Selem Usgir dit "Mouette"

Le spectacle va bientôt commencer, et Timmy est aux premières loges. Du haut de ses 5 ans, il est au comble de l’excitation : c’est la première fois qu’il va voir les Ailes d'Argent. Il se demande bien quelle histoire ils allaient pouvoir raconter.

BOOM

Un coup de tambour résonne dans la nuit, interrompant les pensées du jeune garçon. Le son grave recouvre les murmures des spectateurs assemblés autour de l’estrade improvisée.

BOOM

Alors qu’un deuxième coup retentit, on entend en revanche plus un bruit émanant de la foule. Sans que Timmy n’ait compris comment, un nuage de fumée recouvre à présent la scène.

BOOM

Une silhouette élancée se dessine dans la fumée, et avance avec souplesse vers le public.

BOOM

La fumée se dissipe petit à petit révélant à Timmy les contours d’un homme fin à la musculature discrète, qui se meut avec une lenteur calculée à travers le brouillard. Chacun de ses mouvements fait voleter les nombreux rubans rouges qui ornent sa tenue, donnant à la silhouette un aspect éthéré.

BOOM  

Alors que son visage se révèle lentement à la lumière des torches, son regard balaye la foule. Un regard pénétrant. Lorsque ses yeux cernés, d’un vert profond, croisent ceux de Timmy, celui-ci croit y distinguer l’ombre d’un sourire qui lui serait adressé. Le garçon est parcouru d’un frisson, comme si, lors de cet échange silencieux, le conteur avait pu sonder les tréfonds de son âme.

BOOM

La fumée a complètement disparu maintenant, révélant un jeune homme d’une vingtaine d’années, posté nonchalamment sur l’estrade, avec la confiance de celui qui sait pourquoi il est là. Dans un geste précis, de ceux qu’on a répétés trop de fois pour les compter, il attrape les longues nattes qui encadrent son visage, et les noues à l’arrière de son crâne, dévoilant des épaules musclées, et des bras parsemés de plusieurs cicatrices, probablement obtenue lors de combats épiques d’après Timmy. Enfin, il relève la tête, et s’adresse à la foule d’une voix grave et apaisante.

"Bonjour à tous, et merci d’être venus si nombreux ce soir. Je suis Selem, et je vous souhaite la bienvenue à ce qui sera le dernier spectacle de la compagnie des Ailes d'Argent avant notre départ de Luvneel."

Des murmures parcourent l’assemblée, qui semble surprise de la nouvelle. Timmy aussi n’en revient pas. Les Ailes d'Argent font partie du paysage local, passant d’un village, d’une région à l’autre au gré des saisons. Le conteur savoure un instant son effet, puis lève une main pour réclamer le silence.

"Oui, nous partons. Nous partons à l’aventure, visiter d’autres lieux, rencontrer d’autres gens. Mais rassurez-vous. Un jour, nous reviendrons, et ce jour-là, vous pouvez être sûr que nous aurons de nouvelles histoires incroyables à vous narrer."

Silence. Timmy, comme le reste du public, est suspendu aux lèvres de Selem, et n’a pas remarqué que le battement du tambour a cessé depuis longtemps. L’artiste caresse un instant son bouc, puis il sourit.

"Qui d'entre vous a déjà entendu le nom de Norland ?"

Si vous demandez à ses proches de décrire Mouette, ils évoqueront probablement d’abord sa joie de vivre. Il est très joueur, et a un sens de l’humour tout à fait redoutable, peut-être plus pour la quantité que la qualité des bons mots d’ailleurs. Il apparaît tantôt calme et rêveur, tantôt surexcité, mais toujours souriant. Il aime faire la fête, et peut parfois se laisser prendre au piège de l’alcool.C’est aussi une personne qui déteste la routine, et ne se refusera jamais à l’appel de l’inconnu, de l’aventure. Il est de plus un amateur de grand air, qui n’apprécie que moyennement de rester en intérieur. Les espaces fermés pourront même déclencher chez lui des crises de claustrophobies.

Mais surtout, il a envers ses camarades, ceux qu’il a choisit et qu’il considère comme sa famille, une attitude très protectrice, encore plus depuis la fameuse tragédie qui le hante, et pour laquelle il ne s’est jamais vraiment pardonné. Il a tendance à se sentir responsable des autres et de ce qui leur arrive. Il tolère très mal l’échec, chez lui en particulier, mais aussi chez les autres parfois, bien qu’il ait du mal à l’admettre. En effet, il lui arrive de s’énerver face à ce qu’il considère à chaud comme de l’incompétence, même si il finit par le regretter une fois calmé. Très peu rancunier pour la plupart des choses, il est prompt au pardon et peut se montrer affable à peine quelques minutes après une dispute, au point même de décontenancer ses interlocuteurs.. En revanche, si une personne agit vraiment à l’opposé de ses valeurs et de ses convictions, Mouette peut cultiver pour elle une rage profonde pendant des mois voir des années.

Avec des étrangers, c’est son côté charismatique et sûr de lui qui ressortira en premier. En effet, il a le sens du spectacle, et adore être sur le devant de la scène. Il a d’ailleurs un talent incontestable pour raconter des histoires, et sait parfaitement captiver son audience, autant par sa gestuelle, sa voix et son regard, que par la structure de ses récits. Il a également un certain charme, et n’hésitera pas à rentrer dans un jeu de séduction avec ses interlocutrices ou interlocuteurs si le contexte s’y prête.

Il est une personne intelligente, un stratège, qui aime s’appuyer sur un raisonnement logique en toutes circonstances, même dans les situations les plus impensables. Il aura toutefois souvent tendance à s’estimer plus malin que ses interlocuteurs, ce qui peut facilement se retourner contre lui. Il fait effectivement preuve d’une confiance en lui à toute épreuve, mais qui tire à certains moments un peu trop vers la vanité. Il déteste d’ailleurs avoir tort, et encore plus devoir le reconnaître. Il est aussi très perfectionniste et s’énerve lorsque tout ne se déroule pas comme il l’avait planifié. Ainsi, une personne qui n’apprécie pas son caractère le trouvera souvent imbu de lui-même et extravagant.

Cette grande confiance en soi peut parfois lui coûter cher en combat, puisqu’il lui arrive régulièrement de sous-estimer ses adversaires. Dans certains cas, sa vanité peut l’amener à jouer avec son opposant au lieu de l’achever.

Même s’il n’a encore jamais vraiment réfléchi à la question, il s’intéresse à la politique. Du fait de son passé, il a une certaine aversion pour la richesse et le pouvoir, qui sont à ses yeux immoraux, en particulier chez les nobles ou les héritiers, qui n’ont jamais eu à travailler pour en arriver là. Il aura facilement tendance à aider des inconnus ou s’engager dans des conflits ou des actions politiques si l’objectif lui semble juste et atteignable. Ce n’est toutefois pas systématique, et il peut parfois ignorer des situations qu’il trouve révoltantes, selon son état d’esprit et sa situation actuelle, ou s’il estime que les chances de succès sont nulles.

Étant né à Luvneel, il ne connaît que peu le Gouvernement Mondial, mais n’apprécierait probablement pas sa manière de faire. Il a en revanche de bons souvenirs de certains révolutionnaires, et une certaine sympathie pour leur cause, sans n’avoir pour l’instant jamais envisagé de les rejoindre.

Il a toujours vécu avec peu de choses, ce qui le pousse à accorder une grande valeur aux objets qui entrent en sa possession , d’autant plus qu’il a eu à veiller sur un groupe depuis son enfance. Il est parfois tiraillé entre son envie d’avoir de l’argent et son dégoût des riches. Il n'hésitera pas à défendre ses biens, et ceux de ses camarades. En l’honneur de Linotte, qui voyait dans les objets une façon de conserver et se rappeler des souvenirs, ou des histoires, il a tendance à collectionner tout et n’importe quoi, pourvu qu’il y trouve une valeur historique, sentimentale ou quoi que ce soit d’autre.  

Extraits choisis du journal de Linotte

6 octobre 1620

Salut journal ! Moi, c’est Ali, et j’ai 9 ans, mais tu peux m’appeler Linotte. Normalement, il y a que les Ailes d'Argent qui m’appellent comme ça, mais toi, ça compte pas vraiment.

Les Ailes d'Argent, c’est notre groupe. J’ai décidé de t’écrire parce qu’on va vivre un tas d’aventures incroyable, et je veux qu’on se souvienne de tout. Comme ça quand on rentrera, on pourra le raconter à tout le monde. C’est le vieux Garry qui m’a appris à écrire. Il dit que pour mon âge je suis doué. C’est ça les grands, souvent, ils pensent que vu qu’on est petit, on peut rien faire.

Heureusement, Mouette il est pas comme ça. Il a 13 ans, donc il est plus vieux, mais pas trop encore. C’est le chef des Ailes d'Argent. C’est grâce à lui qu’on voyage tous ensemble. Il dit que c’est parce que personne veut de nous qu’on doit se serrer les coudes. Et que du coup on est tous une famille.

Quand j’ai rencontré Mouette, j’avais 5 ans. Je venais de m’enfuir de l’orphelinat de Luvneelgarm. Là-bas, la doyenne était méchante, elle me cognait alors que j’avais rien fait de mal, et elle m’interdisait de bouffer. Je te raconterai un jour. Après que j’ai passé 2 jours à dormir dehors, Mouette m’a trouvé. J’étais très malade et j’avais très faim, donc il s’est occupé de moi. Pendant que je mangeais, il m’a dit qu’il s’appelait Selem, et que lui aussi, il vivait dehors. Il a dit que c’est pas parce que personne voulait de nous maintenant qu’il fallait se laisser faire, et que nous aussi on pouvait être libre et heureux, qu’on pouvait découvrir notre place dans le monde.

J’oublierais jamais tout ce qu’il m’a raconté ce jour-là. On a parlé pendant des heures et on s’est dit nos rêves. Je lui ai expliqué que j’aimais les histoires d’explorateurs comme Norland, et que quand je serai grand, moi aussi je partirai à l’aventure, et je pourrai raconter mes périples. Lui, c’est pareil. Il voulait quitter Luvneel et voyager, pour montrer à tout le monde qu’il existait, et que c’est pas parce qu’on a rien qu’on vaut rien. Alors on s’est promis qu’on partirait ensemble sur un bateau et qu’on ferait le tour du monde. À partir de là, il m’a pris avec lui et on est devenu des frères. C’est aussi là qu’on s’est choisi des surnoms. Selem disait qu’en choisissant son nom, on peut décider qui on est. On a voulu des noms d’oiseaux, parce que voler ça doit être incroyable. Il a pris Mouette, parce qu’il a dit que ça représente la liberté, et que même la mer peut pas l’empêcher de voyager. Et moi, c’est Linotte. Mouette trouvait que ça m’irait bien.

Il m’a appris beaucoup de choses. Comment chercher de la nourriture dans la nature, les plantes, la chasse avec le collet et tout ça. Quand on était en ville souvent, il fallait qu’on vole, parce qu’on avait pas d’argent. Il m’a expliqué qu’il faut pas voler n’importe qui, seulement ceux qui ont trop, ou les méchants. Il dit que si on vole des pauvres, c’est un peu comme si on se volait nous même. Des fois, on arrive quelque part et on trouve du travail pour quelque temps. Je sais que Mouette préfère ça, parce que comme ça, il a moins besoin de s’inquiéter. Comme on aime voyager, on reste jamais longtemps au même endroit, on voyage entre Luvneelgarm, Luvneelgraad, le port de Norland et même des fois Luvneelpraad. C’est là-bas qu’on peut gagner le plus, et c’est l’endroit où on nous chasse le moins parce qu’on est pauvre, par rapport aux grandes villes. Mais c’est un peu dangereux, et des fois, des gens veulent nous attaquer. Je m’inquiète pas trop, parce que Mouette il est super fort pour nous protéger. Des fois, il se bat, mais d’autres fois il parle juste et au lieu de nous voler, on nous invite à manger. C’est pas encore la grande aventure, mais c’est déjà bien.

Pour gagner de l’argent, il y a un truc que j’aime par-dessus tout. C’est quand on fait le spectacle, dans les tavernes ou dans les rues. Selem raconte des histoires. Il le fait super bien. Il sait faire plein de voix et imiter les personnages. Quand il raconte un truc, c’est comme si on y était. Et il y a pas que moi qui le dit, parce que quand il termine, les gens ils applaudissent et ils nous donnent des pièces. C’est moi qui passe avec le chapeau.

Mais pour faire tout ça, on est pas que deux. Dans notre famille, il y a aussi Corbeau. On l’a rencontré pas longtemps après que Mouette m’ait sauvé. On lui a proposé de nous aider à rouler le majordome du duc de Jesaisplusquoi, et on s’est rendu compte qu’il était super intelligent. Il a trouvé un plan encore meilleur que celui de Selem et on est reparti avec une grosse caisse pleine de fruits. Il parle pas beaucoup et c’est difficile de savoir ce qu’il pense, mais je sais qu’on peut compter sur lui.

Dans l’équipe, il y a aussi Émeu. Lui il est super grand, même s’il a que 11 ans, il dépasse certains adultes. Pourtant, il est très doux et très gentil, comme s’il avait toujours peur de faire quelque chose de mal. Il est très fort, mais un peu maladroit. Quand on voyage, c’est lui qui tire notre chariot. Des fois, il me laisse monter sur ses épaules. Il adore chanter, et quand on fait les spectacles, il joue du tambour.

Et le dernier, c’est Cormoran. C’est un homme-poisson. Normalement, ils vivent plutôt à Luvneelroom, mais je crois qu’il pouvait pas trop rester là-bas. Il est toujours sérieux et il aime bien se bagarrer. Ça fait à peine un an qu’il est avec nous, mais je le trouve génial. Comme tous les autres, il parle jamais de son passé. Mais ça, ça va changer, quand on aura voyagé tous ensemble, on sera content de le raconter, parce que ça fera de super histoires.

Pour que les gens se souviennent de nous, on s’est choisi un nom. On est les Ailes d'Argent.
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14 décembre 1620

L’hiver va bientôt commencer. Cette année, on a trouvé un super coin où s’installer. C’est une petite grotte sur la route entre Luvneelgarm et Luvneelpraad. Il y a plein de place, et quand on fait un feu, il fait pas si froid, même la nuit. Mouette est parti avec Corbeau au village d’à côté pour faire du repérage, savoir s’il y a un endroit où on pourrait faire le spectacle, et si on peut acheter quelques provisions.

Ça fait trois jours qu’on a pas vus Cormoran. Quand il chasse, il peut rester tout seul pendant une semaine. J’ai hâte qu’il revienne, il m’a dit qu’il allait profiter de l’hiver pour m’apprendre à boxer.
Je suis resté à la grotte avec Émeu. Il coupe du bois, pour se chauffer et pour fabriquer des lits. Moi, j’ai fait de la cueillette et j’ai posé des collets dans la forêt. J’espère attraper quelque chose pour impressionner Mouette.

Je crois qu’on va être vraiment bien installés ici.
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7 février 1621

La tempête est encore plus forte aujourd’hui.

On pensait que  la grotte nous protégerait, mais le vent envoie la neige directement à l’intérieur. Le feu s’est éteint et personne n’arrive à le rallumer.

Mouette nous a demandé de préparer nos affaires pour partir au village et chercher un abri. La route est pas très longue, mais avec ce temps, ça va être difficile. On a chargé ce dont on avait besoin sur le dos d’Émeu, et caché le reste. C’est pas comme si quelqu’un risquait d’arriver ici avec ce temps, mais on sait jamais.

…

On est arrivé à l’auberge. La route a été longue. La neige m’arrivait jusqu’à la taille ! J’étais obligé de marcher derrière Émeu pour pas m'enfoncer. Sur le chemin, on voyait rien du tout, et on a été séparé de Cormoran.

Mouette était inquiet et a voulu aller le chercher. Corbeau a dit qu’on avait pas le temps et qu’il fallait se mettre à l’abri, qu’il pourrait se débrouiller. Alors ils se sont disputés et Selem est parti tout seul. Je voulais l’accompagner, mais il m’a dit de guider les autres jusqu’au village. Il me fait vraiment confiance ! J’ai rempli ma mission et les deux autres sont rentrés deux heures plus tard. Cormoran s’était perdu et était tombé dans un ravin, heureusement que Mouette était là.

Il ne veut toujours pas parler à Corbeau, j’espère que ça va s’arranger.
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9 juin 1621

On est arrivé au port de Norland. J’adore quand on vient dans cette ville. Il y a plein de grands bateaux. Des fois je les regarde, et j’essaye de décider sur lequel je veux qu’on parte à l’aventure. Il en faut un solide. Parce qu’un marin nous a raconté que pour faire un vrai tour du monde, il faut suivre une mer qui s’appelle la route de tous les périls, et que là-bas les tempêtes sont tellement énormes que les bateaux trop petits arrivent pas à naviguer.

Pendant que je regardais les navires, Mouette et Cormoran ont commencé à discuter avec une fille. Elle leur a proposé de jouer aux dés, et ils se sont installés sur un tonneau devant une taverne. Ils sont restés un moment, puis je crois qu’elle a triché parce que d’un coup, Cormoran s’est énervé et l’a balancée sur une étale de poissons de l’autre côté de la rue. Faut pas l’énerver, Cormoran.

Je pensais qu’elle allait rester par terre ou s’enfuir, mais elle s’est relevée et elle a couru vers lui en lui lançant un poisson. Elle l’a eu en pleine tête. Alors il lui a foncé dessus, mais elle a esquivé et elle est montée sur son dos. Pour la décrocher, il a commencé à cogner son dos sur des objets. C’est au moment où ils explosaient un chariot que la garde est arrivée.

J’ai juste eu le temps de voir deux gardes attraper Cormoran avant que Corbeau ne me tire par l’épaule. Il m’a dit qu’il fallait qu’on aille au point de rendez-vous. Chaque fois qu’on va dans une grande ville, on décide d’un endroit où se retrouver au cas où il y ait un problème. Là, c’était une ruelle un peu éloignée du port, derrière l’auberge du vieux Garry. Je voulais pas y aller, mais Corbeau m’a dit que de toute façon contre les gardes ça servirait à rien, et qu’il fallait mieux pas qu’on soit dans les pattes de Cormoran et Mouette quand il y aurait du grabuge. Comme il avait raison, je l’ai suivi.

On est allé là-bas avec Corbeau et Émeu, et on a attendu. Après au moins deux heures, les deux autres nous ont rejoints. Et en plus avec la fille. Pourquoi ils lui ont montré notre lieu de rendez-vous secret alors que tout ça, c’était de sa faute ? Ça m’énerve.

Mouette nous a dit que Cormoran s’était fait attraper par les gardes, et qu’il se faisait emmener au poste par deux d’entre eux. Alors Mouette bien sûr il les a suivis pour essayer de l’aider. Mais avant qu’il ait trouvé un plan, il y a eu une explosion et plein de fumée. Après la fille est sortie du nuage avec Cormoran et ils se sont enfuis. Ils ont tous rigolé en nous racontant ça, mais cette fille elle a quand même voulu arnaquer mes frangins et ça, j’aime pas ça.

En tout cas pour la remercier, Mouette a proposé à Betty, la fille, de se cacher avec nous le temps que la garde oublie un peu ce qui s’est passé. Cette nuit, on loge dans le grenier du vieux Garry.
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18 juin 1621

Après qu’on ait quitté l’auberge du vieux Garry, on avait besoin d’être un peu discrets. Du coup, on est parti faire la tournée des villages de la région. Betty a demandé à nous accompagner. Les quatre garçons ont tout de suite accepté. Je les trouve un peu bizarres avec elle. Je vais continuer de la garder à l’œil.
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2 juillet 1621

Aujourd’hui, pendant le trajet, il y a eu une dispute. Je marchais devant avec Cormoran pour lui expliquer ma nouvelle technique de coups de poing. Mouette et Émeu tiraient le chariot en chantant et du coup Betty était tout à l’arrière avec Corbeau. Je sais pas trop ce qu’ils se sont dit, mais à un moment on a entendu un cri. Quand on s’est retourné, on a vu Corbeau étendu par terre, et Betty assise sur son dos.

Au début, Mouette a fait ses gros yeux en s’approchant, mais après elle s’est levée et a crié « Pour que ce soit clair pour tout le monde, je sais que vous avez pas l’habitude de traîner avec des nanas, surtout des canons dans mon genre, mais le prochain qui se la joue dragueur à deux balles, il va bouffer de ma semelle. C’est compris ? ».

Après ça, Cormoran a explosé de rire. Mouette aussi a rigolé, et lui a dit qu’il s’en souviendrait. On a continué la route et Betty s’est mise à chanter avec Émeu et Selem. Par contre ce soir, Corbeau est encore plus silencieux que d’habitude, je l’ai vu observer les autres bizarrement. J’espère que ça ira pour lui.
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24 août 1621

J’ai bien réfléchi, et finalement, Betty est super ! Pendant le spectacle, elle nous a bien aidés. Elle a mélangé quelques trucs qu’elle avait dans sa sacoche, et ça a fait plein de fumée ! On s’en est servi pour rajouter un côté magique aux histoires de Selem. Les gens étaient très impressionnés. J’ai hâte de voir ce qu’elle sait faire d’autre. Elle m’a promis qu’elle me montrerait pendant la route vers Luvneelgraad.

Si elle nous accompagne jusque là-bas, c’est parce que Mouette lui a proposé de rejoindre les Ailes d'Argent. Elle a accepté, et maintenant j’ai une grande sœur. Elle s’appelle Épervier.
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29 septembre 1621

Il y a des gens vraiment méchants à la capitale.
Tout à l’heure, on faisait notre spectacle dans la rue près de la place du marché quand un marchand est arrivé. C’était un gros monsieur avec beaucoup de bagues, et des habits très coloré. Il vendait des trucs pour riches, genre des bijoux, des tapis et des esclaves. Mouette aime pas trop ce genre de choses déjà, mais en plus, on sait pas pourquoi, mais le marchand a décidé qu’il voulait notre endroit pour garer son chariot. Bien sûr, ça a pas plu aux autres, et Cormoran et Épervier sont tout de suite allés lui dire de partir. Et là, il a levé sa grosse main pleine de bagues, et il a frappé notre sœur. Là forcément, Cormoran il s’est énervé et il a voulu lui sauter dessus. Sauf que les gardes du marchand ont commencé à le tabasser.

Au final, on a dû tout remballer et s’en aller. J’ai vu le regard de Mouette, il était vraiment en colère, je crois qu’il compte pas laisser passer ça.
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11 octobre 1621

Aujourd’hui, chez les Ailes d’Argent, c’est moi la star. Il faut que je te raconte.

On est parti en mission avec Émeu et Mouette. C’est lui qui nous a demandé de venir. D’habitude, il part plutôt avec Corbeau et Cormoran alors on était un peu surpris. Mais il a dit qu’aujourd’hui, c’est de nous qu’il avait besoin. Je suis trop fier quand il m’emmène pour les aventures comme ça.

On est allé tous les trois vers le quartier marchand de Luvneelgraad. Il nous a expliqué qu’il avait entendu une rumeur sur le gros marchand de l’autre fois. Quand il dit ça, c’est qu’il a passé des jours à chercher des informations. J’étais sûr qu’il allait pas pardonner le coup de la dernière fois. Et c’est sûrement pour ça qu’il avait besoin de nous, vu que ses gardes auraient facilement reconnu Cormoran.

Apparemment, comme le vendeur voulait pas dépenser trop de sous, il utilisait pas les entrepôts qui sont près des docks pour sa marchandise, mais une espèce de grange du quartier marchand, pas très loin de sa boutique. D’après Corbeau, c’est une technique pour éviter les taxes. Normalement, on évite de s’en prendre à des marchands, mais celui-là, pas besoin de demander à Mouette pour savoir pourquoi c’était différent.

Le plan était pas très compliqué. Ce genre de grange ça a des très grosses fenêtres sur le toit, peut être pour faire de la lumière pour les animaux. L’idée c’était que Mouette rentre par là pendant qu’on occupait les gardes. Le problème c’est que comme le toit est haut, il pourrait pas ressortir par là. C’est à ce moment-là qu’on ferait diversion pour qu’il puisse sortir par la porte. J’aurais bien aimé rentrer aussi, mais Selem voulait pas que je prenne de risques.

Il y avait deux gardes devant, qui jouaient aux dés autour d’une petite table. Il fallait surtout pas qu’ils rentrent pendant que mon frère était dedans, alors on a attendu son signal et je suis allé leur parler. Au début, ils ont essayé de me chasser, alors j’ai inventé une histoire sur le fait que j’étais perdu, et que ma sœur devait venir me chercher. Du coup, ils ont proposé de me surveiller. Je comprends pas c’est quoi le truc avec les filles, mais dès qu’on dit qu’il y en a une qui arrive, les gars sont tout de suite plus intéressés. C’est une technique que m’a apprise Corbeau.

Je continuais de leur raconter tout ce qui me passait par la tête quand on a entendu un gros bruit dans le bâtiment. Les gardes ont commencé à se lever pour aller voir. Alors Émeu a foncé vers nous en me criant des insultes et en disant qu’il allait m’avoir. Il est trop marrant quand il joue la comédie, on le reconnaît pas, alors qu’il est tellement timide. Moi je me suis mis à crier et à dire aux gardes de m’aider. Sauf qu’Émeu il est super grand et les gardes avaient pas l’air d’avoir un peu peur. Pour les forcer à réagir, j’ai couru me cacher derrière eux. Il y en a un qui a sorti son épée. Émeu il aime pas trop se battre et ça s’est vu tout de suite, il s’est arrêté. Le garde s’est mis à avancer en lui disant de partir et il a pas eu trop le choix. En plus on avait promis de pas se battre.

Mais du coup j’étais de nouveau tout seul avec les deux gardes, et ils allaient sûrement trouver Mouette. Ils ont ouvert la porte, et il y en a un qui est rentré. L’autre, celui de l’épée, est resté avec moi. Il a pas rangé son arme, et il m’a dit de m’asseoir sur un sceau retourné à côté de lui et de pas bouger. Moi je regardais à l’intérieur, je savais que mon frère était caché quelque part et j’avais trop peur qu’il se fasse attraper. Il y a eu un bruit tout au fond de la grange, dans le noir, et le garde à l’intérieur s’est avancé en demandant s’il y avait quelqu’un. Alors, Mouette a jailli de derrière une caisse près de l’entrée et a commencé à courir vers la porte. Le gars du fond était trop loin pour l’arrêter, du coup il a crié et son pote s’est mis devant la porte pour bloquer Selem.

À ce moment-là, je savais que je devais faire quelque chose. J’ai attrapé le sceau en criant et j’ai sauté pour le mettre sur la tête du garde. Mouette en a profité pour passer, il m’a attrapé par la main et on est parti en courant. J’avais le cœur qui battait super vite, mais qu’est-ce que j’ai rigolé.

Quand on a eu rejoint les autres, Selem nous a montré un petit coffre de bijoux qu’il avait réussi à prendre. Pour me remercier de l'avoir aidé, il m’a dit de choisir ce que je voulais. J’ai regardé et tu devineras jamais ce que j’ai trouvé dedans. Un médaillon avec une aile d’argent gravé dessus. Je crois que je l’enlèverais plus jamais. C'est mon plus beau trésor.
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7 mars 1622

Salut journal !

Il s’est passé un truc horrible. Cormoran s’est fait capturer.

Comme je t’avais dit, on campait près d’Aibli, une petite ville un peu louche, pas loin de Luvneelpraad, depuis une semaine à peu près. Corbeau et Cormoran étaient partis ensemble chercher des provisions au village. Sauf qu’ils sont pas revenus pendant très longtemps. Alors Épervier et Mouette sont allés à leur recherche pendant qu’on surveillait le camp avec Émeu. Quand ils sont rentrés, ils étaient toujours que deux et ils avaient l’air très inquiets.

Ils ont dit que des gens avaient vu des hommes de Talar capturer un homme-poisson. Talar, c’est un sale type. Il capture des gens pour les vendre comme esclaves. Normalement on a pas le droit de faire ça, mais il dit aux gardes que c’est des criminels et on le croit. D’après Mouette, c’est parce qu’ils sont corrompus. Le truc qui est bizarre dans cette histoire, c’est que Corbeau est pas rentré non plus. Il a dû vouloir aider Cormoran et se faire capturer aussi.

Du coup, on a préparé tout un plan pour les libérer. Et cette fois encore, je pouvais participer. Depuis le coup de la grange à Luvneelgraad, j’ai plus souvent le droit de faire des missions. Ils ont enfin compris que j’étais fort. Selem a dit qu’il me protégerait, mais il s’en fait pour rien, je me suis beaucoup entraîné avec Cormoran. Rien ne peut arrêter mon nouveau coup de pied sauté !

Mouette a dit qu’il avait facilement trouvé où était Cormoran, mais je sais que c’est pas vrai. Quand il est revenu, il avait plus la bourse avec sa part du trésor de l’autre fois. Il est comme ça, mon frère, il veille sur nous même si c’est difficile. Comme il faut qu’on se dépêche, j’ai pas trop le temps de te raconter le plan, je ferais ça quand on rentrera.

…

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9 mars 1622

Je n’arrive toujours pas à le croire, il est mort. Je devais le protéger et il est mort. Il est mort. J’ai beau l’écrire, ça paraît encore irréel. C’est de ma faute. J’ai échoué. J’avais leur confiance à tous et j’ai échoué. Je les ai accueillis, je leur ai fait miroiter une famille, je n’ai fait que les entraîner vers leur perte. Et maintenant il est mort. Peut-être que je devrais dissoudre les Ailes d’Argents ? Mais je ne peux pas m’y résoudre, pas avec tous les espoirs que Linotte plaçait en nous. Pas alors que notre promesse n’est pas encore tenue.

…

On l’a enterré sur la colline, sous un arbre. Là-bas, on a tous juré, Émeu, Épervier, Cormoran et moi. Juré qu’on le vengerait. Mais surtout, juré qu’on honorera sa mémoire. On va quitter cette île. On va vivre des aventures incroyables, et un jour, on rentrera, et on viendra tout lui raconter. En fait, on le racontera à tout le monde, tous ces trucs extraordinaires qu’on aura traversés. Mais ce ne sera pas comme Norland non, nous personne ne pourra nous traiter de menteurs, parce qu’on aura changé le monde, et chacun aura entendu parlé de nous. Même lui, il aura entendu. Alors on viendra lui raconter tout. Tous les détails croustillants qu’il adorait. Et pour rien oublier, je vais continuer son travail, et tout relater ici. D’ailleurs, je vais commencer avec le sauvetage de Cormoran. Mais pas tout de suite, c’est encore trop frais.
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13 mars 1622

On avait tout prévu. Le plan était risqué, mais il était bon. Enfin, c’est ce que je croyais. J’ai merdé en beauté.

Le repérage qu’on avait mené autour de la planque de Talar nous avait appris plusieurs choses. Déjà, il y avait des gardes, si on peut qualifier comme ça les abrutis édentés qu’il embauche pour ce genre de boulots. Ensuite, il y avait plusieurs entrées. Celle de devant, qui donne sur la rue, était trop surveillée et trop évidente. Mais il y en avait une autre à l’arrière, pour faire rentrer les « colis » sans attirer l’attention. Seulement deux sales types assis l’air de rien à l’extérieur. On pourrait croire au hasard, si on ignorait ce qui se trame à l’intérieur. La porte était sans doute verrouillée, mais il y avait une petite fenêtre sur le côté. Trop étroite pour moi, mais pour une demi-portion comme Linotte, c’était un jeu d’enfant. C’était possible quoi. Je pense qu’Épervier aurait aussi pu passer, mais je suppose que je ne lui faisais pas tout à fait confiance. Quel crétin !

L’idée était simple. Une diversion d’Émeu et Épervier allait servir à éloigner les deux débiles. Elle nous avait promis du spectaculaire à ce niveau-là. Pendant ce temps, on s’approcherait avec Linotte. J’ouvrirai la fenêtre et lui entrerai pour me déverrouiller la porte. Ensuite, on n'avait plus qu'à trouver et libérer Cormoran et Corbeau, et on pourrait ressortir aussi sec. En cas de problèmes, on avait une petite bombe d’Épervier pour « dégager un passage et appeler du renfort ». L’idée, c’était de la placer à l’écart de de la salle des prisonniers pour éloigner un maximum de monde de notre objectif, et prévenir les autres qu’ils devaient nous rejoindre fissa. Mais il n’y avait pas de soucis à se faire, Talar est un radin, aucune chance qu’il ait foutu des gardes dans toutes les pièces d’un entrepôt abandonné. Un pari de plus, mais on devait le tenter, il fallait sauver nos frères. Je ne regrette pas d’avoir pris ce risque, je regrette d’avoir poussé Linotte à faire de même.

La première partie du plan a parfaitement fonctionné. Je ne sais pas ce qu’a encore bricolé Épervier, mais ce qui est sûr, c’est ce que ça a fait du bruit, et des flammes aussi. Le cadre de la fenêtre était à moitié pourri, je n’ai pas eu de mal à l’ouvrir en forçant un peu. Personne à l’intérieur à priori. J’ai fait la courte échelle à Linotte pour qu’il rentre, et il a pu facilement déverrouiller la porte. Pas âme qui vive de l'autre côté. C’était vraiment poussiéreux dans les couloirs, le genre d'endroit qui n’a pas été utilisé pendant des années, et que les nouveaux occupants n’ont pas pris le temps de nettoyer. Je me demande comment font les sales types comme ça pour toujours dénicher des bâtiments abandonnés pour leurs affaires. Est-ce qu’il y a un gars dont c’est le boulot de visiter des coins pourris pour en trouver ? Avec les frangins, si on avait un toit, on le laisserait pas finir dans cet état.

Bref, Linotte et moi on a fait le tour de plusieurs pièces remplies de meubles moisis. Il n’y avait pas un bruit dans la baraque, tellement que je me suis demandé si on ne s’était pas planté quelque part.

Au bout d’un moment, on a trouvé une grande porte à double battant. Les traces de poussières montraient qu’elle avait été ouverte plusieurs fois il y a peu. À l’intérieur, pas un son, mais plus loin, on entendait des pas. Pas de temps à perdre, j’ai ouvert la porte le plus silencieusement possible et… BINGO ! C’était Cormoran, dans les vapes et attaché. Il avait vraiment une sale gueule. Par contre aucune trace de Corbeau. On s’est précipité pour le détacher, mais c’est là que tout a dérapé.

Une autre porte à l’opposé de celle qu’on avait utilisée s’est ouverte. C’était Corbeau. Il était debout, et libre, et il avait l’air très surpris, et pas content. Pas la tête de quelqu’un qui voit arriver ses sauveurs. Il m'a fallu un instant pour admettre ce que j’avais sous les yeux. Il nous avait trahis ! Il avait sûrement vendu Cormoran à Talar. Pourquoi ? À ce moment, j’ai eu l’impression de tomber dans un gouffre.

J’ai mis quelques secondes pour me ressaisir. Je savais que je n’avais pas le temps de réfléchir à ça tout de suite. J’ai eu envie de lui foncer dessus et de lui coller ma semelle sur le nez, pleine vitesse. Mais il y avait deux problèmes. Déjà, s’il était là, c’était certainement pas tout seul, et d’autres allaient accourir d’un instant à l’autre. Et ensuite, il avait un flingue. Les idées fusaient à toute vitesse dans mon crâne. Il fallait réagir, et vite. Heureusement qu’on avait prévu un plan B. J’ai regardé Linotte et j’ai vu qu’il avait compris lui aussi. Je lui ai fait un signe de tête, et je lui ai passé la bombe d’Épervier. Comme ça, je faisais d’une pierre deux coups. À la fois  j’appelais du renfort, qui allait être rapidement nécessaire, et en plus j’éloignais mon petit frère du danger. Enfin, c’est ce que je croyais.

Pendant que le frangin partait en courant, je me suis retourné vers Corbeau. Il avait sorti son flingue et le pointait sur moi. Ça ne m’inquiétait pas plus que ça. C’était peut-être un sale traître, il était peut-être très malin, mais j’étais sûr qu’il n’aurait pas le cran de tirer. D’ailleurs, sa main tremblait, ça aurait presque pu être comique, si la situation n’avait pas été aussi tendue.

Il fallait gagner du temps, alors j’ai commencé à faire ce que je fais le mieux. J’ai parlé. J’ai déversé sur lui tout ce que j’avais sur le cœur, ma colère, ma tristesse, ma déception. Comment il avait pu faire ça ? Les Ailes d’Argents signifiaient si peu pour lui ? Corbeau aussi s’est lâché, et m’a balancé toute sa rancœur. Il m’a dit son sentiment de ne pas faire vraiment partie du groupe, lui qui était pourtant un des plus anciens. Il m’a également raconté comment il avait fini par détester notre mode de vie, nos convictions. Je savais qu’il avait des ambitions un peu différentes des nôtres, que c’était plus  les trésors que l’aventure qui comptaient pour lui, mais j’ai toujours du mal à appréhender comment tout a pu dégénérer à ce point. Je pensais que la famille avait de la valeur pour lui.

C’est une explosion, suivie d’un bruit strident qui nous a interrompus. J’ai souri, car ça ne voulait dire qu’une seule chose. Mission accomplie pour Linotte. Corbeau a dû comprendre ce qu’il se passait, lui aussi, parce qu’il m’a ordonné de me taire et de me mettre à genou, toujours avec le flingue pointé sur moi. Même si je ne le croyais pas capable de tirer, j’ai préféré ne pas tenter le diable et l’écouter, puisque les renforts n’allaient pas tarder. Lui qui savait systématiquement quoi faire d’habitude avait l’air un peu perdu. Je pense que, comme moi, il attendait l’intervention de ses alliés pour débloquer la situation.

Après une minute pesante, pendant laquelle on ne s’est pas lâché du regard, des bruits de pas ont résonné dans le couloir derrière moi. Puis la grande porte s’est ouverte. Tout de suite, j’ai réagi. J’ai saisi le bâton accroché dans mon dos, et j’ai commencé à courir en avant, droit sur Corbeau. Je comptais sur l’effet de surprise qu’avait provoqué l’entrée d’Émeu et Épervier pour le désarmer. Sauf que ce n’était pas eux. À peine j’avais fait deux pas que la voix grinçante de Talar m’ordonnait de ne plus bouger. C’est en tournant la tête que j’ai compris l’ampleur du problème. Le chasseur d’esclave se tenait dans l’embrasure de la porte, une dague fermement posée sur la gorge de Linotte.

J’ai tout de suite lâché mon arme. Je savais que ce fou furieux n’hésiterait pas à mettre sa menace à exécution. Malheureusement, le petit frère n’a pas été aussi prudent. Il a toujours voulu être un héros, j’imagine qu’il s’est dit que c’était l’occasion. Il a mis un coup de pied en plein dans le tibia de Talar, qui l’a lâché, et il a commencé à filer. Talar a dégainé et je me suis rué vers eux,mais c’était trop tard. Personne ne court plus vite qu’une balle. Il l’a abattu d’un tir dans le dos. Comme ça, froidement. Ensuite, il s’est tourné vers moi, prêt à faire la même chose.

C’est à ce moment qu’Émeu a traversé les portes en courant. Un gaillard d’un mètre quatre-vingt-dix qui te percute à pleine vitesse, ça surprendrait n’importe qui. Talar a volé sur plusieurs mètres. Quand il s’est relevé, il a commencé à nous tirer dessus, en fuyant vers l’autre porte. J’ai pris une balle dans le mollet et je me suis effondré.

Alors que son nouveau boss l'appelait, j’ai vu ce traître de Corbac hésiter. Le gamin était au sol en train de se vider de son sang. Il l’a regardé quelques secondes, et cet enfoiré s’est tiré derrière Talar. Je ne lui pardonnerais jamais. Un jour ou l’autre, il nous le payera. Il me le payera.

Malgré ma blessure, je me suis traîné jusqu’à Linotte, mais il n’y avait plus rien à faire. Il était déjà bien trop pâle, il lui aurait fallu un médecin compétent immédiatement. On n’en avait pas. J’étais complètement impuissant. Il m’a regardé et a souri. Je l’ai senti poser quelque chose dans ma main, le médaillon à l’aile d’argent.

« Merci. »

C’était son dernier mot. Ensuite, il est parti.

Après ça, mes souvenirs sont très flous, je sais qu’Épervier m’a tiré par le bras en marmonnant un truc à propos de la garde, pendant qu’Émeu ramassait Cormoran et le corps de Linotte. C’est eux qui se sont occupés de me sortir de là. Moi j’étais trop occupé à pleurer mon frère et contempler mon échec. Merde, qu’est-ce que j’ai honte.
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5 avril 1622

Presque un mois s’est écoulé depuis la mort de Linotte, mais pas un jour ne passe sans que je ne retrace tout le déroulement des événements dans ma tête. Et si je l’avais empêché de venir ? Et si j’avais trouvé un meilleur plan ? Et si j’avais mieux anticipé Corbeau ? Et si j’avais réagi plus vite ?

Pour m’occuper l’esprit, j’essaye d’aider les autres. Après tout, on est une famille.
Émeu ne chante plus. Lui qui est toujours si calme d’habitude, s’énerve à la moindre contrariété. À part moi, c’est lui qui connaissait Linotte depuis le plus longtemps. Je sais qu’ils passaient beaucoup de temps ensemble quand,  avec Cormoran, on était occupés à faire les jobs pour lesquels il était trop jeune.

Mais c’est sans doute Corm’ qui est le plus affecté. Il avait vraiment pris le petit sous son aile. Il l’entraînait et lui apprenait à se battre. Et c’est pour le sauver que Linotte est mort. Je ne peux pas imaginer tout ce qui doit lui traverser la tête en ce moment. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’en veut atrocement. Je l’ai surpris en train de frapper contre une pierre l’autre jour. Ses deux mains étaient en sang, mais il ne voulait pas s’arrêter. J’ai été obligé de le plaquer au sol pour qu’il se calme.
Épervier a beau être avec nous depuis moins d’un an, je sais qu’elle aussi est bouleversée. Elle est moins bavarde qu’à l’accoutumée.Même s’il se méfiait d’elle au début, Linotte avait fini par changer d’avis, et je crois que les deux étaient vraiment proches.

Il était comme ça, mon frangin, il avait un don pour se lier aux autres. C’était impossible de ne pas l’apprécier, et il faisait ressortir ce qu’il y avait de meilleur en nous. C’est lui qui m’a inspiré la formation de ce groupe. Sans lui, les Ailes d’Argent n’existeraient pas. Même cette ordure de Corbeau l’aimait bien. Je l’ai vu hésiter ce jour-là. Mais ça ne l’a pas empêché de détruire sa famille, notre famille. Et ça ne m’empêchera pas de venger mon petit frère.
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7 mars 1624

Aujourd’hui, ça fait deux ans. Deux ans depuis que tout a basculé. Deux ans depuis que mon frère est mort. Il continue de me manquer, mais je pense que j’ai finalement accepté qu’il ne reviendra pas. Il n’aurait pas voulu que je me morfonde aussi longtemps, je le sais. Il m'aurait dit de poursuivre nos rêves et de tenir notre promesse. Je crois que je suis enfin prêt à m’y remettre.

Si je regarde en arrière, je me rends compte que notre vie a pas mal changé pendant ces deux années. Même si on a continué de voyager tous les quatre, on a beaucoup évolué. Émeu a mûri. Il est peut-être moins candide, mais il est toujours aussi gentil. Il ne s’est pas encore arrêté de grandir, maintenant il doit faire pas loin de deux mètres trente. L’autre jour, une vieille a fait tomber son chapeau. T’aurais vu la tête qu’elle a faite quand il lui a tendu. Elle lui a dit merci en reculant, et du coup elle s’est pris les pieds dans son panier. J’ai cru qu’Épervier allait se pisser dessus tellement elle se marrait.

Cormoran aussi est devenu plus sérieux. Maintenant, il passe presque autant de temps à lire des bouquins qu’à s’entraîner. Celui qu’il étudie le plus, c’est le livre de navigation de Linotte. Dire qu’à l’époque, il ne voulait pas en entendre parler… Je suis sûr que ça ferait plaisir au petit frère de le voir comme ça.

Quant à Épervier, j’ai toujours du mal à la comprendre. Après les drames qu’on a traversés, j’aurais saisi qu’elle quitte le groupe. On lui a quand même attiré pas mal d’emmerdes. Mais non, elle est restée, et aujourd’hui, j’ai autant confiance en elle qu’en n’importe quelle Aile d’Argent. Même si ce qu’elle bricole continue d’exploser beaucoup trop à mon goût.

Toujours pas de nouvelles de Corbeau ou de Talar. Qui sait où ils sont passés ? Je garde l’oreille ouverte, on finira bien par avoir une piste.

Ce soir, on fait une veillée sur la colline de Linotte. Ça va être un festin. On a dépensé la moitié du butin de notre coup du mois, quand on a fait un tour dans la cale de cet enfoiré de marchand. Il l’avait bien cherché, à se payer la tête d’Émeu. Faut qu’on fasse gaffe avec ce genre de coup, un jour ça pourrait nous attirer des problèmes. Jamais deux fois trop rapprochées, ou au même endroit. C’est des règles que j’avais fixées il y a longtemps, mais on a de plus en plus de mal à les suivre. Faut dire que c’est quand même vachement plus marrant que le travail des champs ou la corvée à l’auberge.

Enfin, dès demain, on part pour Luvneelgraad. Ça va être l’occasion de reprendre les spectacles, ça au moins c’est légal. J’ai vraiment hâte. Plus on s’en rapproche et plus je me rends compte d’à quel point ça m’a manqué. J’ai préparé plein de nouvelles histoires. Et un jour, je raconterais les nôtres. _______________________________________________
17 décembre 1626

L’entraînement avance bien, j’ai vraiment la sensation d’être devenu bien plus fort. À force d'affronter Corm’, j’arrive à le battre presque à chaque fois. Je sais que ça l’énerve, mais ça le motive aussi à se dépasser. On a encore beaucoup de travail avant d’être parés à prendre la mer. Quand j’entends toutes ces récits de corsaires, d’amiraux et d’empereurs que racontent les marins du port de Norland, je me dis qu’on est pas encore prêts. Et hors de question que je risque la vie de ma famille sur un pari hasardeux. Plus jamais.

Cette épée à double lame que j’ai piquée est vraiment géniale. Je crois que je vais continuer de l’utiliser. Ça se manie un peu comme un bâton, du coup je ne suis pas trop dépaysé. En plus, je me trouve vraiment classe avec, et c’est une caractéristique hyper importante pour une arme. Si je dois raconter un jour les combats épiques que j’ai menés, je ne peux pas me battre avec une endive, quand bien même elle serait mortelle entre mes mains.

La rumeur dit que Talar aurait recommencé à embaucher des gars du côté de Luvneelpraad. Si c’est vrai, ça veut dire qu’il revient bosser dans la région. Et ça veut dire qu’avec un peu d’efforts, on devrait pouvoir mettre la main dessus. Et peut-être même sur Corbeau.
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5 janvier 1628

Encore une nouvelle année qui commence à Luvneel. D’habitude, ça me rend morose, mais pas cette année. Parce que cette année, c’est celle où on quitte ce pays. J’ai enfin repéré la trace de Talar et Corbeau. Sam, un gars que je connais à Luvneelpraad m’a dit que d’après un indic, ils auraient de nouveau fait parler d’eux dans la région. Ça ne va pas être facile de les retrouver, avec toute l’agitation dans le coin. C’est les révolutionnaires qui s’excitent, une histoire de grand discours qui va leur causer des problèmes, ou un truc du genre. Je ne m’en préoccupe pas trop. Nous, les Ailes d'Argent, on a aussi de quoi s’occuper. On est prêts, tous les quatre. Ça fait des années qu’on s’entraîne pour ce moment, et pour tout ce qui va suivre. On va aller trouver l’indic de Sam, lui faire cracher le morceau et ensuite…

Ensuite, on va pouvoir venger Linotte et mettre le plan à exécution. Et enfin, quitter ce pays pour de bon.