Rappel du premier message :
Le commandant Peter St. Borough, à la tête de la 68ème compagnie en garnison autour de Bulgemore, soupira longuement en se recroquevillant sous son épais manteau de fourrure – un modèle informe en plusieurs couches de peaux de morse et d’élan superposées qui lui conféraient une protection de dix bons centimètres contre le froid ambiant. Et un air de Bibendum très velu écrasé par sa propre masse corporelle. Son imposant bonnet de fourrure, type chapka à volets rabattables qui lui écrasaient les oreilles, achevaient de lui donner une allure de malheureux complètement essoré par la vie.
A sa gauche se trouvait un poêle portatif en guise de radiateur, qui échouait lamentablement à diffuser ne serait-ce qu’un semblant de chaleur dans l’atmosphère glaciale des abords de l’île enneigée.
Celui de droite était à court d’huile, partiellement couvert de givre, et si inefficace de son vivant que personne n’avait pris la peine de le recharger.
Même le thermos de café qu’on lui avait apporté était suffisamment froid pour que le liquide qu’il contenait commence à geler.
Ne lui restait que son fidèle siège de commandement chauffant et son énorme couverture-bouillote, des trésors sur-mesure qui lui avaient été offerts par les scientifiques du coin, pour le maintenir au chaud malgré la gelée glaciale faite de pluie et de neige fondue qui s’abattait sur l’île. De la vase frigorifiée, une spécialité locale qu’il avait en horreur depuis le premier jour.
Malheureusement, il se devait de donner l’exemple et de mener ses hommes. Donc, être visible de tous. Donc, être présent sur le pont.
St. Borough ne s’était pas donné la peine de prendre personnellement le commandement du navire qu’il occupait, mais sa lieutenante s’en référait à lui au moindre arbitrage nécessaire, et il en allait de même pour les officiers subalternes qui supervisaient les trois autres navires qui constituaient ensemble le premier cordon défensif formé par la marine au large de Bulgemore.
Pour faire simple, des pirates approchaient. De trop bon matin, le soleil commençant tout juste à poindre son nez à l’horizon.
Ce qui ne représentait rien de spécial. En temps normal, il déléguait l’accueil des indésirables à ses subordonnés, comme tout bon commandant qui avait toute une base à gérer.
Le problème, c’était que ces pirates-là arrivaient à l’opposé de ce qu’indiquaient naturellement les log pose.
En d’autres termes, ils provenaient de l’aval de Grandline, pas de Reverse.
Avec un Eternal.
Pas des novices, donc. Et compte tenu des installations présentes sur Bulgemore, personne ne venait ici par hasard. D’où le fait que le commandant devait être présent au cas où.
Bien sûr, tout cet argumentaire n’était possiblement qu’un élan de saine paranoïa face à une poignée de voyageurs simplement intéressés par les gadgets locaux. Une poignée de voyageurs qui s’avéraient toutefois en possession de trois bricks dignement entretenus et armés, et qui progressaient à une allure souffrant de peu concurrence à moins de recourir à des vaisseaux spécialisés.
Malheureusement, ils savaient depuis quelques minutes maintenant que les navires en question arboraient le drapeau du corsaire Gluttonny, qui venait très fraîchement de trahir le gouvernement mondial.
Si ça se trouve, il mourrait aujourd’hui.
Ou pire, vu la réputation du corsaire et de ses sbires.
-Tu peux m’amener là-bas ?
-En volant ? C’est possible. Mais il fera froid et nous prendrons toute la neige de plein fouet.
-J’ai juste besoin que ça soit sûr, pas que ça soit confortable.
-D’accord. Je n’ai pas pour habitude de voler en pleine mer, mais il n’y a pas tant de vent que ça, je ne suis pas inquiète. C’est pour une entrée théâtrale ?
-Surtout pour aller vite. Et faire les choses moi-même. Ca nous épargnera une bataille navale.
-Tu peux monter derrière moi. Encore que… si tu veux une entrée théâtrale, je te suggère plutôt…
Une première forme s’éleva du navire, trop brouillée par la purée de neige pour être discernable depuis les bâtiments de la marine.
Comme un brouillon de figure humaine revêtue d’une cape écarlate, posée en équilibre sur une masse blanche qui ne ressemblait à rien de tangible. Et qui traînait en dessous d’elle une corde simplement lestée d’un nœud à son extrémité inférieure. Nœud qui faisait office d’unique support pour les pieds de la femme suspendue en contrebas, qui n’avait besoin que d’un bras pour se maintenir stable au bout de sa liane improvisée.
Bien vite, la silhouette et les traits d’Etna Pandora devinrent reconnaissables. Une bretteuse émérite qui avait maintes fois rivalisé avec les Trois Légendaires, une supernova imprévisible primée à 345 millions de berries, et depuis plus récemment, la plus fine fleur des champions qui servaient les intérêts de Glutonny.
Avec son improbable transport, il lui fallut moins d’une minute pour arriver à hauteur du navire de St. Borough, sur lequel elle bondit au terme d’une chute d’une bonne dizaine de mètres dont elle émergea parfaitement indemne.
Elle venait d’atterrir avec autant d’aisance et de souplesse qu’on l’aurait fait en descendant une marche d’escalier, et s’exprima avec une voix parfaitement sereine malgré son tour de force et les intempéries.
-Bonjour à tous, je vous prie sincèrement de m’excuser pour la tournure que je vais donner à votre journée. Commandant Peter St. Borough, les marines… je me présente, Etna Pandora. Vous devez connaître, déclara-t-elle en s’inclinant poliment devant l’officier.
L’homme s’était relevé mais n’avait pas encore adopté de posture de combat. Il flairait les ennuis. A se fier à ce qui se savait au sujet de cette pirate, il savait que lui et ses hommes ne feraient absolument pas le poids dans cette confrontation. Mais surtout, il gardait à l’esprit que le simple fait d’écouter cette femme lui débiter son argumentaire était déjà dangereux : elle avait la réputation d’être la Diplomate, aussi redoutable à l’escrime qu’en rhétorique, et Peter se méfiait de ce type-là.
Ecouter une personne charismatique, c’était s’exposer à un poison qui semait ses graines dans votre crâne pour saper votre moral et vous faire capituler de plein gré. Hors de question.
Même s’ils ne la vainquaient pas, ils pouvaient infliger suffisamment de dégâts matériels à ses navires pour saboter son plan. La retarder, la ralentir, la clouer sur l’île, lui faire perdre des ressources ou des hommes essentiels, peut-être l’empêcher d’emporter ce qu’elle était venue voler…
C’est du moins ce qu’il espérait faire, mais le fait qu’elle ait pris les devants en laissant ses navires en retrait lui retirait cette option, ce qui l’agaçait fortement. Il ne pouvait plus agir.
-Vous… savez très bien que nous tenterons notre chance. Ce que nous protégeons ici est trop important et trop dangereux pour
-Je préfèrerais que l’on fasse ça à l’amiable.
-Je refuse. Et je ne tiens pas spécialement à vous laisser me convaincre de faire quelque chose qui va à l’encontre de tout notre mission ici. Regardez-moi. Avant même de parler de la marine, de grands principes, des hommes dont j’ai la responsabilité et de leurs aspirations personnelles. Je déteste cette île. Le vent, le froid, la neige, la vase glaciale qui nous tombe dessus plusieurs fois par jour… c’est un temps misérable. Mais je reste sur Bulgemore depuis plusieurs années pour protéger cette base. Et si je vous laisse passer juste parce que vous nous menacez et que vous le demandez gentiment, ça n’aurait aucun sens. Alors certainement pas.
St. Borough s’avança de plusieurs pas en direction de Pandora, plus tremblant qu’il ne l’aurait souhaité – et ça n’était pas le froid – mais sans hésitation. Le commandant porta la main à sa ceinture pour la poser sur la garde de son sabre, sans pour autant dégainer. Au moins, il n’avait aucun mal à fixer la supernova droit dans les yeux, ne serait-ce que parce qu’il s’attendait à se faire attaquer subitement et voulait être prêt à se défendre.
-Mais si vous voulez discuter, poursuivit-il avec une voix incisive, je vous demanderais déjà d’arrêter ce que vous êtes en train de faire. Qu’est-ce que c’est, du haki ?
Il vit juste. Pour la poignée de fois qu’ils eurent à s’y confronter, St. Borough et ses subordonnés reconnurent l’aura pourtant indiscernable qu’Etna Pandora diffusait dans tout son périmètre d’influence.
Haki royal.
Tout le navire se trouvait affecté par l’atmosphère insidieuse qui se dégageait de la pirate. Son fluide n’était toutefois pas celui d’un conquérant agressif qui souhaitait dominer et soumettre les faibles, mais quelque chose qui forçait la confiance et le respect chez ses pairs, rehaussant son autorité naturelle et lui facilitant la tâche lorsqu’il s’agissait de gagner l’aval de ses interlocuteurs.
Un haki digne d’un meneur qui portait bien son nom, donc, tout le contraire de l’usage traditionnel qui consistait à terroriser des hommes de rang à grands coups de cacas nerveux surnaturels.
Car l’inconvénient quand on était un pouvoir rare qui ne se révélait qu’aux plus forts à hauteur de un sur un million, c’est qu’on avait de fortes chances d’appartenir à des brutes qui s’étaient pris trop de coups sur le crâne pour faire preuve de subtilité, ou qui, à minima, faisaient preuve de violence avec trop de spontanéité pour développer d’autres approches. Ce qui rejoignait une certaine théorie stipulant qu’un haki, retranscrivait avant tout sur ce qu’était la personnalité de son utilisateur.
Et Etna privilégiait la souplesse.
Certes, son humeur du moment et son rôle imposé teintaient son aura d’une lourdeur qui accroissait la tension ambiante, mais son naturel dominait.
-C’est très. Très courageux de votre part. Mais téméraire, surtout. Nous allons faire un bref passage sur Bulgemore, et vous n’aurez pas le moindre mot à dire à ce sujet. Ce qu’il faut que vous sachiez. La population locale n’a rien à craindre de nous, pas plus que vous, vos camarades sur l’île, les scientifiques de la base ou qui que ce soit pour peu qu’ils coopèrent. Nous ne blesserons personne, nous n’enlèverons personne, nous ne ferons absolument rien qui puisse nuire aux habitants de l’île. Ca, c’est dans mon monde idéal où je parviens à vous convaincre de nous laisser le champ libre.
-Mais vous n’êtes pas venus pour une simple visite de courtoisie, j’imagine. Ni pour vous reposer le temps d’une nuit avant de reprendre votre route ou pour faire du tourisme.
-…
-Je comprends donc que vous êtes ici pour les laboratoires. Qu’est-ce que vous venez faire ?
-Vous prenez le risque que je vous mente ouvertement pour avoir le champ libre. Ce n’est pas une bonne question. Je ne peux pas vous le dire, parce que vous me forceriez à vous empêcher de faire le malin.
-J’ai déjà informé la base et les laboratoires que des navires de Gluttony approchaient. Tous les Pacifistas de la division scientifique sont en court d’activation et le reste de la 68ème converge déjà sur nous. Mégavéga a été informée et les renforts débouleront dans l’après-midi si je ne les informe pas personnellement, d’ici une demi-heure, que je maîtrise la situation sur Bulgemore. Nous sommes à moins d’un jour de navigation et croyez-moi qu’ils ont l’habitude de faire ce trajet. Alors laissez tomber et partez tout de suite. Même dans le cas où vous parviendriez à faire ce que vous voulez ici, vous êtes condamnée. Plutôt que de vous soucier de nous, faîtes-vous du mouron pour votre propre pomme.
Elle manqua d’exploser. Ce fut assez subtil, une expression fugace dans les traits d’Etna, un raidissement dans sa posture et dans l’aura qui l’entourait que seuls ceux présents au premier eurent l’occasion de percevoir.
Etait-ce le flegme de l’officier, sa rebuffade ou ses menaces, peut-être sa prévoyance ou un mot malheureux qu’il aurait employé, personne ne put le dire.
Elle garda le contrôle.
-Envoyez-moi qui vous voulez, ils ne feront pas le poids. Ecoutez. Officier. Je peux simplement vous assurer deux choses. Ma mission est commanditée par un homme qui n’a strictement aucun respect pour la vie de vos hommes et pour celle de ceux qui lui obéissent. Il en a déjà détruit des milliers pour son simple loisir et ne va pas s’arrêter.
-Alors pourquoi vous faîtes tout ça ?
-Parce que je compte faire de mon mieux pour que les choses se passent aussi proprement que possible, affirma Pandora dans un demi-mensonge. Ici et partout où je pourrais. Si vous connaissez ma réputation, je pense que ça devrait vous suffire. Dans le cas contraire, je vais devoir vous en convaincre. Ou vous y contraindre. Ou l’un. Par le biais de l’autre. A vous de choisir lequel correspondra à quoi.
En guise de réponse, le commandant resta un instant silencieux. Pesant le pour et le contre, flairant parfaitement que toutes les options qui se proposaient dans sa tête débouchaient sur des résolutions hasardeuses sinon catastrophiques, il se contenta de lever le bras à la vue de tout son équipage.
-S’il vous plait. Vraiment. Je préfèrerais ne pas…
Et de l’abattre subitement en direction d’Etna, intimant par là-même à ses hommes de faire feu à volonté.
La pirate s’éleva d’un coup de jambes, quittant sa position pour disparaître dans les gréements du navire. De là-haut, elle se propulsa depuis la grand-voile jusqu’au pont principal, parvenant à la fois à décapiter les mâts, terrasser l’intégralité des rangs des tireurs dispersés sur le pont, faire ricocher les balles qu’on lui adressait sur le plat de sa lame et mettre à terre le commandant en tranchant le pont sous ses pieds – en une poignée de secondes, soit moins de temps qu’elle ne mit pour rengainer paisiblement son arme.
Qui n’était même pas un meitou.
-Je vous ai prévenu. Vous maintenez ?
-Ca ne change rien du tout.
-D’accord.
A bâbord se trouvaient deux autres vaisseaux, qu’Etna rejoignit en s’élançant d’un bond sur le pont du plus proche. Là, avant même d’atterir, elle déploya toute l’envergure de son aura terrible, neutralisant par là même les équipages des deux navires d’un coup – pas une âme ne fut capable de le soutenir, faisant autant ployer la volonté des hommes que les planches des navires dont plusieurs se fissurèrent face à la pression qu’elle exerçait.
Le quatrième navire, elle se contenta d’en ravager un flanc à grands coups de lames d’air pour détruire ses canons ainsi que son safran, le rendant lui aussi impotent.
Rien ne pouvait l’arrêter et personne n’essaya de le faire, même après qu’elle ait rangé son sabre.
« Et bien voilà. Voici ma première démonstration de force. Je n’ai même pas fait d’effort. Je n’ai même pas eu à prendre de risques ou à me mettre en difficulté pour m’assurer que vos hommes s’en sortiront indemnes. Je peux recommencer autant de fois qu’il le faudra. Avec vos hommes sur l’île. Ou avec les Pacifistas, ce qui vous donnera l’occasion de voir ce qui arrive quand je décide de frapper mes ennemis. Le problème, c’est que comme vous l’avez dit, je n’ai pas de temps à perdre, et que j’en perds à chaque fois que je fais ça. Vous n’avez pas envie que j’arrête de prendre des pincettes. Heureusement, vous aurez le pouvoir de tout arrêter à n’importe quel moment.
Parce que vous savez quoi ? Vous serez aux premières loges pour assister à ça. »
D’un geste, la supernova empoigna le militaire, d’abord à hauteur de col pour le redresser de force, puis également à la ceinture pour le porter à l’horizontale, comme s’il était un sac de patate transporté à hauteur de hanche.
Il tenta de se débattre, mais elle campa sur ses appuis et le déplaça légèrement en arrière de ses hanches, comme pour lui faire prendre de l’élan avant de le balancer…
… plusieurs mètres…
… loin, loin…
… à une cinquantaine de mètres…
… en ligne droite vers le ciel, où il fut réceptionné par la figure écarlate qui avait transporté Pandora jusqu’ici. Cette dernière fut forcée de gagner rapidement de la hauteur pour le rattraper tant le commandant avait été projeté avec force par la supernova. De plus près, il distinguait une figure humaine, assez frêle pour être une femme, toute vêtue de rouge tacheté de bleu, portant un masque de même teinte aux traits presque humains, mais cornu, et qui traînait derrière elle de nombreux rubans colorés qui se mouvaient comme des tentacules dans son sillage.
Pour le peu qu’il parvenait à distinguer, elle avait la peau bleue et se servait réellement de ses rubans comme des tentacules, parce que c’est grâce à eux qu’elle l’avait attrapée.
Comme Etna avant lui, St. Borough se retrouva transporté par le diable écarlate, à la manière d’un gros jambon impuissant suspendu dans le vide.
Balloté dans la mélasse glaciale vomie par le ciel qui n’avait cessé ses intempéries tout au long de la confrontation. Il avait presque envie de vomir tellement il avait froid.
Et comme si elle le savait, Etna lui balança sa couverture chauffante au visage, ce qui désarçonna brièvement le transporteur qui parvint néanmoins à attraper la bouillote de tissu avec d’autres rubans élastiques, et à envelopper sa prise avec pour la maintenir au chaud.
Dix secondes plus tard, la supernova les rejoint d’un bond pour s’agripper à nouveau à la corde qui pendait dans les airs, l’ensemble s’élançant à vive allure en direction des trois navires de Gluttony qui avaient repris le cap.
-Vous venez avec moi !, s’exclama Pandora d’un ton dénué de tout enthousiaste. Et je vous garde sous le coude jusqu’à ce que vous vous décidiez à ordonner à tous de rendre les armes. Et sinon. Ca ne pose pas de problème. J’espère que Marie Q-Riz sera plus facile que vous.
Le commandant Peter St. Borough, à la tête de la 68ème compagnie en garnison autour de Bulgemore, soupira longuement en se recroquevillant sous son épais manteau de fourrure – un modèle informe en plusieurs couches de peaux de morse et d’élan superposées qui lui conféraient une protection de dix bons centimètres contre le froid ambiant. Et un air de Bibendum très velu écrasé par sa propre masse corporelle. Son imposant bonnet de fourrure, type chapka à volets rabattables qui lui écrasaient les oreilles, achevaient de lui donner une allure de malheureux complètement essoré par la vie.
A sa gauche se trouvait un poêle portatif en guise de radiateur, qui échouait lamentablement à diffuser ne serait-ce qu’un semblant de chaleur dans l’atmosphère glaciale des abords de l’île enneigée.
Celui de droite était à court d’huile, partiellement couvert de givre, et si inefficace de son vivant que personne n’avait pris la peine de le recharger.
Même le thermos de café qu’on lui avait apporté était suffisamment froid pour que le liquide qu’il contenait commence à geler.
Ne lui restait que son fidèle siège de commandement chauffant et son énorme couverture-bouillote, des trésors sur-mesure qui lui avaient été offerts par les scientifiques du coin, pour le maintenir au chaud malgré la gelée glaciale faite de pluie et de neige fondue qui s’abattait sur l’île. De la vase frigorifiée, une spécialité locale qu’il avait en horreur depuis le premier jour.
Malheureusement, il se devait de donner l’exemple et de mener ses hommes. Donc, être visible de tous. Donc, être présent sur le pont.
St. Borough ne s’était pas donné la peine de prendre personnellement le commandement du navire qu’il occupait, mais sa lieutenante s’en référait à lui au moindre arbitrage nécessaire, et il en allait de même pour les officiers subalternes qui supervisaient les trois autres navires qui constituaient ensemble le premier cordon défensif formé par la marine au large de Bulgemore.
Pour faire simple, des pirates approchaient. De trop bon matin, le soleil commençant tout juste à poindre son nez à l’horizon.
Ce qui ne représentait rien de spécial. En temps normal, il déléguait l’accueil des indésirables à ses subordonnés, comme tout bon commandant qui avait toute une base à gérer.
Le problème, c’était que ces pirates-là arrivaient à l’opposé de ce qu’indiquaient naturellement les log pose.
En d’autres termes, ils provenaient de l’aval de Grandline, pas de Reverse.
Avec un Eternal.
Pas des novices, donc. Et compte tenu des installations présentes sur Bulgemore, personne ne venait ici par hasard. D’où le fait que le commandant devait être présent au cas où.
Bien sûr, tout cet argumentaire n’était possiblement qu’un élan de saine paranoïa face à une poignée de voyageurs simplement intéressés par les gadgets locaux. Une poignée de voyageurs qui s’avéraient toutefois en possession de trois bricks dignement entretenus et armés, et qui progressaient à une allure souffrant de peu concurrence à moins de recourir à des vaisseaux spécialisés.
Malheureusement, ils savaient depuis quelques minutes maintenant que les navires en question arboraient le drapeau du corsaire Gluttonny, qui venait très fraîchement de trahir le gouvernement mondial.
Si ça se trouve, il mourrait aujourd’hui.
Ou pire, vu la réputation du corsaire et de ses sbires.
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-Tu peux m’amener là-bas ?
-En volant ? C’est possible. Mais il fera froid et nous prendrons toute la neige de plein fouet.
-J’ai juste besoin que ça soit sûr, pas que ça soit confortable.
-D’accord. Je n’ai pas pour habitude de voler en pleine mer, mais il n’y a pas tant de vent que ça, je ne suis pas inquiète. C’est pour une entrée théâtrale ?
-Surtout pour aller vite. Et faire les choses moi-même. Ca nous épargnera une bataille navale.
-Tu peux monter derrière moi. Encore que… si tu veux une entrée théâtrale, je te suggère plutôt…
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Une première forme s’éleva du navire, trop brouillée par la purée de neige pour être discernable depuis les bâtiments de la marine.
Comme un brouillon de figure humaine revêtue d’une cape écarlate, posée en équilibre sur une masse blanche qui ne ressemblait à rien de tangible. Et qui traînait en dessous d’elle une corde simplement lestée d’un nœud à son extrémité inférieure. Nœud qui faisait office d’unique support pour les pieds de la femme suspendue en contrebas, qui n’avait besoin que d’un bras pour se maintenir stable au bout de sa liane improvisée.
Bien vite, la silhouette et les traits d’Etna Pandora devinrent reconnaissables. Une bretteuse émérite qui avait maintes fois rivalisé avec les Trois Légendaires, une supernova imprévisible primée à 345 millions de berries, et depuis plus récemment, la plus fine fleur des champions qui servaient les intérêts de Glutonny.
Avec son improbable transport, il lui fallut moins d’une minute pour arriver à hauteur du navire de St. Borough, sur lequel elle bondit au terme d’une chute d’une bonne dizaine de mètres dont elle émergea parfaitement indemne.
Elle venait d’atterrir avec autant d’aisance et de souplesse qu’on l’aurait fait en descendant une marche d’escalier, et s’exprima avec une voix parfaitement sereine malgré son tour de force et les intempéries.
-Bonjour à tous, je vous prie sincèrement de m’excuser pour la tournure que je vais donner à votre journée. Commandant Peter St. Borough, les marines… je me présente, Etna Pandora. Vous devez connaître, déclara-t-elle en s’inclinant poliment devant l’officier.
L’homme s’était relevé mais n’avait pas encore adopté de posture de combat. Il flairait les ennuis. A se fier à ce qui se savait au sujet de cette pirate, il savait que lui et ses hommes ne feraient absolument pas le poids dans cette confrontation. Mais surtout, il gardait à l’esprit que le simple fait d’écouter cette femme lui débiter son argumentaire était déjà dangereux : elle avait la réputation d’être la Diplomate, aussi redoutable à l’escrime qu’en rhétorique, et Peter se méfiait de ce type-là.
Ecouter une personne charismatique, c’était s’exposer à un poison qui semait ses graines dans votre crâne pour saper votre moral et vous faire capituler de plein gré. Hors de question.
Même s’ils ne la vainquaient pas, ils pouvaient infliger suffisamment de dégâts matériels à ses navires pour saboter son plan. La retarder, la ralentir, la clouer sur l’île, lui faire perdre des ressources ou des hommes essentiels, peut-être l’empêcher d’emporter ce qu’elle était venue voler…
C’est du moins ce qu’il espérait faire, mais le fait qu’elle ait pris les devants en laissant ses navires en retrait lui retirait cette option, ce qui l’agaçait fortement. Il ne pouvait plus agir.
-Vous… savez très bien que nous tenterons notre chance. Ce que nous protégeons ici est trop important et trop dangereux pour
-Je préfèrerais que l’on fasse ça à l’amiable.
-Je refuse. Et je ne tiens pas spécialement à vous laisser me convaincre de faire quelque chose qui va à l’encontre de tout notre mission ici. Regardez-moi. Avant même de parler de la marine, de grands principes, des hommes dont j’ai la responsabilité et de leurs aspirations personnelles. Je déteste cette île. Le vent, le froid, la neige, la vase glaciale qui nous tombe dessus plusieurs fois par jour… c’est un temps misérable. Mais je reste sur Bulgemore depuis plusieurs années pour protéger cette base. Et si je vous laisse passer juste parce que vous nous menacez et que vous le demandez gentiment, ça n’aurait aucun sens. Alors certainement pas.
St. Borough s’avança de plusieurs pas en direction de Pandora, plus tremblant qu’il ne l’aurait souhaité – et ça n’était pas le froid – mais sans hésitation. Le commandant porta la main à sa ceinture pour la poser sur la garde de son sabre, sans pour autant dégainer. Au moins, il n’avait aucun mal à fixer la supernova droit dans les yeux, ne serait-ce que parce qu’il s’attendait à se faire attaquer subitement et voulait être prêt à se défendre.
-Mais si vous voulez discuter, poursuivit-il avec une voix incisive, je vous demanderais déjà d’arrêter ce que vous êtes en train de faire. Qu’est-ce que c’est, du haki ?
Il vit juste. Pour la poignée de fois qu’ils eurent à s’y confronter, St. Borough et ses subordonnés reconnurent l’aura pourtant indiscernable qu’Etna Pandora diffusait dans tout son périmètre d’influence.
Haki royal.
Tout le navire se trouvait affecté par l’atmosphère insidieuse qui se dégageait de la pirate. Son fluide n’était toutefois pas celui d’un conquérant agressif qui souhaitait dominer et soumettre les faibles, mais quelque chose qui forçait la confiance et le respect chez ses pairs, rehaussant son autorité naturelle et lui facilitant la tâche lorsqu’il s’agissait de gagner l’aval de ses interlocuteurs.
Un haki digne d’un meneur qui portait bien son nom, donc, tout le contraire de l’usage traditionnel qui consistait à terroriser des hommes de rang à grands coups de cacas nerveux surnaturels.
Car l’inconvénient quand on était un pouvoir rare qui ne se révélait qu’aux plus forts à hauteur de un sur un million, c’est qu’on avait de fortes chances d’appartenir à des brutes qui s’étaient pris trop de coups sur le crâne pour faire preuve de subtilité, ou qui, à minima, faisaient preuve de violence avec trop de spontanéité pour développer d’autres approches. Ce qui rejoignait une certaine théorie stipulant qu’un haki, retranscrivait avant tout sur ce qu’était la personnalité de son utilisateur.
Et Etna privilégiait la souplesse.
Certes, son humeur du moment et son rôle imposé teintaient son aura d’une lourdeur qui accroissait la tension ambiante, mais son naturel dominait.
-C’est très. Très courageux de votre part. Mais téméraire, surtout. Nous allons faire un bref passage sur Bulgemore, et vous n’aurez pas le moindre mot à dire à ce sujet. Ce qu’il faut que vous sachiez. La population locale n’a rien à craindre de nous, pas plus que vous, vos camarades sur l’île, les scientifiques de la base ou qui que ce soit pour peu qu’ils coopèrent. Nous ne blesserons personne, nous n’enlèverons personne, nous ne ferons absolument rien qui puisse nuire aux habitants de l’île. Ca, c’est dans mon monde idéal où je parviens à vous convaincre de nous laisser le champ libre.
-Mais vous n’êtes pas venus pour une simple visite de courtoisie, j’imagine. Ni pour vous reposer le temps d’une nuit avant de reprendre votre route ou pour faire du tourisme.
-…
-Je comprends donc que vous êtes ici pour les laboratoires. Qu’est-ce que vous venez faire ?
-Vous prenez le risque que je vous mente ouvertement pour avoir le champ libre. Ce n’est pas une bonne question. Je ne peux pas vous le dire, parce que vous me forceriez à vous empêcher de faire le malin.
-J’ai déjà informé la base et les laboratoires que des navires de Gluttony approchaient. Tous les Pacifistas de la division scientifique sont en court d’activation et le reste de la 68ème converge déjà sur nous. Mégavéga a été informée et les renforts débouleront dans l’après-midi si je ne les informe pas personnellement, d’ici une demi-heure, que je maîtrise la situation sur Bulgemore. Nous sommes à moins d’un jour de navigation et croyez-moi qu’ils ont l’habitude de faire ce trajet. Alors laissez tomber et partez tout de suite. Même dans le cas où vous parviendriez à faire ce que vous voulez ici, vous êtes condamnée. Plutôt que de vous soucier de nous, faîtes-vous du mouron pour votre propre pomme.
Elle manqua d’exploser. Ce fut assez subtil, une expression fugace dans les traits d’Etna, un raidissement dans sa posture et dans l’aura qui l’entourait que seuls ceux présents au premier eurent l’occasion de percevoir.
Etait-ce le flegme de l’officier, sa rebuffade ou ses menaces, peut-être sa prévoyance ou un mot malheureux qu’il aurait employé, personne ne put le dire.
Elle garda le contrôle.
-Envoyez-moi qui vous voulez, ils ne feront pas le poids. Ecoutez. Officier. Je peux simplement vous assurer deux choses. Ma mission est commanditée par un homme qui n’a strictement aucun respect pour la vie de vos hommes et pour celle de ceux qui lui obéissent. Il en a déjà détruit des milliers pour son simple loisir et ne va pas s’arrêter.
-Alors pourquoi vous faîtes tout ça ?
-Parce que je compte faire de mon mieux pour que les choses se passent aussi proprement que possible, affirma Pandora dans un demi-mensonge. Ici et partout où je pourrais. Si vous connaissez ma réputation, je pense que ça devrait vous suffire. Dans le cas contraire, je vais devoir vous en convaincre. Ou vous y contraindre. Ou l’un. Par le biais de l’autre. A vous de choisir lequel correspondra à quoi.
En guise de réponse, le commandant resta un instant silencieux. Pesant le pour et le contre, flairant parfaitement que toutes les options qui se proposaient dans sa tête débouchaient sur des résolutions hasardeuses sinon catastrophiques, il se contenta de lever le bras à la vue de tout son équipage.
-S’il vous plait. Vraiment. Je préfèrerais ne pas…
Et de l’abattre subitement en direction d’Etna, intimant par là-même à ses hommes de faire feu à volonté.
La pirate s’éleva d’un coup de jambes, quittant sa position pour disparaître dans les gréements du navire. De là-haut, elle se propulsa depuis la grand-voile jusqu’au pont principal, parvenant à la fois à décapiter les mâts, terrasser l’intégralité des rangs des tireurs dispersés sur le pont, faire ricocher les balles qu’on lui adressait sur le plat de sa lame et mettre à terre le commandant en tranchant le pont sous ses pieds – en une poignée de secondes, soit moins de temps qu’elle ne mit pour rengainer paisiblement son arme.
Qui n’était même pas un meitou.
-Je vous ai prévenu. Vous maintenez ?
-Ca ne change rien du tout.
-D’accord.
A bâbord se trouvaient deux autres vaisseaux, qu’Etna rejoignit en s’élançant d’un bond sur le pont du plus proche. Là, avant même d’atterir, elle déploya toute l’envergure de son aura terrible, neutralisant par là même les équipages des deux navires d’un coup – pas une âme ne fut capable de le soutenir, faisant autant ployer la volonté des hommes que les planches des navires dont plusieurs se fissurèrent face à la pression qu’elle exerçait.
Le quatrième navire, elle se contenta d’en ravager un flanc à grands coups de lames d’air pour détruire ses canons ainsi que son safran, le rendant lui aussi impotent.
Rien ne pouvait l’arrêter et personne n’essaya de le faire, même après qu’elle ait rangé son sabre.
« Et bien voilà. Voici ma première démonstration de force. Je n’ai même pas fait d’effort. Je n’ai même pas eu à prendre de risques ou à me mettre en difficulté pour m’assurer que vos hommes s’en sortiront indemnes. Je peux recommencer autant de fois qu’il le faudra. Avec vos hommes sur l’île. Ou avec les Pacifistas, ce qui vous donnera l’occasion de voir ce qui arrive quand je décide de frapper mes ennemis. Le problème, c’est que comme vous l’avez dit, je n’ai pas de temps à perdre, et que j’en perds à chaque fois que je fais ça. Vous n’avez pas envie que j’arrête de prendre des pincettes. Heureusement, vous aurez le pouvoir de tout arrêter à n’importe quel moment.
Parce que vous savez quoi ? Vous serez aux premières loges pour assister à ça. »
D’un geste, la supernova empoigna le militaire, d’abord à hauteur de col pour le redresser de force, puis également à la ceinture pour le porter à l’horizontale, comme s’il était un sac de patate transporté à hauteur de hanche.
Il tenta de se débattre, mais elle campa sur ses appuis et le déplaça légèrement en arrière de ses hanches, comme pour lui faire prendre de l’élan avant de le balancer…
… plusieurs mètres…
… loin, loin…
… à une cinquantaine de mètres…
… en ligne droite vers le ciel, où il fut réceptionné par la figure écarlate qui avait transporté Pandora jusqu’ici. Cette dernière fut forcée de gagner rapidement de la hauteur pour le rattraper tant le commandant avait été projeté avec force par la supernova. De plus près, il distinguait une figure humaine, assez frêle pour être une femme, toute vêtue de rouge tacheté de bleu, portant un masque de même teinte aux traits presque humains, mais cornu, et qui traînait derrière elle de nombreux rubans colorés qui se mouvaient comme des tentacules dans son sillage.
Pour le peu qu’il parvenait à distinguer, elle avait la peau bleue et se servait réellement de ses rubans comme des tentacules, parce que c’est grâce à eux qu’elle l’avait attrapée.
Comme Etna avant lui, St. Borough se retrouva transporté par le diable écarlate, à la manière d’un gros jambon impuissant suspendu dans le vide.
Balloté dans la mélasse glaciale vomie par le ciel qui n’avait cessé ses intempéries tout au long de la confrontation. Il avait presque envie de vomir tellement il avait froid.
Et comme si elle le savait, Etna lui balança sa couverture chauffante au visage, ce qui désarçonna brièvement le transporteur qui parvint néanmoins à attraper la bouillote de tissu avec d’autres rubans élastiques, et à envelopper sa prise avec pour la maintenir au chaud.
Dix secondes plus tard, la supernova les rejoint d’un bond pour s’agripper à nouveau à la corde qui pendait dans les airs, l’ensemble s’élançant à vive allure en direction des trois navires de Gluttony qui avaient repris le cap.
-Vous venez avec moi !, s’exclama Pandora d’un ton dénué de tout enthousiaste. Et je vous garde sous le coude jusqu’à ce que vous vous décidiez à ordonner à tous de rendre les armes. Et sinon. Ca ne pose pas de problème. J’espère que Marie Q-Riz sera plus facile que vous.