- Précédemment:
Entrepont numéro trois du STANTOR, l’énorme cuirassé custom de l’ancien colonel de la Marine, secteur assigné aux troupes de la Marine.
Tout le gratin du navire était présent pour inaugurer le tout nouveau système de douches C.H.A.U.D.E. du navire. Le système avait été bricolé pendant le voyage par le lieutenant Edwin avec l’aimable autorisation et le concours ingénieux du capitaine CAPSLOCK lui-même. Tous les civils avaient été conviés à la petite manifestation : Haylor & Sigurd, Elie & Chloé, Valmorine & Yaombé, Kalem & les perroquets, ainsi que tout un aréopage d’administratifs dont Rachel n’étaient pas sûre d’avoir bien compris à quoi ils allaient servir mais que la baronne de Tintoret avait affirmer devoir emmener…
Bref, nouvelles douches, inauguration : ne restait donc plus qu’à couper le grand ruban rouge tiré en travers de l’entrée du bloc sanitaire numéro 4. Tâche dévolue d’un commun accord à miss Haylor.
Quant au pourquoi…
« HÉ BIEN, PARCE QU… Oups, excusez-moi, capitaine Barbara ! Hé bien, parce que heu… hum… Pourquoi, déjà, Lieutenant-Commissaire Marlow ? Se défaussa l’ancien colonel.
_ Hein, moi !? Mais j’ai pas… heu… hum, je veux dire… Enfin, c’est pas qu’heuu…
_ Parce que l’experte en pyromancie de Luvneel nous semble symboliquement la plus apte à inaugurer les douches C.H.A.U.D.E, intervint diplomatiquement Rachel en volant au secours de son timide subordonné. Bien sûr, si cela vous indispose, il n’y a aucun inconvénient à ce que vous laissiez cet honneur à quelqu’un d’autre, ainsi que le droit associé d’être la première à pouvoir ut… »
*CLIC !*
Bonus Sigurd a écrit:
« Putain je viens de percuter qu’on aura plus de saumon mariné et de petit cakes au chocolats au petit dej’. Et faut que je coupe mes fruits moi-même comme à l’ancienne. Croquer une pomme du marché quand je me baladais le matin c’était top, mais disséquer un ananas par contre… enfin je sais pas pourquoi je dis ça y’aura jamais d’ananas sur ce navire de toute façon. Et si on en trouve dans le nouveau monde ils seront carnivores et me liquéfieront la tronche en me crachant de l’acide. Meh.
- Sigurd, est-ce que vous pouvez passer le balai s’il vous plaît ? La poussière s’accumule dans la cabine.
- Rhooo eh c’est votre rôle d’abord, femme. ]Pis les sorcières ça aime bien les balais, d’abord.
- Certainement pas, les balais sont trop lourds pour mes frêles petits bras et je suis convaincue que faire de l’exercice vous ferait du bien. Et puis, vous ne voulez tout de même pas avoir à recoudre vos vêtements tout seul, j’imagine ?
- Euh… ouais nan okay j’aime pas non plus quand ça croustille sous mes pieds non plus. Je vais faire ça.
- Bien.
- … mais z’abusez, j’ai déjà nettoyé quatre fois votre service à thé en mode cadeau en plus, m’avez même pas remercié. -Même pas eu un bisou c’est totalement injuste.
- Ah, je vois. Donc nous en arrivons à là.
- …
- …
- Vous voulez pas, genre, qu’on ait la flemme comme les gens normaux et qu’on, vous savez, remette les choses à plus tard jusqu’à ce qu’on ait plus le choix ?
- Vous ne voulez pas, je ne sais pas, que je vous hurle dessus comme toutes les femmes le font quand elles sont excédées par le manque d’hygiène de leur conjoint et que nous, vous savez, nous brouillions pour des petits détails dérisoires qui ressurgissent en permanence ?
- Oh putain et ça y est, maintenant les spectres de la séparation et du divorce planent sur mon existence. Je savais que partir de Luvneel était une très mauvaise idée. Comme d’hab instinctivement je le savais, même si je savais pas pourquoi ! J’croyais que les dorikis du nouveau monde allaient ruiner nos vies mais j’étais pas assez ambitieux en vrai, c’était encore plus dur que ça, c’était juste parce qu’on allait se retrouver à devoir faire le ménage et se disputer pour ça. Brrr. Bientôt vous allez rencontrer un grand marin beau gosse à pectomuscles rutilants qui sait se servir d’un chiffon imbibé d’alcool pour effacer une tâche et c’en sera fini de moi, vous serez en pamoison devant lui, vous allez m’oublier et… oh non putain c’est mort jamais de la vie… JE VEUX PAS DE CA, JE VEUX RENTRER A LA MAISON.
- Sigurd. Pitié. Je ne vais pas avoir la patience de négocier éternellement pour ça et il faut que ça soit fait. Prenez ce balais maintenant.
- NAN MAIS J’M’EN FICHE BIEN SUR QUE JE VAIS PASSER CE BALAI C’EST PAS UN PROB’, MAIS HAYLOR, JE VIENS DE REALISER UN TRUC, ON A JAMAIS VECU ENSEMBLE AVANT DE DEVENIR RICHES ET ON EST TOUS LES DEUX AUSSI NULS L’UN QUE L’AUTRE POUR CES CONNERIES, QU’EST-CE QU’ON VA FAIRE ?
- Le ménage. Nous allons faire le ménage, Sigurd. Comme les gens normaux. Ca n’est pas un problème, ça.
- Mais je faisais déjà pas vraiment le ménage quand j’étais un gens normaux. Parce que je vivais pas avec quelqu’un qui avait des standards d’hygiène respectables, j’étais tout seul.
- Et moi je faisais mon ménage et ça ne me posait aucun problème. Et j’étais même ravie de pouvoir le faire et de ne plus avoir à rationner mes douches comme quand j’étais petite et que ma mère venait de disparaître en mer tandis que mon père peinait à rapporter de l’argent avec son statut d’universitaire mal payé et passionné par un sujet de niche. C’est justement pour cela que je suis rentrée dans la finance, Sigurd, et pour ça que j’ai dû passser par l’armée pour obtenir une formation sans avoir le moindre berry à débourser. OR IL SE TROUVE QUE CE MATIN JE N’AI EU QUE VINGT SECONDES D’EAU CHAUDE AVANT D’ETRE RENVOYEE AUX PIRES MOMENTS DE MA VIE, ET QUE LES DOUCHES DES FEMMES SONT DEVENUES CRASSEUSES ET REPUGNANTES APRES MEME PAS CINQ JOURS DE NAVIGATION PARCE QUE LE MONDE EST PEUPLE DE PORC, ET JE NE VOUS PARLE MEME PAS DES ATROCITES QUE J’AI PU VOIR DANS LES TOILETTES, EST-CE QUE JE ME METS A GEINDRE ET A HURLER POUR AUTANT, HEIN ?
- Mon petit doigt me dit que c’est une question piège mais je peux me tromper.
- EH BIEN MAINTENANT OUI ABSOLUMENT, JE HURLE ET JE ME PLAINS ET C’EST SEULEMENT GRACE A VOUS, FELICITATIONS.
- Boah, vous abusez, l’eau tiède ou fraîche ça va encore, suffit de se laver vite et…
- NON CA NE SUFFIT ABSOLUMENT PAS, AVOIR DE L’EAU FROIDE C’EST ETRE PAUVRE ET S’ESTIMER HEUREUSE D’AU MOINS AVOIR ACCES A DE L’EAU COURANTE ET DE NE PAS AVOIR A PESER SES PATES POUR LES FAIRE DURER UN JOUR DE PLUS, OR JE NE VEUX PAS ETRE PAUVRE, J’EN AI LARGEMENT EU ASSEZ D’ETRE PAUVRE, JE VEUX ETRE RICHE ET IL SE TROUVE QUE JE SUIS DEVENUE IMMENSEMENT RICHE ET C’EST TANT MIEUX, JE MERITE DE VIVRE DE CETTE MANIERE PARCE QUE JE ME SUIS TUEE CORPS ET AME PENDANT DES DIZAINES D’ANNEE A DEVENIR… A DEVENIR… AAAAAAAAAAAAAARGH…*
* *
*
- Eh bien ils sont en forme ceux-là, sourit malicieusement Elie en entendant les cris percer jusqu’au mess. Ça ne vous dérange pas trop pour lire ?
- Hein ? Ben je… Heu… Non, du tout, mentit lamentablement Edwin.
- Pourtant vous tournez les pages de votre bouquin vachement moins vite.
- Heu… C’est parce que c’est un passage plus compliqué, c’est pour ça. Hum… Ils sont toujours comme ça ?
- Inquiet de ne plus pouvoir bouquiner en paix au petit-déjeuner ?
- Non, non, pas du tout ! Je peux aller lire ailleurs, en vrai.
- Ils sont presque toujours comme ça, mais là, c’est un peu plus prononcé puisqu’ils se font une… cure de désintoxication au luxe, se réjouit Elie en croquant dans une tartine de confiture qui lui paraissait exagérément délicieuse maintenant qu’elle était assaisonnée par les cris de ses « amis ». Ça va leur faire du bien, de revenir sur terre.
- Heu… Excusez-moi, mais j’ai l’impression que vous avez l’air de trouver ça très amusant.
- Moi ? Non pas du tout, fit la jeune femme en rayonnant. Aaah, si seulement on avait un bidule pour mieux les entendre…*
* *
*
- Rhooo mais faut pas pleurer… allez venez là dans mes bras ça va aller…
- Ouiiiiiiiiiin !!! Noooooon !!! Jeeee neeeee veeeeeuuuuuux paaaaaaaas êêêêêêêêtre paaaaaauuuuuuuuvre…
- On va trouver un truc, promis. Vous aurez de l’eau chaude. On va demander à Capslock ou à Edwin de trouver quelque chose et… sinon on achètera un gros bateau rien que pour nous deux où y’aura tooouuuut le confort qu’il faut avec un équipage slash majordome pour se charger de ce qu’il faut. Et ça sera facile. On demande à la translinéenne ou à Vahxholm ou je ne sais qui de nous envoyer un navire en location qui va nous rattraper et ça sera comme à la maison. Osef de ce que diront les autres à notre sujet.
- Pou-pou… pourquoi e-est-ce qu’on a… snif… pas fait ça plus tôt ?
- Parce qu’on s’est dits qu’on allait être forts et courageux et qu’on allait très bien pouvoir se débrouiller comme à l’ancienne, ça fait que deux-trois ans qu’on crache du fric ça n’est pas si lointain. Mais je crois que vous avez été très forte et très courageuse pendant très longtemps et que faut encore que vous vous reposiez. Allez. Vous pouvez vous moucher sur ma chemise si vous voulez, c’est du cadeau.
- Bouhouhouhouh…
- Mais oui, allez, tout bien, tout bien. Làààààà.*
* *
*
- Je pense que c’est raté pour la désintoxication, signala timidement Edwin en écoutant au travers d'une oreillette de ce qui ressemblait à un stéthoscope relié à un gobelet qu’il partageait avec Elie.
- Mmmmmngh, grommela Jorgensen. J’espère qu’ils n’y arriveront pas. Rudement pratique, ce yaourtophone !
- Téléphone acoustique.
- Plaît-il ?
- Ce n’est pas un yaourtophone, c’est un téléphone acoustique.
- Détail. Ouais, je pense qu’ils n’y arriveront pas. Mais peut-être que si ? On verra bien. Je reste convaincue que se réhabituer à une vie normale leur ferait du bien.
- C’est ce qu’on va voir : moi, je suis certain de pouvoir y arriver ! Affirma avec force le lieutenant-commissaire.
- Parce que vous faites aussi une cure de désintoxication au luxe ? S’étonna Elie. Comment ça se fait que je ne côtoie plus que des gens trop pétés de thunes pour leur propre bien ?
- En fait, le point-clef pour maintenir un réservoir conséquent d’eau chaude, c’est…
- Non.
- Non ? Comment ça, non ?
- Non, ne faites surtout pas ça.
- Mais si, c’est génial, vous allez voir ! Donc, le point-clef, c’est…
« Vous me les gâtez beaucoup trop ! Ronchonna Elie à destination de Rachel. Croyez-moi, ça ne leur ferait pas de mal de se rappeler ce que vivent les gens normaux, de temps en temps.
_ Allons, ils ont été sevré bien trop brutalement, on ne pouvait pas tout de même pas les laisser comme ça. » Se défendit la colonel dans un sourire.
Le ruban n’avait même pas touché terre qu’Haylor avait déjà disparu prendre une bonne douche bien chaude.
Une loooooongue douche.
Bien chaude jusqu’au bout.
Le reste de la petite équipe était, elle, remontée sur le pont où le capitaine CAPSLOCK avait fait dresser un genre de buffet-collation pour l’occasion.
L’expédition était partie depuis maintenant un petit moment de Luvneel et avait atteint Redline, la bande de terre qui ceignait le globe terrestre. Rachel avait été très déçue d’apprendre qu’on ne passerait pas par Reverse Mountain pour prendre le train au cap des jumeaux – ç’avait pourtant l’air tellement chouette ! Il faudrait qu’elle essaye un jour ou l’autre. Peut-être serait-il plutôt possible de l’emprunter pour le retour ? – mais par la Flaque pour embarquer directement à partir du G-0.
La jeune femme n’avait jamais entendu parler de la Flaque jusqu’alors. Ses connaissances du monde se restreignaient très essentiellement à North Blue. Elle avait donc été étonnée d’apprendre que Redline était en fait un véritable gruyère et qu’il était ainsi possible d’accéder à la Route de Tous les Périls et au Nouveau Monde sans passer par le toboggan aquatique géant. À la place, il suffisait de suivre un complexe entrelacs de grottes et de galeries et on se retrouverait de là où on le désirait sans encombre.
Raison pour laquelle, l’expédition luvneeloise était donc actuellement en train de progresser tranquillement sous une imposante voûte rocheuse, constellée de mousses phosphorescentes et de cristaux en tout genre qui captaient et réfléchissaient la lumière. C’était un spectacle aussi grandiose que fascinant, qui expliquait aussi que le capitaine CAPSLOCK avait tenu à ce qu’on mange dehors en ce premier jour sur la Flaque.
L’imposante albinos jeta un rapide coup d’œil autour d’elle. Visiblement, le moral de l’expédition était au beau fixe, tout le monde semblait content, les civils encore plus que les autres depuis qu’on leur avait révélé l’existence des douches C.H.A.U.D.E. : chacun d’entre eux avait reçu un badge d’accès au bloc amélioré.
Chloé était assise non loin à même le pont, disputant une partie de dame endiablée où une armée de petits toasts au pâté s’opposait à une autre armée de biscuits aux graines de sésame. En face, la paire de perroquets de Yaombé ne lâchait rien et les deux équipes faisaient de leur mieux pour manger au sens propre un maximum de pions de leur adversaire.
Un peu plus loin, ledit Yaombé accompagnait Valmorine, en grande discussion avec Edwin et CAPSLOCK. Comme à son habitude, le doux et timide bricoleur était en train de s’enflammer alors qu’il expliquait par le menu les détails de sa dernière œuvre. Aux discrets coups de coude que le capitaine adressait au lieutenant-commissaire, Rachel devina qu’il essayait de lui signaler que la comtesse n’était visiblement pas du tout intéressée par les détails bien que son savoir-vivre l’empêchât d’en montrer le moindre signe.
Beaucoup plus près, Sigurd et Kalem rôdaient près du buffet comme des fauves affamés, s’empiffrant discrètement à qui mieux-mieux, tout en pestant de concerts sur toutes les mauvaises raisons pour laquelle cette expédition n’aurait jamais du voir le jour et encore moins avec eux à bord.
Krieger, son sergent-chef breveté, n’était visible nulle part, mais pour une excellente raison : c’était actuellement lui qui était à la barre. En ancien de la maison, CAPSLOCK ne dédaignait absolument pas de collaborer avec la Marine et s’était montré enchanté d’apprendre qu’il avait un pilote compétent supplémentaire pour son navire.
Dans les faits, la cohabitation du régiment avec les matelots du STANTOR se déroulait beaucoup mieux que ne l’avait craint Rachel. Les civils s’occupaient de faire tourner la boutique – on les voyait constamment s’activer dans les gréements et ailleurs – pendant que la Marine s’occupait du ménage et de toutes autres basses besognes. Krieger était un sergent particulièrement vieux jeu, qui considérait que le pire qui puisse arriver à un régiment était l’oisiveté. Quand il avait appris via la mésaventure d’Haylor l’état lamentable des douches des autres blocs, il avait harcelé Rachel pour que la Marine endosse toutes les corvées : ça occuperait les hommes. De mauvaise grâce, elle avait accepté : d’abord, parce que l’équipage du STANTOR n’avait clairement pas l’habitude d’une telle affluence et était un peu dépassé, ensuite parce qu’elle vouait une confiance aveugle à son sergent-chef pour tout ce qui touchait la discipline.
« N’empêche que vous les gâtez beaucoup trop, persista Elie tout en sirotant son jus de fruit – elle avait décidé de faire un peu plus attention après leur dernière soirée à Luvneel. Qu’est-ce que vous allez faire quand ils réclameront le service de chambre, un yacht personnel ou le déménagement de leur Manoir pierre par pierre jusqu’à Vertbrume ?
_ Le déménage… ? Vous plaisantez, là ?
_ Oooh, la probabilité n’est pas nulle avec ce zigoto, méfiez-vous…
_ Meuhnon, décida de s’auto-persuader Rachel. Je suis certaine qu’ils ne se montreront pas aussi… extravagants. … En tout cas, pas Miss Haylor, qui me semble être quelqu’un de particulièrement raisonnable. En tout cas, en public.
_ Oui, enfin, elle a craqué pour une simple douche, quand même, hein, pointa la comédienne.
_ Non mais c’était visiblement une sombre histoire de traumatisme, tout simplement, balaya la commandante avec optimisme. Et puis, tout le monde apprécie une bonne douche bien chaude ! Je ne crois pas que ce soit trop demander, non ?
_ Dites, vous avez pas vu l’ampleur des travaux juste pour assouvir son petit caprice, là ?
_ Roooh, mais ça faisait tellement plaisir au colonel CAPSLOCK ainsi qu’à Edwin, aussi…
_ Croyez-moi, ça ne fait pas de mal de montrer un peu de fermeté de temps en temps, affirma Elie. Si vous leur passez tous leurs caprices à tout bout de champ, ils finiront par devenir invivables. Il faut savoir leur dire non, poser des limites : c’est pour leur bien ! Sinon ils vont devenir complètement pourri-gâtés en grandissant.
_ Heu… on parle toujours de Dogaku et Haylor, là ? Alors je ne remets pas du tout en cause votre expérience, bien au contraire, mais je vous ferai remarquer que je ne suis pas leur mère, hein, signala Rachel en souriant.
_ Rappelez-moi donc qui s’est visiblement mise en tête de materner l’expédition toute entière ?
_ Maieuh, pas du tout ! Et puis, bien que ce soit une caprice, il me semble que vous n’avez vous-même pas dédaigné le badge qu’on vous a proposé. » Pointa gentiment l’imposante albinos.
Le système C.H.A.U.D.E. étant ce qu’il était, il n’était pas possible d’approvisionner plus de sept cents personnes en eau chaude à volonté, d’où la mise en place d’un nombre limité de badges d’accès.
Du coin de l’œil, Rachel aperçut Haylor qui fit son entrée sur le pont, littéralement rayonnante de bonheur. Visiblement, dans la vie, c’étaient les petits plaisirs simples qui comptaient. Elle piqua tout droit sur son Sigurd préféré, qui lui présenta une assiette de tous les trucs qu’il avait pu sauver de la nuée de voraces qui tourbillonnaient près du buffet.
« Bien sûr, je ne vais tout de même pas refuser cette petite satisfaction à ma fille, voyons ! Éluda Elie avec un sourire en coin.
_ Je croyais qu’il fallait se montrer ferme de temps en temps, plaisanta Rachel.
_ Oui ben là, il était pas temps, voilà tout. Hé, vous pouvez parler, vous aussi vous aller bien en profiter ! Contre-attaque l’actrice.
_ …, ne répondit rien l’imposante albinos en se concentrant subitement sur le contenu de son verre.
_ Sérieux ? Vous n’avez pas garder de badges pour vous ? N’en revint pas la jeune femme.
_ Bien sûr que si, se défendit l’imposante albinos. On a séparé les badges en trois lots : un pour les civils, un pour les STANTORiens et un pour la Marine.
_ D’accord, opina Elie. Et qui parmi la Marine en bénéficie ?
_ … Hum… Je crois que je vais aller chercher quelque chose au buffet avant qu’il ne soit complètement vide.
_ Revenez ici et répondez-moi !
_ J’ai décidé d’utiliser les badges comme récompenses quotidiennes pour les meilleurs équipes de corvées, avoua Rachel. Ce qui exclut bien évidemment les gradés. On ne peut pas tout avoir, hein…
_ Vous êtes sérieuse, là !? Maintenant que vous le dites, je trouvais vos équipes de nettoyages particulièrement zélées, ce matin.
_ Ben, c’est des corvées, pis faut bien les motiver et tout travail mérite salaire, tout ça… marmonna l’imposante albinos.
_ Non, non, je ne critique pas, c’est très généreux de votre part. Néanmoins, pour votre bien, je crois qu’il va vraiment falloir que je vous apprenne deux-trois notions essentielles dans la vie comme, par exemple, l’égoïsme, hein… Vous verrez, même à petite dose, ça vous fera beaucoup de bien.
_ Ben je me fiche un peu d’avoir plein de biens, en fait.
_ Non mais c’est pas du tout ce qu… »
C’est alors que la cloche du STANTOR retentit. Un signal vif et strident ne laissant aucune place au doute, même pour le plus néophyte des marins, au premier rang desquels se trouvait Rachel. Un signal d’alarmes. Des ennuis en perspective.
Le signal fut repris presque aussitôt par tous les autres navires de la flottille.
La commandante jeta un rapide regard autour d’elle. Dans les haubans, les marins du STANTOR étaient en train de pointer quelque chose vers tribord-avant. L’imposante albinos aperçut le danger en même temps qu’un ordre circulait sur l’ensemble du pont, relayé par l’imposante voix de CAPSLOCK. Une énorme déferlante fonçait droit sur le navire. « ACCROCHEZ-VOUS ».
La jeune femme ne se le fit pas dire deux fois et s’agrippa immédiatement à l’un des haubans. Du coin de l’œil, elle aperçut Elie qui s’était déjà saisie de Chloé avant de s’arrimer à l’un des cordages. Haylor était en train de déployer ses étranges appendices cotonneux pour former un cocon enserrant Sigurd, Valmorine et Yaombé. Partout, chacun s’accrochait fermement à une structure du navire.
Et puis la vague fut sur eux.
Pendant quelques secondes horriblement longues, le STANTOR se mua en attraction défectueuse de fête foraine. Des hauts, des bas, des rafales d’eau de mer noyant abondamment le pont, un demi-tour, un virage serré, un autre. Une boule de poils détrempée passa à proximité de la commandante qui eut à peine le temps de la saisir au passage pour se retrouver avec un Kalem à moitié noyé après avoir bu la tasse pendant qu’il pestait contre la Flaque, les éléments, l’expédition, Luvneel et puis maintenant toute la terre entière pour faire bonne mesure.
Et tout aussi brusquement qu’il avait disparu, le calme revint.
À l’exception du buffet et des tables qui avaient tout bonnement disparus, il ne semblait n’y avoir ni casse ni autre disparition fâcheuse sur le pont du STANTOR, remarqua Rachel. Elle s’empressa de rejoindre CAPSLOCK, imitée par la plupart des invités, pour en savoir plus sur ce qu’il venait de se passer.
« … simple reflux, était en train d’expliquer le capitaine. Bien que la Flaque ait l’air calme, il y a de nombreux courants sous-marins. Parfois, ils entrent en collision et il en résulte une brusque éjection d’eau du côté le plus faible, comme vous pouvez le voir. Il faut faire attention, de telles surprises peuvent littéralement broyer un navire contre les parois de la grotte.
_ Pourtant, on a pas l’air d’avoir beaucoup dévié, fit remarquer Haylor d’un froncement de sourcils tout en regardant autour d’elle. Pas plus de cent mètres, je dirais, vu la position du gros cristal là-haut.
_ Tant qu’il existe une chance de s’en tirer, Krieger est littéralement insubmersible, signala Rachel. On a eu de la chance de l’avoir. J’ai de la chance de l’avoir.
_ Alors plus de peur que de mal, tant mieux, se félicita Valmorine. Et je…
_ Hé, regardez, y’a plus de bateaux ! » S’exclama Chloé.
Un lourd silence se fit pendant un petit moment, le temps que chacun se décide à regarder autour du STANTOR. Et effectivement, le navire-amiral était maintenant seul. La demi-douzaines de petits navires corsaires ? Envolés. Le colossal Géant ? Evaporé. Les cinq navires moyens du Royaume ? Disparus.
Si le navire-amiral avait eu la chance d’avoir un skipper comme Kriger, on ne pouvait malheureusement pas en dire autant des autres…
« Magnifique : on est même pas arrivé sur la Route de Tous les Périls qu’on a déjà paumé quatre-vingt-dix pourcents de l’expédition, résuma Sigurd. Record de Montblanc battu…
_ Peuh ! Ça valait bien le coup de se casser le cul à embaucher des corsaires expérimentés, ronchonna Kalem. Allez, v’voyez bien que c’est foutu, demi-tour, on rentre !
_ Ce n’est pas leur faute : les pirates n’ont pas d’expérience de la Flaque puisqu’ils passent par le Reverse et tout le bataclan qui suit, les défendit mollement Rachel.
_ Alors qui est l’abruti qui a eut l’idée de nous faire passer par la Flaque !?
_ Clair que le toboggan aurait été vachement plus classe.
_ Reverse-moutain est bien trop dangereux pour les navires autres que petit, asséna CAPSLOCK, la Flaque est l’unique moyen de passer pour les gros tonnages. Sans même parler du fait que que ça nous aurait juste rallonger le trajet de la moitié du globe, accessoirement.
_ Faudra vraiment envisager un pont aérien, un de ces jours, plaisanta Sigurd.
_ Ah ouais, et comment tu comptes t’y prendre pour faire voler un navire, cancrelat décérébré, grogna Kalem. Des navires-volants, c’st d’la science-fiction !
_ Roooh, mais c’était juste une blague… Commença le blondinet.
_ En fait, le problème pour les gros tonnages, c’est l’enveloppe hermétique massive nécessaire. C’est trop compliqué d’en faire construire une, le coupa CAPSLOCK.
_ Non, non : avec un système de couture par pli de quatre, on peut facilement sceller une enveloppe faite de brics et de brocs, affirma derechef Edwin.
_ VOUS ÊTES SERIEUX !? S’oublia le capitaine.
_ Sûr : je l’ai testé. Mais pour plus grand qu’une montgolfière, la quantité d’air chaude à produire est trop…
_ OUBLIEZ DONC L’AIR CHAUD, s’enthousiasma l’ancien colonel. IL SUFFIT D’UTILISER DU GAZ DE POISSON-RUNEs DE CALM BELT MÉLANGÉ A… »
Pris par leur fièvre créative, la paire d’auto-ingénieurs de choc était déjà parti à l’écart pour échanger diverses considérations techniques quant à la faisabilité d’une flotte de navire-volants.
« Mais… c’était juste une blague, en fait…
_ Quelque chose me dit qu’une fois arrivé au G-0, on va avoir le droit à un gros séjour bricolage, soupira Elie.
_ Avant ça, il va nous falloir retrouver le reste de l’expédition, rappela Rachel. … Hé, mais capitaine Dogaku, vous avez l’expérience de la navigation sur la Flaque ! S’illumina brusquement l’imposante albinos.
_ ’ttendez, comme vous savez ça, vous ?
_ Lucie de V… j’veux dire, la Marine a ses sources.
_ Pfff, j’espérais que personne ne se s’en souviendrait… Non, mais mon expertise est toute particulière, hein.
_ Ah bon ?
_ Oui : elle ne vaut que quand tout va bien.
_ …
_ Si, si, c’est comme ça, alors arrêtez de me faire ce regard de chien battu, ça ne prend pas avec moi. Je refuse d’endosser le commandement.
_ Avant de parler de retrouver le reste de l’expédition, faudrait déjà s’assurer qu’elle ne se soit pas fracassée contre l’une des parois de la grotte, grommela Kalem.
_ Comment faire, on n’y voit goutte au-delà des cents mètres, objecta Haylor. Je n’ai pas assez de flammes pour illuminer aussi loin.
_ Bon, je suppose qu’il faut que j’aille récupérer notre capitaine gadget, alors… Soupira Elie. S’il ne baisse pas d’un ton, par contre, il va m’entendre ! »
Quelques minutes supplémentaires et le capitaine CAPSLOCK était enchanté de leur présenter l’une de ses dernières trouvailles : le boulet au magnésium. Un coup de canon plus tard et un globe luminescent d’un blanc éclatant s’éparpillait paresseusement au loin, illuminant toute la grotte d’une lumière crue dissipant au loin les ténèbres.
La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y avait aucun débris de navires sur les flots ou contre les parois.
La mauvaise, c’était les quatre grottes jusque là cachées dans la pénombre, par lesquelles les navires de la flottille avait pu être emportés de force par le reflux, loin du dédale balisé par la Marine.
« Magnifique… Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » Résuma Valmorine.