FB: Sur les flots, quelque part. [PV: Jack Sans Honneur]

-Alors, bordel, il arrive ce cocktail? »


Il faisait beau, il faisait chaud, mais une douce brise venait rafraichir le fond de l'air. L'océan était calme, le navire tanguait lentement sur les vaguelettes qui venaient frapper la coque. Affalé sur une chaise à dossier penché, Noah profitait de pouvoir se la couler douce. Trois jours avaient passés depuis qu'il avait embarqué avec la famille Cruz. Ces derniers étaient composés de Gueule d'endive 1, le père, Gueule d'endive 2, le fils, Penelope, la mère, et Eva, la fille. Les deux premiers avaient respectivement la quarantaine et la vingtaine, environ. Enfin, c'est ce qu'estimait le pirate, mais étant donné qu'il se foutait royalement de leur vie, il n'avait pas creusé la question plus en profondeur. En revanche, en... « profondeur », il y avait été avec Penelope et Eva. La première avait 39 ans, la seconde 19. Elles étaient toutes les deux pas bien grandes, mates de peau, brunes, aux yeux noirs... Fines et de belles rondeurs là où il faut. Tout ce qui plaisait au colosse, quoi. C'est en les voyant embarquer sur ce navire qu'il avait décidé de faire un bout de voyage avec eux.


Il ne leur avait pas vraiment laissé le choix, à vrai dire. Junior était monté sur le pont à leur suite avant qu'ils n'aient le temps de relever la passerelle d'embarcation. Puis il avait poussé cette dernière à l'eau, attrapé la fille d'un bras, sa gorge de la main, et lancé à la petite famille qui semblait partie pour une petite virée en mer :


-Si y'en a un qui crie, j'met la tête de la p'tite dans un sens où elle pourra voir elle-même son joli p'tit cul. J'veux pas un mot, pas une protestation. Maint'nant, les gueules d'endives, faites moi bouger c'rafiot avant qu'les gens autour trouvent ça louche. Et souriez. Faut qu'y croient qu'on part tous ensemble pour s'amuser. »


Il enlaça un peu plus étroitement la jeune fille et l'embrassa dans le cou. On le prendrait facilement pour son fiancé. Bon, l'écart d'âge était plutôt important, mais ce n'était pas si important, ça arrivait. Après quoi, les deux hommes de la famille, quoique l'air nerveux et fébriles malgré leurs sourires forcés, mirent les voiles et ils quittèrent la petite île touristique sur laquelle ils vivaient. Le Fringuant était un rafiot de plaisance, fait pour les petites familles aisées qui aimaient les promenades en mer. Il n'était pas bien grand, mais suffisamment tout de même pour qu'on y trouve une cuisine, un garde manger, et une cabine pour quatre. Cabine que le géant s'empressa d'ailleurs d'essayer avec Penelope, puis Eva, puis les deux, lorsqu'il fut suffisamment loin de la côte pour être sûr que les deux autres ne feraient pas demi-tour pendant qu'il ne les surveillait pas. Oh bien sûr, tout ne fut pas si simple. Gueule d'endive 1 et Gueule d'endive 2 essayèrent bien de maîtriser le géant qui les avait agressé quand il lâcha enfin son otage, mais une paire de claques bien dosées, et ils finirent par se dire que finalement, s'il suffisait de naviguer et de ne pas entendre les bruits venant de la cave pour ne pas se faire arracher les dents une à une, sans parler du reste de l'anatomie, et ce seulement jusque la prochaine île, bah c'était pas si terrible finalement, hein.


Bref, trois jours plus tard, il était tranquillement sur le pont à profiter du beau temps en picolant. Ca aurait pu être parfait, sans deux fâcheux détails. D'abord, seules les femmes de la famille Cruz buvaient, - « Des tafioles, ces gueules d'endives! » - et elles buvaient exclusivement des cocktails fruités. Ni rhum, ni bière sur ce fichu bateau. Pas une seule vraie boisson de pirate quoi. Enfin bon, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Noah s'en contenta, et les deux jeunes femmes, quand elles ne passaient pas leur temps avec lui en cabine, lui préparaient ces breuvages dans de petits verres à pied – ridiculement fragiles. Il en brisa quatre rien qu'en les serrant trop fort. - avec une olive sur un cure-dent à l'intérieur et une petite ombrelle pour faire bien. Le géant se sentait ridicule à boire ce genre de choses, et avait bien du mal avec ses grandes paluches à les tenir correctement. A cela venait s'ajouter les nuages sombres qui s'amoncelaient à l'horizon. Une tempête se préparait. Bon, à cette distance, il y avait encore l'espoir qu'elle ne se dirigeait pas dans leur direction. C'était difficile à dire. Mais très honnêtement, le forban n'y croyait pas trop. Il avait suffisamment d'expérience pour savoir quand l'océan décidait que tout était trop beau et qu'il fallait que vous vous en preniez un peu dans la tronche. Bon, ce ne serait pas le premier grain qu'il essuierait lui-même, mais Junior n'était pas certain que les deux hommes Cruz aient autant d'expérience que lui. Si leur navire devait effectivement en passer par cette perturbation, le géant devrait les aider. Et puis merde quoi! Cela ne faisait que trois jours qu'il pouvait se la couler douce en se prenant pour un nanti avec tous les services et serviteurs qui allaient avec, qu'il devrait déjà se remettre au boulot. Enfin, il avait encore le temps d'en profiter un peu, si cela devait effectivement arriver.

-Eva! Laisse tomber le cocktail et attends moi dans la cabine. J'vais pisser un coup et j'te r'joins. »


* * * * * *

Deux heures plus tard, Noah remonta sur le pont. Le vent avait forci, tout comme la houle. Les vagues étaient hautes à présent, les nuages sombres les recouvraient, comme si le dieu de la foudre les bordait en leur promettant de doux cauchemars. Le géant se gratta la barbe, estima qu'il avait encore un peu de temps avant d'entrer au cœur de la tempête et retourna s'affaler sur sa chaise.


-Penelope! Va m'chercher un autre cocktail. Eva est pas en état. Puis va te planquer à l'intérieur. Les gueules d'endive, vous restez, et vous écouterez bien c'que j'vous dirais quand j'vous r'joindrais. On va essayer d'pas finir par le fond à nourrir la poiscaille. Mais en attendant, j'ai soif!»


En leur adressant ses ordres, le pirate remarqua que les trois Cruz restés sur le pont pendant son absence échangeaient des regards furtifs. Bizarre... Quand Penelope lui apporta sa boisson, elle jeta, brièvement mais très clairement, un regard vers les flots, derrière lui. A bien y regarder, les deux hommes regardaient souvent dans la même direction.


-P'tain, vous r'gardez quoi? »


Rien lui assurèrent-ils. Le colosse se leva et jeta un œil dans la même direction. Pile au même moment, une vague plus grande que les autres encore lui masqua l'embarcation qui approchait, et dont la petite famille espérait qu'elle apportait du secours. Aussi Noah haussa-t-il les épaules avant de retourner s'asseoir en sirotant son cocktail. Il resta ainsi un bon quart d'heure, à sentir le vent lui souffler de plus en plus fort dans les poils. Quand finalement la pluie commença à tomber, il se dit qu'il était temps de s'y mettre. Surtout que les deux gueules d'endives semblaient de plus en plus dépassés par la vigueur des éléments. C'est en étant à nouveau debout que le pirate remarqua le jeune homme en train d'enjamber la balustrade arrière du navire. Il cligna des yeux une ou deux fois, haussant les sourcils.


-Mais bordel, d'où il vient c'lui là? »


C'est vrai quoi, depuis quand les gens apparaissent de nulle part comme ça, au beau milieu de l'océan? Bordel, il l'aurait vu approcher tout de même! Alors comment... Oh et puis merde! Réfléchir à tout ça, c'était trop fatiguant pour le vieux marin. Tout ce qui comptait, c'était qu'il ne voulait de personne d'autre à bord de son rafiot. C'était ses donzelles, et ses serviteurs. Il n'en avait pas besoin d'un autre. Déjà que deux hommes à bord, ça l'ennuyait. Enfin, il fallait reconnaître que sans eux, il aurait été un bien ennuyé. Ce navire ne pouvait pas être dirigé par une seule personne. Bref, tout de même, ce n'était pas une raison pour en accepter un nouveau. Le pirate allait balancer rapidement cet intrus à la flotte, puis s'occuperait d'affronter le grain qui approchait de plus en plus. Le vent et la pluie avaient encore forcis. Noah marcha donc en direction du jeune homme en le dominant de toute sa taille, cherchant à l'impressionner.


-Ecoute gamin, j'sais pas d'où tu viens, mais t'as intérêt à y retourner vite fait si tu veux pas que j'te serve en steak haché aux requins. »


Dernière édition par Noah J. Siegfurson le Mar 16 Aoû 2011 - 19:04, édité 1 fois
    Sont des trucs qu'arrivent, j'me dis. Des trucs qu'tu peux pas piffer d'avance, et qu'font tout foirer. Après c'est la dèche, le bousin. L'inverse de c'qu'était prévu. Ouais... c'sont des trucs qu'arrivent à tout l'monde.

    Comme prendre une idée d'chiotte pour un éclair d'génie. Pour parler d'moi. Faut r'mettre la scène: c'tait y a deux jours. Une p'tîte ville, sur un p'tite île. Avec un p'tit bar. Et grand clampin d'dans. Pas b'soin d'préciser qui est l'clampin... J'avais traîné les pattes toute la journée dans l'coin. J'avais quadrillé les rues. Pour finir par r'pérer un comptoir d'liqueur. Le genre costaud, qu'sent l'pognon facile. L'coup idéal. Manquait plus qu'à l'ouvrir au soir. L'gros du boulot était d'jà presqu'fait, quoi. J'ai r'joint un bar, pour travailler sur l'enroule, y réfléchir. Après trois pintes, j'avais la soluce: j'allais défoncer la porte. Du beau travail. J'avais tout réglé. J'étais d'jà riche, tellement c'tait facile. J'ai commandé une aut' bière.

    L'soir est tombé, c'tait l'heure. Fallait y aller. Mon pognon m'attendait. Et j'avais une note au bar d'tous les diables. M'sui l'vé et l'barman a gueulé. Voulait qu'j'paye direct. J'lui ai dit:

    J'vais la régler ta note! L'temps d'un r'trait chez l'envapeur. Parole.


    J'tais sincère. J'crois. Mais l'a continué à brailler. Et j'ai tarté. Lui, puis l'pecnot qu'm'a sauté d'ssus. Un autre et un autre encore. La général quoi. Un ch'min s'est tracé à coup d'taloches. J'me suis carapté, direction l'pognon. L'comptoir à liqueur. C'tait désert, pas un chat. J'ai cogné l'bois d'l'entrée. La porte à céder rapide, comme prévu dans l'plan. Tout m'tendait les bras.

    Mais non, en fait. Parce qu'un pékin du bar a rameuté la Mouette. 'pparemment, y avait une base sur l'île... J'l'avais pas calculée. Et comme un crabe, j'avais bavé l'adresse d'mon coup. Quel blaire. J'tais occupé d'charger qu'les p'tits bleus débarquaient. La masse. Et moi qu'étais raide. Me suis tiré, les mains pleines d'ce qu'je pouvais chopper. Pas grand chose... M'suis faufilé. Quelques pains, du cache-cache, une barque au port, et j'tais parti sur les flots. Avec l'butin. Quatres plaques* plus douze bouteilles. Une caisse quoi. La bonne fête.

    Y a deux jours donc. Et j'y suis toujours. Sur les flots. C'est plutôt mal barre. Une nuit pour vider l'stock. Une journée à pioncer. Et m'voilà nulle part. A moitié mort. Rien dans les poches, à part l'pognon... T'as d'jà essayé d'bouffer du pognon? Plus, l'ciel est pas beau. Des gros trucs noirs au loin. J'ai d'jà changer l'cap. Mais l'sale temps m'rattrape. J'risque d'me l'farcir très bientôt. Une bonne grosse tempête. Dans une barque. Fendard.

    En gros, j'ai l'choix. Soit j'prie Dame chance, soit j'espère qu'la tempête s'dissipe... Mais c't'un peu velu comme choix. Y a un truc qui coince... Arf tant qu'à rien foutre, mieux vaut pieuter. Envie d'un verre et ça m'tape sur le système. Parce qu'y a plus. De verre. L'sommeil résoudra l'manque. Alors j'me laisse aller sur la planchette, au r'pos. Les mains qui pendouillent au milieu des cruches vides. La barque tangue d'plus en plus. Les vagues d'viennent sauvages... Dèche.

    Mais là, cadeau! Ma main s'bouffe un cadavre d'bouteille plus lourd qu'les autres. T'sais bien c'que ça veut dire mon bon Jack! Tu vas p't'être crever, mais t'sera pas sobre! Me faut pas trois s'condes pour lamper tout l'liquide oublié. L'en restait moitié! Rhâ la bonne vie! Et comme Dame chance m'trouve plutôt sex', elle m'envoie une nouvelle surprise! Elle mouille là, à cinq ou six lieues droit d'vant. Un joli bateau. Mon salut. Tant d'pot d'un coup, j'vais faire un bonne action pour l'coup, tiens! Ça l'vaut.

    Rame, rame, rame. Jusqu'au bout d'bois. Et m'voilà qu'prend l'rafiot par l'arrière. Comme ça. J'grimpe la bête, heureux comme une pomme. Une fois l'panard sur l'pont j'balance:

    Bonne nouvelle les charlots, j'viens vous ranço...


    Mais on m'coupe.

    Ecoute gamin, j'sais pas d'où tu viens, mais t'as intérêt à y retourner vite fait si tu veux pas que j'te serve en steak haché aux requins.

    L'type m'stoppe en plein élan. Moi qu'suis d'humeur jovial. Prêt pour d'joyeux pillages. Arf! Du haut d'ses deux mètres et plus, l'zig est pas av'nant. Une masse. La gueule de baroudeur. L'type qu'a vécu, et pas qu'du bon coté. Genre moi en vieux et en moins beau. A la gueule d'la coque d'noix, il l'a truandée. Sont pas assortis. L'idée d'le casser m'effleure mais j'me r'tiens. 'Ai promis une bonne action. On va négocier...

    T'brailles fort l'vieux... J'aime pas ça, mais j'suis dans un bon jour. Y a une tempête en plein qu'se prépare et j'ai mon compte niveau poisse. Alors choisis vite: t'nages ou t'partages?


    L'a pas l'air d'aimer. Pas l'habitude, pour sûr... Y m'agite un poing-pavé d'vant l'pif, façon casseur.

    Ah ouais, et comment qu'tu comptes m'forcer, gamin? C'est mon rafiot, j'partage pas. J'suis un pirate bordel, c'est pas moi qui vais m'faire aborder! Alors décarre de là vite fait si tu veux pas prendre des gnons.


    Garder l'calme... Négocier. Encore un peu...

    Tu m'courres, le débris. J'suis là, j'y reste. Avec où sans ta vieille tronche! T'es autant à ta place sur c'te coque de friqués qu'un étronc sur une plat clinquant! Oublies pas qui rançonne ici!


    Bordel gueule d'endive, ma place elle est là où j'dis qu'elle est! Et c'te coque de friqués, j'l'ai rançonnée le premier bordel! Donc dernier avertissement, vire de là ou la baffe que j'vais te mettre te fera voler si haut et tourner si fort que les plongeurs olympiques pourront aller se rhabiller!


    Papy veut rien griller. L'est bouché. Et confiant. S'rend pas compte qu'y bave p't'être ses dernières conneries.

    C'est quoi c't'argument à deux berry? .. OK. J'tais tranquille mais là, j'vais prendre plaisir à t'casser les pattes. Puis j'regard'rai comment tu nages.


    J'suis un type d'parole. Pour c'genre d'promesses en tout cas. Ma patte s'arme d'elle-même. A l'instinct. Mais j'stoppe. Mes mires viennent d'capter quatre pélots qui cavalent. Et qu'sautent par-dessus bord.

    Vont où eux?


    Qu'j'laisse tomber. Comme mots. 'Fin j'me comprends. Le type lui comprend qued'. Y s'met à brailler d'plus belle.

    Mais putain! Mais putain mes donzelles! Mais mes donzelles se barrent à cause de toi, foutu bougre de putain de con! Et mes serviteurs aussi! Mais... Mais putain mes donzelles merde!


    Haha! T'verrais sa tronche. Plus sombre qu'le ciel.

    ----

    La tempête a d'la gueule, pour sûr. Une vrai merde. Les vents sont dingues. Idem pour les vagues. C'est tombé d'un coup. Classique. La flotte fouette la gueule. L'océan veut crever l'rafiot. Et l'autre zig est toujours là. L'est à la barre. L'a pas eu l'choix. Idem pour moi. Alors qu'j'tente d'rentrer la voile, d'pas passer par l'bord, j'pense aux quatre clampins qu'ont sauté à la flotte. Z'ont ramé vite, sur la barquette. Sont parti loin. Sur les hautes vagues. Les sauvages. ... Quatre. Sur une barque. Les crétins.




    *Minos, bon truc la note d'bas d'page. Mais j'vais la jouer juste pour les infos. Une plaque donc, c'est 1000 berry. Quatre plaques? faites le calcul. Comme ça vous savez maint'nant.


    Dernière édition par Jack Sans Honneur le Lun 22 Aoû 2011 - 14:47, édité 1 fois
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    Non pas moyen. Plus il regardait le marin d'eau douce qui lui faisait face, plus Noah avait du mal à croire qu'il avait pu se glisser à bord de son navire si facilement. C'était pas le genre discret, le nouveau venu. Grand, même si pas autant que le pirate, et marqué comme ceux qui ont prit plus de coups que leur part dans leur vie. Et puis cet air haineux de ceux qui en ont distribué au moins autant. Le genre de types qu'on repère de loin et qu'on évite, quoi. Le genre que le colosse aimait bien fréquenter les soirs soirs de beuverie. Mais pas là, pas maintenant. C'était son petit coin de paradis à lui, ce rafiot, bordel! Et puis en plus, il était de mauvaise humeur. Dire non, ça défoulait. Et il avait rarement besoin d'une autre raison que l'impulsion du moment pour se décider. Bref, le chiard qui s'était ramené était visible à des lieux à la ronde. Et pourtant, le vieux marin ne l'avait pas vu approcher. Soit il se faisait vieux, soit il était inactif depuis trop longtemps. Se faire surprendre comme ça sur Grand Line, c'était la mort assurée... Enfin, il n'était pas temps de se perdre en remords. Surtout que c'était pas le genre de la maison. Non il fallait se débarrasser du visiteur. Mais apparemment, celui-ci avait bien l'intention de rester.


    -T'brailles fort l'vieux... J'aime pas ça, mais j'suis dans un bon jour. Y a une tempête en plein qu'se prépare et j'ai mon compte niveau poisse. Alors choisis vite: t'nages ou t'partages? »


    Il fallait avouer qu'il avait un certain aplomb, pour tenir tête à Junior de cette façon. Ils étaient rares, les types qui osaient même le contredire. Mais bon, c'était sans doute de l'esbroufe. Ca arrivait souvent. Peut-être qu'en en rajoutant une bonne couche... Mais non, même en le menaçant d'un peu plus près, l'autre ne bronche pas. Au contraire même, il prétend qu'il veut rançonner le forban. Alors là il y a vraiment de quoi rire. C'quand même pas le chiot qui allait apprendre au pivert à faire des singeries! Enfin un truc comme ça quoi. Noah décida donc d'être un peu plus clair en y mettant bien les formes. Dernier avertissement, après, il le foutait par dessus bord. C'était qu'il pleuvait comme vache qui pisse à présent et que le vent hurlait comme le Gros Billy quand il avait mangé du chili et que les chiottes du Merlan Parfumé étaient occupés. Et il valait mieux qu'il y ait quelqu'un à la barre. Si le pirate pouvait gagner du temps en obligeant le gamin à déguerpir de lui-même, ce serait déjà ça de prit. Mais non.


    -C'est quoi c't'argument à deux berry? .. OK. J'tais tranquille mais là, j'vais prendre plaisir à t'casser les pattes. Puis j'regard'rai comment tu nages. »


    L'autre s'apprête à charger. Finalement, il a réellement du cran. Bon, il est un peu idiot, mais au moins, c'est pas une tafiole. Noah se prépare à riposter – après tout, pourquoi dire non quand on vous réclame une petite correction? Et puis comme dit le proverbe, « une bonne bagarre, c'est toujours bonnard! » - quand il aperçoit un mouvement du coin de l'œil. Le gamin en face de lui aussi apparemment, puisqu'il s'arrête.


    -Vont où eux? »


    Embarqués sur la coque de noix dans laquelle est arrivé le pirate – le jeune – toute la famille Cruz est en train de ramer vers sa liberté. Enfin, c'est ce qu'elle croit, puisque vu la force du grain qui est presque sur eux à présent, ils ne risquaient pas d'aller bien loin. Junior s'approcha du bastingage et s'y accrocha comme si sa vie en dépendait, tout en regardant, effaré, Penelope et Eva s'enfuir.


    -Mais putain! Mais putain mes donzelles! Mais mes donzelles se barrent à cause de toi, foutu bougre de putain de con! Et mes serviteurs aussi! Mais... Mais putain, mes donzelles, merde! »


    Mais merde quoi! Pour une fois qu'il avait la belle vie, pépère sur son bateau avec deux p'tites femmes pas dégueues rien que pour lui, il fallait que tout ça tombe à l'eau. Et au sens propre, puisque le pirate pu voir une lame plus grande que les autres retourner la barque dans laquelle les Cruz s'étaient embarqués. Aucun ne remonta à la surface.


    * * * * * *

    La tempête les accompagna plusieurs heures. Les deux hommes s'étaient mit d'accord pour partager Le Fringuant. Un accord tacite, ils n'avaient pas vraiment le choix. Aucun homme seul n'aurait pu manœuvrer ce type de vaisseau. Noah gagna la barre. Il avait rarement connu un typhon aussi violent. Les vagues montaient jusque sur le pont. La pluie tombait si drue qu'elle formait un rideau à travers lequel on ne voyait pas à dix mètres devant soi. Elle vous fouettait plus fort que la p'tite Helena du bordel La Rose Fleurie. Et pourtant, elle y allait pas de main morte, la gamine! Trempés et balayés par les rafales toujours plus puissantes, les deux hommes durent subir un froid glacial. Le navire n'était plus rien d'autre qu'une coquille de noix dans une piscine à vague. Le roulis auraient donné la gerbe à plus d'un marin expérimenté. Au début, le vieux pirate tenta bien de donner des directives au jeune qui l'accompagnait. Mais il se rendit vite compte que c'était inutile. D'abord, parce que le bruit conjugué du tonnerre, du vent, des vagues et de la pluie couvrait leurs voix, qu'importe avec quelle force ils hurlaient. Ensuite, parce que le gamin s'en tirait très bien. Il savait quoi faire, et le faisait d'une main experte. Il devait avoir pas mal d'expérience dans la navigation, pour s'en tirer aussi bien. Le forban eut un sourire appréciateur.


    Puis, comme Helena quittait la pièce une fois qu'elle avait terminé son office, la tempête les quitta, presque aussi rapidement qu'elle était arrivée. Le vent commença par faiblir, puis la pluie torrentielle se clairsema. Les nuages noirs d'encre s'éclaircirent. Les lames de fonds perdirent en taille, et finalement, tout redevint calme. Le calme après la tempête existe aussi, oui. L'océan devint presque d'huile, les nuages s'écartèrent pour laisser un peu de place à quelques coins de ciel rougeoyant. L'orage avait duré toute la journée. Sur le pont, le jeune se laissa tomber contre le bastingage, épuisé. Junior n'allait guère mieux. La barre le soutenait plus qu'il ne la tenait. Il était perclus de courbatures, d'avoir dû lutter contre les courants pendant des heures. Il inspira profondément, puis lâcha le gouvernail, et s'étira. Puis, d'une démarche pesante, le colosse descendit sur le pont, puis disparut par la porte qui menait à la cabine et à la cuisine.


    Il trouva rapidement ce qu'il cherchait. Une bouteille de rhum, bien entamée. Celui que ses donzelles lui servaient mélangé à du jus de fruit. Il se demanda comment il avait pu ne pas penser à leur demander de le lui servir seul. Bah! C'était un peu tard de toutes façons. Remontant sur le pont, il vint s'asseoir dos au mat, en face de son compagnon de fortune. Il but une lampée d'alcool, puis lança la bouteille au jeune.


    -Tu t'es bien démerdé, gamin. » Il afficha un sourire en coin. « Tu navigues depuis longtemps? »
      La mer peut être une sale rosse. Elle t'fout d'grosses claques, tente d't'envoyer par le fond. Des heures durant. Elle te crève. Elle t'éreinte. Mais pire encore. Au bout d'trois heures à vouloir t'noyer, elle fait genre: "ok. On s'est bien marré. Oublions tout ça." Et tout est beau dans l'meilleur des mondes...

      Une sale rosse.

      La tempête s'est calmée donc. L'ciel est bleu. L'grand clinquant m'réchauffe la carcasse. Et j'suis à moitié mort. J'ai toujours rien becté, et j'me suis donné. J'ai connu mieux faut dire. J'ai connu pire aussi. On va pas s'plaindre. Suis en vie.

      L'autre gus aussi. S'est bien débrouillé pendant les réjouissance. Pas un mot, rien. L'a juste fait son taf, comme moi j'ai fait l'mien. Sans erreur. La main juste, l'geste précis. Parce qu'sinon tu crèves.
      Clair on a pas eu un bon départ, mais c'genre de situation, ça aide à jauger un mec. Et c'mec là agit, l'a d'la bouteille. Y mérite son r'pos. L'est donc sur la barre, avachi. Harassé. A r'rouver l'souffle. Puis sans rien dire, y s'relève. Dur effort. L'géant passe alors sur le pont, pour s'engouffrer dans la cabine. Il es r'ssort une bouteille à la patte. Bonne initiative. Une lampée, et l'bonhomme m'envoie l'nectar. Du rhum. J'aime bien ça. Sourire en coin, y m'dit:

      Tu t'es bien démerdé, gamin. Tu navigues depuis longtemps?

      Gamin... c't'un mot qu'j'avais plus entendu d'puis une paye.Faut dire que d'puis qu'j'ai quitté l'Rocher, j'l'ai plutôt joué solo. Hormis quelques phrases bavées sur des coin d'comptoir, niveau r'lation social, c'est plutôt la dèche. Alors j'bouffe l'sobriquet du gus avec philosophie. J'suis trop crevé qu'pour rentrer dans un aut' conflit, d'toute façon. Et lui aussi. J'crois. Alors j'lampe la bibine en m'forçant à pas tout vider. Affaire de policatesse.

      J'ai la touche avec les vagues. C'sont des copines...


      J'retire une goulée. Putain qu'c'est bon.

      Mais évite l' "gamin". Appelle moi Jack.


      L'type prend note. J'lui r'fille sa 'teille. Et on parle. Il s'appelle Noah. J'évite d'relever tout haut qu'c't'un nom d'gonzesse. 'Fin j'crois. Noah en est pas à son coup d'essai. C'fait longtemps qu'y roule sa bosse, truandant à droite à gauche. Y s'présente comme pirate. Idem pour moi. C't'un bon bougre. Suivant mes standards. Un type qui fait. Pas une pisseuse contemplative. La conv' coule, posée, et j'me rend compte qu'ça m'fait du bien d'parler. Enfin, parler vraiment. Pas juste railler un type pour l'défoncer dans la minute qui suit.

      Comme l'Noah commence à m'raconter ses coups, un truc m'vient en tête. Genre une idée. Parce qu'là ça fait une j'suis passé du chouette coté d'la Loi. L'mauvais. Mais j'suis toujours là, à crever la faim, à cavaler à moitié à poil. Sans un rond. Sans un but. J'dis pas, j'me marre. Mais les coups qu'j'fait, sont un peu velus faut dire. C'est beaucoup d'énergie pour quedalle. Alors j'me lance:

      Mec, tu t'es jamais dit qu'ce s'rait pas mal d'faire un gros coup? Un vrai.


      Qui sait... L'type s'ra p't'être tenté. quatre bras portent plus que deux.
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      Jack, qu'il s'appelait. Le garçon était pas du genre bavard. A vrai dire, il donnait un peu l'impression de pas avoir taillé une bavette depuis un moment. Il avait l'air de ceux qui cognent pour dire bonjour . Ou qui se demandent pourquoi ils ne frappent pas encore quand une conversation dure plus de trois phrases. Mais finalement, une fois la conversation engagée, Noah se ravisa. L'autre ne rechignait pas spécialement à parler. Il avait simplement l'air de ne pas en avoir l'habitude. Mais ce n'était pas bien important, le pirate, lui, taillait le bout de gras presque tous les soirs dans toutes les tavernes miteuses qu'il croisait, il pouvait alimenter l'échange pour deux. Jack, donc, n'appréciait pas que le vieux l'appelle « gamin ». Compréhensible. C'était le propre de tous les jeunes. Ils n'aimaient pas qu'on leur rappelle leur inexpérience. Junior haïssait ce surnom, lui aussi, à l'époque. Et à la fois, ce gamin là avait prouvé qu'il n'était pas si inexpérimenté que ça. Pendant la tourmente, il s'était débrouillé sûrement mieux que Noah ne l'aurait fait lui-même. Il méritait qu'on lui parle en égal.


      -S'tu veux, gam... Jack. S'cuse, hein, c't'une mauvaise habitude des vieux, ça. Moi c'est Noah. Alors comme ça, t'es navigateur, hein? J'y touche un peu aussi. L'en faut forcément un sur un rafiot d'pirates pour faire avancer la barque, et comme j'en trouvais pas un valable, quand j'ai formé mon équipage, j'ai dû m'y mettre. J'pensais m'en tirer pas mal, mais j'avais encore jamais vu un gus qui sent les vagues comme toi. »


      Le colosse eut un nouveau sourire, but une lampée de rhum et posa la tête contre le pilier derrière lui en soupirant. Jack lui expliqua qu'il était pirate lui aussi. Apparemment, pour quelqu'un de son âge, il avait déjà pas mal bourlingué. Ca expliquait en partie son talent avec le vent, les vagues, tout ça... Ils restèrent là un moment, à discuter. Noah surtout. Il en avait plus à raconter. Et comme précisé tantôt, le jeune n'avait pas l'air d'un habitué des parlottes qui ne mènent pas à une baston. Cependant, il intervenait parfois, rebondissant sur un événement qui lui rappelait un de ses propres souvenirs. Chaque fois, c'était bref, mais l'échange était là. Ils blablatèrent donc un peu de leurs aventures précédentes, comme le font deux marins épuisés par un typhon. Junior parla un peu de l'élément déclencheur, mais surtout des scènes d'actions. Le temps passa, et il y avait longtemps qu'il avait finit la dernière lampée de rhum avant de balancer la bouteille par dessus bord.


      -... J'les lui ai fait r'montées jusque dans la gorge! Quand j'ai eut finit d'l'étaler, Gros Billy m'a payé la bouffe et une tournée, pour m'remercier. Et j'peux t'dire que l'Gros Billy, il en partageait pas des charrettes, de bouffe! Gahahaha! »


      Noah soupira à nouveau. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas discuté du passé avec quelqu'un. La plupart du temps, il avait peu d'occasions de parler de ses exploits de pirates. Il avait fait suffisamment de séjours au trou, il avait apprit la leçon. Vantez vous dans une taverne, et vous finirez au pain sec et à l'eau!


      -P'tain, v'là que j'parle plus que Carlita, la serveuse d'La Fouine Embusquée. J'l'aimais bien, Carlita. »


      Le regard du forban se perdit quelques secondes dans le lointain. Elle était quand même sacrément bien foutue, la petite. Dommage qu'il ait dû la bousculer un peu pour qu'elle finisse par être consentante. Enfin, pour qu'elle finisse par arrêter de hurler, quoi. Il serait bien resté quelques temps dans le coin. Il serra machinalement les doigts sur un goulot inexistant. Il avait oublié, le rhum était terminé depuis perpette. Il commençait à faire soif. C'est à ce moment que Jack proposa:


      -Mec, tu t'es jamais dit qu'ce s'rait pas mal d'faire un gros coup? Un vrai. »


      Nouveau grand sourire du colosse. Le p'tit en voulait. Décidément, il lui plaisait de plus en plus. Il passa une main dans sa barbe, tout en jaugeant son compagnon du regard, avant de répondre. Le gamin avait l'air sérieux. Et il avait prouvé qu'il avait l'étoffe de ses ambitions.


      -Si j'y ai pensé, hein? Ouais, souvent. J'en ai même réussit deux ou trois, y'a quelques années. Avant d'tout perdre. Grand Line, c'quand même la plus belle des catins. M'enfin, c'est qu'partie r'mise. Pourquoi, dis moi? Tu voudrais collaborer? »


      Le jeune le lui confirma. Le sourire du colosse s'élargit.


      -Gahaha! Bah t'sais, ç'fait un p'tit moment que j'cherche un équipage à intégrer. J'en ai marre d'rouler ma bosse tout seul, comme un ermite, j'me fais bien chier. Donc, ouais, pourquoi pas, ouais. Sans dire qu'on s'ra un équipage à nous deux, ça a quand même l'air plus fendard que la compagnie des piliers de comptoir. D'autant plus qu'j'ai plus un rond, et qu'ça fait longtemps qu'j'ai pas eut droit à plus d'action qu'une baston d'poivrots. Alors, à quel genre d'coup tu penses, Jack? »
        Alors, à quel genre d'coup tu penses, Jack?



        A quoi j'pense.. Vrai. Qu'est-ce qu'j'ai en tête ? C'te question, j'me la suis jamais vraiment posée.. Elle claque dans ma tronche, et d'un coup m'renseigne sur tout l'vide qu'il y a, là d'dans. Le vide qu'habite Jack. 'Tain, j'l'avais jamais piffé si grand. Mais pas d'quoi sentimentaler. Héhé, si y a du vide, c'est qu'y a d'la place. Alors qu'est-ce tu veux l'Jack? Des gros coups? Du pognon? Plus crevé d'faim? Puis l'confort d'un lit chaud, avec draps d'soie? ... Conneries.

        Non, faut pas prendre l'bonus pour la raison. C'que j'veux, c'est l'adrénaline! Des coups qui m'filent du frisson, des coups qu'peuvent me couter gros. C'que j'veux, c'est du rêve, un but qui m'dépasse. L'pognon et l'reste, c'est d'la coté, c'est du kinder. Et faut pas s'leurrer, j'le boufferai à pleine dent. Mais si y a pas queq'chose derrière, si y a pas la fin du ch'min, alors ça vaut qued! Merde. J'suis hors-la-loi. C'est comme ça. Changera pas. Mais l'boulot d'voleur de pomme, j'le laisse à d'autres. Moi, j'veux du grand. J'mérite mieux. J'mérite qu'ma pendaison s'fasse en place public. Avec des masses d'pékins. Qui gueulent. Qui m'détestent. Qu'm'admire.

        J'pense à du gros Noah. J'pense à du risque, des trucs à perdre, d'la victoire qui s'savoure vraiment. J'pense à l'impossible, à mon nom qu'résonne sur les océans, à tell'ment d'tune qu'on s'y mouche. J'pense à Grand Line.

        Ouais voilà à quoi j'pense. Mais faut savoir commencer queq'part d'abord. Alors j'précise:

        Mais faut d'abord s'refaire... Hinu Town. T'connais? C'est plein d'pognon, parait. Y a pas moyen d'y rentrer, mais j'te parie qu'une chiée d'navires marchands vont et viennent. On arrive, on pille, on part. ... Et on s'fait un nom.

        C't'un vieux type qu'm'avait bavé c't'histoire d'Hinu Town. Disait qu'il était pirate. J'l'ai jamais cru. Mais son histoire, elle sentait bon. Alors quitte à chasser d'la chaumière... Chimière.?.. Quitte à chasser du rêve.
        Mouais elle sent bon c't'idée. J'me tourne vers Noah, et le mate dans les globuleux. J'suis sérieux. J'crois même qu'j'suis un peu genre un homme nouveau maintenant. Un sorte de sur-mec. J'me suis posé une question sur ma vie. Et j'y ai répondu. J'suis trop fort. Alors donc, j'veux être sur qu'le Noah, il grille bien qu'c'est pas du vent. Parce qu'ce gus à d'quoi. Il en crève d'retoucher les sommets. J'suis sûr.

        Ça a d'la gueule, non?


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        Noah pensait avoir posé une question simple, mais à voir l’air concentré du gamin, ce n’était pas le cas. Jack semblait perdu dans ses pensées. Réfléchissait-il à un plan ? Essayait-il de trouver la meilleure façon de l’exprimer ? Ou songeait-il simplement au repas du soir ? D’ailleurs, en parlant de ça, le vieux pirate commençait à avoir une dalle sévère ! Il serait bien allé faire une razzia dans le garde-manger. Il s’apprêtait à proposer à son compagnon de discuter à la cuisine, quand celui-ci finit par répondre.

        -J'pense à du gros Noah. J'pense à du risque, des trucs à perdre, d'la victoire qui s'savoure vraiment. J'pense à l'impossible, à mon nom qu'résonne sur les océans, à tell'ment d'tune qu'on s'y mouche. J'pense à Grand Line. »


        Et là, il se passa quelque chose. C’était ça ! C’était exactement le type de personnes que Junior avait recherchée toute sa carrière. Quelqu’un de capable d’aller sur Grand Line sans trembler. Quelqu’un de capable de faire ce qui lui plait, quand ça lui plait, sans remords aucun. Quelqu’un qui fait passer ses ambitions avant tout le reste. Un type qui en a une paire à faire pâlir les Rois des Mers. Le sourire de Noah s’élargit encore, à la fois réjoui et féroce. Oui, pour la première fois depuis longtemps, les vieilles ambitions du forban refaisaient surface. Ce désir de gloire et de richesse… Surtout, la sensation que tout ça était possible ! Et bordel, c’était putain de bon !

        -‘Tain Jack, toi tu sais causer aux pirates !
        -Mais faut d'abord s'refaire... Hinu Town. T'connais? C'est plein d'pognon, parait. Y a pas moyen d'y rentrer, mais j'te parie qu'une chiée d'navires marchands vont et viennent. On arrive, on pille, on part. ... Et on s'fait un nom.
        -Hinu Town… Ca m’dit que’que chose, mais me semble pas qu’j’y ai déjà foutu les pieds… »

        Une île de bourgeois, c’était sûrement très bien protégé. Mais les navires qui l’approvisionnent, pas forcément. Ce n’était pas bête. Ca semblait simple, mais c’était suffisamment bien résumer le métier de boucanier. Choisir une cible, coller des gnons, et cassos avec le pognon. Les « trois C » quoi. Tout comme café, clope et… Bref. Junior appréciait d’autant plus le fait qu’il soit simple, que les stratégies trop compliquées lui « prenaient le chou. » C’est vrai quoi, pourquoi dépenser tant d’énergie à essayer de piéger un adversaire, quand le résultat final reste le même. Une baston générale sur/sous le pont. Ouais, Noah était emballé. L’appel de l’aventure était vraiment trop tentant, après des années de coups minables en solo.

        Jack, toujours assit contre son bastingage, le fixait droit dans les yeux. Le forban lui rendit son regard, essaya d’y déceler de l’hésitation. C’est qu’il en avait vu, des grandes gueules, en trente ans sur les océans. S’il s’embarquait là dedans, le colosse ne voulait pas que son partenaire le lâche au dernier moment. La déception serait trop grande. Bah ouais, il avait déjà vécu plus vieux que la plupart des pirates. Ils n’étaient pas si nombreux, ces écumeurs à passer la quarantaine. Entre les maladies, les noyades, les marines, les chasseurs de primes, les monstres marins… Ce serait peut-être sa dernière occasion. Il ne voulait pas la gâcher. Mais non, le jeune avait l’air plus motivé qu’un chien enfermé dans une cage devant laquelle une dizaine de chiennes en chaleur n’attendraient que lui. Junior était convaincu. L’homme lui plaisait. Le plan lui plaisait. Comme le disait Jack lui-même, ça avait de la gueule, cette histoire. Il n’hésita donc pas. Avant de répondre, le géant se mit debout. Il étira son dos douloureux d’avoir passé trop de temps contre le mât. Il fit un ou deux pas en regardant vers les flots, puis enfin ouvrit la bouche.

        -Jack, j’t’aime bien. Tu t’ramènes sur c’rafiot qu’j’ai détroussé, et quand un type d’ma taille et avec ma tronche te dit d’te barrer, tu bronches pas. Quand tu t’retrouves en plein dans la tourmente, tu flippes pas et fais ton taf’ mieux qu’la plupart. Et là, tu m’proposes de s’faire des couilles en or, et un blaze qu’les gamins entendront encore dans cent piges. J’ai eut ces ambitions aussi, mais comme j’t’ai dit, Grand Line, c’est une sacrée putain. Depuis qu’elle m’a foutue à la porte, j’les avais un peu oubliées. Et toi, tu débarques et tu m’les rappelles. Bordel, mec, sûr que j’en suis ! »


        L’adrénaline affluait, et la fatigue causée par la tempête disparaissait. Noah était plus motivé que jamais.

        -J’dirais même qu’on d’vrait s’y mettre de suite ! On r’père ton bled de friqués sur une carte, et on fait voile direct dessus ! »


        Il avait apprit au fil des années qu’il fallait battre le fer tant qu’il était chaud. Tout comme il fallait profiter de Maria, une des strip-teaseuses du Lapin Rose, tant qu’elle l’était aussi. Enfin, quand elle avait bu, quoi. Cependant, quelqu’un protesta. L’estomac du géant émit un gargouillis qui tenait plus du rugissement préhistorique que du simple bruit de digestion. Noah posa une main sur son ventre, et ajouta :

        -Ou alors, on va grailler un bout avant, et ensuite seulement on prend la direction de Hinu Town ! »

          Noah vient d'baver un tartine. Noah parle beaucoup. Mais pas pour rien dire. Ça m'va. Surtout qu'l'est partant. D'vieilles choses ont dû r'sortir. Des bonnes. L'a presque l'air plus jeune. Ses mouvements. Son intonation.

          Ton ça sous l'beau clinquant. L'billard d'l'océan, sur une coque d'noix rose. Ou presque. Faudra penser à changer ça. Avoir un truc plus classe. Genre super radeau. Avec d'vant, écrit en lettres rouges :

          Le kasse kote

          Ouais ça s'rait bien. Bien pêchu. Velu comme y faut. Faudra qu'on s'y attelle. On. Parce que..

          Nous v'la part'naire. M'semble. Une bonne chose. Pour l'futur, on verra. Lui comme moi, on sait comment peuvent s'finir s'genre d'association. Ça fait partie du job. J'imagine.

          J’dirais même qu’on d’vrait s’y mettre de suite ! On r’père ton bled de friqués sur une carte, et on fait voile direct dessus !


          Héhé. L'est pressé.Tant mieux. J'comptais pas attendre. J'devrais l'mettre au jus par contre. J'sais pas capter les cartes. Jamais compris comment qu'ça marchait. Mais lui si apparemment. Suffira qu'il m'pointe la direction. j'pourrai faire le reste. C't'un problème pour Jack de plus tard ça. Puis Noah soulève un point salvateur. Faut s'remplir le bide. Haha, après les rêves, la chienne d'vie qui s'ramène. Avec les confettis. Ben graillons donc. Le ventre d'abord, le monde après!
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