde, on pourra aller faire un tour à l'asile...
"Ah, oui, j'adorerais voir cet endroit brûler… hé! hé! hé!
Le petit rire que je laisse échapper est plus l'expression de mon état de fatigue que d'une quelconque joie. Je ne tiens plus sur mes jambes, et, dans le bras de Red, je dois avoir la consistance d'une poupée de chiffons. Mais je suis bien, contre lui. Mon palpitant va à deux cent à l'heure mais celui de Red est à un rythme normal, et ça m'apaise. Petit à petit, nos deux cœurs finissent par battre à l'unisson. Je suis tellement relaxée que je finis par m'endormir à nouveau.
Lorsque je me réveille, il est là, à mes côtés. M'a-t-il couché? Encore? A-t-il veillé près de moi? Ou a-t-il dormi aussi? Je ne sais pas, mais je suis contente qu'il soit là. Je lui adresse un franc sourire.
"Bien dormi?"
"Oui! Et toi?"
"Une troisième partie de nuit moins agitée que les deux premières, mais ça me va aussi."
"D'ailleurs, en parlant de ça, je suis désolée, mais je ne me souviens pas qu'on ait couché ensemble. Je suis certaine que ça devait être très bien, ceci dit."
"Sans doute parce qu'il ne s'est rien passé."
"Mais tout à l'heure tu as parlé de..."
"J'ai juste dit que tu étais déchainée et qu'on avait fait du bruit. Tu en as tiré tes propres conclusions. D'ailleurs ça n'a pas semblé te déranger de …" raille-t-il.
"Oui, mais en vrai, ça compte pas! Je croyais qu'on l'avait fait! Mais en fait, non! Donc ça compte pas!" minaude-je comme une enfant.
"Dommage..." soupire-t-il.
"Idiot..." réponds-je.
Mais au fond, moi aussi, je trouve ça dommage.