Poings, Sang et Or
Flashback: 1615 - Saint-Uréa
✘ Solo
Je me réveillais, l’esprit embrumé, allongé sur un banc de l’église. Toutes mes blessures avaient été soignées et recouvertes de bandages. Dans un grognement de douleur, je me relevais en position assise, observant les alentours. L’église était vide, pas âme qui vive, bien que ce n’était pas quelque chose d’étrange en ces lieux. Cependant, quelqu’un avait bien dû me soigner. A l’extérieur, les rayons du soleil entrèrent en contact avec les vitraux, les illuminant de milles couleurs. Tant de lumière me vrilla le crâne, plaçant ma main en visière au-dessus de mes yeux. Je me relevais, bien reposé mais pris de violentes douleurs qui m’arrachaient des grimaces à chaque pas.
« Le prix de la défaite » soufflais-je pour moi-même, déçu de la tournure qu’avait prit le combat.
Les mots d’Ivar me revinrent en tête, de ne pas hésiter au combat. C’était d’ailleurs probablement lui qui m’avait ramené ici, bien que je ne savais pas comment il avait trouvé cet endroit. Et, en effet, c’est ce qui avait causé ma défaite, j’avais hésité un instant et Sov en avait profité pour m’attaquer sournoisement. J’avais été enivré par ce combat et je n’avais pas eus le contrôle nécessaire pour rester concentré. Ce qui me manquait, c’était de l’expérience, faire face à plus de combats, réels et non-organisés de préférence.
Lorsque je me battais encore avec les autres enfants mendiants, il n’avait pas fallut longtemps avant que je ne prenne le dessus lors de nos rixes. Néanmoins, aucun de ces enfants n’avait été entraîné au combat, contrairement à tout ceux qui combattaient dans la fosse. Je ne faisais pas exception, j’avais été entraîné toute mon enfance pour jouer dans une troupe itinérante d’artistes en tout genre, pas à me battre. En y repensant, j’avais l’impression que cette époque remontait à une éternité, un temps où tout était plus simple.
Le vieux Gareth ne semblait pas être dans l’église et, trop amoché pour m’entraîner, je décidais d’aller faire des courses grâce aux quelques berrys qui me restaient. Le prêtre avait toujours eut la bonté de me laisser à manger pour ne pas perturber mon entraînement, et je voulais lui renvoyer la pareille. Ainsi, je passais toute la journée en ville, achetant des fruits et des légumes aux étales, j’achetais également de nouveaux vêtements pour remplacer les loques qui m’habillaient. Je remplaçais alors mon vieux t-shirt sale et déchiré par un sweat-shirt noir et mon pantalon par un pantacourt tout neuf de la même teinte sombre, ainsi qu’une casquette noire qui vint recouvrir mes cheveux blancs. Mes connaissances en cuisine étant limitées, proche d’inexistantes, je dus demander conseil pour savoir quoi faire. Cette journée fut une expérience étrange, moi qui avais l’habitude de voler ce que je mangeais, j’avais l’impression d’être quelqu’un de normal.
Le soleil continuait sa descente inlassablement, je l’observais former un magnifique coucher de soleil. Je m’étais arrêté sur cette place sur le chemin du retour, un lieu auquel je tenais tout particulièrement. Quelques années auparavant, sur ce banc même où je me trouvais, j’avais embrassé une fille pour la première fois. C’était aussi un de mes derniers moments d’innocence, les heures qui avaient suivies ayant marquées le début de ma vie d’orphelin. J’admirais ainsi ce paysage, admiratif certes mais nostalgique. Les couleurs étaient chatoyantes, dans un magnifique dégradé allant du rouge au bleu, des mouettes passaient dans l’horizon et moi j’observais, la tête posée dans les mains, profitant d’un nouveau moment d’innocence.
Je fis le chemin vers l’église alors que la nuit était tombée, j’espérais seulement que Gareth serait là. Mais, à l’approche de la petite place qui entourait l’avant de l’église, j’entendis de nombreuses voix. Je me cachais derrière un mur, jetant un coup d’œil discrètement. De nombreux soldats de la Marine étaient présents sur la place, une trentaine environs, armés et surveillants les alentours de l’église.
« Tu sais ce qui se passe à l’intérieur toi ? » lança l’un d’eux à son collègue, tout les deux patrouillant à quelques mètres de là où je me cachais.
« J’ai entendus dire qu’on a retrouvé un déserteur, une pointure à ce qui paraît. » répondit le second.
« Étonnant que ce soit si calme dans ce cas. » fit remarquer le premier.
En effet, il n’avait pas tort car mis à part les discussions des soldats, la place était calme. Le vieux avait beau se déplacer à l’aide d’une canne, ses conseils et ses révélations dénotaient d’un certain passif où il avait vécu de nombreux combats. Cependant, l’âge fait parfois des ravages même chez les plus grands combattants. Cette idée en tête, je déposais mon sac de course au sol puis je grimpais le long d’une gouttière pour atteindre le toit d’une maison. De là, je passais de toits en toits, recroquevillé pour me cacher à la vue des marines présents sur la place. J’empruntais alors mon passage habituel pour rejoindre le clocher de l’église. Il fallait passer d’un toit à la cour intérieure d’un cimetière, adjacent à un mur de l’édifice religieux. Puis escalader le mur en question à l’aide des interstices laissés par les pierres manquantes jusqu’à atteindre le toit, et enfin longer celui-ci jusqu’au clocher. Là, il suffisait de rentrer par une ouverture sans fenêtre, permettant d’atteindre cet endroit qui me servait d’abri toute l’année. Les planches laissaient ajourner un petit carré dans un coin, assez grand pour laisser passer une personne. C’était probablement par là que passaient les gars de la maintenance pour entretenir la cloche, à l’aide d’échelles, quand il y en avait encore. Et, justement, des échelles, il n’y en avait plus, laissant deux bons mètres entre chaque étage de planches. M’agrippant, je me laissais pendre dans le vide en tendant les bras pour atteindre silencieusement l’étage inférieur. Je réitérais le processus jusqu’à entendre les voix provenant de l’intérieur de l’église.
« ...il vous en aura fallut du temps pour me retrouver. » dit la voix grésillante reconnaissable de Gareth. « Vingt ans, ça ne me rajeunit pas tout ça. »
Depuis mon point d’observation, je ne voyais que l’entrée de l’église gardée par plusieurs soldats ainsi que des hommes en costume. Je descendais un nouvel étage, puis je m’allongeais sur les planches pour tenter de voir un peu mieux l’intérieur de l’édifice. Gareth se trouvait juste devant l’estrade, au fond de la salle, il faisait face à une dizaine de personnes. L’ambiance était pesante alors qu’ils se toisaient. Il y avait un homme âgé au centre, portant un long manteau de la Marine qui devait signifier un rang important, sa présence seule imposait chez moi un certain inconfort, même à cette distance. Quatre hommes l’entouraient, vêtus de longues capes noires qui recouvraient tout leur corps y compris leur tête d’un capuchon, l’un d’eux se tourna de côté, dévoilant le masque qui cachait son visage. Les cinq personnes restantes étaient habillées de costumes noirs qui leur donnait un air de mafieux. Deux d’entre eux en particulier attirèrent mon regard. Il était plus petit que les autres mais se tenait au milieu de son groupe comme pour montrer qui est le chef. Il arborait un chapeau et recrachait de longues volutes de fumée de son cigare au-dessus de sa tête. Cet homme, je l’avais déjà vu, pour la première fois deux semaines plus tôt. Après mon combat contre Grïm Bergen, qui se trouvait d’ailleurs juste derrière son chef, c’était l’homme qu’il avait rejoint dans son box, assurément son sponsor et probablement un mafieux. Cependant, je me demandais ce qu’un homme comme lui pouvait bien faire avec la marine. Et, surtout, pourquoi étaient-ils là pour capturer Gareth ?
« Mon bon vieux Gareth, quel plaisir de te revoir vieille carne. » s’exclama joyeusement le haut gradé de la marine avant de continuer d’un ton plus solennel. « Enfin, tu comprendras qu’au vu des circonstances, mon grade m’impose un certain stoïcisme vis à vis de nos accointances. »
« Ah cette bonne vieille Barbe d’Acier d’Eustache ! » répondit Gareth d’un air triste. « Si longtemps que l’on ne s’est pas vus, quelle tristesse que ce soit dans un tel contexte, j’aurais tellement aimé trinquer avec toi en parlant du bon vieux temps. »
« Tu aurais dû y songer le jour où tu as trahis la Marine et le Gouvernement Mondial, Gareth. » fit remarquer l’homme du nom d’Eustache, secouant doucement la tête de gauche à droite en signe de désapprobation. « Tu étais Vice-Amiral Gareth, tout comme moi, pourquoi faire cela ? Pour la justice ? Et tu crois que la Révolution pour laquelle tu nous a tourné le dos est la solution ? Voyons, mon vieil ami, tu savais pertinemment que ce jour arriverait. »
« Je pensais avoir encore quelques années devant moi. » dit tristement Gareth. « Je vais sûrement croiser des visages du passé une fois derrière les barreaux, pas sûr qu’ils m’accueillent à bras ouverts. » souffla-t-il, dépité. « Bon, comment on procède ? Un combat dantesque qui se termine par ma capture ou ma mort ? Je suis fatigué de ces affrontements. »
« Dis plutôt que tu n’es plus en état. » ricana Eustache d’un bon rire gras, le genre de moquerie qui ne sonne pas comme une insulte mais plutôt comme une pique entre bons amis. « Le souvenir que je t’ai laissé à notre dernière rencontre ne te lance pas trop ? Bien que cette canne te va plutôt bien. »
Les quatre personnes masquées se mirent alors en mouvement, disparaissant l’espace d’un instant à ma vue pour réapparaître tout autour de Gareth, gardant deux mètres de sécurité entre eux et le vieil homme.
« Et, qui sont ces invités masqués ? » demanda alors Gareth, un petit sourire aux lèvres, pas le moins inquiété. « Le Cipher Pol je présume ? Alors, quelle est votre mission, messieurs dames ? »
« Votre arrestation...dans la mesure du possible. » répondit immédiatement une voix féminine à travers l’un des masques, soulignant une menace de mort plus qu’autre chose.
« Quelle impertinence, fut un temps j’entraînais vos pairs, ces p’tits cons je vous jure. » dit Gareth dans un souffle de lassitude.
Dès qu’il eût parlé, les quatre agents secrets se mirent à l’assaut, encore une pique qui faisait mouche, décidément Gareth savait clouer le bec de ses adversaires. De quatre côtés, des attaques fondirent droit sur lui. Une explosion survint au moment de l’impact en soulevant un nuage de poussière, je plaçais une main devant ma bouche pour étouffer un cri de surprise. Si je me faisais repérer maintenant, j’étais bon pour nourrir la terre et ses vers. Le nuage se dissipa, dévoilant un Gareth intact, les deux mains posées sur sa canne tandis que les poings, doigts et coups de pieds de ses adversaires étaient bloqués par la simple force de son corps.
« Moi aussi je connais vos tours, vous savez. » continua le vieux prêtre, un léger sourire sur le visage.
D’un mouvement qui, de mon œil inexpérimenté, parut instantané, Gareth bougea sa canne de façon à frapper ses adversaires d’un coup d’estoc, les uns après les autres en l’espace d’un bref instant. Propulsés en arrière, les quatre encapuchonnés s’écrasèrent contre les bancs et murs de l’église. Ils se relevèrent difficilement, se préparant à repartir à l’assaut quand Eustache leva la main, leur intimant de s’arrêter.
« Bien. » commença-t-il, s’approchant lentement de Gareth au milieu des allées de bancs. « Je vois que tu n’as pas perdus ta fougue d’autrefois. Et tu vois bien que nous sommes bien plus nombreux que toi. Je te croyais las de ces combats. » dit-il avant de marquer une pause. « Que décides-tu, mon vieil ami ? »
« Je vois. » dit doucement Gareth, fixant le sol l’espace de quelques secondes avant de les relever vers son interlocuteur. « Si c’est toi, Eustache, j’accepte ma sentence. » finit-il par dire, tendant ses poignets en signe de reddition, laissant sa canne tomber au sol dans un claquement qui sembla durer une éternité.
L’homme flanqué de son uniforme de haut-gradé s’approcha de son ami d’autrefois, sortant des menottes pour les refermer autour des poignets de Gareth. De mon côté, je ne pus m’empêcher de laisser couler une larme. Bien que je ne le connaissais que depuis une semaine, cet homme m’avait inspiré et aidé, sans rien demander en retour. Et pourtant, je restais là. Conscient que, même si j’intervenais, cela serait futile. Que pouvais-je donc faire pour aider cet homme ? Face à ma propre impuissance, je me relevais, plus conscient que jamais de ma faiblesse. J’attrapais alors la planche de l’étage supérieur en me mettant sur la pointe des pieds et en tendant les bras.
« Si je peux m’exprimer une dernière fois en homme libre, je dirais ceci. » résonna la voix, plus forte qu’auparavant, de Gareth, me stoppant dans mon mouvement. « N’abandonne jamais, p’tit con, n’abandonne jamais. Sois libre, fier et suis tes rêves, tu n’en ressortira que grandis. » lança-t-il, comme une maxime sans réelle cible, mais je me doutais qu’il s’adressait à moi. « Mais, ceci n’est pas ton combat. »
Comme pour confirmer mes soupçons, alors que je m’étais accroupis pour voir la scène depuis mon point d’observation, ses yeux rencontrèrent les miens. Il me sourit simplement, fermant doucement les yeux comme pour me rassurer, qu’il avait accepté son sort et que je n’avais pas à intervenir. Ou bien était-ce seulement mon interprétation ? Après tout, je ne connaissais cet homme que depuis une semaine. Peut-être me demandait-il à l’aide. Et, toutes ces questions fusaient dans ma tête telles des comètes tandis que le vieil homme était mené hors de l’église par le Vice-Amiral et son escorte.
Je regagnais le toit alors qu’ils sortaient du bâtiment, profitant de la faveur de la nuit pour me cacher tout en restant proche du bord du toit pour espionner ce qu’il s’y disait. Je ne pus pas entendre les voix correctement, mais je vis clairement l’échange qui eut lieu entre Eustache et le petit mafieux qui était accompagné de Grïm. Le gradé lui tendit une enveloppe qui, même à cette distance, semblait bien garnie. Et c’est ainsi qu’une fraction de réponse me parvint. Comment les soldats avaient retrouvés Gareth, terré dans ce coin malfamé de Saint-Uréa. Cet homme, généreusement récompensé, devait y être pour quelque chose.
Ainsi, je restais planté là, inutile, impuissant. Ne pouvant qu’observer un homme que je respectais disparaître dans la nuit, mené par des soldats et d’étranges personnages encapuchonnés. Bien qu’impuissant, mon sang bouillait en moi, ce n’était pas mon combat certes, mais un nouvel objectif s’ajoutait à ma liste. Cette voix me répétant dans ma tête qu’un jour je me vengerais d’eux, les uns après les autres, sans autre procès que mon propre jugement.