Quelques jours s'étaient écoulés depuis notre victoire. L'atmosphère longuement détendue avait retrouvé de sa lourdeur, comme notre présence s'avérait toujours une forme de menace pour les locaux. Pour cette raison, les Robins des Marais avaient proposé de nous offrir l'hospitalité, ce qui était d'autant plus déconcertant pour les habitants d'Abondance. À quel moment les défenseurs de l'île faisaient-ils amis-amis avec des pirates ?
Eh bien, il y avait plusieurs raisons à cela.
Notamment un contrat à honorer. Le gros des opérations s'était déroulé dans le plus grand des secrets, entre un peu plus de quatre yeux. Depuis que nos forces étaient arrivées à la canopée, j'opérais les allers et retours dans la salle du trône où devisaient le chef des Robins et le président de l'Assemblée des Pionniers qui dirigeait le coin. Celui-ci rechignait évidemment à me faire confiance, persuadé que je voulais l'entourlouper comme l'avaient fait Frost et le Malvoulant avant moi. Il était pourtant clair que le destin de cette île et de ses habitants m'importait peu et après trois jours de rabâchement, je montrais clairement mon exaspération :
« - Encore une fois, tout ce que je cherche, c'est à faire affaires. »
Le regard du garde forestier était lourd de sens : il ne s'était pas attendu à ce que les négociations aillent bien loin jusqu'ici. Pourtant, il me devait son approbation et celle-ci pesait fortement dans la balance. Elle tourmentait le vieillard, qui rechignait à prendre le moindre risque. Mieux valait pour lui que tout le monde oublie ce paradis perdu, les Robins faisaient un assez bon travail pour œuvrer dans ce sens. Non ?
« - Deux Empereurs se sont déjà intéressés à votre île, qu'est-ce qui vous faire croire que cela n'arrivera pas à nouveau ? »
Je tranchais dans le lard. Pas de temps à perdre, pas pour tout ce qui était prévu. J'avais déjà pris contact avec Fring et l'idée le séduisait étrangement. Il savait de quoi j'étais capable. J'avais bien l'intention de faire fleurir non seulement mes commerces, mais aussi toute l'économie locale. C'était le meilleur moyen de couvrir mes arrières.
Le vieillard était resté coi. Isaac le regardait, muré dans son silence lui aussi, jusqu'à ce qu'il décide de décroiser les bras. Il savait que c'était le meilleur moment pour faire mouche. Je le fusillais du regard, naturellement.
« - Si l'on ouvre l'île au commerce international, il sera moins évident pour quiconque de s'y attaquer sans y perdre au change. Nous manquons de moyens pour nous défendre, aussi bien humains que politiques ou économiques.
- Qui plus est, un endroit véritablement neutre manque au Nouveau Monde. Attirer aussi bien des flibustiers fortunés que des bourgeois du Cercle d'Or, c'est avoir la certitude de se mettre suffisamment de monde dans la poche. Mangrove est l'endroit parfait pour ça. »
Mallory, car c'était son nom, nous regarda tour à tour. Pendant quelques secondes, l'homme donna l'impression d'être impuissant face à nos arguments qui tombaient sous le sens. Je comprenais sa peur du changement et, à son âge, quoi de plus normal. Mais elle n'était pas raisonnable. Pas maintenant ni après tout ce qu'il s'était passé.
« - Pensez aux générations futures.
- J'y pense, j'y pense. Croyez bien que chaque fois que je dois prendre une de ces décisions... Savez-vous combien de pirates m'ont proposé de tels arrangements ? Trois. Et à chaque fois, il y avait anguille sous roche. Qu'est-ce que ça va bien pouvoir être cette fois-ci. »
Lentement, comme si son dos le faisait souffrir, l'homme s'adossa contre son siège. J'adoptais la même position, pensive. Après tout, je n'avais aucune raison de mentir :
« - Mon enrichissement personnel. Avoir des îles, avoir des milliers d'hommes sous mes ordres... tout ça ne m'intéresse pas. J'ai déjà tout ce qu'il me faut. Mais si je veux construire mon empire financier, il me faut un pied à terre pour mes activités.
- Des activités de pirate.
- Mais des activités tout de même. Et bien plus lucratives que tout ce que vous pourrez vendre ou fabriquer ici. J'ai vu les fruits des mangroves, les produits que vous proposez dans vos étals à Abondance. Vous vous satisfaites d'un rien alors que vous avez l'or à vos pieds ; vous vivez dans des taudis ! Ha, la plupart des habitants de Mangrove Works ne savent même pas lire ! Pensez à tout le confort que ce marché peut apporter, à vous sinon à vos enfants ?
- Vendre notre île...
- Pas la vendre non. La développer, comme on fait germer une idée, comme on construit un foyer. »
Je le sentais sur le point de céder. Isaac aussi, ce pourquoi il posa sa main sur mon bras. J'allais trop loin, Perkins s'était déjà résigné. Il en parlerait au conseil, quand bien même ce fut sans mot dire qu'il nous quitta, rejoignant son guide qui le ramènerait à bon port. Il ne restait plus que nous deux.
« - J'espère avoir fait le bon choix.
- Quel autre choix aviez-vous ? L'histoire se répète. Si ce n'est pas moi, ni Frost, ni le Malvoulant, ce sera un autre. Cette île est une utopie fragile qui ne peut continuer à exister ainsi...
- Intéressant. C'était pratiquement ses mots.
- Je vous demande pardon ?
- Oubliez. Il se fait tard et j'en ai suffisamment entendu pour aujourd'hui. Demain, nous aurons une réponse positive. À ce moment là, ce sera à vous de jouer. Mais surtout n'oubliez pas que pendant toute la durée de votre petit cirque, j'aurai les yeux posés sur vous.
- La confiance règne, » ironisais-je tout en me redressant, poussant la chaise derrière moi.
Le Robin ne riait pas. C'était tant mieux, je préférais cela à une relation de confiance purement hypocrite. Nous avions tous les deux des attentes l'un vis à vis de l'autre. Les bases d'un contrat en règles.
Eh bien, il y avait plusieurs raisons à cela.
Notamment un contrat à honorer. Le gros des opérations s'était déroulé dans le plus grand des secrets, entre un peu plus de quatre yeux. Depuis que nos forces étaient arrivées à la canopée, j'opérais les allers et retours dans la salle du trône où devisaient le chef des Robins et le président de l'Assemblée des Pionniers qui dirigeait le coin. Celui-ci rechignait évidemment à me faire confiance, persuadé que je voulais l'entourlouper comme l'avaient fait Frost et le Malvoulant avant moi. Il était pourtant clair que le destin de cette île et de ses habitants m'importait peu et après trois jours de rabâchement, je montrais clairement mon exaspération :
« - Encore une fois, tout ce que je cherche, c'est à faire affaires. »
Le regard du garde forestier était lourd de sens : il ne s'était pas attendu à ce que les négociations aillent bien loin jusqu'ici. Pourtant, il me devait son approbation et celle-ci pesait fortement dans la balance. Elle tourmentait le vieillard, qui rechignait à prendre le moindre risque. Mieux valait pour lui que tout le monde oublie ce paradis perdu, les Robins faisaient un assez bon travail pour œuvrer dans ce sens. Non ?
« - Deux Empereurs se sont déjà intéressés à votre île, qu'est-ce qui vous faire croire que cela n'arrivera pas à nouveau ? »
Je tranchais dans le lard. Pas de temps à perdre, pas pour tout ce qui était prévu. J'avais déjà pris contact avec Fring et l'idée le séduisait étrangement. Il savait de quoi j'étais capable. J'avais bien l'intention de faire fleurir non seulement mes commerces, mais aussi toute l'économie locale. C'était le meilleur moyen de couvrir mes arrières.
Le vieillard était resté coi. Isaac le regardait, muré dans son silence lui aussi, jusqu'à ce qu'il décide de décroiser les bras. Il savait que c'était le meilleur moment pour faire mouche. Je le fusillais du regard, naturellement.
« - Si l'on ouvre l'île au commerce international, il sera moins évident pour quiconque de s'y attaquer sans y perdre au change. Nous manquons de moyens pour nous défendre, aussi bien humains que politiques ou économiques.
- Qui plus est, un endroit véritablement neutre manque au Nouveau Monde. Attirer aussi bien des flibustiers fortunés que des bourgeois du Cercle d'Or, c'est avoir la certitude de se mettre suffisamment de monde dans la poche. Mangrove est l'endroit parfait pour ça. »
Mallory, car c'était son nom, nous regarda tour à tour. Pendant quelques secondes, l'homme donna l'impression d'être impuissant face à nos arguments qui tombaient sous le sens. Je comprenais sa peur du changement et, à son âge, quoi de plus normal. Mais elle n'était pas raisonnable. Pas maintenant ni après tout ce qu'il s'était passé.
« - Pensez aux générations futures.
- J'y pense, j'y pense. Croyez bien que chaque fois que je dois prendre une de ces décisions... Savez-vous combien de pirates m'ont proposé de tels arrangements ? Trois. Et à chaque fois, il y avait anguille sous roche. Qu'est-ce que ça va bien pouvoir être cette fois-ci. »
Lentement, comme si son dos le faisait souffrir, l'homme s'adossa contre son siège. J'adoptais la même position, pensive. Après tout, je n'avais aucune raison de mentir :
« - Mon enrichissement personnel. Avoir des îles, avoir des milliers d'hommes sous mes ordres... tout ça ne m'intéresse pas. J'ai déjà tout ce qu'il me faut. Mais si je veux construire mon empire financier, il me faut un pied à terre pour mes activités.
- Des activités de pirate.
- Mais des activités tout de même. Et bien plus lucratives que tout ce que vous pourrez vendre ou fabriquer ici. J'ai vu les fruits des mangroves, les produits que vous proposez dans vos étals à Abondance. Vous vous satisfaites d'un rien alors que vous avez l'or à vos pieds ; vous vivez dans des taudis ! Ha, la plupart des habitants de Mangrove Works ne savent même pas lire ! Pensez à tout le confort que ce marché peut apporter, à vous sinon à vos enfants ?
- Vendre notre île...
- Pas la vendre non. La développer, comme on fait germer une idée, comme on construit un foyer. »
Je le sentais sur le point de céder. Isaac aussi, ce pourquoi il posa sa main sur mon bras. J'allais trop loin, Perkins s'était déjà résigné. Il en parlerait au conseil, quand bien même ce fut sans mot dire qu'il nous quitta, rejoignant son guide qui le ramènerait à bon port. Il ne restait plus que nous deux.
« - J'espère avoir fait le bon choix.
- Quel autre choix aviez-vous ? L'histoire se répète. Si ce n'est pas moi, ni Frost, ni le Malvoulant, ce sera un autre. Cette île est une utopie fragile qui ne peut continuer à exister ainsi...
- Intéressant. C'était pratiquement ses mots.
- Je vous demande pardon ?
- Oubliez. Il se fait tard et j'en ai suffisamment entendu pour aujourd'hui. Demain, nous aurons une réponse positive. À ce moment là, ce sera à vous de jouer. Mais surtout n'oubliez pas que pendant toute la durée de votre petit cirque, j'aurai les yeux posés sur vous.
- La confiance règne, » ironisais-je tout en me redressant, poussant la chaise derrière moi.
Le Robin ne riait pas. C'était tant mieux, je préférais cela à une relation de confiance purement hypocrite. Nous avions tous les deux des attentes l'un vis à vis de l'autre. Les bases d'un contrat en règles.