La Paume Souple
Présent
✘ Solo Entraïnement
✘ Solo Entraïnement
Et voilà que l’aventure commençait enfin, fièrement pirate et de bon matin. À dire vrai, j’avais la pression, ce qui expliquait mon levé bien matinal en même temps que les premiers rayons du soleil. J’avais toujours opéré plus ou moins seul, sans jamais trop m’attacher aux gens avec qui je partageais mes aventures et cambriolages. La preuve en était une de mes nouvelles camarades, Megumi, que j’avais rencontré des mois plus tôt à Goa lors d’un casse qui avait mal tourné pendant un bal. Et voilà que le passé revenait me hanter.
Quoi qu’il en soit, durant les quelques jours en mer depuis Whiskey Peak, j’étais pensif. Moi qui jouais des muscles à la moindre occasion, j’avais été témoin de la puissance du capitaine Aze, qu’il ait des pouvoirs extraordinaires ou non. Et, moi qui m’étais toujours trouvé balèze, je faisais encore pâle figure en comparaison. Certes il avait plus d’expérience, à écumer les mers depuis plus longtemps que moi, mais c’était tout de même rageant de se sentir aussi faible. Et pourtant, avec une telle puissance, il avait peiné face à son adversaire, devant le prendre en traître en le poignardant le dos pour en venir à bout. Je n’avais rien à redire à ce genre d’action, l’important est toujours la victoire dans ce genre de cas, mais cela donnait une bonne idée du genre de monstres que nous devrions affronter dans le futur.
Ainsi, je m’accoudais à la rambarde du balcon de ma maison, observant l’océan et ses vagues qui venaient s’écraser sur le dos de Borat et sur les navires de l’équipage. Un peu plus haut, sur le pont des bateaux, les membres d’équipage s’attelaient à leur tâches quotidiennes. Je les plaignais, ça n’avait pas l’air facile de s’occuper de navires aussi imposants, et j’avais vraiment l’impression de ne rien branler. Il faut dire que c’était assez vrai, je m’étais présenté à Aze et au reste de l’équipage comme un musicien, redécouvrant les joies de la musique avec les instruments trouvés dans les cabines de L’indompté, et je me contentais de leur jouer de la musique quand j’avais le temps.
« Bon, quand faut y aller, faut y aller. » dis-je comme si je me parlais à moi-même, tournant la tête pour trouver Morpheo, le petit chat noir, à un mètre, assit sur la rambarde. « Merci mon pote, j’ai moins l’impression de causer tout seul grâce à toi. »
Je me mis à lui câliner la tête d’un main en levant un pouce en l’air de l’autre. Momo, plus intelligent qu’il n’y paraissait, leva une patte triomphante.
~ Meoow ! ~ fit-il tout sourire, ce qui y ressemblait tout du moins.
Entrant dans ma maison, je descendis dans ma chambre pour m’emparer du plus bel instrument que j’avais trouvé : un luth classique au dos bombé peint de noir et côtelé de dorures et d’arabesques magnifiques, à la fois clinquant et discret, tout moi quoi. Je sortis alors de chez moi pour grimper à bord de L’indompté, l’instrument tenu à une sangle dans mon dos. Je prenais alors place, assis sur un tonneau, la tête baissée sur l’instrument à chercher mes marques sur ce type d’instrument particulier. Un manche large pourvu de dix fines cordes par paires accordées à l’unisson pour les aiguës et à l’octave pour les graves. Le cheviller placé en angle par rapport au manche demandait pour l’accordage un certain doigté. Après quelques tests maladroits, un type affairé aux cordages se mit à pouffer en m’observant.
« Y s’rait plus utile à laver l’sol ç’ui là. » souffla-t-il, bien assez fort pour que je l’entende, et il le savait bien.
Levant calmement mes yeux vers lui, l’homme le soutint quelques secondes avant de détourner le regard et retourner à ses occupations en sifflotant. Puis, mes doigts se mirent en mouvement, s’appuyant d’un côté sur le manche en écrasant habilement les cordes et de l’autre en les égrenant du bout des doigts, entrecoupé de pincement sur deux cordes. La musique, nostalgique, semblait faire réagir.
"Lachrimae" by John Dowland
Une musique de mon enfance, qui à ce souvenir me venait naturellement à mesure que mes doigts se déplaçaient. C’était mon père qui à l’époque me l’avait apprise, quand j’étais encore tout jeune et que nous coulions des jours heureux à voguer sur les mers de South Blue avec la troupe Mazino. Tout ces souvenirs me revenaient tels des vagues tandis que mes doigts entraient en transe, comme un écho du passé qui revient nous hanter. Rendant alors hommage à mon paternel, je me laissais entraîner dans la litanie, fermant des yeux mouillés en me concentrant sur la musique. J’avais l’impression que les notes dansaient autour de moi, revêtant un aspect presque tangible tandis que mes poils aussi blancs que mes cheveux se hérissaient sur mes bras nus, les manches de mon sweat-shirt repliées jusqu’aux coudes.
Entraîné dans le morceau, je le finissais finalement avec quelques larmes coulant de mes deux yeux toujours fermés et beaucoup trop secs depuis trop longtemps. Mes doigts restèrent en suspend suite aux dernières notes, rouvrant mes yeux pour m’apercevoir que les membres d’équipage présents sur le pont s’étaient arrêtés. Leurs visages tournés vers moi, la plupart pleuraient à chaudes larmes tout en restant aussi fiers qu’ils le pouvaient, toujours debout sur leurs balais à frotter le pont, s’essuyant les yeux avec leurs cordes ou leurs voiles, pleurant par-dessus le bastingage pour mêler leurs larmes à la mer. En bref, je n’y comprenais plus rien.
« Putain les gars, il vous arrive quoi ? » fis-je, étonné de tous les voir comme ça.
Tous essayaient de garder la face en se cachant les yeux ou en faisant des moues ridicules, les larmes coulant sur chacune de leurs joues tels de petits ruisseaux. Le gars au cordages qui avait insulté mes talents un peu plus tôt tremblait avec sa corde entre les mains, clignant frénétiquement des yeux en me regardant.
« Putain mec, j’suis désolé...aaaaaaah bordel, tu me manques maman ! » s’exclama-t-il, entrecoupé de sanglots frénétiques qui le soulevaient tels des hoquets intenses.
« Woh du calme mon gars, pas besoin de chialer comme ça ! » m’exclamais-je, surpris.
Je n’y comprenais plus rien, qu’ils soient émus par le morceau mélancolique que je venais de jouer, je pouvais comprendre, mais qu’ils réagissent ainsi c’était un peu fort. Puis, portant une main à ma joue je me rendis compte que j’avais moi-même pleuré. Est-ce que, par le biais de la musique, j’avais réussis à leur transmettre mes émotions nostalgiques amplifiées, ou peut-être étais-je simplement bon musicien. Cependant, tous occupés à s’éponger les larmes, il n’y avait plus personne pour s’occuper du navire et, l’incompréhension générale de leur propre tristesse se dissipant, tout le monde sur le pont se reprit soudainement et se remit à ses corvées. Toujours surpris, je décidais de ne plus me laisser aller en jouant et enchaînais sur des musiques entraînantes, plus adaptées pour motiver les troupes.
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Nous arrivions finalement à Banaro pour une halte due à ma propre faute. En effet, lors de mon combat contre la fille du Cristallin, j’avais brisé le pont en y formant un trou assez large menant directement à l’étage inférieur. Et, pendant notre traversée jusqu’ici, plusieurs membres d’équipage y étaient déjà tombés à plusieurs reprises, sobres ou non. Généralement, la chute était accompagnée de noms d’oiseaux lancés à mon égard. Ainsi, forts des talents de charpentier de Aze, il avait décidé de nous arrêter ici pour réparer le navire.
Pour le coup, je n’étais pas d’une grande utilité, mais je voulais quand même essayer. Du bois était nécessaire et, pour fournir les matériaux nécessaires à la construction de ma maison aux charpentiers de Portgentil, j’avais déjà tranché quelques arbres par le passé. Ainsi, j’aidais à abattre ceux qui entouraient la crique dans laquelle nous avions jetés l’ancre. Borat avait posé son menton sur un bord rocheux, ses pattes trouvant une hauteur suffisante pour pouvoir se reposer dans cette position et sa tête formant comme un pont permettant d’accéder à la maison.
Après avoir bûcheronné tel un professionnel efficace mais dangereux, je restais pensif sur la crique, observant d’un œil distrait les pirates s’affairer à transporter les troncs pour les débiter en planches. Leurs gestes assurés dénotaient d’une certaine expertise, guidés par les ordres et directives du capitaine qui, à n’en pas douter, connaissait bien son affaire dans le domaine. J’avais tenté d’aider mais, rien qu’à ma façon de tenir un marteau on pouvait aisément deviner que je n’étais pas doué avec des outils. Lors de la construction de ma maison au Royaume de Bliss, j’avais alors essayé d’aider mais, ma maladresse avait plus ralentit les ouvriers qu’autre chose et, sur le pont de L’indompté, marteau en main à plier les clous malhabilement, un des gars de l’équipage s’approcha en se grattant l’arrière de la tête, apparemment embarrassé.
« Euuuh, Ren je peux te parler ? » demanda l’homme, n’osant pas me regarder dans les yeux.
« Ouais, bien sûr. » répondis-je en écrasant à nouveau un clou qui se plia de biais en dépassant de quelques centimètres.
« Euuuh, tu voudrais pas faire une pause ? Tu nous as déjà beaucoup aidé avec les arbres... »
« Ah, je vois... » soufflais-je, conscient du message qu’il tentait de me faire passer.
Je me relevais doucement, lui rendant le marteau. Je quittais alors le pont, les mains dans les poches et la tête basse à regarder mes pieds, gêné. Je passais à côté des membres d’équipage qui s’affairaient autour du navire à préparer les troncs, retirer les branches, les découper en planches et les préparant avec une expertise que je n’atteindrais probablement jamais dans ce genre de domaine. J’y mettais de la bonne foi pourtant, toujours prêt à rendre service et à me rendre utile, mais que voulez-vous j’étais vraiment maladroit lorsque j’en venais à utiliser des outils, mon corps était le seul que je maîtrisais.
Quittant la crique, je partais de mon côté visiter Banaro, quitte à ne pas pouvoir être utile aux réparations autant m’entraîner pour me montrer digne de l’équipage. J’étais un bon combattant et musicien mais, pour le reste, il ne fallait pas trop compter sur moi. Au moins, avec la musique et la taverne, je justifiais ma présence en remontant le moral de l’équipage. Mais, même pour le combat, j’avais un doute sur mon utilité, je n’étais plus sur les blues après tout. Ainsi, je m’absentais du chantier naval improvisé pour partir me perdre sur les terres infertiles et rocailleuses de Banaro, afin de trouver un terrain adapté et discret pour m’entraîner.
Après de longues minutes à marcher ainsi, les mains dans les poches, je finis par trouver une large clairière, presque entièrement cerclée d’une couronne de grands rochers qui formaient comme une arène naturelle rocailleuse. L’endroit était idéal, ponctué de rochers que je me ferais un plaisir d’éclater pour tester ma force et mes techniques. J’étais le genre de type à m’adapter au combat, à analyser les mouvements de mon adversaire pour m’en inspirer voir les copier lorsque leurs techniques étaient particulièrement classes et proches de mon propre style de combat.
Avec quelques-unes de ces techniques en tête, je me plaçais au cœur de l’arène, face à un rocher deux fois plus haut que moi pour la même largeur. Me mettant en position, j’armais un poing que je ramenais en arrière, l’autre main toujours dans la poche de mon pantacourt, elle aussi formée en poing ainsi dissimulé. Ramenant une jambe en arrière en traçant un arc de cercle du bout du pied sur le sol, je pris appui dessus. Puis, ramenant mon bras en avant en imprimant une torsion à la partie supérieure de mon corps, j’envoyais une droite puissante dans la pierre, mon poing s’enfonçant en formant un cratère et en dessinant une multitude de petites fissures qui partaient dans tout les sens. Sans m’arrêter, mon pied toujours en arrière me poussa dans un bond vers l’avant, exécutant un mouvement de vriller aérienne, donnant à mon corps une célérité qui démultipliait ma force de frappe. Après deux révolutions complètes de mon corps sur lui-même, je serrais mon poing caché dans ma poche, toujours dans les airs, avant de décocher un coup inspiré d’un type que j’avais un jour affronté. Presque imperceptible pour quelqu’un qui ne s’y attend pas, je décochais un coup de poing en sortant vivement mon poing de ma poche, frappant puis le replaçant dedans. Le coup de poing, inspiré du aïdo d’un sabreur, frappa le rocher déjà fissuré avec une telle force que la roche termina de se briser dans un fracas. Milles et uns morceaux de pierre volèrent autour de moi en soulevant un nuage de poussière et en débarrassant la vue du monticule rocailleux.
« Eh bien, eh bien. » fit une voix inconnue dans le brouillard de poussière de pierre, sa silhouette se dessinant d’une ombre qui s’approchait en face de moi, dans la direction où était partie la plus grosse partie du rocher. « Ça c’est du coup d’poing ou je m’y connais point. »
Fiche par Ethylen sur Libre Graph'