Mouillage dans un port annexe de Dead End, 1628.
- CAP’TAINEEEE !! DU MONDE QUI VOUS DEMANDE !
Le gueulement venait du pont principal. Le gaillard devait avoir du coffre comme le jactaillement de la poulaillère qu’étaient les quais en cette heure n’en couvrait pas le son. Les fenêtres de sa cabine avaient beau être fermées, le chef de bord ne manquait rien de l’activité du port. Une effervescence fiévreuse se tenait à terre. Sortant son nez de cartes en parties émiettées par les années, il nota dans un coin de foutre le beuglard à la vigie. Quelques minutes se firent encore attendre avant qu’un grincement de gonds l’annonça. Couvrant les éclats du soleil agressif de son bras, la masse translucide s’extirpa lentement de son antre. Il prit le temps de renifler l’air vicié du petit matin avant de patiemment décortiquer l’assemblée en attente. Une nouvelle tête avait germé dans le lot d’affreux… Sans souffler davantage de mots, il s’arma de l’hampe de sa lugubre faux et clopina doucement vers le bastingage en direction de l’escalier. Le cri d’une mouette couvrit les messes basses d’un public scrutateur.
Le surplomb du balcon ne cachait rien des regards hostiles tâchant de le sonder. Le bâton de pèlerin rangé au placard, il ne quittait plus son arme macabre lors des sorties. Un rappel de ce qui les attendait s’ils se rebiffaient. Mais une amertume ravalée n’empêchait pas les esprits de cogiter. De chercher la faille qui l’enverrait gesticuler sous une vergue. La première sortie du Helhest restait en travers de la gorge de la joyeuse troupe de raclures. Ils étaient partis à perpette se coincer dans un vortex, pour atterrir dans un nid à emmerdes les laissant sur le carreau avec moins de biens qu’à l’arrivée. Dans la manœuvre, une moitié d’équipage avait glissé vers les profondeurs. Venait dorénavant s’ajouter l’annonce de nouveaux convois s’apprêtant à partir depuis Dead End même. Sauf qu’avec un navire nécessitant d’être retapé s’ils voulaient revoir le large, ils se retrouvaient cloués au port à se pêcher la pitance journalière. Une bien vilaine histoire à conter, répétée à plaisir par le quartier-maître aux oreilles du ramassis formant le bord. Des renégats de Dead End dans la plupart, de l’engeance la plus crasse, tenus à l’écart des autres équipages déjà par leurs tempéraments mutins. La promesse d’un trésor les tenait encore un temps en laisse, mais la colère grondait et la moindre ouverture les enverrait se servir sans l’attendre. Les cartes ne quittaient plus les dessous de la soutane du Cavalier et il se retranchait dans le mutisme à la moindre ébauche de questionnement. Le doute s’installait sur la véracité du butin pharamineux mais l’avidité les tenait aux trippes. Encore un temps du moins, qui s’effilochait inexorablement.
Chaque pas, chaque marche, raisonnaient sous le martèlement de la faux. Une ponctuation pesante rythmant la descente du faucheur le long du raide escalier. Les traits ricaneurs n’enlevaient rien aux lugubres des miasmes disséminés à son passage. Les relents de noirceur glissaient comme des volutes d’encens, souffler à l’oreille du public pensif une promesse glaçante. Un rappel de la vraie nature de leur employeur. Sans la percevoir tous la ressentirent s’avancer les enserrer. Si au-dehors une fois la muraille passée, les dalles disjointes d’un vieux port vibraient de l’animation d’une cité marchande. Où poissonniers et revendeurs s’échinaient bruyamment à se faire entendre dans une cacophonie notoire. A bord, un lourd silence s’installa… Comme happés derrière le Voile, ils retenaient leur souffle.
Les forbans avaient beau n’attendre qu’une occasion de le trépasser et s’en aller avec le navire en quête du trésor, ils s’écartèrent sans se consulter au passage du commandant de bord. Les moins solides frissonnèrent sous l’aura. L’amas de tissus fripés glissa sans les voir. Bien qu’au cœur du vent de mutinerie, le quartier-maître Bart s’écarta de la place centrale du rassemblement aussi mécaniquement que ses comparses. Tant qu’il avait la tête sur les épaules, le Cavalier restait le seigneur du rafiot. Tous, du plus retord au moins futé, en avaient parfaitement conscience. Aucun ne doutait de la dérouillé qu’il aurait à subir s’il avait fait mine de l’oublier. Le pont fonctionnait uniquement parce que le Cavalier avait une poigne de fer dans un gant d’acier. La seconde raison qui poussait encore les flibustiers à contenir leurs ardeurs.
Dédaignant les gros bras à son service, le Capitaine du Helhest offrit son plus effroyable sourire au mystérieux invité. Une arène de bras musclés entourait menaçante. Le regard brulant, le briscard défia les deux puits blanchâtres qui s’étaient posés sur lui. Le vieux pirate observa un temps le visage buriné par le sel et le soleil lui faisant face. Le morceau était doté d’une mâchoire carrée qu’une barbe poivre sel couvrait à grand peine. Un marin solide semblait-il. A aucun moment il ne cilla. S’il le craignait, il n’en montrait rien. Par contre la rage l’habitait. Chaque fibre de son corps semblait tendue, prêtes à cogner. Un premier gars du quart étalé à ses pieds s’était déjà fait briser le nez. Perçant le silence, pour la première fois le Cavalier parla. Une simple question posé sans agressivité. Une main tendue, prête à broyer toutes réponses malvenues.
- Tu m’veux quoi toi ?