Le pouce fait rouler la molette du briquet, déclenche le mécanisme pour provoquer l’étincelle créant la flamme. Je mire un instant la petite flammèche nouvellement formée, m’y perd quelques secondes en contemplation, avant de me souvenir que j’ai une clope opiumée à allumer avec.
Cigarette au bec, la fiole fatiguée, les traits sont pas plus creusés que d’ordinaire, j’ai toujours eu la gueule du connard qui a pas pioncé depuis une semaine. Pourtant, dormir, ces derniers jours, j’ai fait que ça. M’a fallu du temps pour me remettre de la castagne avec Sciavonnache, ce fils de chienne m’a pas raté. Je l’ai pas loupé non plus au moment de l’achever, cette saloperie.
La convalescence s’est bien passée, et les plantes que m’a filé Korrigan, l’invité mystère de cette fole nuit destructrice, y sont pour beaucoup. J’ai l’habitude de traficoter avec les herbes, vu tout ce que je m’enfile dans l’organisme à longueur de journée, mais les siennes ont des vertus bien différente de celle que j’affectionne. Je me sens pas encore prêt pour bouger jusqu’à Luvneel, mais ce sera bientôt le cas.
Déjà, je peux me lever de mon pieu et faire quelques pas dans la piaule. Je peux aussi trimbaler mes petites miches jusqu’au salon afin de m’affaler sur le vieux fauteuil usé et délavé qui m’y attend, dans un coin de la pièce. Jamais face à la fenêtre, conne d’idée que de se planter derrière une fenêtre. Valable avec les portes, si t’es pas suicidaire et que tu mènes une vie malhonnête, pose jamais ton derche près d’une entrée ou d’une sortie. Un raclure de bidet a tôt fait d’y coller le canon de son flingue pour ferrailler à l’aveugle. T’en ressors jamais indemne avec une connerie pareille.
Je savoure ma cigarette, attends qu’il se pointe.
Il, c’est Wayne. Le Commandant Wayne Macallan, un joli petit officier de la Marine comme je les aime. Quarantenaire à sale trogne, tignasse ébène et barbe bien trop longue, ivrogne et amoureux de la violence, partisan des baignes dans la gueule sur les sales types qui respectent pas la loi. Un brin colérique et extrême dans ses méthodes, administrateur d’une justice implacable, le genre de gaillard hargneux toujours volontaire pour dessouder un Padre de la mafia locale.
Quelque chose me dit que quand je vais lui proposer d’aller retourner le manoir principal de Bambana, ses couilles vont en frémir d’excitation. Et si c’est pas le cas, s’il est pas chaud pour taper sur du gros requin chauve, peut-être qu’on pourra trouver un terrain d’entente à grand renfort de négociations.
J’ai demandé à Mathias d’aller le chercher. J’ai confiance en lui, je sais qu’il fait les choses bien depuis le temps qu’il bosse pour moi. J’ai aussi confiance en lui pour se faufiler dans les ruelles de Manshon sans risquer de se faire suriner par un des tontons de Bambana, à ce qu’ll paraît il en a laissé quelques-uns en ville pour me faire la peau.
Quand ça frappe deux coups à la porte, laisse ensuite planer un silence trois secondes, puis frappe quatre fois encore, je sais que Mathias est de l’autre côté. Mon regard croise celui d’Alonzo, un geste de tête suffit à lui donner le feu vert. Flingue en main, il s’en va ouvrir la porte. La trombine fatiguée de Mathias apparaît, talonnée par le Marine.
On a pas été suivi, pas que je sache en tout cas. C’est un bel homme Mathias, mais le manque de sommeil cause plus de ravages encore que sur ma trombine. Blondinet à la chevelure soyeuse qui tombe jusqu’aux épaules, mais qu’il attache très souvent avec un chignon, les yeux émeraude en amande, les lèvres fines et le teint blafard, n’importe qui n’ayant pas de chiasse encrassant ses châsses s’accorderait à vanter sa beauté. Seulement depuis que Talia a pris une balle, Mathias il dort très mal. Il s’inquiète beaucoup pour moi, ma santé mentale et la suite. Il passe plus de temps à s’en faire qu’à pioncer, ça attaque forcément la peau. Merci Mat’, tu peux aller te reposer un peu, je m’occupe de la suite. Il pousse un soupire, je sais pas trop si c’est de l’exaspération parce qu’on sait tous les deux qu’il dormira pas plus d’une demi-heure, ou du soulagement d’être revenu ici en un seul morceau.
Je zieute l’énergumène qui a accepté de venir, cet enfoiré a toujours la même tête. Celle du type qui a passé une mauvaise journée et qui a préféré la noyer dans une bouteille de gnôle plutôt que de se confier à un ami. La tronche de l’enfant de salaud qui va te fracasser tous les os de tes doigts pour avoir volé une pomme à un marchand de fruits. La bobine du clébard enragé prêt à mordre les miches de connards s’imaginant à l’abri de toute justice.
Bambana, c’est une combinaison de justice et de vengeance qu’il va se manger sur le coin de la mâchoire, ça va être salé.
Je me rallume une clope, pointe du nez le canapé pas loin de mon fauteuil, à l’abri de toute ouverture également, invite Wayne à s’y installer. Merci d’avoir accepté l’invitation, ça faisait un bail depuis la dernière fois. Whisky ?
Parce que pour discuter vendetta, on se sent toujours plus à l’aise avec le goût d’un bon alcool en fond de gosier.
Dernière édition par Peeter G. Dicross le Mer 15 Déc 2021 - 15:22, édité 1 fois