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[Quête] La voix de l'océan

Du repos ? Quel repos ? Pas de repos pour les braves. La Marine était une organisation militaire, pas une colonie de vacances. Ambrosias étant dorénavant à la tête de son propre navire, son supérieur, le lieutenant-colonel Shoga, n'hésitait pas à faire appel à ses services. Elle, qui était supposée être affectée à Orange, se retrouvait en réalité la plupart du temps à patrouiller sur East Blue. Cela ne la dérangeait pas vraiment, ceci étant dit, elle aurait apprécié un peu de calme après la traque de l'équipage des mains moites. Cela faisait à peine moins d'une semaine qu'ils étaient derrière les barreaux et la jeune femme était déjà de nouveau sur une nouvelle mission. Alors qu'elle revenait tranquillement vers son port-base, le Mink l'avait contacté par escargophone pour lui dire qu'une cambriolage avait eu lieu à Sirup. La vétérinaire n’étant qu'à quelques encablures de l'île en question, elle avait logiquement été dépêchée sur place. Son arrivée s'était faite en douceur sur la plage sud. Ses hommes et elles une fois à terre avaient pris la direction du village avant d'être conduits vers le fameux manoir en question. La «victime» était une dénommée Malon, riche propriétaire terrienne et notable de l'île. Son manoir avait été pris d'assaut par une bande pirates. Ce qui aurait pu devenir un véritable drame se tourna en vaste blague lorsqu'un certain Monsieur Standoh s'était joint à la fête. L'homme, bien fait de sa personne, les mit en déroute sans le moindre mal.


Ambrosias effectua une rapide inspection des lieux, mais rien n'avait été volé, les forbans n'ayant même pas eu l'occasion d'entrer dans la bâtisse. Après avoir discuté avec Gyro, le sergent Paracchini apprit qu'une île de taille ridicule se trouvait à quelques nautiques de Sirup. L'endroit servait fréquemment de repaire pour les pirates et les contrebandiers. Il estimait qu'il était fort probable que les criminels s'y soient rendus. Le lieutenant prit bonne note de tout cela avant de retourner sur le Placide et de lever l'ancre. Fort heureusement, la mer était bien moins déchaînée qu'elle n'avait pu l'être quelques jours plus tôt. Il faisait beau, chaud et une légère brise soufflait, des conditions parfaitement adaptées à la navigation. Sur le pont, proche de la barre, la grande brûlée laissait son regard se perdre dans l'infiniment grand de l'océan. Ses pensées se bousculaient de manière désordonnée. Un cigare aux lèvres, elle inspirait puis expirait de gros nuages de fumée blanche. À ses côtés, Dario fumait également, mais une cigarette pour sa part. En partie avachis contre la barre, il semblait s'ennuyer à mourir.


« Un peu de tenue, sergent.


- J'ai mal à dos à force de rester debout, droit comme un «i», c'est plus de mon âge ces conneries.


- Pensez à votre solde.


- Comment ça ?


- Demi-travail, demie-solde.


- Bah bien sûr. Et puis quoi encore ?


- Donnez un peu l'exemple.


- Allons bon... »



Même s'il ronchonnait un peu, l'homme s'exécuta. Partout sur le pont, les marins s'attelaient à leurs tâches. L'endroit grouillait de vie, mais tout était ordonné. Une discipline de fer régnait chez les simples soldats et Ambrosias appréciait particulièrement cela. Les hommes du Placide étaient réellement dignes de respect.


« Lieutenant ! » hurla la vigie.


Levant les yeux au ciel, la femme porta son attention sur le nid de pie où se trouvait la première classe Moal. De son doigt, elle pointait une direction au nord-ouest.


« Navire en vue, petit, voiles blanches et arborant un pavillon noir. »


Bingo ! Laissant échapper bien malgré elle un léger sourire que personne ne vit, Ambrosias hocha la tête de bas en haut.


« Soldats, au poste de combat ! » aboya la militaire.


Les marins se mirent rapidement en branle pour préparer le Placide à l’affrontement. Sa veste flottant au vent, le lieutenant éteignit le bout de son cigare contre une rambarde en bois pour le finir plus tard. Tandis que les hommes mettaient en place les canons, elle s'empara de son fusil à silex qu'elle plaça en bandoulière dans son dos. Son pistolet et son sabre étaient également parés mais elle savait qu'il fallait qu'elle économise ses forces. Son dernier combat étant encore relativement récent, elle sortait péniblement de convalescence et son flanc la faisait encore légèrement souffrir. Du peu qu'elle savait de ses cibles, ils n'étaient de toute façon pas très dangereux. Aucune prime et ils avaient été repoussés à la mer par un simple civil sur une île paumée d'East Blue. Sur le papier, tout cela n'était guère inquiétant.


À mesure qu'avançait le Placide sur les flots, la petite île mentionnée par Gyro Standoh se dévoila à l'horizon, le navire pirate au mouillage non loin de cette dernière. L'endroit ressemblait plus à immense sortant de la mer qu'autre chose. Il était entouré de falaises abruptes et de récifs dangereux. De ce que savait Ambrosias, le seul intérêt là-bas consistait en une grotte accessible par la mer où les divers criminels des mers pouvaient trouver refuge. Constatant au bout d'un moment l'arrivée soudaine d'un navire de la Marine, les forbans levèrent l'ancre et baissèrent leurs voiles. Malheureusement pour eux, ils étaient peu préparés et le Placide était bien trop rapide. Creusant très vite l'écart les séparant, la militaire donna l'ordre de faire feu au canon avant. Plusieurs coups firent mouche mais la plupart des boulets allèrent malheureusement se perdre dans les eaux. Quand les militaires furent enfin assez proche, le sergent Paracchini vira de bord pour présenter son bâbord aux pirates.


« Envoyez-leur les boulets chaînés ! »


Plusieurs cris approbateurs firent écho à l'ordre de la jeune femme. Moins d'une minute plus tard, les quatre canons crachèrent. La stratégie s'avéra payante et l'un des mâts de la cible commença à s’effondrer en abîmant le second au passage. Les pirates étant ralentis significativement, la militaire donna l'ordre aux siens de lancer l'abordage. Dario manœuvra parfaitement pour placer le Placide sur le côté bâbord de la cible et, pour éviter d'être endommagé, les canons ouvrèrent une autre fois le feu vers le pont inférieur, en direction de l'artillerie adverse. Les chiens des mers étaient si surpris et harcelés qu’il semblaient déjà sur le point de flancher.


« À l'assaut ! »


Si tôt le signal donné, les soldats du Placide lancèrent leurs grappins vers le navire ennemi. Le harpon de la plage arrière alla se planter dans la coque et les deux bateaux commencèrent lentement à se rapprocher l'un de l'autre. Armés de leurs fusils, les marins ouvrirent le feu sur les pirates. Une fois plusieurs salves envoyées, ils dégainèrent leurs sabres et bondirent à l'assaut en hurlant comme de féroces guerriers. La supériorité de la Marine ne faisait aucun doute, mais le capitaine pirate ne s'avouait pas vaincu. Pour le combattre, Ambrosias envoya son second à l'attaque, décidant de rester elle-même à la barre. Dario s'élança, n'ayant aucune autre cible en tête que le chef des forbans. Les deux hommes combattirent quelques minutes avant que le marin ne fasse mordre la poussière à son adversaire. Seulement cinq minutes après le début de l'abordage, le combat était terminé. Les pirates jetèrent leurs armes au sol tandis que les militaires hurlaient de joie. Une fois les ancres des deux navires jetées, Ambrosias posa son fusil et ressortit son cigare. Tout cela avait été encore plus simple qu'elle ne le pensait. Trop simple même...
Lien de la quête: ici



Protéger, Servir, Traquer


Dernière édition par Ambrosias le Mar 26 Avr 2022 - 20:12, édité 1 fois
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Une fois tous les pirates attachés, ils avaient été regroupés sur la plage avant de leur navire. Ce n'était pas une très grosse prise pour Ambrosias, aussi ne s'attendait guère à grand chose de la part des huiles. Malgré tout, elle était contente d'avoir mis la main sur ces misérables idiots ayant cru bon de faire fortune en volant leurs semblables. De faibles criminels pouvaient vite devenir des machines à tuer si on leur en laissait le temps. Aujourd'hui, le lieutenant avait coupé l'herbe sous le pied à ces pirates et ils ne représenteraient jamais la moindre menace. Dommage pour eux. Son cigare aux lèvres, la jeune femme marchait sur le pont supérieur du bateau abîmé de ses captifs. Il avait assez mal toléré l'escarmouche et ne semblait guère pouvoir continuer à naviguer bien longtemps. Cela importait peu, une fois les pirates transférés à bord du Placide et l'endroit visité jusqu'en fond de cale, il serait envoyé par le fond. Les hommes d'Ambrosias commençaient à vider ce qui avait un minimum d'importance, en commençant par les vivres. Pour sa part, la jeune femme décida d'aller voir le maigre butin des forbans.


La cabine du capitaine, si on pouvait seulement l'appeler ainsi, était sens dessus dessous. Des coffres avaient été vidés sur le sol. Il aurait été facile au premier coup d’œil de penser que cela était dû à la bataille qui avait eu lieu, mais la jeune femme n'y croyait pas. Tout ce bazar semblait plus indiquer qu'une personne avait délibérément retourné l'endroit à la recherche de quelque chose. En se baissant, elle prit une petite cassette de bois entre ses doigts. Vide, comme cela était à prévoir. La pièce, hormis quelques pièces d'or, ne présentait aucun intérêt. Ce n'était pas là que le capitaine cachait quoi que ce soit. Ressortant de la cabine, la militaire originaire de Tanuki tomba sur son second. Dario la regarda en haussant les épaules.


« Une vraie bande de bouseux. Y'a rien d'intéressant ici.


- Il semblerait, en effet. Je vais inspecter la cale.


- Eh bah courage, si c'est aussi crade qu'ici vous allez choper la chtouille. »



La jeune femme hausse les yeux face à la remarque du sergent, même s'il avait plutôt raison. Ce navire était immonde, à la limite de l'insalubrité. Comment des gens pouvaient volontairement vivre, manger et dormir ici ? Les pirates n'avaient décidément pas les mêmes exigences de vie que les gens normaux. Laissant de côté son dégoût, la jeune femme descendit au pont inférieur. L'endroit était à l'image du reste du navire. Ici et là, les impacts des boulets du Placide avaient laissés leurs traces. Des rats en nombre grouillaient autour de la militaire. Ces animaux tenaces trouvaient toujours une façon de s'en sortir. Ceci étant, elle se demandait comment ils feraient lorsqu'elle enverrait le navire rejoindre les abysses. Cette pensée la dérangeait mais elle décida de rester focalisée sur sa tâche. Après plusieurs minutes à explorer l'endroit, elle ne trouva rien d'autre que des caisses de fruits, des barils de poudre et un tas de boulets rouillés.


« Pitoyable. » dit-elle à sa seule attention.


Par curiosité, Ambrosias ouvrit une petite caisse qui contenait des fruits exotiques. Quelques mangues, des cumçbats rouges, et même des mafroums. L'un d'eux attira bien plus l'attention du lieutenant que les autres. Il ressemblait étrangement à un croisement entre un cumçbat et une grosse pêche. La jeune femme n'avait jamais rien vu de telle. D'un autre côté, comme elle n'était à la base qu'une petite paysanne ayant grandi sur une île perdue, il n'était pas étonnant qu'elle ignore la diversité immense des fruits de ce monde. Poussée par l'envie de savoir quel goût pouvait bien avoir cette chose qui lui était inconnue, elle la porta à sa bouche. À peine la première bouchée avalée regretta-t-elle son geste. Le fruit était tout simplement immonde, la pire chose qu'elle ait jamais mangé. Dégoûtée, Ambrosias grimaça avant de jeter les reste au sol. Quelques rats s’empressèrent alors de se jeter sur cette maigre pitance.


« Comment vous pouvez manger une horreur pareille franchement ?


- On a faim.


- Les restes de leur cuisinier étaient pas bien meilleurs.


- C'est vrai. »



Un instant, la jeune femme ne fit pas attention à la situation, se contentant de hausser les épaules. Son cerveau se mit cependant bien vite à analyser la situation. Interdite, la militaire écarquilla les yeux en regardant les rats finir le fruit.


« Que... Vous avez parlé ? »


Le plus gros des rongeurs leva brièvement la tête pour regarder l'humaine. Il l'observa quelques secondes en humant l'air de son petit museau.


« Vous avez entendu ça ? Elle vient pas de s'adresser à nous ?


- Mais non Snick, les humains ne nous parlent pas, ils sont trop bêtes pour ça
, lui rétorqua un autre rat


- Ouais, pas faux.


- QUOI ?!? »
hurla Ambrosias en reculant d'un pas en arrière.


Face au cri du lieutenant, les rongeurs sursautèrent et reculèrent du fruit en posant leurs petits yeux sombre sur elle. Bégayant, elle recula d'un autre pas, ne comprenant décidément rien à ce qui était en train de se passer. Devenait-elle folle ? Avait-elle pris un coup sur la tête pendant l'attaque ? Instinctivement, elle porta la main sur son crâne à la recherche de sang, mais ne trouva rien. Son cœur battait la chamade tandis qu'elle portait de nouveau son attention sur les rongeurs.


« Elle est pas nette celle-là, vaudrait peut-être mieux s'en aller.


- Ouais, tu as raison.


- Snick ! C'est quoi ? C'est qui ?
demanda la militaire désemparée


- C'est moi. Attendez... Elle parle !


- C'est impossible...


- Que... C'est vous qui parlez !


- Bien sûr qu'on parle, c'est vous les humains qui ne nous comprenez jamais.


- Non, c'est impossible, je dois être en train de devenir folle.


- C'est vous la déesse rate cornue ?


- Quoi ? Mais non enfin, je suis Ambrosias, lieutenant de la Marine.


- Vous avez failli tuer plusieurs membres de la tribu pendant l'attaque bande de monstres !
lui reprocha Snick


- Je... Désolée.


- Je vais prévenir les autres. »



Elle était en train de parler avec des rats. Rien de tout cela n'avait le moindre sens. Essayant de faire marcher correctement ses méninges, la jeune femme se pencha pour prendre entre ses doigts ce qui restait de l'étrange et infect fruit qu'elle avait mangé. Ce ne fut qu'alors qu'elle comprit enfin ce qui venait de se passer. Elle ne devenait pas folle, il s'agissait forcément d'un fruit du démon. Le goût immonde, le fait de parler avec des rats, tout cela n'avait qu'une seule explication: elle venait de manger le célèbre fruit des murmures permettant de parler aux animaux. Abasourdie, Ambrosias manqua de perdre l'équilibre et se laissa tomber dos contre une des caisses.


« Ça va pas ? s'inquiéta le gros rat gris


- Je... Oui, enfin non... Je ne sais pas. Tout est confus, je suis perdue.


- C'est pas toujours facile la vie. Une fois j'ai mangé une crotte humaine. Sale histoire, elle ressemblait à un morceau de chocolat, je voulais goûter.


- Hein ?


- Mouais, pas de rapport, je sais. »



La vétérinaire vivait un rêve, mais le choc de cette nouvelle était encore trop frais pour qu'elle s'en aperçoive. Le plus difficile dans son ancien métier était que les animaux ne parlaient pas. C'était ce qui rendait la médecin vétérinaire bien plus difficile que celle humaine. Il fallait toujours faire en fonction de son intuition et des informations données par les propriétaires. Tout cela rendait la tâche particulièrement ardue. Pour Ambrosias, qui était depuis toute petite réellement amoureuse des animaux, les pouvoirs donnés par ce fruit étaient une véritable bénédiction. Malheureusement, pour elle qui était soldate dans la Marine, le fait de ne plus jamais pouvoir nager représentait un lourd handicap. Il allait lui falloir un peu de temps pour digérer la nouvelle.


« Dis, tu pourrais nous laisser cette caisse de fruits ? On a faim.


- Bien sûr. »



Prenant appui sur ses avant-bras, la grande brûlée se releva et déposa ladite caisse au sol. Presque instantanément, les autres rats de la «tribu» firent leur apparition et se ruèrent vers les fruits, Snick en première position. Ce ne fut qu'alors que le sergent Paracchini descendit à son tour.


« Dis donc, vous en mettez du temps. Oh, génial, des rats... Je vais chercher du feu pour les effrayer, ces enfoirés vont tout bouffer sinon.


- Non !


- Pardon ?


- Laissez-les en paix.


- Lieutenant, ce ne sont que des rats. Vous savez, les hommes seraient bien contents d'avoir quelques fruits frais.


- Remontez sur le pont.


- Pourquoi ?


- Parce que je vous en donne l'ordre !


- Allons bon. »
conclut-il en soupirant.


Laissant les rats seuls derrière elle, Ambrosias emboîta le pas de son second. Une fois remontée, elle alla droit vers le capitaine pirate qu'elle prit par le bras pour le soulever. Sans aucun ménagement, elle le tira jusque dans sa cabine où elle le jeta à terre. Dario la suivit, curieux de voir ce qu'elle comptait faire au forban. Après avoir fermé la porte, il s'alluma une cigarette et croisa les bras contre son torse. Le pirate, dont le visage portait encore les stigmates de son combat contre le sergent, faisait peine à voir. L'homme n'était pas serein et cela se voyait comme le nez au milieu de la figure.


« Votre nom.


- Gus. Capitaine Gus le Noir.


- Gus le noir ? Rien que ça ? Gus le personne, Gus le rien du tout. Un pirate sans talent ni renommée ne mérite aucun surnom espèce de moins-que-rien.


- Capitaine Gus, cachiez-vous quelque chose de valeur à bord ?


- Je... Vous avez mis la main dessus c'est ça ?


- Répondez simplement à ma question.


- Eh bien, oui, plus ou moins.


- Parle, gros débile !


- Sur Dawn, on a eu un accrochage avec des collègues.


- Des pirates donc, quel rapport ?


- J'y viens, j'y viens. Leur capitaine se prenait pas pour de la merde, il nous regardait de haut, ça m'a foutu en rogne. Je lui ai piqué un truc, mais il s'en est rendu compte et nous a traqués. On était sur Sirup pour se faire un peu d'argent, histoire de nous tirer d'ici et nous faire oublier un temps.


- J'attends toujours de savoir ce que vous avez dérobé.


- Un fruit, c'était un fruit du démon, mais j'en sais pas plus. Je l'ai caché en bas, vous le trouverez dans la caisse des cumçbats et mafroums.


- Je vois, c'était donc bien ça.


- Qu'est-ce que vous voulez dire ?


- Le fruit, je l'ai mangé.


- Pardon ?


- Quoi ?! T'es complètement tarée la blondasse !


- Surveille tes mots l'attardé.


- Mais vous comprenez rien, si y'a plus rien à leur rendre, ils vont nous buter ! On est tous morts !!!


- Ta gueule ! »



D'un coup vif et violent, Dario fit taire le forban. Ses yeux se tintèrent de blanc alors qu'il tombait inconscient. Intrigué, il approcha de sa supérieure en crachant un peu de fumée. La jeune femme répondit sans rien dire à son regard.


« Vous avez déconné.


- Je sais.


- Vous savez ce que ça a changé chez vous ?


- Oui, c'était le hiso hiso no mi.


- Le fruit des murmures, je vois. C'était pour ça les rats ?


- Oui.


- Vous avez pas tiré le plus utile. Au combat ça vous servira à rien et maintenant vous êtes maudite à vie par l'océan. C'est con franchement. »



Même si Ambrosias jeta un regard noir au sergent, elle ne répondit pas. Il était vrai qu'elle avait été stupide. Qu'un enfant d'un an mange machinalement un fruit inconnu passait encore, mais une militaire de vingt-huit ans ? Vraiment ? Tout cela était pitoyable et il faudrait qu'elle s'explique au lieutenant-colonel Shoga. Elle espérait que ce dernier ne prendrait pas trop mal la chose. Voyant que sa cheffe était perturbée, Dario prit la capitaine sur son épaule et quitta de lui-même la cabine. La femme resta de longues minutes seule, tournant et retournant la situation dans tous les sens. Quand elle quitta finalement la pièce, elle semblait plus bouleversée que jamais. Sa vie venait de changer radicalement en cette journée, plus rien ne serait jamais pareil à présent. S'approchant de la rambarde tribord du navire pirate, elle laissa son regard se perdre dans l'eau bleue de la mer. Plus jamais elle ne pourrait y plonger sans craindre pour sa vie. Une page se tournait.


« Lieutenant ! » s'époumona la première classe Moal du haut du Placide


La vétérinaire tourna les yeux au ciel après s'être retourné. La vigie pointait le nord de son bras. Elle avait l'air particulièrement inquiète.


« Frégate en vue, pavillon noir, elle nous fonce droit dessus ! »


Les quelques pirates encore présents sur le pont des deux navires comprirent de suite ce dont il retournait. Paniqués, il commençaient à résister aux hommes du Placide. Ambrosias tourna son attention au nord et, en plissant les yeux et se couvrant le front de sa main droite, aperçut effectivement un bâtiment en approche. Il allait visiblement vite et ne semblait guère vouloir du bien ni à la marine ni aux pirates. La jeune femme recoupa les informations données par son captif et comprit rapidement qu'il devait s'agir des hommes à qui le fruit du démon avait été dérobé. Des pirates avec un pouvoir pareil devaient certainement vouloir le vendre au plus offrant et le fait qu'il ait été récemment mangé les rendrait fous de rage à n'en pas douter. Serrant les poings, la militaire savait que les prochaines minutes seraient cruciales.



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Face à l'avancée rapide des nouveaux venus, il était primordial de réagir vite. Ambrosias avait ordonné que le transfert des prisonniers soit effectué en toute hâte. La récupération des provisions avait également été abandonnée. Au lieu de cela, les soldats du Placide relevaient l'ancre depuis le cabestan, remettaient les voiles à poste et retiraient les câbles d'abordage. Il était vital que les deux navires puissent rapidement se séparer l'un de l'autre. La vétérinaire voulait éviter que le bateau pirate, en étant envoyé par le fond, emmène avec lui son propre bâtiment. Une telle chose n'était décidément pas acceptable. Malheureusement, tout cela prenait plus de temps que prévu et la frégate ennemie s'approchait toujours plus. Un coup de canon résonna à l'horizon et un premier boulet s'écrasa contre la coque du capitaine Gus, sur son flanc tribord. Trois autres coups suivirent et la lieutenant fut projetée à terre par le choc. Se relevant rapidement, elle avait le cœur qui battait la chamade. Quatre canons de proue et au moins une vingtaine par bordée, de ce qu'elle pouvait voir, si confrontation il y avait, la frégate ennemie n'aurait aucun mal à l'emporter. Le Placide était un patrouilleur, pas un navire de combat. Il pouvait s'en sortir lors de brèves escarmouches, mais pas lors d'une véritable bataille navale. Seule la vitesse de la caravelle jouait en sa faveur.


« Lieutenant, faut qu'on se tire maintenant !


- Donnez-moi une minute.


- Quoi ?! Mais vous ne l'avez pas.


- C'est un ordre !


- C'est pas vrai... Grouillez-vous dans ce cas ! »



Des larmes de sueur perlant sur son visage, la jeune femme descendit trois par trois les marches menant au pont inférieur. Dans la cale, la petite colonie de rat était en pleine panique. Les rongeurs allaient dans tous les sens, terrifiés par les coups de canon. Snick, leur chef, essayait tant bien que mal de les calmer, sans grand succès.


« Écoutez-moi ! » hurla la militaire.


Encore sous le choc de voir une humaine converser directement avec eux, les rats se turent pour tourner leurs yeux rouges dans sa direction. Ambrosias n'en revenait toujours pas, elle non plus, de voir à quel point la situation actuelle était hors du commun.


« Montez vite à bord de mon navire


- On sait très bien comment nos congénères sont traités par les marins.


- Hors de question !


- Si vous restez là vous finirez tous à la mer. L'île la plus proche n'est qu'un amas de roches, vous n'aurez aucune chance de survie. Faites-moi confiance ou vous êtes perdus.


- C'est un piège, j'en suis sûr.


- Obéissez.


- Quoi ?! C'est une humaine, elle n'est pas digne de confiance.


- Alors fiez-vous à moi. Je lui fais confiance, faites-en de même.


- C'est pas vrai... Tous à bord alors ! »



Comme un seul homme, les rongeurs se ruèrent vers le pont supérieur, certains empruntant des interstices et d'autres l'escalier principal. Leur chef courra vers Ambrosias et se servit de ses petites griffes pour monter sur elle et finir sur son épaule. Le rat posa son regard rouge vif dans celui de l'humaine.


« J'espère que j'ai raison de croire en toi.


- Tu peux en être sûr. »



N'oubliant pas l'urgence de la situation, la militaire posa sa main droite sur l'animal pour éviter qu'il ne tombe et s'élança vers la sortie. Une vague grise, blanche et noire grouillait sur le pont et avançait droit sur le Placide en passant par la petite planche ne bois reliant les deux navires. Les marins n'en croyaient pas leurs yeux. Certains essayaient de s'écarter des rongeur quand d'autre se servaient de balais pour les éloigner.


« Laissez les monter en paix.


- Quoi ? Les rats ?


- Oui, faites ce que je vous dis.


- Lieutenant, ce sont des parasites.


- On n'a pas le temps de discuter, contentez-vous d'obéir.


- De pire en pire. »



Bien vite, tous les rongeurs montèrent à bord, immédiatement suivis par la grande brûlée. La frégate n'étant plus si loin, elle ouvra une nouvelle fois le feu, endommageant très lourdement le bateau pirate. Le Placide fin prêt, il commença à lentement effectuer sa manœuvre et s'écarta. Les ennemis arrivant à portée commencèrent à virer de bord pour exposer leur bordée bâbord. Un frisson glacé lui parcourant l'échine, Ambrosias vit la vingtaine de canons faire feu dans sa direction. Une pluie de boulets s’abattit alors violemment. Fort heureusement, le navire du capitaine Gus en encaissa la majeure partie. Ayant subi des dommages irréversibles, il commença lentement à pencher sur tribord en s'enfonçant dans les flots pendant que le Placide se mettait à fuir. Bien que la frégate soit moins rapide sur le pied, sa position par rapport au vent empêchait pour le moment la caravelle de prendre l'ascendant en terme de vitesse. Concrètement, cela voulait dire que, bien que son angle de tir ne soit pas idéal, elle restait en mesure de faire feu à nouveau vers les soldats, ce qu'elle ne se priva pas de faire. Une dizaine de boulets fusèrent en direction des marins qui montraient de plus en plus leur dos. Trois allèrent s'écraser dans la cabine d'Ambrosias, deux frôlèrent le mât arrière et les autres finirent dans la mer.


« C'est la merde... »


Dario, à l'image des autres soldats présent à bord, commençait à sérieusement manquer de confiance. Elle aussi apeurée, la jeune femme regardait la frégate ennemie depuis la poupe du Placide. Alors qu'une nouvelle salve arrivait, elle fut projetée quelques mètres en arrière après qu'un boulet se soit écrasé près d'elle. Face contre terre et le souffle coupé, elle sentit de suite une vive douleur dans son épaule droite. Du mieux qu'elle le pouvait, elle se tourna sur le côté et constata qu'un gros morceau de bois était enfoncé dans son corps. Grimaçant, elle l'enleva en étouffant un gémissent de douleur.


« Lieutenant ! Vous allez bien ? »


Pour seule réponse, la jeune femme hocha fébrilement la tête avant de se laisser tomber sur le dos. Son corps la faisait atrocement souffrir et son souffle revenait difficilement. Laissant son esprit s'égarer un instant face à la détresse qu'elle ressentait, son regard se porta vers les cieux, où flottaient quelques nuages. Sa courte épopée allait-elle se terminer ici ? Serait-ce tout ce qu'elle laisserait de son passage sur terre ? Cette seule pensée l'horrifiait et elle sentit les larmes lui monter, mais les réprima bien vite. Si elle devait mourir, elle le ferait avec dignité. Alors qu'elle s'apprêtait à se relever, elle constata que la vigie lui faisait signe de ses deux bras. Elle mit quelques instants à comprendre qu'elle lui disait.


« Cuirassé en vue. Nous avons des renforts ! »


D'abord surprise, Ambrosias accueillit bien vite la bonne nouvelle avec joie. Faisant taire sa douleur, elle se releva de son mieux et s'approcha de la barre. La voyant en difficulté, le sergent Paracchini lui tendit une main chaleureuse, qu'elle refusa malgré tout. Tandis qu'elle regardait la frégate quelques centaines de mètres derrière, elle entendit plusieurs coups de canon d'une très grande puissance. Tournant la tête, elle comprit que le cuirassé venait d'utiliser ses tourelles principales. Plusieurs explosions eurent lieu à bord de la frégate pirate avant qu'ils ne commencent à entamer à leur tour une manœuvre d'esquive. Bien mal leur en prit, car le cuirassé fit pleuvoir sur eux un déluge de plomb. En moins d'une minute, la frégate ennemie n'était plus qu'un tas de bois fumant et tanguant dangereusement vers bâbord. Alors que les forbans hissaient le drapeau blanc, le cuirassé fit feu une dernière fois et ils furent rapidement envoyés par le fond.


« Nous sommes sauvés. »


Sous le coup de l'émotion, la jeune femme se laissa tomber fesses contre terre. Dario hurla de joie, bien vite rejoint par le reste des soldats du Placide. Un drame venait tout juste d'être évité et tout le monde à bord en étant bien conscient. Les marins ne devaient leur survie qu'à l'arrivée miraculeuse de renforts.


« Je crois que c'est le Karaboudjan. »


Intriguée, le lieutenant se releva pour observer le cuirassé qui entamait sa manœuvre d'amarrage en mer auprès du Placide. Le navire portait effectivement un pavillon non générique mais elle ne le connaissait pas.


« Vous avez déjà vu ce bâtiment ?


- Bien sûr, oui. C'est celui du commodore Achab.


- J'ai déjà entendu parler de lui.


- Encore heureux, ce type est un sacré briscard. Un vieux de la vieille, compétent et tenace comme on en fait plus. Sans vouloir vous vexer.


- Ce n'est rien. Vous l'avez déjà rencontré.


- Une ou deux fois oui, mais je doute qu'il se rappelle de moi, je n'étais qu'un simple caporal à l'époque.


- Je vois. »



Ambrosias était intriguée. Cet homme avait effectivement une grande réputation. De plus, le fait que Dario voue à ce point ses mérites n'était pas anodin, le sergent étant particulièrement avare en compliments. Tandis que le cuirassé s'approchait toujours plus, l'ordre fut donné à bord du Placide de lâcher l'ancre et d'abaisser les voiles. D'ici quelques minutes, la vétérinaire ferait la rencontre d'un officier expérimenté et qui venait de lui sauver la vie. Quoiqu'il puisse advenir par la suite, cet homme avait sa reconnaissance éternelle.



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Les dommages qu'avait subis le Placide ne lui seraient pas fatals, c'était une évidence, malheureusement, il allait falloir un peu de temps à l'équipage, et plus particulièrement aux rares charpentiers à bord, pour remettre le tout en état. Il aurait été possible de naviguer ainsi si nécessité avait fait loi, mais comme rien ne pressait, il était primordial d'effectuer les premières réparations le temps de trouver un port où terminer correctement le travail. Plusieurs soldats d'Ambrosias avaient été blessés lors de l'attaque des pirates mais par miracle, elle n'avait eu aucune perte. Elle remerciait chaleureusement tous les dieux existant pour cela. Maintenant qu'elle y pensait, elle n'avait encore jamais perdu personne au combat. Bien qu'elle s'en félicite, elle savait également que cet état de fait était loin d'être immuable. Bien vite, elle verrait des hommes à elle mourir sous ses ordres. Cette pensée l'horrifiait et elle préféra la mettre rapidement de côté à mesure que le Karaboudjan effectuait sa manœuvre d'approche. Les deux navires du gouvernement mondial s'attachèrent l'un à l'autre et une coupée fut mise en place. Droite comme un «i», la jeune femme approcha de celle-ci en compagnie de son second. Quand le gabier sonna l'arrivée du commodore, tout l'équipage du Placide marqua une pause pour se mettre au garde-à-vous. L'officier s'avança sur la coupée d'un pas décidé. Il était grand, charismatique et dégageait une impression de confiance en lui immense. La vétérinaire ne manqua bien sûr pas de constater que son visage était marqué par sa vie de combattant. L'homme avait de larges cicatrices partant de ses lèvres pour remonter le long de sa joue gauche. Cela lui donnait un air féroce, et son regard n'aidait en rien. Ambrosias salua son supérieur quand il posa le pied sur son bâtiment.


« Bienvenue sur le Placide, Commodore. »


Le militaire hocha brièvement la tête avant d'intimer l'ordre de repos aux soldats d'un rapide signe de la main. Il dévisagea le sergent Paracchini un instant avant de reporter son attention sur la jeune femme.


« Votre nom ?


- Lieutenant Ambrosias. Je vous remercie sincèrement, en mon nom et celui de mes hommes pour nous avoir sauvé la vie.


- Pas de quartiers pour les pirates. Ils avaient ouvert le feu sur des marins, il fallait en payer le prix.


- Vous prêchez une convertie, monsieur.


- Qu'importe. Que faisiez-vous ici à vous faire honteusement malmener par des minables de la pire espèce ?


- Mon équipage et moi-même enquêtions sur un cambriolage raté sur l'île de Sirup. Nos pas nous ont menés sur cette île, un repaire de contrebandiers, où nous avons trouvé et arrêté les responsables.


- Quel rapport avec la frégate que je viens d'envoyer par le fond ?


- Un fruit du démon, commodore.


- Un fruit du démon ? Rien que ça ? Je vous écoute.


- Gus, le capitaine des pirates que j'ai mis aux fers, avait volé ledit fruit à un autre équipage. Ils voulaient le récupérer. Je ne sais pas s'ils ont supposé que nous l'avions ou s'ils voulaient seulement couler un navire de la Marine. Nous ne le saurons jamais.


- Où avez-vous mis le fruit ?


- Eh bien...


- Parlez bon sang !


- Je l'ai mangé.


- Vous l'avez mangé ?


- Oui, commodore.


- Pourquoi diable avoir fait une chose pareille ? Lequel était-ce ?


- Le hiso hiso no mi, c'était un accident. Je l'ai... Pris pour un simple fruit exotique.


- Dans quel monde peut-on confondre un fruit du démon avec un vulgaire fruit ? Vous êtes complètement demeurée ou quoi ?


- Je suis originaire d'une petite île, je l'ai confondu avec un cumçbat.


- Une vraie bouseuse donc. Franchement, vous en tenez une couche. J'aime autant vous dire que vous n'avez pas gagné le ticket gagnant à la loterie. Qu'importe, ce ne sont pas mes affaires et je doute que l'état-major s'intéresse à un fruit ayant si peu de puissance.


- Vous ne comptez pas prendre de mesures à mon égard ?


- Pour quoi faire ? Vous comptez déserter et vous servir de ce pouvoir contre le gouvernement mondial ?


- En aucun cas.


- Alors je m'en moque comme de ma première paire de bottes. Ceci étant dit, vous pourrez m'être utile. Suivez-moi.


- À vos ordres, commodore. »



Ambrosias était perturbée par cet homme. Il était assez brut de décoffrage et la déstabilisait. Malgré tout, elle était contente qu'il ne cherche pas à la punir pour son manque de jugement. Sans dire un mot, elle emboîta le pas du commodore et passa la coupée menant au Karaboudjan. Le cuirassé était beaucoup plus impressionnant que ne l'était le vulgaire patrouilleur du lieutenant. Des centaines de soldats s'affairaient dans tous les sens à bord, mais la discipline était de mise. Cela avait plus l'air d'un balai magnifiquement organisé que d'une cohue dans un bazar animé. Achab mena la femme jusqu'à son immense cabine et alla s’asseoir derrière son bureau en l’invitant à prendre place elle aussi. Les yeux pétillants, telle une enfant, elle admirait l'endroit sans rien dire. Tout en écartant une carte, le militaire posa deux verres et sortit une bouteille de vin d'un tiroir.


« Je suis à la recherche d'un criminel. Il s'appelle Ishi Mosh. C'est un tueur de la pire espèce et je le traque depuis un moment déjà. Sans succès, dit-il avec amertume.


- Il me semble avoir déjà entendu parlé de lui. C'est un supernova, si ma mémoire est bonne.


- Qu'importe, ce n'est pas la question
, répondit-il en servant du vin dans les deux verres. Ma présence ici n'est pas un hasard. Je faisais justement voile vers ce repaire de contrebandiers quand je vous ai vu en péril. Mes sources indiquent que ma cible serait passée ici il y a quelques semaines. Je dois en connaître la raison et où il est parti après cela.


- Commodore, je ne vois pas bien en quoi mon aide vous serait utile. Les pirates que nous avons capturés nous ont affirmés qu'il n'y avait actuellement personne dans le repaire.


- Aucun humain, j'en conviens, mais ce ne sera pas un problème.


- Que voulez-vous dire ?


- L'idée m'est rapidement venue lorsque vous m'avez expliqué avoir acquis les pouvoirs du fruit du murmure.


- Vous voulez que j'interroge les possibles animaux sur place ?


- Bingo ! Vous êtes plus maligne que vous n'en avez l'air.


- Je ne sais pas si cela mènera quelque part, mais je vous aiderai avec plaisir.


- C'est tout ce qu'on peut demander à quelqu'un. Trinquons dans ce cas. »



L'homme prit son verre et le leva en attendant qu'Ambrosias ne fasse de même. Une fois la politesse d'usage effectuée, les deux militaires burent le délicieux spiritueux en gardant le silence. Le commodore n'étant pas du genre à perdre longuement son temps, il pressa ensuite la jeune femme de se mettre au travail. Elle le salua et quitta sa cabine pour retourner ensuite sur son propre navire. À bord, les réparations continuaient comme si de rien était. L'air paisible, Dario fumait une cigarette en admirant le Karaboudjan. Voyant sa supérieure revenir, il la salua d'un coup de menton.


« Alors ?


- On a du travail. Faites descendre une chaloupe à l'eau et mettez sur pied une petite équipe.


- Pas de repos pour les braves, hein ? »



Bien qu'elle ne lui répondit pas, la jeune femme laissa échapper l'un de ses rarissimes sourires. Ambrosias était heureuse de rendre service à un homme qui venait purement et simplement de lui sauver la vie. Sans lui, elle serait au fond de la mer à cette heure précise. Tandis que Dario s'activait, la jeune femme alluma l'un de ses cigares. Quand la chaloupe commença à descendre vers la surface bleue de l'eau, elle était bien sûr à bord. L'esquif ne comptait que cinq marins, en comptant le lieutenant et le sergent. Si l'endroit était effectivement désert, tout se passerait logiquement très bien. À première vue, il n'y avait vraiment pas de quoi s'inquiéter.



Protéger, Servir, Traquer
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La mer était calme et l'approche de la minuscule île servant de repaire de contrebandiers se fit en douceur. L'endroit ressemblait à un immense rocher aux parois effilées et entouré de récifs dangereux. Seule une petite entrée par la voie maritime était possible et permettait de pénétrer dans une grotte. Ambrosias trouvait l'expérience assez grisante. C'était la première fois qu'elle allait visiter en tel endroit. Malgré tout, elle restait sur ses gardes. Quand la chaloupe arriva, les marins furent ravis de voir que plusieurs trous dans la roche laissaient passer un peu de lumière, illuminant le repaire de manière naturelle. L'odeur frappa rapidement Ambrosias. L'endroit sentait mauvais, un mélange de marée basse et de crasse, saupoudré d'un peu de déjections humaines et animales. Fronçant les narines, elle fit traire au mieux son dégoût. L'esquif s'approcha de l'unique minuscule quai en bois de piètre qualité qui donnait sur la zone habitable. Il ne s'agissait en réalité que de caisses et tonneaux empilés avec de quoi faire un feu de camp et poser quelques paillasses. Il était évident que ce repaire n'était pas destiné à être une habitation, mais juste un point de passage. Comme le gouvernement connaissait visiblement son existence, il semblait avoir été en grande partie déserté. Une fois à terre, les marins constatèrent en effet que presque toute marchandise avait été évacuée. Il ne restait quasiment plus rien d'exploitable.


« Un trou à rats


- Sans les rats.


- C'est pas faux. Un trou à crabes alors.


- Où ça ?


- Juste là. »
désigna le sergent de l'index


La vétérinaire suivit la direction des yeux et vit qu'il y avait en effet un certain nombre de crustacés en train de traîner dans les parages. Certains essayaient de voler ce qui pouvait rester de nourriture, ce qui lui rappela les rongeurs. S'approchant lentement, elle fit malgré tout fuir plusieurs individus.


« Bonjour. »


Le plus gros des crustacés sursauta presque en se tournant vers elle. Il fit claquer ses pinces en reculant légèrement.


« Je ne vous veux aucun mal.


- Une humaine qui parle ?


- Je m’appelle Ambrosias.


- Moi c'est Clack !
dit-il fièrement en exhibant ses pinces.


- J'ai quelques questions à vous poser à toi et tes amis.


- Pas mes amis.


- Qui sont-ils alors ?


- Mes enfants, des ennemis, plein de monde.


- Tu sais quoi, je vous propose un marché, si tu réponds à mes questions et que tu m'aides à obtenir les réponses que je souhaite, je vous donne tout le poisson qu'on a à bord.


- Pardon ?!


- Chut !


- Tout le poisson ?


- La totalité.


- Parle, humaine.


- Très bien. Je cherche un homme-poisson qui serait passé ici il y a quelque temps. Il serait de la famille des cachalots, ça te dit quelque chose ?


- Hum... Non.


- Ah non ? Zut.


- Ce n'était pas un cachalot, c'était un requin.


- Tu en es sûr ?


- Parfaitement oui.


- Cela n'arrange pas mes affaires. Tu peux demander aux autres s'ils sont sûrs eux aussi ?


- D'accord. »



Son cigare toujours aux lèvres, la jeune femme regarda le crabe s'éloigner pour aller discuter avec ses congénères avant de sauter dans l'eau pour continuer son enquête. Dario la regardait avec désapprobation. Il était de notoriété publique qu'il adorait le poisson, aussi, savoir que les réserves du Placide allaient nourrir des crabes ne le mettait pas en joie du tout. Ambrosias haussa les épaules mine de rien qu'il n'y avait pas le choix de toute façon. Elle n'était pas une menteuse, si elle avait donné sa parole elle s'y tiendrait. Durant dix longues minutes, le crabe continua son tour de la grotte. Quand il revint, le cigare du lieutenant était presque terminé.


« Tout le monde est d'accord, c'était un homme poisson requin, pas un cachalot.


- Je vous remercie. Une fois revenue à bord, je vous jetterai les poissons à la mer.


- Génial ! »



Les uns après les autres, les crabes claquèrent des pinces pour montrer leur joie. Ambrosias sourit face à ce spectacle inattendu. Lorsqu'elle se retourna, elle vit que ses hommes étaient plus mesurés, en particulier le sergent Paracchini. Sans rien dire, elle leur tourna le dos et alla s’asseoir dans la chaloupe, intimant tacitement l'ordre de revenir au Placide. Le chemin du retour ne fut pas plus mouvementé qu'à l'allée, mais la jeune femme s'amusa de voir que les crabes suivaient l'embarcation du fond de la mer. Laissant sa main glisser sur la surface de l'eau, elle se rappela avec amertume que plus jamais elle ne pourrait nager. Une fois revenue à bord, elle donna l'ordre à Dario de jeter les poissons par-dessus bord et fut contrainte de s'y reprendre par trois fois tant sa résistance était grande. Malgré tout, l'homme accepta d'obéir et elle prit le chemin du Karaboudjan. Le commodore était toujours dans sa cabine et il l’accueillit rapidement. Son verre de vin n'était plus vide et il proposa à la militaire de la resservir, ce qu'elle refusa poliment.


« Eh bien, asseyez-vous.


- À vos ordres
, dit-elle en s'exécutant.


- Quelles nouvelles m'apportez-vous ?


- Il ne s'agissait pas d'Ishi Mosh.


- Comment pouvez-vous en être sûre ?


- L'endroit était presque désert, je doute que votre homme ait eu le moindre intérêt à venir ici.


- Ce n'est pas une preuve.


- Je sais, mais les crabes qui étaient sur place m'ont tous affirmé que si, en effet, il y a avait bel et bien un homme poisson qui était passé récemment, il s'agissait d'un requin et non d'un cachalot.


- Donc je dois me fier à la parole de vulgaires crabes ?


- Fiez-vous plutôt à la mienne. Commodore, vous m'avez envoyée sur place justement pour recueillir le témoignage des animaux. Pourquoi ne pas vouloir leur donner du crédit ?


- C'est du déni. Je sens bien que vous avez raison. Il ne semblait de toute façon pas très probable qu'Ishi Mosh soit passé par là. Qu'importe, il ne perd rien pour attendre. Je l'aurai un jour...


- C'est tout ce que je vous souhaite.


- Une dernière chose, lieutenant. Laissez-moi vos prisonniers.


- Commodore ?


- Votre navire a besoin de réparations et vous manquez de toute façon de place. Laissez-les-moi, ce sera le prix à payer pour vous avoir sauvé la vie.


- Je... À vos ordres.


- Parfait. J'espère que nos chemins se recroiseront à l'avenir.


- Moi de même, commodore. »



La jeune femme se releva de sa chaise, salua l'homme et prit congé. Sur son chemin de retour vers le Placide, elle rumina ce qui venait de se passer. Cet homme venait purement et simplement de lui voler sa prise. Il n’était peut-être pas si sympathique qu'elle le pensait. D'un autre côté, il était effectivement vrai que sans lui elle serait morte. Pour l'heure, elle ne savait trop quoi penser de tout cela. Pouvait-il être une façon de le payer pour son silence quant à l'acquisition rocambolesque de son fruit du démon ? Bien des questions se bousculaient dans la tête de la vétérinaire. Une fois revenue sur son bâtiment, elle donna l'ordre à son second de livrer les prisonniers.


« Quoi ?!


- Je suis fatiguée de toujours devoir le répéter, mais c'est un ordre.


- Bah bien, bien sûr, et puis je lui sers aussi un petit café ? Avec deux morceaux de mon cul ?


- Cessez d'être aussi vulgaire et débarrassez nous d'eux.


- Vous avez tort de vous laisser faire.


- C'est mon problème. »



Comme il aimait si bien le faire, le sergent soupira, mais finit par obéir. Dario était comme ça, c'était un sempiternel râleur, mais il n'avait pas mauvais fond. Une fois le transfert effectué, le Karaboudjan prit le large. Le Placide n'était cependant pas encore paré pour reprendre la mer et les réparations continuaient. Ambrosias alla s'isoler dans sa cabine. Elle vit avec dépit que celle-ci avait été assez durement touchée par les coups de canon mais décida qu'elle s'en accommoderait bien le temps de trouver un port digne de ce nom. S'allongeant sur son lit, elle ferma les yeux pour faire le point sur cette journée. Les événements s'étaient bousculés à une si grande vitesse qu'elle commençait seulement à les digérer maintenant. La jeune femme était à présent maudite par les flots mais elle avait gagné le pouvoir de communiquer avec les animaux. Comme Achab ou Dario l'avaient dit, cela ne lui servirait à rien au combat, mais pour elle, une femme si proche des bêtes, cela restait une véritable bénédiction. En dépit des inconvénients, elle n'arrivait pas à regretter cet accident. Pour la première fois depuis longtemps, elle pleura de joie.



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