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Discussion familiale

Cette maudite sensation qui revenait par vagues ; l’impression fugace, terriblement stupide, de ne plus trop savoir comment elle respirait, alors que son corps le faisait toujours naturellement, sereinement, comme si tout allait pour le mieux. Si elle devait classer ses problèmes, c’était celui-ci qui la gênait le plus, depuis maintenant trop longtemps.
Ça élargissait, sans véritable raison, discrètement et par à-coups, ce vide désagréable, là, ce vicieux trou noir invisible qui était la cause de tout et qu’elle essayait depuis des mois de raccommoder mentalement, à la manière d’une super mauvaise couturière qui cependant n’abandonne jamais. - Les points maladroits et bien trop espacés qu’elle effectuait ne tiendraient guère assez, à l’instar des précédents. Galvaudées, ses autres pensées, celles piquantes, revenaient parfois déjà s’y frotter et vérifier leur résistance exacte, sans prévenir de leur arrivée.

Avec, s’installait la suspicion irréelle et tout autant bête que, si dans une minute à peine ou dans dix ans, on lui assenait la réalité en pleine face, crûment, même son cerveau lâche oublierait cette fois de quelle manière il fallait inspirer de l’air pour ne pas crever pour de bon. Ça ne durerait sans doute que le temps d’une courte éternité, mais ces brèves secondes suffiraient peut-être à cette fois-ci l’occire.
Tout ça parce que cela rendrait la situation plus tangible encore, lui rajouterait d’hypothétiques nuances insipides qu’elle n’avait pas besoin de posséder. Tout ça parce qu’actuellement, elle, Lydia Ragglefield Levy, ne parvenait plus à rien gérer. Pas même sa fichue frustration face à un foutu pot de gelée.

Coincée dans sa chambre d’hôpital, la blonde descendante de la digne famille s’ennuyait en effet mortellement, au point de ressasser les mauvaises choses, et de jeter à répétition des coups d'œil meurtriers à son ingrat dessert. Pour la dixième fois en six minutes, elle se résolut d’ailleurs à tenter de l’assassiner.
Avec un plaisir non feint, quand bien c’était un meurtre d’innocents qu’elle envisageait, elle s’imagina planter avec force sa cuillère - posée plus loin - dans l’opercule pour le déchirer grossièrement, ou du moins l’obliger cette fois à bouger. L’idée de fendiller ensuite sauvagement la chair du blob qui la narguait d’un air neutre, quitte à envoyer valser de menus morceaux sur la table sur laquelle elle était accoudée, lui donna un rictus qui s’effaça trop vite.

C’était vraiment fou comment le moindre microscopique détail, le moindre minuscule fait, lui ramenait facilement en mémoire le nom en trois consonnes et deux voyelles qu’elle ne voulait pas prononcer. Là, en une simple répétition de la fois précédente qui datait de quarante secondes auparavant, c’était de nouveau la faute au bête, mais tellement évident silence de la nourriture face à ses songeries machiavéliques. Comme si le truc inerte se doutait que jamais la blessée ne trouverait le courage d’aller jusqu’au bout de son projet et la traitait muettement de couarde. Le tissu qui le recouvrait ne lui avait après tout rien fait.
Cinq doigts engourdis par ses tentatives désespérées d’ouvrir normalement son dessert, en plus de par la sensation qui l’ennuyait, tapotèrent le haut du yaourt sans violence, en une caresse presque aimante. Il fallait qu’elle se distraie. Vraiment. Vite.

Elle n’avait aucune envie de resonger au regard sombre de l’homme qu’elle aurait tant désiré sentir posé sur elle, même dénigreur, même silencieusement fâché. Au bruit de ses pas, reconnaissable entre tous et qui annonçait déjà son humeur à venir. À sa senteur rassurante, malgré l’habituelle note de fond de sang qui n’avait rien d’adorable. Aux ombres qui jouaient à se cacher en riant sur son menton. Ou, encore, à ses moues longilignes qu’il lui réservait parfois et qui s’accompagnaient toujours d’une fausse fossette microscopique, sur le bord de ses lèvres pleines à droite.
Par le tricorne d’un pirate poulpe flasque ou mort ... Bouda-t-elle soudainement. Si elle s’était aussi mise à suer en des moires abondantes, qu’un noeud s’était formé dans son plexus, que des frissonnements glacés l’avaient envahie, que larmes et morve s’étaient mis à couler, elle se serait alors demandée dans quel monde elle vivait, pour ressentir physiquement tous les effets d’un manque mental. Dont, encore, cette inepte impression de ne plus savoir respirer.

Il ne fallait pas non plus penser au contact rêche de sa main à lui, pleine de cales, preuves de son acharnement à s’améliorer. À ses probables dires ou gestes sans douceur aucune. À son absence totale. Celle qui teintait d’un tel voile gris la plupart des actions qu’elle faisait, que seule la couleur du sang lui paraissait plus rouge qu’habituellement. Ou cette foutue gelée trop verte.

« Réfléchis Lydia, réfléchis. »

La petite formule magique fut prononcée d’une voix trop douce pour l’être vraiment. Son front rencontra ensuite lentement le bois froid de la table, tandis que ses ongles trop courts repoussaient la gelée un peu plus loin.

Pour donc se divertir, tout en relevant lentement la tête et en posant son menton sur son poing le moins abîmé, qui traînait à présent à même le meuble, Lydia chercha à se rappeler le dernier traité qu’elle avait lu. Abandonna, au bout de quelques demi-minutes, incapable de se souvenir d’autre chose que du résumé grossier qu’elle s’était déjà répété facilement une quinzaine de fois ces derniers jours. Réitérer l’exercice pour de plus anciennes lectures ne donna guère non plus de résultat satisfaisant.
Entre chaque tentative, revenait la hanter l’image d’un sourire satisfait et hautain devenu denrée disparue. Des morceaux de gelée explosée aux quatres vents. Des grognements tout bas, attendrissants, haletants sous un effort quelconque.

Ses doigts libres revinrent jouer avec le cube de nourriture. Le firent bouger sur une autre face. Une troisième. Une quatrième. D’autres encore. Elle s’amusa sans le faire vraiment, en contemplant tendrement le contenu gélatineux se déplacer lentement pour épouser le plus parfaitement possible le côté le plus bas à chaque fois. L’ennui, abondance vaine de pensées qu’elle ne comptait pas travailler tout de suite, dialogue sans sens avec elle-même, ou feu stupide qui servait à rien, au choix, l’enquiquinait fortement.
Elle n’avait jamais appris à assez le dompter, quand il n’y avait personne qu’elle, alors elle s’arrangeait généralement pour ne pas le ressentir. En s’entraînant, par exemple, en préparant mille petites choses qui ne serviraient pas obligatoirement. Ce qui lui était impossible tout de suite. Essayer de trop faire travailler ses muscles lui vaudrait quelques remontrances peu délicieuses et des médecins et de son propre corps. Elle le savait, elle avait déjà testé quelques jours auparavant et l’avait bien regretté. Réfléchir à des plans sur la comète corrects demandait une base existante de travail qu’elle ne possédait plus. Courir des boutiques obligeait à se déplacer et à recouvrir de l’endurance. Gâter une certaine personne par des attentions peu appréciées ne pouvait pas se faire à distance.

Compter le nombre de micro fissures réelles ou inventées sur le sol ou le plafond avait sinon déjà été fait. Trois fois. Tout comme essayer de déterminer qui se baladait dans le couloir, de temps en temps. Fixer la fenêtre pour espérer réussir à prédire le prochain changement de temps ne trompait l’ineffable monstre que trop peu. Essayer de déterminer où elle se placerait dans le décor, si elle avait une arme à distance et devait s’abattre, de même. Comme de déterminer le panel de blessures théoriques qu’elle pourrait s’infliger.
Tenter de lister quels poisons fonctionneraient parfaitement dans sa situation la divertissait un peu plus. Mais, outre qu’elle avait de grandes lacunes dans cet art-ci, son imagination s’envolait davantage lorsqu’elle mangeait. - Fichue gelée.

Sa paluche quitta finalement le fourbe dessert alors qu’elle inclinait la tête, puis vint assez vivement frotter sa joue la plus haute. C’était en tout cas toujours bizarrement effrayant. Émouvant, à sa manière. L’impact d’un violent coup de poing reçu antan, tant elle rêvassait souvent assise de retrouvailles, s’était, avec ses circonstances, brusquement re-imprimé derrière ses rétines. Sa pommette s’était fantomatiquement tendue et faite douloureuse, sur l’instant. Comme si elle était en état de recevoir d’autres gnons fantomatiques ou non, tiens.
Reposant ses paumes sur la table, elle se leva, maladroitement. Sentit trembloter l’une de ses hanches, craquouiller quelques articulations. Bigre. Elle était restée assise trop longtemps.

En appui en grande partie sur ses doigts, les lèvres fermées, elle demeura statue de menues secondes, le temps de vérifier mentalement que son corps rouillé et cabossé n’allait pas en hurler réellement. Tout va bien. Lui chuchota-t-elle tel un mantra, sans mot dire, à la façon d’une mère qui tente de cajoler silencieusement son bébé blessé et criard. La situation s’améliorait après tout de jour en jour. Preuve en était : elle n’était déjà plus forcée de rester larver au lit contre son gré. Il lui arrivait même de trouver la force d’explorer l’étage où elle se trouvait. C’était déjà ça. Tout allait continuer à aller mieux. Il fallait le croire, même si elle n’avait encore aucune idée de à quoi son futur allait ressembler.
Un truc entre le grognement et le geignement frustré s’échappa cependant de ses lippes, quand elle se redressa complètement. Son coeur se décida même à valser tout seul, le temps d’une inspiration ou de deux autres.

Non. Il était totalement hors de question de laisser son compagnon de solitude détesté l'entraîner même un minimum sur cette pente-ci, se sermonna-t-elle sans patience. S’il y avait quelque chose à laquelle elle n’avait pas envie de songer, plus que tout, c’était bien à ce qui l’avait mise dans cet état et ses diverses possibilités d’évolution, avec probabilités intégrées. Jusque-là, elle n’avait plutôt pas trop mal réussi, en journée, en s’obligeant à se mentir. Il ne fallait pas que cela change.
Certains trucs, pour elle du moins, n’avaient point le droit de se montrer en dehors de la noirceur éclairée de la nuitée. Comme son corps roulé en boule douloureuse, qui pestait contre sa propre stupidité et se remémorait le film de gestes peu agréables, ou imaginait leurs conséquences hypothétiques. Avec un regret évident, miraculeusement et seulement sur ce sujet, l’ennui la laissa heureusement pour l’heure en paix.

Il avait bien d’autres manières à sa disposition pour la martyriser. Il le lui rappela, après que Lydia se soit mise à fredonner de force une chansonnette tristou dont elle n’avait jamais eu les paroles, et perdait avec les ans le rythme. Qu’elle ait ramené par automatisme, derrière une oreille, ses cheveux qu’elle avait oublié d’attacher.
Alors qu’elle reprenait son blob de gelée, songeant qu'elle devait finir de lister tout ce qu’elle pourrait faire avec, si finalement elle ne le massacrait pas joyeusement. Le garder n’était presque pas une option, pour se faire une deuxième ingrate et inerte compagnie, quoique physique celle-ci. Tester fort peu scientifiquement combien de ricochets pourrait faire l’amas avant de briser sa coquille, puis après, semblait déjà plus intriguant. Ou viser un oiseau - ou une cible désignée - avec, pourquoi pas. Mais si elle trouvait plus intéressant sur la durée, ce serait davantage satisfaisant, surtout si elle avait la capacité de mettre le dit plan à exécution. Sans forcer quelqu’un à nettoyer derrière elle, ce serait d’autant mieux.

Le monstre tapi se fit donc de son côté coquin. Vilain comme il l’était, il accéda à ses désirs, la laissa enfin se distraire courtement, oublier ce qui l’entourait. Pile au mauvais moment.
Elle crut bien entendre à long retardement des pas qu’elle connaissait. Ou pas. Plongée à moitié dans sa comptine, le regard et les pensées fixés sur la bouffe enfermée, elle mit de nouveau ça sur le compte du manque trop fort qu’elle ressentait. S’il y eut des dires à un moment ou un autre, si occupée qu’elle l’était, elle ne les comprit pas. Tout juste rajoutèrent-ils sans doute une nouvelle note musicale agréable, rassurante et familière, à son mauvais opéra murmuré.

Ce fut peut-être un mouvement de l’air, ou un autre détail ridicule pour d’autres qu’elle, tel qu’un petit mouvement inconscient, qui lui fit soudainement prendre conscience qu’elle avait autre chose à faire que de devenir bel et bien folle d’ennui. Il y avait une présence. Et ce n’était pas un docteur ou un personnel soignant. Elle le sut. Elle le sentit, étrangement. C’était une simple évidence, de celles qui s’imposent sans avoir besoin d’y réfléchir cent ans.
D’abord parce qu’on serait déjà venu vérifier qu’elle n’avait pas fait d’ânerie, en se dépensant trop. Ensuite, parce qu’aucun de leurs regards ne lui donnait cette sensation légère et discrète de chaleur bienheureuse qui s’installait, même à distance. La démonstration était d’ailleurs d’autant plus valable pour les autres patients.

Alors, elle releva prestement le bout de son museau, un début de nom sur ses lèvres déjà ravies. Par habitude, son dos se raidit légèrement. Son faciès s'éclaira dans le même temps d’une joie aimante, détendant ses sourcils froncés par la concentration, déridant son front et étirant les lignes de sa bouche en un commencement de sourire.
Il lui était impossible de cacher son plaisir rayonnant. Même s’il se transforma légèrement, en découvrant qu’elle se plantait royalement de frère. Mais elle aurait dû s’en douter, n’est-ce pas ? Il ne viendra jamais. L’impression saugrenue d’avoir encore oublié comment prendre un souffle parmi tant d’autres revint furtivement la hanter.

« Ethan. »

Le prénom requis, le bon, n’en fut pas moins prononcé alors avec une tendresse toute naturelle, sur le tempo du sang qui coulait maintenant un peu plus vite, dans ses veines. Le «an» en vibra doucement.

Sous le coup de la surprise offerte, tout de même, elle oublia qu’elle portait quelque chose et en manqua de faire tomber son dessert embarrassant. Le rattrapa par miracle pile à temps - avant qu’elle n’ait besoin de se baisser - de ses deux mains, puis s’arrangea pour essayer de l’abandonner sans se retourner, de le faire vivement glisser sur la table où jusque-là son fessier avait finalement décidé de trouver en petite partie refuge. Le manège ne prit que peu de secondes. Juste assez pour lui permettre de réfléchir à plus crucial.
Que faisait son petit frère ici ? Ce n’était pas comme si leur famille était si unie qu’elle passait pouponner les siens amochés, et son adelphe, si elle ne se trompait pas sur son compte, n’était pas de ceux qui trouvaient intéressant de cracher en face à face sur ses faiblesses.

« Es-tu blessé ? Vas-tu bien ? »

L’interrogea-t-elle rapidement, une inquiétude grisant déjà en partie le bonheur qu’elle avait à le percevoir. Son regard s’arrêta sur chaque membre visible de son cadet, revenant cependant chaque fois rapidement à son visage.

Même si elle ne lui dirait jamais, lui aussi lui avait manqué. Ne pas pouvoir activer son ancien micro réseau, pour savoir ce qu’il devenait, avait été une torture en soi aussi et déjà, elle craignait qu’il avait eu à subir seul quelques adversaires trop forts pour lui.
L’ennui, qui se carapatait à présent en tirant la langue, la fit sinon brièvement douter sur un autre point dérangeant. Était-elle visible ? Sa chemise n’était-elle pas trop froissée ? Couvrait-elle bien tout ? Et ses cheveux, n’étaient-ils pas en bordel ?
Mais était-ce seulement important, à part pour sa propre estime ?
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Quelque part en mer, Grand-Line, 1628.


Lorsqu’Ethan eut vent de la déroute de sa sœur, par le biais de ses parents, il ordonna aussitôt son transfert dans son hôpital, sur Arcadia. La route fut longue, certes, mais les soins prodigués ainsi que la rééducation seront à la hauteur du voyage. De son côté, il se hâta de la retrouver sur place, en espérant que les dégâts n’étaient pas si importants, même si le pronostic n’était pas des plus rassurants. On lui parla de paralysie au départ. Il en voulut énormément à Jamal. Il embarquait son arrêt Lydia dans des bourbiers sans prendre la peine de la protéger. On apprit plus tard qu’ils s’affrontèrent dans un duel explosif.

Mais il contint sa rage devant ses hommes. Il n’était en rien responsable et cela devait rester dans le domaine familiale. Seul Daniel Mattlefield percevait l’inquiétude du vice-amiral. Après tout, il le connaissait depuis sa plus tendre, il était comme le frère qu’il n’a jamais eu – Jamal n’étant pas considéré comme un « frère ». Le commodore Mattlefied, dans la cabine d’Ethan qui se trouvait debout face à la fenêtre qui donnait sur la mer, lui tapota l’épaule d’un air confiant : « Elle s’en sortira, Levi. Vous êtes faits d’un bois plus solide que celui d’Adam. »

***

Arcadia, 1628.

La vigie annonça l’approche du port d’Arcadia. Ethan ne prit le soin de voyager avec toute sa flotte, mais uniquement avec son navire personnel et les hommes qui le composait. Pas forcément sûr de ses forces dans ses mers agitées, mais il préféra que sa flotte se prépare au voyage prévu pour El Jezada. Ce genre d’expédition demandait un temps conséquent de préparation et l’officier devait absolument régler certains détails avant de s’en aller. Des détails qui, pour le coup, n’avaient absolument rien à voir ses fonctions, mais plutôt d’ordres personnelles. Être un Ragglefield n’était pas un cadeau.

En posant pied à terre, il préféra éviter toutes les mesures protocolaires pour l’accueillir. Son passage ici sera court et il n’avait pas de temps à perdre avec ces mises en scène. Cela rassura presque le personnel chargé de l’accueillir. Daniel et lui se hâtèrent vers l’hôpital où le vieux Fergus prit le temps d’aller à sa rencontre : « Salut Ethan, fit-il de son ton neutre habituel.
- Où est-elle ?
- Hem. Ethan, reprends-toi, tu redeviens con, souffla Mattlefield.
- Pardonne-moi, Fergus, j’en oubliais les politesses, reprit l’officier d’un regard enragé qu’il tourna vers le commodore.
- T’inquiète pas, bonhomme, t’as pas besoin de ça avec moi, tu le sais. Suivez-moi. »

Fergus, directeur de l’hôpital dont Ethan était le principal actionnaire, les emmena dans la chambre tant convoitée. Sur le chemin, il rassura le petit-frère de l’état de sa sœur qui, contrairement à ce qu’on a pu lui dire, n’était pas si dramatique que cela. Elle retrouvait déjà une certaine mobilité. Il ne montra aucune réaction, mais les deux accompagnateurs surent que la boule de nerf s’apaisa un peu. Il était également anxieux. Cela faisait maintenant une éternité qu’il ne l’avait plus recroisée. La dernière datait certainement d’El Jezeda, ou peut-être d’une dernier repas dont il ne se rappelait plus, faute d’avoir noyé son malheur dans diverses boissons.

Quand il entra dans la pièce, le choc. Son empathie lui signalait bien la surprise de sa sœur qui, manifestement, et ce même si elle ne trompa de nom, attendait quelqu’un d’autre. Jamal. Pas une surprise en soit, puisqu’elle voyageait et combattait à ses côtés, tandis qu’elle ne voyait jamais Ethan. Par ailleurs, Lydia n’était pas facilement traçable de part ses fonctions au sein du Gouvernement. Mais il serait mentir d’affirmer qu’il ne ressentait pas la joie qui émanait de cette dernière malgré tout.

Avec un tact naturel, l’officier répondit à sa sœur. Cela ne devait pas être pire que Jamal : « C’est plutôt à moi de te poser la question, idiote. Lequel de nous deux a été transporté dans un hôpital ? Le toubib m’a fait un bilan de ton état. Il semblerait que tu retrouves peu à peu la mobilité, et ce, avant même d’avoir commencé tes séances de rééducation.
- Qu’est-ce que je disais déjà ? Ah oui, plus solides que du bois d’Adam… Foutue famille de dégénérés, marmonna le commodore.
- N’imagine pas partir avant d’avoir terminé la totalité de tes soins. Tu te trouves sur Arcadia, dans le Nouveau Monde, au sein de mon hôpital. Si tu tentes quoi que ce soit, je le saurais. Étant agent du cipher pol, je n’étais pas au courant de ta situation, mais l’autre folle qui fait office de mère m’a supplié de te prendre en charge. »

Ethan retroussa ses pas et prit la direction de la sortie. D’une main ferme, Daniel saisit le bras de l’amiral pour le retenir. Ce fut finalement qui prit la sortie et ferma la porte derrière lui. Ethan se retrouva maintenant seul avec sa sœur. Un silence prit place et le brisa sans prendre de pincettes : « Autre chose, Lydia, tu es actuellement suspendu de tes fonctions, ce qui est assez logique et fréquent quand un agent est gravement blessé. Néanmoins, je souhaiterais que tu ne remettes plus les pieds dans cette organisation. Surtout pas avec l’autre connard. Me suis-je bien fait comprendre ? »

Il n’y arrivait pas. Il n’arrivait pas à exprimer la joie de la retrouver, saine et sauve. La satisfaction de pouvoir enfin être avec elle, sans personne d’autre pour les déranger, de pouvoir se raconter tout ce qu’ils avaient vécu ces dernières années… Non. Il était complètement bloqué, partagé entre son rôle d’officier et son rôle de petit-frère. Il n’avait encore jamais envisagé les retrouvailles avec Lydia. Encore moins de cette façon. Il eut simplement une pensée pour son avenir, mais rien de plus. Arriverait-elle à débloquer la situation, grâce à sa douceur infinie, peut-être ?
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Elle se retint assez facilement de lui tirer puérilement la langue, même s’il lui était impossible de réagir de manière plus habituelle, physique, aux premiers propos de son frère. Ébouriffer quelqu’un, ou lui tirer les joues en faisant mine de lever les yeux au ciel, ne fonctionnait en effet pas divinement à distance.
À la place, elle parut vaguement hocher la tête tandis qu’il énonçait des faits et leva un sourcil.

Il n’y avait vraiment qu’Ethan, dans la famille, pour lui offrir une remontrance - doublée d’une fausse menace - sans y mettre véritablement toutes les formes. Tout en lui fournissant, comme pour s’excuser sans le faire, quelques miettes des informations qui lui manquaient sur sa propre situation. C’était presque simplement et purement agréable, avec un goût de reviens-y attendrissant.
Passant outre les mots peu doux, elle enregistra donc que Mère devait, elle aussi et à présent, une faveur à son cadet et qu’elle, Lydia, était celle qui devrait sans doute au final la rembourser à la matrone. Que l’hôpital dans lequel ils devisaient n’appartenait qu’au jeune officier qui la visitait et que le secret médical n’avait pas totalement lieu d’être, face à son regard métallique.

Vraiment Docs… Heureusement que je n’ai normalement pas évoqué avec vous l’idée complètement stupide d’essayer d’aller faire du bateau-stop sur un quai juste pour m’occuper un jour ou l’autre. Une discussion cordiale s’imposerait cependant, dans le but de vérifier ce qui avait exactement été passé sous silence ou pas, ainsi que ses options pour quand elle serait assez remise.
Creuser le sol en tournant en rond ne serait jamais dans ses priorités, même si elle suivrait sans doute les recommandations médicales si elles ne se résumaient pas à un " Patientez ! ", autant pour satisfaire l’autrui qui le demandait maintenant si maladroitement que pour sa propre santé. Bref, tout ceci aurait lieu plus tard. Quand un des scientifiques viendrait ou qu’elle reverrait Mère. En attendant, elle ne pouvait qu’espérer que son petit frère ne savait pas tout ce qui s’était passé pour elle, tout de même.

Les dires du dernier né Levi s’accompagnèrent hélas d’une fort vilaine tentative de fuite qui l’empêcha de son côté de répondre plus clairement. Grâce au ciel ou à ses habitudes, le si délicat collègue, au marmonnement trop bas, rentré avec le vice-amiral la déjoua aisément. À croire que le brave homme qui s'éclipsait avait lu des pensées qu’elle n’avait pas exprimées. Mille mercis !.
Voir déjà Ethan s’en aller l’aurait en effet rendue davantage maussade qu’auparavant, affamée d’autres visites toutes aussi impromptues et finalement si bienvenues de sa part. Si elle regrettait d’être probablement vue diminuée, elle n’avait pour autant point l’envie de percevoir le marine disparaître sans avoir pu un tant soit peu en profiter. Ou d’avoir au moins pu continuer de s’assurer qu’il n’avait vraiment rien, ce fabuleux garçon qui ne répondait pas directement aux questions.

Enfin. Cette mauvaise manie devait être génétique puisque Lydia en fit de même, lorsque son puîné enchaîna sur un ordre déguisé qu’elle n’apprécia guère spécialement.
En termes de forme autant que de fond, évidemment. Jamâl avait beau être un fantastique idiot, elle n’aimait toujours guère l’entendre aussi mal nommé, et n’avait pas envie qu’on l’évoque, qu’on lui remémore même un minimum consciemment combien il lui manquait. Quant au reste… Elle aurait dû se douter que son si mignon petit frère viserait parfaitement et irait de nouveau droit aux problèmes auxquels elle ne voulait pas encore faire face, n’est-ce pas, quitte à lui causer un pincement au cœur justifié ? Il n’avait jamais été du genre à beaucoup aimer perdre de temps, si elle ne se trompait pas de nouveau du tout au tout sur lui.

« À part si tu comptes vérifier si oui ou non je peux te courir après, que dirais-tu d'abord de venir par ici ? »

Demanda-t-elle alors, comme pour gentiment se venger, esquissant une grimace qui ne dura pas. La vue que le gradé lui offrait suffisait, pour redessiner rapidement son petit sourire aimant, sur l’instant.
Restait simplement à espérer que le marine ne la prendrait pas au mot et ne la ferait pas trop marcher. Dans ce cas précis, il n’était pas sûr qu’elle continuerait à se montrer aussi attendrie.

Dans l’optique de souligner l’invitation amicale, cinq de ses doigts s’ouvrirent lentement sinon, tapotèrent la fidèle table. - La fausse sortie de son adelphe les avait fait précédemment bêtement se replier et se serrer. -
Éloigner Ethan de la porte, pour ralentir toute nouvelle tentative de fuite, n’était qu’une des causes qui l’avaient menée à formuler sa requête. Un petit zest de bonheur se rajouta tout de même à l’amas déjà présent, quand son frère commença, après avoir hésité, à se plier à sa volonté. Il marche normalement. Je crois ? Un battement de cils en trop, puis la convalescente s’en alla à son tour à la rencontre de l’indécis, faisant courageusement les derniers peu nombreux pas qui pouvaient les séparer.

Une fois à courte distance, ses yeux effleurèrent le front masculin, revinrent caresser ses joues, avant de s’arrêter sur ses globes oculaires. L’inspection non terminée des divers autres membres de son puîné attendrait légèrement.
Il y avait mieux à faire dans les minutes à venir, comme de profiter de leur promiscuité pour observer ces micro-expressions qu’il avait parfois, ou encore de se retrouver à fondre stupidement devant les sauts que faisait la luminosité extérieure dans son regard froid.

« Bonjour, petit frère. »

Un peu comme Daniel l’avait fait pour lui seul et à sa manière lorsqu’ils avaient débarqué et rencontré le docteur, elle s’amusa enfin à leur rappeler tendrement à tous deux les civilités d’usage qu’ils avaient oublié, dans un murmure posé. Mais ne laissa guère à son interlocuteur cette fois le temps de répliquer.
Il y avait des limites à toute patience et ce n’était pas dans ses intérêts de frôler celles d’Ethan tout de suite. Aussi Lydia se força-t-elle enfin à revenir rapidement au sujet qui pouvait fâcher. Son ton ne changea pas.

« Ne t’en fais pas pour tout ça. Je t’en prie. »

Oui bon, c’était grossier et ça ne répondait clairement pas aux interrogations sous-jacentes qu’elle avait cru ouïr dans les propos de son puîné. Il faudrait cependant qu’il s’en contente pour les secondes à venir. Au moins n’avait-elle pas menti, même si elle avait été beaucoup trop concise. Elle avait normalement entendu la signification de ses dires et ne voulait pas que son " terriblement adorable petit frère à essayer de protéger un peu de ce genre de bordel empêtré " puisse s’inquiéter ou se questionner, s’il devait le faire, d’une quelconque façon que ce soit.
En plus, le CP, quelles qu’étaient encore ses espérances, n’était plus vraiment pour elle. C’était juste encore trop tôt pour l’accepter, surtout sans perspective claire d’avenir, ou sans se perdre dans d’hypothétiques futurs qui n’existeraient jamais. Comme un comportant un changement drastique d’un certain connard.

D’ailleurs, elle était toujours trop bêtement heureuse de revoir le cadet Levi, alors, même si elle les souligna par la suite, elle ne lui tint finalement aucune réelle rigueur pour ses mots châtiés à l’égard de Mère et de son jumeau. Sans doute aurait-elle été moins enjouée si on lui avait appris que Jamâl et Ethan s’étaient re-affrontés, par sa faute qui plus était.
Mais là, tout de suite, elle l’ignorait et cela lui allait bien, en témoignait la note taquine qu’elle ne se retint pas de glisser dans son début de phrase suivante.

« Et si nous devrons vraiment reparler de ton vocabulaire une autre fois, me donneras-tu maintenant des nouvelles fraîches de ton côté ? Si tu en as le temps, bien entendu. Et l’envie. »

Quoi, elle tentait de dévier, avec ses gros sabots, la conversation ? Mais non. Si peu. Ce n’était pas son genre, d’esquiver le plus possible les problèmes qui la touchaient personnellement, surtout ces derniers temps. Pas du tout. Seulement, savoir ce qu’avait fait son vice-amiral préféré était bien plus satisfaisant que de retourner d’une manière ou d’une autre à ses propres ennuis.
Ses cinq doigts de tout à l’heure se relevèrent lentement. Posèrent une question muette, une seconde peut-être, avant de venir tenter d’effleurer, en une cajolerie, la peau si pâle d’une pommette du jeune homme qui se tenait là si fièrement.

« S’il te plaît. Me raconteras-tu tes derniers exploits ? Et sais-tu quand la Marine te laissera prendre une longue permission, Ethou ? »

Ajouta-t-elle, curieuse du moindre détail, même si elle savait devoir s’attendre à des résumés et à un " non " pour sa dernière question. Le " un peu ridicule, mais trop craquant " (dixit elle-même) surnom, un parmi tant d’autres qui dataient tous d’une période obscure, lui échappa, au passage, guidé sur ses lèvres par la joie qu’Ethan lui inspirait à n’en point douter.

Très, très courtement, son regard revint se distraire différemment, en posant sur sa chevelure à lui, si bien coiffée. Elle se demanda, comme trop souvent, si son bébé frère n’avait pas pris un centimètre ou deux durant leur dernière séparation. Il faudrait vérifier.

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Intrigué, intimidé, Ethan laissa sa sœur se rapprocher de lui, dans une proximité qu’il n’avait pas l’habitude de laisser à quiconque, si ce n’était peut-être Daniel. Les contacts étroits n’étaient pas réellement ce qu’appréciait le jeune homme de l’amirauté. Mais il la laissa, curieux. Il ne bougea pas et resta de marbre, figé à l’instar d’une statue, sauf qu’il respirait encore. Malgré sa « détention » au sein de cet hôpital, Lydia conserva ses habitudes et conserva sa touche féminine, notamment avec ce doux parfum qui embaumait la pièce. Pas trop chargé comme souvent utilisé par les femmes des milieux mondains, particulièrement sa mère, le parfum de l’ex-agente n’agressait pas les narines de son cadet.

« Pas formé pour les interrogatoires, je sais néanmoins reconnaître une personne qui tente de mener un contre-interrogatoire, dit Levi pour stopper sa sœur dans ses questionnements. »

Elle espérait sans doute que ce ne fût pas le cas, mais il était au courant de tout. La majordome, l’échec de la mission sur Zaun, le professeur qui effectua ses expériences sur sa sœur. Ethan dut utiliser ses relations pour obtenir ces informations, notamment son lien avec une des cinq étoiles, qui lui révéla en plus l’identité du bourreau de sa frangine. Il nota ce nom dans son calepin et jura de son occuper lors de ses prochaines vacances. Aussi, l’officier retrouva de son aplomb et affronta le regard, pourtant joyeux, de Lydia. Aucune colère n’émana de lui à cet instant. Au contraire, elle put ressentir une sérénité dissimulée derrière cette droiture protocolaire.

« Tu as vécu quelque chose de peu commun, Lydia. Encore en mer, aux abords d’Arcadia, je parvenais à ressentir tes peurs. Le traumatisme est encore présent et le doc’ m’affirme que c’est normal. Mais comme me le répète cet enfoiré de Daniel, tu es une Ragglefield et une Levi, plus robuste que n’importe quel bois, tu te relèveras plus rapidement que n’importe quel autre patient ayant vécu quelque chose de similaire. Regarde-toi, tu es déjà debout, ton corps répond déjà à cette envie de repartir à l’aventure. »

À ses propres propos, Ethan ressentit une folle excitation et l’ensemble de ses poils s’hérissèrent. De quoi sommes-nous faits, se demanda-t-il. En effet, quiconque a tenté de faire ployer le genou d’un membre de cette famille se retrouva heurté à un roc, infaillible, toujours debout, et ce, qu’importait les coups du sort.

« Je vois une pile de journaux sur ta table de chevet, tu connais mes aventures, reprit-il en esquissant un sourire. Mais hélas, je dois immédiatement repartir, le devoir m’appelle ailleurs.
- Où pars-tu ? s’empressa de demander Lydia.
- Tu le sauras bien rapidement. Mais pas très loin d’ici. Ne t’avise donc pas de faire des tiennes, je le saurais rapidement. À mon retour, d’ici quelques semaines, ta rééducation sera déjà bien avancée, alors nous pourrons envisager un avenir pour toi. Cela dépendra évidemment de ton avancement. »

Ethan resta volontairement flou. Il souhaitait de tout son cœur la guérison totale de sa sœur. Pour cela, elle devra travailler dur, forger son corps et son esprit, afin de repartir sur des bases plus saines. Il souhaitait la voir heureuse, rayonnante, arborant fière allure face à n’importe quel danger. Oui, du danger, il y en aura. Dans cette famille, personne ne reposait en paix et personne ne le désirait. Quand la plupart choisirent la voie de la Justice, du Gouvernement, d’autres empruntèrent un parcours bien moins élogieux, et il était du devoir de la famille de s’en occuper. Par rapport à certains, même Jamal paraissait sympathique. Quoi que cela était discutable, Jamal eut simplement l’intelligence de faire les mêmes choses, commandités par la Justice elle-même.

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Il aurait fallu s’y attendre ; son charmant petit frère vit presque totalement clair dans son jeu, mais ne nota visiblement guère que, si elle l’interrogeait, c’était parce que les réponses l’intéressaient vraiment. Il en ignora même une de ses demandes.
Tant pis, elle lui reparlerait plus tard du début d’une idée qui lui avait germé en tête. Affectueusement, le regard de Lydia pétilla doucement tandis qu’elle se mettait à vérifier, déjà, discrètement, sans se mouvoir d’un pouce et sans geste malvenu, où exactement le garnement l’atteignait à présent.

Au fur et à mesure des premiers dires de son puîné pourtant serein, la joie se fit chez elle légèrement moins perceptible. L’exercice, lui presque imperceptible, qu’elle effectuait demanda soit davantage d’efforts de concentration
- il se jouait après tout presque au millimètre près -, mais n’était pas le vrai responsable de cet état de fait.
Son sourire aimant se maintint notamment un peu trop en place, sans se mouvoir d’un iota. L’éclat furtif, dans ses iris, disparut de son côté aussi rapidement qu’il était apparu.

Que son adelphe lui avoua que sa détresse était perceptible de si loin n’avait rien pour lui réchauffer le cœur. C’était en partie lui remémorer qu’elle ne valait pas mieux qu’un lapin bourré qui mirait avec horreur la loupiote dédoublée d’une calèche lui fonçant dessus à vive allure. Hors, ce genre de faiblesse n’avait rien à faire dans leur famille, même si elle était normale. C’était une tare, dont il fallait éradiquer la présence au plus vite.
Qu’il la compara aux solides roseaux que lui ou son jumeau étaient à leur manière ne lui fit par contre ni vraiment chaud, ni vraiment froid. Elle se savait déjà bien moins compétente que ces hommes dont elle portait les noms et qui lui faisaient tour à tour perdre différemment la tête. Tellement peu à leur hauteur à tout niveau, malgré sa taille physique entre les deux, qu’elle ne les en aimait que plus encore.

Celui en face d’elle se trompait, malheureusement, sans doute encore sur un autre point. Si elle se forçait à y réfléchir, finalement, ce n’était peut-être pas véritablement pour l’aventure, que son corps avait déjà retrouvé partiellement ses fonctions motrices. Même si cela lui manquait, même si l’ennui le grignotait déjà. C’était davantage pour quatre sourires, quand bien trois étaient le plus souvent sans pitié. Et, égoïstement, autant par amour que par nécessité, pour un duo d’entre eux en particulier, si ce n’était un unique changeant, selon les moments.
Expliquer cela à haute voix lui parut cependant trop inutile, trop peu intéressant, aussi la fille Levi se tut-elle une énième fois. Sa mesure terminée, elle reprit, à la place, l’esquisse de sourire de son cadet d’habitude si autoritaire et le lui rendit, élargie.

Quel dommage qu’il ne s’amuse pas assez souvent, vraiment . Il n’avait pas conscience de combien voir s’éclaircir ses traits le rendait beau, n’est-ce pas ?

« Avant que tu ne partes, me permets-tu de revenir sur quatre dernières petites choses ? »

Glissa-t-elle rapidement, puisque son frère essayait de fuir, encore, quoique différemment. Ses raisons étaient cette fois clairement exprimées.

Elle ne le retiendrait point longtemps, malgré son désir gigantesque de le monopoliser toujours un peu plus. Comme d’habitude dans leur famille, les sentiments devaient ici céder face au devoir et Ethan était visiblement terriblement attendu. C’était de plus une loi qu’elle avait utilisé plus d’une fois par le passé, pour éviter que ses deux frères ne s’abîment atrocement. Il serait donc sans doute hélas de mauvais ton d’y contrevenir maintenant, pour son plaisir personnel, non ? Enfin. La jeune femme hésita, reflechit.
Dans un court silence, elle chercha ses mots, couvant de nouveau de ses mirettes le faciès plus jeune que le sien. Puis se décida, finalement, à presque employer le même langage que son vice-amiral préféré, pour tenter de lui faire rentrer deux trois choses dans le crâne. Des traces rieuses purent s’entendre dans son ton.

« Tes pseudo-menaces ne fonctionnent pas toutes très bien, tu sais. Il va un tout petit peu falloir les retravailler si tu désires qu’elles m’effraient assez pour me forcer à y obéir sagement. Ou les préciser, si tu ne veux pas les transformer en simples demandes que je t’accorderai volontiers. »

Lui expliqua-t-elle le plus légèrement possible, en faisant un court “non” de la tête.

« Que feras-tu vraiment, par exemple, si je me montre intenable pendant ton absence ? Me feras-tu patienter des jours durant ?… Ou reviendras-tu plus vite m’offrir ta compagnie ? »

Qui ne tentait rien n’avait rien du tout, si elle se souvenait bien du proverbe.

« Ne réponds pas tout de suite, laisse-moi finir de retourner un de tes dires contre toi, Ethou. Et t’exposer la plupart des points, puisque tu dois courir rejoindre tes hommes pour travailler. »

Lui ordonna-t-elle donc à son tour, tapotant une fois, s’il la laissa faire, son nez à lui d’un doigt. La suite fut une seconde tendre gronderie.

« Si je ne me fie qu’aux journaux, tu serais victorieux de presque tout sans lever le moindre petit ongle d’une bonne tasse chaude, ou alors à deux millimètres d’avoir tout perdu avant de remporter telle ou telle victoire finale. Et ces torchons sont actuellement ma seule source potable d’informations. »

Un petit soupir. C’était lui avouer presque ouvertement qu’elle l’avait discrètement surveillé dans le passé autrement, tout ça. Vraiment, elle se contrôlait mieux que cela, d’habitude.

« Passons donc un marché. Parce que si je finis par apprendre par leur intermédiaire de bien mauvaises choses, ne t’attends pas à ce que je joue paisiblement à la poupée, de service ou pas, en état ou pas. »

Elle leva le menton, le rebaissa pour pouvoir mirer son adelphe dans les yeux, un peu plus sérieuse.

Même si son adorable puîné tentait, en sa qualité de créateur des lieux, de déconseiller au personnel soignant de la laisser consulter les nouvelles, cela ne fonctionnerait normalement pas. Elle était presque sûre que ses presque inconnus voisins la laisseraient gentiment chiper les leurs contre un peu de compagnie. Après tout, elle ne devait pas être la seule à habituellement s’ennuyer.
Et s’il avait la terriblement mauvaise idée de désirer l’enfermer totalement pour la protéger, cela risquerait de lui donner bien de vilaines pensées. Dont des plans d’évasion que son petit frère risquerait de regretter, malgré elle. On ne lui enlèverait plus son semblant de liberté.

« Ne laisse rien d’affolant percer et je te promets d’essayer de me faire le plus possible patiente en échange. Cet arrangement te convient-il ? Si oui, voilà pour les deux premiers points. Pour le troisième… »

Lydia céda, esquissant une énième brève grimace. Inconsciemment peut-être, elle fit faire de petits cercles sur place à l’un de ses poignets.
Elle aborda à son tour et d’elle-même un des points qu’elle voulait à tout prix éviter, sachant qu’elle le payerait surtout quand Ethan ne serait plus là. Mais si c’était le prix pour retenir innocemment ce dernier quelques secondes de plus, ce n’était peut-être pas si cher payé, finalement.

« Je ne connais pas ton point de vue, mon si sage petit frère, sur ce que mes mains pourront faire, selon leur état. Mais rassure-moi simplement sur un fait. Que cela ne se résume pas à accompagner Mère, Père ou Grand-Père partout, dans ton esprit. »

Il fallait espérer qu’il ne l’imaginait guère non plus parader bêtement et éternellement au bras d’un bellâtre arrogant, sur des coins tellement visités qu’ils n’auraient aucun charme. Même pour lui complaire, ces deux options n’avaient jamais été et ne seraient viables.
À choisir entre ces trois atroces possibilités, elle préférait vraiment rester devenir folle d’ennui à l’hôpital. Où elle pourrait tendrement se venger en tentant de faire une liste de potentielles belles-sœurs biens sous presque tout rapport pour son petit puîné, tiens.

… Oh ! C’était une chouette idée tout court en fait, pour juste essayer de s’occuper l’esprit, si elle parvenait à se remémorer de qui étaient composées exactement les bonnes familles de Saint-Uréa.
Il faudrait qu’elle s’amuse, aussi, à tenter de dresser les qualités que devrait posséder la fiancée future du vice-amiral Levi pour obtenir son aval à elle. Et n’était pas sûre qu’un seul nom à sa disposition survivrait à ce tri-ci.

« Tu risques d’avoir une passagère clandestine bien plus que de temps en temps, si tu parviens par miracle à me convaincre que c’est un bon choix. »

Le taquina-t-elle doucement.
C’était une boutade aux trois-quarts en l’air ; elle n’aimerait pas s’imposer trop longuement à son côté s’il lui refusait ce droit. Ce serait bête de se faire complètement rejeter par le petit garçon devenu grand qu’elle avait presque toujours eu envie de davantage côtoyer, tout ça parce qu’elle aurait abusé. Même si cela restait tentant, d’un côté.

« Crois-tu que tu pourrais le supporter ? »

Le quatrième point qu’elle comptait relever fut passé sous silence. Pour le moment.
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Hélas, mais il s’en doutait, Lydia ne le laisserait pas s’en aller ainsi. Elle avait tant de choses à dire, à découvrir sur son petit-frère dont elle n’avait suivi les prouesses et mésaventures que de très loin. Ethan, de son côté, ignorait absolument tout de cette dernière. Bien naturellement, en restant fidèle à elle-même, Lydia retrouva de son aplomb et tint à remettre les choses en ordre.

« Des menaces ? Quelles menaces ? Ce n’est pas mon genre d’en faire, j’applique directement mes menaces, avant même de les signaler, vois-tu. Beaucoup auraient espéré avoir la chance d’être menacé, mais le temps manque cruellement ces temps-ci. J’ai à peine le temps de voir comment se porte ma grande sœur, fit-il finalement en se rapprochant d’elle et en lui tapotant l'épaule. »

Ses yeux maintenant proches des siens, elle put observer un fin sourire se dégager. Difficile d’en demander davantage. Une enfance tumultueuse, trop pour un enfant n’ayant pas connu de réels moments de joie, Levi n’apprit à sourire que grâce à ses camarades de voyage. Un jour, peut-être, sera-t-il capable de sourire complètement.

« Tu es ici chez toi. Pas prisonnière. Les rues sont dangereuses, alors je serai rassuré de te savoir ici, mais je me doute que tu partiras. Je peux demander une escorte, mais là encore, je sais que tu les sèmeras. Je crois savoir que tu es une excellente guerrière, mais n’oublie que tu es en convalescence. Ainsi, tu es libre de faire ce que bon te semble, mais j’apprécierai de te savoir en sécurité et te retrouver en pleine possession de tes capacités. »

Concernant la suite, si elle pensait déstabiliser son cadet, c’était raté. Mais était-ce réellement son intention ? Levi en douta fortement. En effet, elle lui démontra qu’elle suivait ses aventures, malgré ses nombreux voyages. Ce n’était pas tout à fait exact. Le vice-amiral se remémora surtout les nombreuses fois où sa vie ne s’était tenue qu’à un fil, un poil de cul. Et la mission qui l’attendait ne fera qu’augmenter ses chances de mort.

Ainsi, quand elle s’inquiéta sur ce qui l’attendait, Ethan n’eut d’autre choix que de donner un peu de tendresse à sa sœur. Mais il retrouva son sérieux quand, toujours la main posée sur son épaule, Lydia évoqua son avenir. Plutôt l’avenir qu’elle ne désirait pas. En effet, sa crainte était de se retrouver à escorter leur mère, leur mère ou leur grand-père. Ethan pouffa de rire. Il fut incapable de se retenir tant cette possibilité était inenvisageable.

« Comment une idée aussi saugrenue a-t-elle pu te traverser l’esprit, Lydia ? Père protège Mère mieux que n’importe quelle escorte. La dernière fois qu’un individu a tenté de poser la main sur elle pour le faire chanter, cet individu disparut dans la seconde. Et Père, je pense qu’il se suffit à lui-même, hein. Quant à Grand-Père, j’attends de voir si un homme sur cette terre est capable de le vaincre. »

Levi tenta à plusieurs reprises, au cours de plusieurs entraînements privés, de défaire son grand-père. Or, dans chacune de leur confrontation, le vieil homme gagna sans la moindre difficulté, les mains dans le dos, contre à un vice-amiral pourtant prometteur. Un monstre. Leur Père l’était probablement tout autant. Par ailleurs, le vieux annoncera plus tard qu’un membre de leur famille devait être arrêté, mais qu’il en était lui-même incapable. Cette nouvelle aura l’effet d’une bombe dans l’esprit d’Ethan.

« Ce que je te propose, grande-sœur, c’est d’intégrer ma flotte, à la condition d’être entièrement remise. Je n’ai rien contre les infirmes, mais je ne peux pas les emmener où je vais. »

Il se décida enfin à lui révéler ses intentions. Il n’était absolument pas certain que sa sœur acceptera cette proposition. Après tout, elle passerait d’un agent du prestigieux cipher pol 9 à être une officière de la marine régulière. Ethan trouvait cela bien plus gratifiant, mais ce n’était peut-être pas l’avis de sa frangine. Elle serait cependant un précieux atout. En plus d’apprécier la présence de cette dernière à ses côtés, le vice-amiral pourrait jouir de son analyse, de sa finesse et de ses compétences exceptionnelles.
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Son adelphe aux yeux clairs s’arrangea encore pour répondre sans trop en dire à ses premières interrogations, ou pour les laisser de côté. Impossible cependant de lui en vouloir d’aussi peu se dévoiler ; d’un ils n’étaient pas assez proches pour qu’elle puisse réellement espérer qu’il se confie franchement à elle, et de deux Ethan fit tout de même plusieurs pas, au moins, dans sa direction.
Au lieu d’ainsi continuer à faire semblant d’ordonner, il formula un souhait presque tout comme elle l’avait requis. Lui offrit quelques phrases tenant d’une légère boutade, un compliment doublé d’un nouveau fantôme de sourire, en plus d’un tapotement d’épaule prolongé et d’un petit rire qui fit vibrer l’étirement de ses propres lippes.

C’était définitif, incontestable ; tout comme elle pouvait jurer sur toutes les merveilles du monde, et ce sans mentir volontairement, que l’objet de son affection avait bel et bien pris quelques millimètres (la réalité était en vérité autre) ou qu’il n’avait normalement pas été tout dernièrement cabossé de partout, la joie, fugace ou non, lui allait décidément toujours à merveille, à ce petit frère trop sérieux.
Même causée par une méprise telle qu’en ce moment. Guidée par ses frayeurs et ses doutes, la jeune femme n’avait en effet jamais songé défendre qui que ce soit, surtout pas leurs ainés, mais cela importait peu. À voir le vice-amiral Levi si amusé, Lydia se fit de nouveau égoïste et se retint de préciser quel rôle bien moins glorieux elle avait pensé être en mesure de jouer. Profiter davantage du spectacle qu’on lui offrait était bien plus intéressant, aussi haussa-t-elle tout bonnement son épaule libre.

« Oh ! »

Ce fut sinon tout ce que la proposition suivante du marin l’entendit lui répondre sur l’instant même.

Au semblant de curiosité qui s’était peint sur ses traits, alors qu’Ethan avait commencé sa phrase, se mêlait maintenant à une note de surprise. Qui fut vite remplacée par l’expression d’un nouveau plaisir rempli d’espérances qu’elle ne parvint sans doute pas à cacher.
L’idée neuve, à laquelle elle n’avait pas réfléchi jusque-là, était délicieuse sur certains aspects. Elle pouvait de plus véritablement devenir un but concret, chose qui lui manquait cruellement dernièrement. Même si les conditions qui l’accompagnaient étaient moins savoureuses, tout comme les potentiels problèmes qu’elle pouvait engendrer.

Enfin. Il ne fallait pas penser à ce qui pouvait tempérer l’excitation que les dires amicaux avaient amené. C’était déjà trop tard, bien sûr, en partie du moins. Pas assez cependant pour lui faire perdre cette courte, mais géniale impression d’avoir récupéré un cœur d’enfant pataud, gentiment émerveillé. Ça matraquait presque douloureusement son sein, tout en étant si agréable et doux à ressentir. En quelques mots, la cp à la retraite forcée se sentait simplement et bêtement fondre davantage pour de bon.
Pour peu, elle aurait eu envie de sauter au cou de son puîné. Il lui fallait déjà toute sa volonté pour se retenir d’embrasser à loisir le front de l’adorable garçon qui se tenait là, ou d’applaudir de joie. Ethou avait, en plus et après tout, dépassé ses prévisions et répondu mieux que prévu à ses dernières questions directes ou non.

Dans le but d’essayer de camoufler de son mieux la source de sa soudaine fausse léthargie apparente, ce plaisir mièvre et saugrenu que son frère n’apprécierait peut-être pas beaucoup - qu’en savait-elle ? -, et de ne pas céder à sa pulsion, Lydia tourna la tête, brièvement.
Son regard rencontra du coin la lointaine gelée qui trônait toujours sur la table. Oubliée depuis que le responsable de ses derniers sourires était rentré et s’était mis à illuminer à sa manière la pièce de convalescence, la nourriture sans intérêt la nargua moins d’une demi-seconde. Et si.. ? Chuuut.

Chut. Vraiment, chut. Il serait toujours l’heure de retourner aux fâcheuses supputations plus tard, de peser chaque argument dans le silence religieux dicté par l’ennui. De réfléchir à la déception qui serait sienne, si cela ne pouvait finalement pas se faire. Et de tenter d’envoyer ce foutu dessert se promener sur une autre île, quitte à le glisser auparavant dans les poches de son gradé préféré.

« Penses-tu que … ? Je me renseignerai. »
S’interrompit-elle toute seule, toujours enchantée, en ramenant son attention sur les yeux de son adelphe.

Les propos d’Ethan lui avaient ouvert un champ de possibles fabuleux qu’elle commençait malgré elle déjà à explorer. Son timbre s’ornait d’ailleurs maintenant d’un soupçon d’espoir qui ne trompait pas. Le léger tremblement qui agita ses menottes, lorsqu’elle en leva une à nouveau, le contredit cependant peut-être légèrement. Ou au contraire le souligna.
Elle chercha à se saisir des doigts posés sur elle, non pour les faire fuir, mais au contraire les serrer délicatement. Sa main continua à s’agiter ensuite, toujours, vint ensuite effleurer une énième fois une de ses tempes s’il la laissa faire.

« Tu as raison. Est-ce … Nous en reparlerons à ton retour. »

À croire que la surprise, quand elle lui était délivrée par son cadet, lui faisait stupidement perdre du vocabulaire. Oui, bon, hein.
Trop de mots se pressaient soudainement sur sa langue. Pour ne pas faire de déçus, Lydia décida finalement de ne plus en choisir aucun.

« En attendant, prévois cette escorte si tu le souhaites, Ethan. »

Rajouta-t-elle vivement à la place, revenant sur un de leurs sujets précédents, un qui ne la faisait pas bredouiller de bonheur, et soulignant s’il le fallait qu’elle tiendrait sa part du marché qu’il n’avait pas accepté.

Elle se tiendrait véritablement sage, c’était promis, outre quelques promenades sur l’île - pas seule, si possible, tant qu’on ne lui ordonnait rien. Elle doutait encore trop de ses capacités. - quand l’ennui se ferait trop difficile à supporter et que son corps accepterait de bouger davantage. Sauf si son si doux cadet se révélait incapable de revenir entier, ou se retrouvait bloqué des mois durant à la place de quelques semaines, cela allait sans dire.
Au moins pour qu’il n’ait pas à se préoccuper d’elle alors qu’il bossait. Et d’autant plus maintenant qu’il l’avait presque demandé gentiment.

Ses doigts à elle, sempiternellement vivants, cherchèrent à présent à cajoler une joue.

« Je ne la sèmerai vraiment pas trop. »

Ou peut-être même pas du tout, selon son comportement. L’aveu de faiblesse, de vulnérabilité inhabituelle de plus, fut prestement suivi par une autre évidence.

« Il faudra cependant que je repasse par la maison tôt ou tard. Comptes-tu t’y rendre, après ta mission ? »

Elle avait un bidule à y faire, une fois qu’elle serait assez remise. Plusieurs en fait, tous trop personnels. Des affaires à vandaliser d’une certaine manière, notamment, même si cet acte avait un quelque chose d'amer cette fois-ci.
D’autres coups de dague à délivrer, aussi, tels autant de messages, sur un autre support. Et diverses menus actes variés, moins défoulants, plus pesants.

« Tu prendras toi aussi soin de toi, n’est-ce pas. »

Essaya-t-elle finalement encore de faire jurer son adelphe, tout en sachant que c’était trop tard pour s’en préoccuper si directement, que cette requête-ci aurait dû traverser ses lèvres des années auparavant. Mais mieux valait un jour tardif que jamais, non ?

« D’ici à ce que tu reviennes de ton “ pas très loin “, j’aurai sans doute récupéré assez de muscles pour menacer de te botter les fesses si non. »

Tenta de nouveau de plaisanter, bien que moins rieuse, la blessée qui tira doucement la joue pouponnée de sa victime désignée, s’il la laissa ainsi le toucher.

Il avait bien entendu fallu qu’elle sorte un truc en lien avec son habituelle bêtise, même si elle avait moins de charme que d’habitude. Outre qu’il était hors de question de lever de nouveau violemment la main sur son frère - jamais si elle pouvait l’éviter ! - elle n’était pas sûre à mille pour cent de pouvoir récupérer assez pour ainsi le forcer à l’ouïr.
C’était terriblement long, quelques semaines, mais serait-ce dans le même temps suffisant ?

Un souffle. Puis un énième espoir, qu’elle savait déjà sans doute déçu, traversa ses lèvres, presque intimidé.

« Me parleras-tu plus en détail de tes hommes, alors ? »

Nul question de genre ici. Mais son si adorable, son puîné chéri, devait s’en douter.
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Grâce à son empathie aiguisée, plus encore quand il s’agissait des siens, Ethan put ressentir la vive émotion qui s’échappa de son aînée. Il aurait aimé ne pas utiliser cette capacité avec les siens, mais elle était systématiquement activée, notamment depuis son passage sur Tetsu Island où ses furent constamment en alerte. Il était satisfait d’avoir pu lui faire plaisir et d’avoir pu apaiser la situation. Les mots et les gestes n’étaient la spécialité du vice-amiral qui se faisait régulièrement remarquer par son manque de tact. Cela lui causa des torts face à ses supérieurs directs, notamment l’Amirale en cheffe, Kenora, qui lui retarda sa promotion en partie pour ce fait.

Mais on ne le changera pas.

Il sentit une hésitation soudaine chez sa sœur. Elle ne finissait pas ses questions, restait vague. Cela avait le don d’agacer Ethan qui n’aimait pas perdre son temps à chercher des réponses inutilement, en sachant que cela le travaillerait quotidiennement. Mais il se calma quand Lydia lui informa qu’il pouvait détacher des soldats pour l’escorter et qu’elle ne devrait pas trop s’amuser à les semer. C’était vraiment une bonne nouvelle. Il savait comme cet effort serait éprouvant pour sa sœur qui a logiquement soif de liberté. Surtout qu’elle était théoriquement un peu plus libre qu’elle ne l’était au cipher pol.

Mais alors perdu dans ses réflexions, à savoir ce qu’il pouvait apporter de plus au confort de son unique sœur, ses paroles le ramenèrent à la réalité, notamment quand elle mentionna devoir retourner à la « maison. » [i]Qui diable voudrait retourner dans cet enfer, pensa-t-il. Qui sait ce qu’il se passera si Jamal était dans les parages, à m’attendre patiemment chez ces tarés. Je ne pense pas qu’elle y aille de gaieté de coeur, alors j’imagine qu’elle a des affaires à régler. J’ai promis de prendre soin d’elle et de l’accompagner où qu’elle aille.

« Cela ne m’enchante pas vraiment, mais si tel est ton désir, j’irai affronter le regard mesquin de ces gens avec toi. Mais quelle bête te pique pour vouloir leur rendre visite ? Entre Tetsu Island et leur demeure, je ne saurais choisir la destination qui me conviendrait un peu mieux que l’autre. »

Il ne l’avait jamais caché à personne s’y intéressait un peu, pas même ceux de son sang, il tenterait tout pour se détacher de sa famille. Partager le même ADN ne faisait pas tout selon lui. Par ailleurs, il était né avec beaucoup moins de qualités que les jumeaux, preuves qu’ils n’étaient pas tous identiques et n’avaient peut-être pas les mêmes géniteurs. Cela pourrait expliquer pourquoi Mère le détestait tant. Au départ, Ethan pensait que c’était uniquement du à sa fragilité, mais l’idée de ne pas être son fils concordait également. Si ce n’étaient certains traits de leur père qu’ils partageait tous les trois, Ethan et les jumeaux ne se ressemblaient presque en rien.

Il ne disposait pas de la perfidie de Mère. Quoi que Lydia semblait en être dépourvu. Levi pensa plutôt que Jamal en hérita entière et que Lydia récolta toute la bonté de son père, même si ce dernier la dissimulait remarquablement bien. Ethan passa de nombreux moments agréables avec son paternel, malgré le fait que tous ces moments furent cachés et couverts par son grand-père. Cette famille, c’était un récit. Une science à elle seule. L’unique cadeau qu’Ethan n’ait jamais eu de sa famille se résumait à ce meitou de bonne qualité, héritage de ses ancêtres. Étant le meilleur épéiste de la famille, on lui la transmit naturellement, certes contre la volonté de Mère, mais on lui transmit en toute légitimité.

Elle sembla satisfaite de sa réponse. Pour elle aussi, se rendre au domaine Ragglefield n’était pas chose aisée, surtout après sa déroute sur Zaun. L’échec n’était pas admissible. Mais sachant que son petit-frère l’accompagnerait devait certainement une retirer un certain poids. Ainsi, Ethan sourit de nouveau quand cette dernière lui signala qu’à son retour, elle sera quasiment remise de ses blessures et prête à lui botter le derrière si nécessaire.

« Le temps où Jamal et toi vous amusiez de ma personne est révolu, Lydia. Ni toi ni lui êtes en mesure de me botter les fesses à présent, fit-il d’un air arrogant, prenant de la hauteur malgré sa modeste taille. »

Cette boutade n’eut pour but que d’animer en Lydia cet esprit de gagne, de compétition, qu’ils ont toujours eu dans la famille. Ce coup-ci, observant le soleil se coucher de la fenêtre au dos de sa sœur, il rebroussa chemin en direction de la porte sortie. Il tourna la poignet de la porte mais ne tira pas sur celle-ci.

« Je reviendrai, grande-sœur. Ensuite, nous repartirons d’ici ensemble. Je pourrais passer des jours entiers à te parler de mes hommes… Ceux qui demeurent encore à bord de mon navire, ceux qui ont pris leur retraite, puis bien évidemment ceux qui ont péris. Je connais une personne que tu apprécieras à coup sûr et qui sera très heureux de te parler de chacun des hommes qui ont un jour partagé et qui partagent toujours nos aventures. »

Il se retourna une dernière fois, de profil, ne laissant apparaître qu’un léger sourire rempli de détermination.

« En attendant, concentre-toi uniquement sur son rétablissement. Renforce-toi. Entraîne-toi. Bats-toi. »

Puis il quitta définitivement la pièce.
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« De gentillets messages à y porter en personne. Nous n’aurons pas besoin d’y rester longtemps, si nous ne sommes pas invités à le faire. »

Quelques heures, tout au plus. Le coeur battant toujours d’une joie certaine, ce fut ce qu’elle répondit lorsque son cadet l’interrogea sur ce qui l’amenait à penser à retourner dans la maison familiale.
Rentrer davantage dans les détails, surtout alors qu’elle n’avait pas terminé de décider jusqu’à quel point exactement ses petits mots d’amour frustrés seraient explicites, ne lui était cependant pas véritablement possible. Heureusement, son interlocuteur ne parut pas désirer insister.

Innocemment, elle espéra que leur parentèle serait absente lors de leur passage. Pourquoi pas en vacances, loin, heureuse, en bonne santé et occupée à satisfaire l’une de ses déviances. Ce serait un probable tracas de moins à supporter, au moins pour son adorable futur accompagnateur.
Leur père et mère n’étaient, sur le coup, pas ceux qui intéressaient la cp à la retraite le plus, et elle doutait de son côté qu’ils croiseraient Jamal dans les quartiers de leur enfance. Après tout, du peu qu’elle songeait toujours connaître de lui, sauf miracle ou appel maternel, son jumeau devrait encore jouer au solitaire froid, bêtement silencieux et magnifiquement ténébreux dans son coin. Au moins les deux garçons ne se battraient-ils potentiellement pas, cette fois.

Enfin. Là tout de suite, qu’importaient vraiment les présents lors de leur future visite. Savoir que son tout petit frère ne la laisserait pas s’y rendre seule lui mettait en effet un bien agréable baume au coeur. Quand même il n’y aurait personne, sa présence serait une béquille réconfortante, une aide plus grande qu’il pouvait peut-être le songer.
Un rappel de garder le menton haut, aussi, malgré son échec cuisant. Si ce n’était pour elle, au moins pour lui et ses sourires bien trop rares. Si précieux. Ne pas l'inquiéter serait une priorité qui lui permettrait de faire des miracles, tel de se retenir de détruire complètement les quartiers de l’ainé Levi, elle n’en doutait pas.

Lydia comptait malgré tout bien trouver le temps de s’éclipser, de s’écarter de sa personne rassurante, pour laisser ses “missives” sans papier et sans palabres. Une fois encore, leur contenu était trop personnel et qu’Ethan puisse se sentir réellement concerné à leur sujet ne lui vint pas à l’esprit, alors même qu’une partie risquait indirectement le toucher.
Le si délicat vice-amiral n’avait vraiment guère besoin de savoir exactement, et d’autant moins de supporter, combien l’absence de Jamal lui pesait et la blessait, plus sûrement encore que ses plaies physiques. Ou comment elle entendait se faire entendre et tenter de faire réagir ce stupide, borné, puéril, non-présent frère qu’elle aimait, malgré ses défauts.

Un énième sourire d’Ethou l'empêcha de retomber dans de bien vilaines pensées. Ses dires, défi déguisé - du moins les prit-elle ainsi -, l’amenèrent à gonfler ses joues très courtement, pour retenir un pouffement de rire dégoulinant de fierté le concernant. Il a tant grandi, dans tous les sens du terme.
Tandis que le jeune homme s’écartait hélas déjà, ne la mirait plus, elle le toisa avec tant de tendresse qu’il n’y avait pas l’ombre d’une menace ou de mépris dans son regard.

« Je n’ai jamais parlé de m’y prendre à la loyale. »

Souffla-t-elle, faussement mielleuse, terriblement douce. Il était en effet toujours hors de question de provoquer un quelconque duel pour obtenir ce résultat. Ou une décision simultanée d’en venir aux mains. Prendre le risque de le blesser n’était vraiment pas un but et déjà des ébauches d’idées de plans plus délicats, pour certaines totalement improbables et infaisables même une fois guérie, quoique agréables, lui venaient à l’esprit.
Que toutes se terminaient en réalité simplement par un simple tirage de joue, un calin qui manquerait d’étouffer l’adorable fautif et quelques mots bougons d’une sœur inquiète n’étaient pas le plus important.

Il posa sa main sur la poignée, dos tourné. L’une des siennes se releva une ou deux secondes, pour se rabaisser tout aussi rapidement. Le retenir encore n’est vraiment point acceptable, n’est-ce pas ?
Malgré son départ imminent, elle ouït avec plaisir son puîné placer plus de mots sur un sujet qu’il ne l’avait fait jusque-là pour aucun autre. Nota de le re-interroger sur ce point plus tard. À son retour, par exemple. Quand ils auraient le temps de se poser, un jour, pour pouvoir en profiter le plus possible.

Il fila agilement ensuite, réussissant cette fois une fuite propre, nette et totalement prévisible, la laissant avec le souvenir de ses sourires et de son rire, des espoirs plein la caboche.

« Reviens vite, Ethan. »
Envoya-t-elle dans le vide, une fois la porte fermée, sans hausser la voix, les yeux tournés vers la poignée qui ne se mouvait plus.

Même lorsqu’elle finit par se laisser glisser sur son lit, pour reposer ses membres que la station longuement assise, puis debout, avaient un peu éreinté, le bonheur apporté par la visite surprise ne s’étiola pas totalement tout de suite.
À présent qu’elle était seule, quand l’ennui qui revint trop vite, attiré par sa solitude et par une nouvelle et éphémère sensation de manque mélancolique, accepta de la re-laisser en paix par à-coups, elle reprit de plus parfois un air bêtement ému en songeant à certains des gestes de son cadet, quelques uns de ses dires. Dans sa caboche se rejouait donc avec amour, de temps en temps, le passage trop éclair de son frangin.

La gelée, toujours abandonnée sur la table, vivrait. Pour quelques temps encore du moins, même si sa mort à venir commençait déjà à lentement se préciser. Quelque chose à voir avec des ricochets, un escalier et de l’eau.
Ethan avait apporté à sa soeur le meilleur présent possible, chose que cette dernière n’espérait pas : assez de douces choses auxquelles continuer à songer de long en large, pour ne pas retomber sur l’instant dans des envies à rallonge de meurtre de dessert, ou plus douloureux. En plus de trucs à vraiment soupeser, lorsqu’elle aurait le coeur à s’y pencher. - Son magnifique petit frère était décidément bien trop parfait.

Et bien trop gentleman envers elle, vu combien elle s’estima finalement vraiment peu présentable à son goût. Ses doigts vinrent tôt ou tard en effet frotter, pour les faire disparaître, deux faux plis presque invisibles sur sa chemise immaculée.
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