Un jet d’eau asperge mon visage et me tire hors des brumes.
« Peuh ! »
Je recrache en toussant ce que je viens d’avaler de travers et mes yeux s’ouvrent péniblement. La pièce est sombre, trop sombre pour que mes yeux fatigués ne puissent distinguer quoi que ce soit de net. Dans l’ombre, une silhouette noire se dessine lentement et se dresse face à moi. Tandis que mes yeux s’accoutument lentement à l’obscurité, la douleur se réveille brutalement. Elle parcourt mon corps de long en large et chaque membre semble brisé, brûlé, tuméfié. La silhouette grossit et s’approche pas à pas, faisant glisser le cuir de ses chaussures sur la pierre froide. Un visage bien trop gros et bien trop carré apparaît sous mon nez. Malgré le manque de lumière qui m’empêche de reconnaître l’homme face à moi, je perçois de larges cicatrices qui fendent son visage, creusant en celui-ci des gouffres profonds.
« Encore en vie ? »
Je n’ai pas le temps de songer à une réponse que le revers de sa main s’écrase sur ma pommette, accompagné d’un rire gras comme pour se féliciter de son propre geste. La violence du coup me sonne et je me sens basculer vers l’avant de tout mon poids. Le bruit du fer et le roulement des chaines métalliques se font soudainement entendre. Mes bras sont tirés brutalement vers l’arrière et mon corps est retenu par les bracelets rouillés qui asphyxient mes poignets. La tension dans mes bras me semble encore plus douloureuse que la gifle. Je sens mes épaules fuir, à deux doigts de se disloquer. L’homme s’abaisse et me saisit la mâchoire de son épaisse main. Ses doigts calleux m’irritent les joues et la barbe hirsute qui les recouvre. Sa poigne se resserre et ma tête se relève sous la pression. De son autre main et du bout des doigts, il déplace soigneusement les longues mèches qui cachent mon visage. Une fausse délicatesse, dans le but de m’humilier un peu plus encore.
« Je n’pensais pas que tu réouvrirais les yeux, il aurait été préférable pour toi que tu n’assistes pas à ta mort. »
Mon instinct me somme de recouvrir sa face d’un crachat mais ma raison me conseille plutôt de préserver le peu de salive qu’il me reste et d’éviter d’être torturé stupidement.
« Où suis-je… ? »
Ma vue est floue, mon esprit est embrumé et le fait que je parvienne à rester conscient malgré la douleur qui m’assaille relève plus du miracle ou de l’instinct de survie que d’une infime once de lucidité. Je ne contrôle plus rien. Mon corps n’est plus qu’un fardeau à supporter et je suis bien trop faible pour penser correctement.
« Regarde-toi, tu me ferais presque pitié, rétorque l’homme. C’est bien toi le fier sabreur ? Plein de principes et armé d’une volonté de fer ? Tu croyais que ta petite vengeance resterait impunie ? Peut-être te pensais-tu invincible, invisible, ou bien…imprévisible ? Non mon ami, non… Nous avons des yeux partout sur cette île, nous en sommes les protecteurs. Et quand un homme vient réclamer du sang, s’en prend aux nôtres et à cette terre ancestrale, nous n’avons d’autre choix que de punir, voilà ce qu’il en coûte… « L’étranger ». Vois-tu, ça n’a pas été bien compliqué de mettre la main sur toi, et encore moins d’attraper cette saleté de requin qui te sert de bras droit. Hahaha, le pauvre errait désespérément à Anataka en attendant que son maître vienne le chercher. Quelle férocité ! Quelle rudesse dont il a fait preuve ! Il aura bien fallu envoyer une dizaine de mes meilleurs hommes pour en venir à bout. Mais surtout, ce qui m’a le plus impressionné, c’est sa loyauté envers toi. Un homme honorable pour sûr. »
Vengeance ? L’étranger ? Bras droit ? Anataka ? Tout se mélange dans ma tête et je préférerais qu’elle explose sur-le-champ plutôt que d’avoir à supporter une seconde de plus cette horrible migraine. Les mots vont et viennent dans mon esprit mais plus ils se répètent, plus ils prennent de sens. Tout à coup, comme un éclair, je me sens comme transpercé par l’évidence et tout semble s’éclaircir subitement. Je me souviens… Le sable d’Hinu Town, notre fuite, le corps de mon père au sol, trahit par ceux à qui il avait accordé sa confiance. Je me souviens… ce soir-là, les cris de ma mère déchirant la nuit et les chaines dont on la ceignit. Mais surtout, je me souviens du symbole qu’arboraient ceux qui nous ont trahis et qui nous ont vendus ma mère et moi. Un soleil orangé… l’Ordre du temple des sables. Depuis le jour où j’ai retrouvé ma liberté, mon objectif n’a pas changé : obtenir vengeance et retrouver ma mère. Après toutes ces années, j’ai atterri sur Hinu Town avec Jayce à mes côtés. Je me souviens lui avoir confié une mission : rejoindre la capitale Anataka et récolter des informations sur nos ennemis. Quant à moi, avec l’aide d’une bande d’aventuriers, j’avais réussi à donner le premier coup de poignard à l’Ordre en éliminant un membre éminent de la secte. Un des « apôtres », les types qui dirigent l’organisation. Des chefs, certes, mais qui ne sont en réalité que des pantins obéissant aveuglement à celui qu’ils nomment « sa Sainteté », l’homme qui tire les ficelles : Abu Mussa. Le meurtrier de mon père.
Après avoir abattu l’apôtre, j’avais laissé une note sur son cadavre, ou plutôt un avertissement, une menace à l’encontre de l’Ordre que j’avais signé du nom de « L’étranger ». Car c’est ce que j’incarnais. Un inconnu frappant dans l’ombre et dont les ennemis ignoraient l’identité et les motivations. Jusqu’à présent…
Désormais, tout est limpide. Mes plans ont lamentablement échoué et ce cachot dans lequel je croupis appartient à l’Ordre. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis retenu prisonnier ici, ni combien de temps j’ai été inconscient. Mais au vu de l’épaisse barbe qui orne mes joues et de l’étrange sentiment de renaissance qui me traverse, cela doit se compter en mois, sans l’ombre dans doute. Bon sang.
« J-Jayce… »
Le souvenir de mon ami résonne dans ma tête. J’ai envoyé mon camarade en plein danger pour servir mes propres intérêts et je n’ose imaginer ce qu’il a du subir par ma faute. Il n’y a rien qui ne me réchaufferait plus le cœur que de le revoir sain et sauf. Mon esprit se tord de douleur en songeant aux tortures qu’il a du affronter et savoir qu’il a gardé le silence pour me protéger me glace encore plus le sang. M’interrompant dans mes réflexions, le balafré m’assène un coup encore plus violent que le précédent, cette fois-ci avec le poing fermé. Ma tête vacille, mes yeux roulent et j’ai l’impression c’est toute la pièce qui perd l’équilibre. L’homme semble à la fois satisfait et énervé de me voir reprendre mes esprits.
« En revanche, c’est pour moi une très bonne chose que tu te sois réveillé gamin. Sa Sainteté m’a ordonné de vous tirer les vers du nez à toi et ton camarade. Alors tu vois, je suis cloîtré ici à m’occuper de vous depuis trop longtemps. Trop longtemps que j’essaye de faire cracher le morceau à ce putain de requin. Sa Sainteté ne me laissera pas tranquille tant que je n’en aurai pas plus appris sur vos identités et sur vos motivations. On ne s’attaque pas à notre Ordre impunément, votre châtiment servira d’exemple à ceux qui tenteraient de s’en prendre à nous et aux vestiges de Denderah. Donc, mon garçon, je te le garantis, tu vas parler. »
« Peuh ! »
Je recrache en toussant ce que je viens d’avaler de travers et mes yeux s’ouvrent péniblement. La pièce est sombre, trop sombre pour que mes yeux fatigués ne puissent distinguer quoi que ce soit de net. Dans l’ombre, une silhouette noire se dessine lentement et se dresse face à moi. Tandis que mes yeux s’accoutument lentement à l’obscurité, la douleur se réveille brutalement. Elle parcourt mon corps de long en large et chaque membre semble brisé, brûlé, tuméfié. La silhouette grossit et s’approche pas à pas, faisant glisser le cuir de ses chaussures sur la pierre froide. Un visage bien trop gros et bien trop carré apparaît sous mon nez. Malgré le manque de lumière qui m’empêche de reconnaître l’homme face à moi, je perçois de larges cicatrices qui fendent son visage, creusant en celui-ci des gouffres profonds.
« Encore en vie ? »
Je n’ai pas le temps de songer à une réponse que le revers de sa main s’écrase sur ma pommette, accompagné d’un rire gras comme pour se féliciter de son propre geste. La violence du coup me sonne et je me sens basculer vers l’avant de tout mon poids. Le bruit du fer et le roulement des chaines métalliques se font soudainement entendre. Mes bras sont tirés brutalement vers l’arrière et mon corps est retenu par les bracelets rouillés qui asphyxient mes poignets. La tension dans mes bras me semble encore plus douloureuse que la gifle. Je sens mes épaules fuir, à deux doigts de se disloquer. L’homme s’abaisse et me saisit la mâchoire de son épaisse main. Ses doigts calleux m’irritent les joues et la barbe hirsute qui les recouvre. Sa poigne se resserre et ma tête se relève sous la pression. De son autre main et du bout des doigts, il déplace soigneusement les longues mèches qui cachent mon visage. Une fausse délicatesse, dans le but de m’humilier un peu plus encore.
« Je n’pensais pas que tu réouvrirais les yeux, il aurait été préférable pour toi que tu n’assistes pas à ta mort. »
Mon instinct me somme de recouvrir sa face d’un crachat mais ma raison me conseille plutôt de préserver le peu de salive qu’il me reste et d’éviter d’être torturé stupidement.
« Où suis-je… ? »
Ma vue est floue, mon esprit est embrumé et le fait que je parvienne à rester conscient malgré la douleur qui m’assaille relève plus du miracle ou de l’instinct de survie que d’une infime once de lucidité. Je ne contrôle plus rien. Mon corps n’est plus qu’un fardeau à supporter et je suis bien trop faible pour penser correctement.
« Regarde-toi, tu me ferais presque pitié, rétorque l’homme. C’est bien toi le fier sabreur ? Plein de principes et armé d’une volonté de fer ? Tu croyais que ta petite vengeance resterait impunie ? Peut-être te pensais-tu invincible, invisible, ou bien…imprévisible ? Non mon ami, non… Nous avons des yeux partout sur cette île, nous en sommes les protecteurs. Et quand un homme vient réclamer du sang, s’en prend aux nôtres et à cette terre ancestrale, nous n’avons d’autre choix que de punir, voilà ce qu’il en coûte… « L’étranger ». Vois-tu, ça n’a pas été bien compliqué de mettre la main sur toi, et encore moins d’attraper cette saleté de requin qui te sert de bras droit. Hahaha, le pauvre errait désespérément à Anataka en attendant que son maître vienne le chercher. Quelle férocité ! Quelle rudesse dont il a fait preuve ! Il aura bien fallu envoyer une dizaine de mes meilleurs hommes pour en venir à bout. Mais surtout, ce qui m’a le plus impressionné, c’est sa loyauté envers toi. Un homme honorable pour sûr. »
Vengeance ? L’étranger ? Bras droit ? Anataka ? Tout se mélange dans ma tête et je préférerais qu’elle explose sur-le-champ plutôt que d’avoir à supporter une seconde de plus cette horrible migraine. Les mots vont et viennent dans mon esprit mais plus ils se répètent, plus ils prennent de sens. Tout à coup, comme un éclair, je me sens comme transpercé par l’évidence et tout semble s’éclaircir subitement. Je me souviens… Le sable d’Hinu Town, notre fuite, le corps de mon père au sol, trahit par ceux à qui il avait accordé sa confiance. Je me souviens… ce soir-là, les cris de ma mère déchirant la nuit et les chaines dont on la ceignit. Mais surtout, je me souviens du symbole qu’arboraient ceux qui nous ont trahis et qui nous ont vendus ma mère et moi. Un soleil orangé… l’Ordre du temple des sables. Depuis le jour où j’ai retrouvé ma liberté, mon objectif n’a pas changé : obtenir vengeance et retrouver ma mère. Après toutes ces années, j’ai atterri sur Hinu Town avec Jayce à mes côtés. Je me souviens lui avoir confié une mission : rejoindre la capitale Anataka et récolter des informations sur nos ennemis. Quant à moi, avec l’aide d’une bande d’aventuriers, j’avais réussi à donner le premier coup de poignard à l’Ordre en éliminant un membre éminent de la secte. Un des « apôtres », les types qui dirigent l’organisation. Des chefs, certes, mais qui ne sont en réalité que des pantins obéissant aveuglement à celui qu’ils nomment « sa Sainteté », l’homme qui tire les ficelles : Abu Mussa. Le meurtrier de mon père.
Après avoir abattu l’apôtre, j’avais laissé une note sur son cadavre, ou plutôt un avertissement, une menace à l’encontre de l’Ordre que j’avais signé du nom de « L’étranger ». Car c’est ce que j’incarnais. Un inconnu frappant dans l’ombre et dont les ennemis ignoraient l’identité et les motivations. Jusqu’à présent…
Désormais, tout est limpide. Mes plans ont lamentablement échoué et ce cachot dans lequel je croupis appartient à l’Ordre. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis retenu prisonnier ici, ni combien de temps j’ai été inconscient. Mais au vu de l’épaisse barbe qui orne mes joues et de l’étrange sentiment de renaissance qui me traverse, cela doit se compter en mois, sans l’ombre dans doute. Bon sang.
« J-Jayce… »
Le souvenir de mon ami résonne dans ma tête. J’ai envoyé mon camarade en plein danger pour servir mes propres intérêts et je n’ose imaginer ce qu’il a du subir par ma faute. Il n’y a rien qui ne me réchaufferait plus le cœur que de le revoir sain et sauf. Mon esprit se tord de douleur en songeant aux tortures qu’il a du affronter et savoir qu’il a gardé le silence pour me protéger me glace encore plus le sang. M’interrompant dans mes réflexions, le balafré m’assène un coup encore plus violent que le précédent, cette fois-ci avec le poing fermé. Ma tête vacille, mes yeux roulent et j’ai l’impression c’est toute la pièce qui perd l’équilibre. L’homme semble à la fois satisfait et énervé de me voir reprendre mes esprits.
« En revanche, c’est pour moi une très bonne chose que tu te sois réveillé gamin. Sa Sainteté m’a ordonné de vous tirer les vers du nez à toi et ton camarade. Alors tu vois, je suis cloîtré ici à m’occuper de vous depuis trop longtemps. Trop longtemps que j’essaye de faire cracher le morceau à ce putain de requin. Sa Sainteté ne me laissera pas tranquille tant que je n’en aurai pas plus appris sur vos identités et sur vos motivations. On ne s’attaque pas à notre Ordre impunément, votre châtiment servira d’exemple à ceux qui tenteraient de s’en prendre à nous et aux vestiges de Denderah. Donc, mon garçon, je te le garantis, tu vas parler. »