Difficile de savoir ce qu’il se passait précisément du côté de la Marine, mais Jack ne subit plus d’interrogatoire pendant le reste de la traversée. Et ce n’était pas pour lui déplaire, car il avait tout de même sacrément morflé. Il n’avait pas un endroit sur le corps sans ecchymoses, et il était persuadé d’avoir au moins une côte cassée. Les soldats avaient eu la bonté de lui fournir de quoi s’habiller.
Il se retrouvait à présent entassé avec les autres prisonniers dans un immense cachot installer dans les entrailles du navire. Le bain et le rhum lui semblaient à présent un lointain souvenir, il n’en revenait toujours pas, le dérouler des évènements lui échappait. Quel était l'élément déclencheur de tout ceci ?
La seule chose dont il était certain, c’est que Loukoum ne faisait pas partie des captifs, soit il était mort, soit il avait réussi à sauver sa couenne. Skellington avait la plus grande des difficultés à imaginer ce misérable capitaine sortir son sabre face à la Marine. Il devait sans aucun doute se trouver t dans un terrier à attendre patiemment que l’orage passe.
Il aurait peut-être tout compte fait dû écouter le vieux Jusco sur ses mises en garde concernant les pirates. Toutefois, il était dorénavant trop tard pour avoir des regrets, l’important était de savoir où il terminerait son chemin. La plus grande probabilité était de finir ses jours dans une prison miteuse dans un coin perdu. Ou bien, pour montrer l’exemple, être envoyé directement à la potence. À choisir, il préférait le second choix, bien plus expéditif. Jack ne se voyait pas dépérir éternellement en prison sans jamais avoir le moindre espoir de retrouver un jour la liberté…
À ses côtés se trouvaient trois des hommes de Loukoum, eux aussi abandonnés par leur supérieur.
« J’espère pour votre capitaine, que je ne sortirais jamais d’ici ! »
« Si seulement Jack ! On se doutait bien qu’il n’était pas fiable pour un sou, mais là il a fait fort ce con. »
« Et le pire dans l’histoire, c’est que je suis persuadé qu’il va refaire surface dans quelque temps sur Rokade à la recherche d’un nouvel équipage à pigeonner. »
« Au moins maintenant, je sais où aller pour mettre la main dessus. »
« Oh bah ça, ce n’est pas bien compliqué ! Il est connu comme le loup blanc sur l’île, c’est une figure locale… Mais à son insu si tu vois ce que je veux dire. »
« Ne vous enflammez pas les gars ! Cet enfoiré de Laffite est une véritable calamité. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais à première vue quelque chose à mal tourner dehors ! Il ne va pas nous lâcher si facilement, croyez-moi. »
« Tu es un des hommes de Medelin non ? C’est ton patron ? J’ai ramassé à cause de lui alors que je ne sais même pas de qui il s’agit. J’espère pour nous qu’il tient plus à ses hommes que Loukoum. »
« Ah ah ah ! Mais tu débarques d’où toi ? Personne ne viendra nous chercher, nous ne sommes que des petites mains remplaçables pour eux. C’est à nous de nous démerder à présent pour sortir d’ici ! »
Jack était toujours assis dos au barreaux, son corps lui faisait un mal de chien. Même en cas de possibilité d’évasion, il se voyait mal devoir combattre de nouveau dans son état. De toute façon, à part prendre le contrôle du navire, ils devaient certainement se trouver au beau milieu de nulle part actuellement. Et ce n’était pas avec cette équipe de bras cassés qu’il allait arriver à quoi que ce soit.
***
Impossible de savoir s’il faisait jour ou nuit dehors, pas une fenêtre ne donnait sur l’extérieur dans leur pièce. Et ce n’était pas les gardes affectés à leur surveillance qui leur permettaient de glaner des informations. Ils étaient cons comme des manches à balais, passant leurs plus clairs de leur temps à les ignorer ou bien les insulter. Jack était surement pour quelque chose là-dedans, après tout il avait envoyé plusieurs de leurs camarades au tapis.
La seule information qu’ils avaient à ce moment-là, c’est que le navire venait de s’arrêtait. Tout semblait indiquer qu’ils étaient en train de s’amarrer quelque part.
L’unique porte dans la pièce où se trouvait Skellington et les autres malchanceux s’ouvrit avec fracas.
Un sergent se présenta à eux accompagné d’une pléthore de soldats :
« Debout crapules ! Mettez vos mains bien en évidence, vous allez nous suivre ! ET ON NE TRAINE PAS ! »
« On va où ?! »
Le prisonnier trop curieux reçut dans la foulée un coup de matraque bien placé, le message était clair, il fallait la fermer. Sortant un par un de leur cellule, les captifs étaient liés entre eux par des chaines au niveau des poignets et des chevilles. Se déplaçant avec la plus grande de difficultés, ils se dirigeaient vers le pont supérieur de navire en file indienne. Après plusieurs jours plongés dans l’obscurité, la lumière du jour lui agressa les yeux Il fallut plusieurs secondes avant de s’habituer à la lumière et de se rendre compte qu’ils étaient accostés à une île.
À l’extérieur une centaine de soldats formaient un rempart infranchissable guidant les criminels vers une rampe. Jack regarda autour de lui, même en l’absence de chaines, il n’avait pas la moindre possibilité de fuite.
« LIEUTENANT ! ACCÉLÉRER LE RYTHME BON SANG ! JE SUIS ATTENDU PAR LE VICE-AMIRAL ! »
Les soldats s’exécutèrent en n’hésitant pas à bousculer les captifs qui avaient déjà assez de difficultés à déplacer sans avoir besoin de recevoir des coups.
Une fois sur le plancher des vaches, la rampe fut immédiatement enlevée et remise à sa place et le navire s’apprêtait à lever l’ancre d’une minute à l’autre.
Bien évidemment, Skellington n’avait pas la moindre idée d’où il se trouvait. Il s’agissait d’une île mineure, composé d’un petit poste de la Marine. Le Commandant Laffite, après avoir remis ses idées en place, avait eu l’idée de déposer son butin de guerre ici. Persuadé de pouvoir se rattraper malgré ce revers, si jamais il arrivait à présenter à ses supérieurs la tête de Medelin. Il avait alors ordonné à l’un de ses lieutenants accompagnés de gros bras de mener les interrogatoires en attendant son retour du QG.
Mais cette soudaine intrusion n’était pas vue d’un bon œil par tous, notamment par le sous-lieutenant Sigmud, en charge du poste local. Tout juste sorti de l’école des officiers, il tenta de faire part de son mécontentement auprès du Commandant, mais ce dernier l’envoya dans les roses. N’hésitant pas à le menacer de l’envoyer devant le conseil pour insubordination à un ordre émanant d’un supérieur. Voyant qu’il n’avait pas la moindre chance, il abdiqua et s’en alla rejoindre son bureau pour reprendre ses affaires courantes.
L’activité dans ce secteur était relativement calme, c’est pourquoi la garnison n’était composée que d’une trentaine de soldats et d’une seule caravelle de patrouille. Situé à proximité des principales routes commerciales, le secteur d’activité du sous-lieutenant était limité à la seule zone de l’île. C’était un poste idéal pour quelqu’un comme lui, désirant avoir une carrière sans remous au sein de cette institution. De temps à autre quelques interceptions de contrebandiers ou de pirates suffisaient amplement à justifier son activité ici.
Alors, voir débarquer une vingtaine de prisonniers sortant de nulle part escortés par plusieurs soldats, dont certains plus gradés que lui signifiait qu’il venait de perdre le commandement. Dorénavant il était relégué en troisième position dans la hiérarchie, mais ce n’était pas tout. Il avait déjà eu vent à plusieurs reprises des méthodes du Commandant Laffite, ce n’était un secret pour personne au sein de l’institution que cet officier était un fléau.
Il ne pouvait maintenant que prier, que leur séjour soit le plus court possible, et qu’ils ne fassent pas de merdes.