Sur le pont, tout le monde ferme sa gueule et écoute la transmission. Le programme du jour, c'est un compte-rendu en détails sur la jouabilité d'un poisson mécanique. Et je tire le levier machin, et le compteur indique tel truc, et la visibilité est toujours pourrave. Si c'était pas une jolie voix d'ingé de la Marine, je ferais le coup de l'attaque de monstre marin à l'horizon. On est bien sur l'Arch, mon navire. Mais depuis peu, on héberge l'escouade des volailles bleues . C'est comme les Super Cocottes, mais version adulte. Les dames ont un rafiot en vrac qu'on tire comme une dépanneuse et un sous-marin de petite taille qu'elles aimeraient remettre en fonction. Une fois par jour, on tente le trempage en bassine sans prendre la peine de jeter l'ancre. Chaque jour, y a un truc qui foire. Une vitre qui pète, des commandes qui s'éteignent, la pilote qui perd connaissance à cause de la pression. C'est pour ça qu'elle cause tout le temps aussi; pour qu'on la remonte à temps à chaque échec. Le seul poiscaille de l'équipage est un vaurien assez naze, à peine utile en copilote. Danny, l'ancien ganger de Clock Work Island. On compte surtout sur Rouge, l'ingé dans la bombonne, qu'on remorque tous les jours pour l'entendre pester sur les nouveaux soucis techniques.
Et moi, dans tout ça, je sers de soutien. Avec la Légion, on suit notre propre objectif. Dead End. On en a encore pour quelques journées de navigation, d'après les sniffeurs de lattes à bord. Pas un problème. Dans ce bâtiment taille géant, t'as six étages à explorer façon lasagne. Un sur deux, c'est canons et cabines d'équipage, même si c'est encore à moitié vide. Va falloir recruter du lascar, mais je m'en fais pas trop. Les flibustiers et autres vermines se mettraient à genoux pour un hamac sans puces et pas au-dessus d'un baril de poudre. Ils boivent de l'eau qui pue leur future chiasse ou se mettent à la binouze à condition de ne pas avoir l'alcool mauvais. A croire qu'on materne une bande de mômes. Mon régime est différent. T'as ta propre cabine, tes affaires, tes rations et ce que tu fais en dehors de tes heures de turbin ne regarde personne. Par contre, pendant ton quart, t'es impeccable. Y a pas de coups de fouets ni de geôles dans ma forteresse. Tu me fais chier, je consacre le reste de ta vie à dissuader les autres de te ressembler. Y en a eu, des exemples. Mais l'humain a l'instinct de survie. Quand tu sais que tu peux poncer les coquillages avec ta trogne tout le long de ce genre de carlingue, t'apprends pas l'apnée t'apprends à ne pas faire de connerie. Et tout le monde veille sur le voisin, pour qu'il fasse son boulot correctement et dans la bonne ambiance. Ca se passe bien.
Ca se passe mal !
Rouge nous explique un truc sur fond de flotte qui pisse à haute pression dans sa cabine. La pression a fini par fendiller deux plaques de récup et l'hémorragie interne a condamné le patient dans la seconde. On lui dit qu'on rembobine le câble et je fais signe à Braff de "faire du poivre". Il tourne la manivelle du cabestan dédié au sous-marin et l'appareil urine ses derniers litres d'eau pendant qu'on le pose sur le pont.
Fait chier ! Encore cette plaque ! J'avais tout ressoudé il y a trois jours et je peux tout refaire, génial !
Tu vas bien ?
Quoi ? Ouais, ouais ça va. C'est pas moi le souci c'est ce truc ! Je perds un temps de con à plonger juste pour vérifier que le revêtement tient alors qu'avec un pilotage à distance je ferais trois ou quatre fois plus d'essais. Mais non, faut démonter, réparer, revérifier les commandes, encore et encore. Et avec du matos de merde. J'ai pas le bon acier, pas les bons outils et pas la bonne main d'oeuvre. J'abandonne !
Je la laisse rager et lui tends une outre de vin qu'elle me chipe de ses bras d'acier pour s'en verser quelques gorgées avant de remercier. Les ingénieurs de bord qui inspectent le sous-marin informent que plusieurs jauges sont faussées et indiquent toujours la submersion. Rouge secoue la tête, dépitée.
Fin de service pour toi. Va te détendre.
Non, je vais ruminer. Faut que je teste une nouvelle plaque et lui donner la bonne forme.
Je te ferai lever dans six heures, mais en attendant tu vas ruminer en buvant, en jouant aux cartes ou en rêvant que tu arrêtes de nous casser les burnes parce que t'as enfin réussi à réparer ton aquarium. En attendant, tu as quartier libre et interdiction d'interférer avec les autres ingénieurs. C'est un ordre, soldat.
Elle me fixe avec la colère. J'ai appris à lui parler et je sais que ce qu'il lui faut c'est avant tout quelqu'un pour la couper dans son autoflagellation. Comme j'ai déjà failli la tuer et qu'on est sur mon vaisseau, elle reconnait mon autorité. Rouge a assez de rugosité pour s'adapter aux autres camps.
Fous le camp de mon pont.
Sa colère redescend un peu. Elle acquiesce de mauvaise grâce et emporte la picole en désertant les lieux. Danny me demande s'il peut aller se restaurer avant de reprendre le boulot de vigie sous-marine. Accordé. Pendant qu'il va dévaliser les petits-fours et sans doute troquer quelques algues de contrebande avec les légionnaires en heure de fourche, je félicite Braff pour son record battu et lui ouvre une boîte de dauphins qu'il engloutit les uns après les autres avec l'air benêt du plus heureux des imbéciles. Ca ferait presque plaisir à voir, s'il n'était pas aussi moche. Tu me diras, pour un géant, il s'en tire pas trop mal.
La vigie, du haut cette fois, m'appelle pour me dire qu'ils ont un contact visuel avec un navire non-identifié droit devant. Je grimpe sur la proue, équipe ma longue-vue et mire ce qui nous arrive. C'est pas marine. On dirait un sloop pirate. Sur leur drapeau, y a une gueule de requin avec des os croisés dans la gueule. Subtil. Je fais armer les canons de poursuite et demande qu'on m'apporte ma poivrière. Je la fixe alors là où les gens collent des nanas, des krakens ou des animaux qu'on voit plus souvent dans son assiette que ses cauchemars. Au premier drapeau hissé avec des couleurs que j'aime pas, je tire. Ou dès que je serai à portée.
Et moi, dans tout ça, je sers de soutien. Avec la Légion, on suit notre propre objectif. Dead End. On en a encore pour quelques journées de navigation, d'après les sniffeurs de lattes à bord. Pas un problème. Dans ce bâtiment taille géant, t'as six étages à explorer façon lasagne. Un sur deux, c'est canons et cabines d'équipage, même si c'est encore à moitié vide. Va falloir recruter du lascar, mais je m'en fais pas trop. Les flibustiers et autres vermines se mettraient à genoux pour un hamac sans puces et pas au-dessus d'un baril de poudre. Ils boivent de l'eau qui pue leur future chiasse ou se mettent à la binouze à condition de ne pas avoir l'alcool mauvais. A croire qu'on materne une bande de mômes. Mon régime est différent. T'as ta propre cabine, tes affaires, tes rations et ce que tu fais en dehors de tes heures de turbin ne regarde personne. Par contre, pendant ton quart, t'es impeccable. Y a pas de coups de fouets ni de geôles dans ma forteresse. Tu me fais chier, je consacre le reste de ta vie à dissuader les autres de te ressembler. Y en a eu, des exemples. Mais l'humain a l'instinct de survie. Quand tu sais que tu peux poncer les coquillages avec ta trogne tout le long de ce genre de carlingue, t'apprends pas l'apnée t'apprends à ne pas faire de connerie. Et tout le monde veille sur le voisin, pour qu'il fasse son boulot correctement et dans la bonne ambiance. Ca se passe bien.
Ca se passe mal !
Rouge nous explique un truc sur fond de flotte qui pisse à haute pression dans sa cabine. La pression a fini par fendiller deux plaques de récup et l'hémorragie interne a condamné le patient dans la seconde. On lui dit qu'on rembobine le câble et je fais signe à Braff de "faire du poivre". Il tourne la manivelle du cabestan dédié au sous-marin et l'appareil urine ses derniers litres d'eau pendant qu'on le pose sur le pont.
Fait chier ! Encore cette plaque ! J'avais tout ressoudé il y a trois jours et je peux tout refaire, génial !
Tu vas bien ?
Quoi ? Ouais, ouais ça va. C'est pas moi le souci c'est ce truc ! Je perds un temps de con à plonger juste pour vérifier que le revêtement tient alors qu'avec un pilotage à distance je ferais trois ou quatre fois plus d'essais. Mais non, faut démonter, réparer, revérifier les commandes, encore et encore. Et avec du matos de merde. J'ai pas le bon acier, pas les bons outils et pas la bonne main d'oeuvre. J'abandonne !
Je la laisse rager et lui tends une outre de vin qu'elle me chipe de ses bras d'acier pour s'en verser quelques gorgées avant de remercier. Les ingénieurs de bord qui inspectent le sous-marin informent que plusieurs jauges sont faussées et indiquent toujours la submersion. Rouge secoue la tête, dépitée.
Fin de service pour toi. Va te détendre.
Non, je vais ruminer. Faut que je teste une nouvelle plaque et lui donner la bonne forme.
Je te ferai lever dans six heures, mais en attendant tu vas ruminer en buvant, en jouant aux cartes ou en rêvant que tu arrêtes de nous casser les burnes parce que t'as enfin réussi à réparer ton aquarium. En attendant, tu as quartier libre et interdiction d'interférer avec les autres ingénieurs. C'est un ordre, soldat.
Elle me fixe avec la colère. J'ai appris à lui parler et je sais que ce qu'il lui faut c'est avant tout quelqu'un pour la couper dans son autoflagellation. Comme j'ai déjà failli la tuer et qu'on est sur mon vaisseau, elle reconnait mon autorité. Rouge a assez de rugosité pour s'adapter aux autres camps.
Fous le camp de mon pont.
Sa colère redescend un peu. Elle acquiesce de mauvaise grâce et emporte la picole en désertant les lieux. Danny me demande s'il peut aller se restaurer avant de reprendre le boulot de vigie sous-marine. Accordé. Pendant qu'il va dévaliser les petits-fours et sans doute troquer quelques algues de contrebande avec les légionnaires en heure de fourche, je félicite Braff pour son record battu et lui ouvre une boîte de dauphins qu'il engloutit les uns après les autres avec l'air benêt du plus heureux des imbéciles. Ca ferait presque plaisir à voir, s'il n'était pas aussi moche. Tu me diras, pour un géant, il s'en tire pas trop mal.
La vigie, du haut cette fois, m'appelle pour me dire qu'ils ont un contact visuel avec un navire non-identifié droit devant. Je grimpe sur la proue, équipe ma longue-vue et mire ce qui nous arrive. C'est pas marine. On dirait un sloop pirate. Sur leur drapeau, y a une gueule de requin avec des os croisés dans la gueule. Subtil. Je fais armer les canons de poursuite et demande qu'on m'apporte ma poivrière. Je la fixe alors là où les gens collent des nanas, des krakens ou des animaux qu'on voit plus souvent dans son assiette que ses cauchemars. Au premier drapeau hissé avec des couleurs que j'aime pas, je tire. Ou dès que je serai à portée.