Mama était enfin rentrée de ses mésaventures qui l’avaient traînée de Saint-Uréa à Zaun, en passant par la Nouvelle-Réa. Cela faisait un peu plus d’une semaine. Elle avait passé plus de trois mois en captivité, accompagnée, pendant un temps seulement et contre leur gré, de son amie Sasha. Grant, l'homme de la capitaine officieuse de cet équipage de trois personnes et qui s’ignorait était par deux fois parti à leur rescousse tout en se faisant un sang d’encre.
Depuis qu’il avait raccroché les gants de la Révolution quand il était le second de la Barge des Barges, il s’était porté volontaire pour prendre en charge le ranch que les parents de Mama ont légué à cette dernière à leur mort. Cette paix lui convenait parfaitement, perdu au milieu de nul part, fiché dans son petit nid douillet.
Après cet épisode tumultueux, une fois n’étant pas coutume, Mama fut pour une fois heureuse d’y rejoindre les siens. Elle avait grand besoin de se remettre en forme après les maltraitances qu’elle avait subi, et ce réconfort supplémentaire n’était pas sans lui procurer le plus grand bien.
Mais elle ne tenait jamais en place. Pour autant, il lui était hors de question de jouer les redresseuses de tort dans ce monde où les injustices étaient reines. Non, si elle se sentait obligée de lever l’ancre, elle voulait seulement emmener son amie découvrir son île natale, Torino. Après tout, ce serait pour elle aussi une découverte, ou plutôt une redécouverte, puisqu’elle l’avait quitté à l’âge de quatre ans. Tout ce dont elle se rappelait, c’était ce que lui avaient dit ses parents : c’était une île ensoleillée où trônait un arbre géant, et après une guerre mémorable entre les oiseaux immenses et les humains colossaux, toute l’île avait regagné sa paix d’antan. La seule ombre au tableau, c’était elle.
En effet, même si elle était en bas âge, elle prenait un malin plaisir à chercher des noises aux oisillons qui avaient le malheur de se poser trop près d’elle. Les deux adversaires se battaient comme des chiffonniers, si bien que ses parents avaient craint que la guerre n’éclatât de nouveau. C’était l’unique raison de leur déménagement sur Kage Berg. Ils avaient espéré que Mama serait plus sociable avec les moutons et les vaches. Et ce fut le cas !
Un peu moins de quarante ans plus tard, Mama était toujours pétrie de remords. Cette idée qu’elle avait eu soudainement pouvait également lui permettre de présenter ses excuses tardives à celles et ceux qui se souviendraient de cette époque.
Son amour propre était très fort et elle n’admettait ses erreurs qu’en dernier recours. Or, elle n’allait pas faire un détour par Torino pour présenter des excuses à des piafs, même si elle ne faisait pas de différence entre les humains et les autres animaux ! Et puis elle allait être ridicule ! De toute façon, elle imaginait que la plupart des gens, s’ils n’étaient pas morts, avaient oublié !
Mais pour autant, elle avait un sens de l’honneur marqué. Certes un peu moins que son orgueil, mais tout de même ! Alors c’était le moment idéal pour faire ce qu’elle s’était toujours juré de faire si elle en avait l’occasion !
C’était pour tout cela que leur barge barbotait tranquillement en direction de Torino. La météo avait été clémente et le voyage agréable.
Elles savaient qu’elles approchaient des côtes car déjà le piaillement des mouettes faisait son grand retour, mais elles surent qu’elles étaient arrivées à destination quand elles aperçurent l'immense arbre symbolique de l'île. D’immenses volatiles s'en envolèrent et se mirent à piqueter le ciel bleu.
Sasha ne put contenir son étonnement en voyant ces forces de la nature au loin, par dessus l'immense palissade en bois qui cernait et protégeait l'île. Mama souriait tendrement, entre la satisfaction de savourer un moment de répit et l’amusement de voir une trentenaire s’émerveiller comme un enfant.
Sasha avait vécu des choses atroces, et Mama l’en avait sauvée. A ce moment-là, elle était complètement brisée et elles avaient dû apprendre à s’apprivoiser pour qu’elle pût à nouveau accorder sa confiance à un humain, qui allait devenir un temps sa capitaine.
Pour faire face à ces horreurs, Sasha s’était créé des personnalités alternatives. Et ces deux choses avaient marqué à vie son physique. Les traits rudes et les cheveux courts, elle avait l’air d’un vrai garçon manqué, à la limite de l’androgynie. Elle aimait en jouer auprès des personnes qu’elle ne connaissait pas et laissait planer le doute avec délectation. Mama pensait même qu’elle n’aimait pas se définir clairement, puisqu’elle-même s’était sciemment inventé une personnalité masculine, Maxime. Et puis il y avait Alexis. Une jeune femme tempétueuse et dangereuse qui était née dans la brutalité et le désespoir. Elle avait autant sauvé la vie de Sasha qu’elle ne l’avait mise dans le pétrin.
Depuis peu, Sasha et ses deux alters égos s’étaient réunis sous sa réelle identité, plus ou moins intimement. Et donc, cela faisait toujours sourire Mama quand elle voyait son amie réagir comme une jeune adolescente. Elle était persuadée que sa vie psychologique avait repris lors de leur rencontre, ce qui expliquait ses réactions encore parfois puériles.
Leur moment de délassement et de contemplation fut subitement interrompu par une flèche en fer qui vint se loger dans le bois du pont dans un craquement sec. Sasha lâcha la barre de panique, et Mama fusilla du regard de l’oiseau géant qui grossissait dans le ciel à mesure qu’il se rapprochait d’eux.
C’était une mise en garde. La personne qui chevauchait le volatile avait visé juste et ne les ciblait pas directement.
— Sasha, maintiens le cap ! On va toujours s'amarrer au port !
Malgré l’inquiétude, elle opina du chef et Mama courut dans sa cabine.
Elle fouilla dans son armoire et regagna le pont, un vêtement blanc en main qu’elle agita le plus haut qu’elle pût. De par sa morphologie, son habit était suffisamment grand pour que le cavalier aviaire le vît.
Et c’était le cas. Mama le comprit quand l’oiseau bifurqua vers l’arbre géant qui paradait fièrement sur son caillou perdu en mer. La tranche de la main plaquée au-dessus des yeux pour se protéger du soleil, elle scrutait toujours Torino à la recherche d’une éventuelle autre réaction.
— Mes parents ne m’avaient pas menti. On ne s’invite pas à l’improviste sur Torino … Ça devrait aller, mais m’est avis qu’on aura quand même le droit au comité d’accueil.
— T’façon, c’est pas comme si on avait de mauvaises intentions ! Je m’en fais pas !
— Personne n’a jamais de mauvaises intentions avant de mouiller au port.
Et effectivement, la barge enfin à l’arrêt, un petit groupe de Néotribaux, les locaux de l’île, vint au devant des deux amies qui finissaient de préparer leur débarquement. Enfin … Sasha avait interrompu sa tâche, surprise de voir que toutes et tous étaient des colosses de la même trempe que sa capitaine officieuse.
— I-I-Ils sont tous comme toi ?!
— Nan, certains sont aimables.
— Non mais je veux dire …
— Je sais ce que tu veux dire, et oui, ils sont tous comme moi : grands, gros, et au cuir tanné par le soleil, décoré de tatouages.
— C’est pas très sympa, ça …
Mama leva la tête pour voir qui lui avait adressé la parole. Elle retourna à ses affaires sans plus porter d’attention à son interlocuteur qu’elle ne connaissait ou reconnaissait pas.
— T’es jamais parti d’ici, toi … C'est le genre de truc qu'on me fait péter dans les dents à chaque fois.
— Tu t’y es peut-être habituée, mais c’est un coup dur pour moi …
— Oh, t’es grand, va ! Tu t’en remettras ! Et puis ceux qui viennent là doivent bien vous le dire, non ?
— Ils ne sont pas si nombreux, et quand ils nous voient, ils se gardent bien de nous le faire savoir … Même s’ils n’en pensent pas moins.
Personne ne bougeait. Ils attendaient un peu trop patiemment que les deux déclinassent leur identité. Le silence commençait à s'installer, aux dépens de l’autorité que la troupe représentait. Il fallait donc que leur chef la rétablît.
— Et tu es ?
Elle se releva, les poings sur les hanches, le sourire crâne.
— Ma…
— …loma R’shmalo !
— SASHA !
Mama détestait son prénom et son nom. Elle trouvait qu’il sonnait trop mou. Si sa coéquipière pensait bien faire, son sourire sournois mais complice trahissait son envie de la taquiner.
— Sasha Poole, même ! Pour être plus précise …
Elle était rayonnante, fière d’avoir réussi son petit coup. Leur interlocuteur eut l’air sonné.
— Oh bah merde alors ! Si un jour on m’avait dit qu’on reverrait un R’shmalo ici …
Depuis qu’il avait raccroché les gants de la Révolution quand il était le second de la Barge des Barges, il s’était porté volontaire pour prendre en charge le ranch que les parents de Mama ont légué à cette dernière à leur mort. Cette paix lui convenait parfaitement, perdu au milieu de nul part, fiché dans son petit nid douillet.
Après cet épisode tumultueux, une fois n’étant pas coutume, Mama fut pour une fois heureuse d’y rejoindre les siens. Elle avait grand besoin de se remettre en forme après les maltraitances qu’elle avait subi, et ce réconfort supplémentaire n’était pas sans lui procurer le plus grand bien.
Mais elle ne tenait jamais en place. Pour autant, il lui était hors de question de jouer les redresseuses de tort dans ce monde où les injustices étaient reines. Non, si elle se sentait obligée de lever l’ancre, elle voulait seulement emmener son amie découvrir son île natale, Torino. Après tout, ce serait pour elle aussi une découverte, ou plutôt une redécouverte, puisqu’elle l’avait quitté à l’âge de quatre ans. Tout ce dont elle se rappelait, c’était ce que lui avaient dit ses parents : c’était une île ensoleillée où trônait un arbre géant, et après une guerre mémorable entre les oiseaux immenses et les humains colossaux, toute l’île avait regagné sa paix d’antan. La seule ombre au tableau, c’était elle.
En effet, même si elle était en bas âge, elle prenait un malin plaisir à chercher des noises aux oisillons qui avaient le malheur de se poser trop près d’elle. Les deux adversaires se battaient comme des chiffonniers, si bien que ses parents avaient craint que la guerre n’éclatât de nouveau. C’était l’unique raison de leur déménagement sur Kage Berg. Ils avaient espéré que Mama serait plus sociable avec les moutons et les vaches. Et ce fut le cas !
Un peu moins de quarante ans plus tard, Mama était toujours pétrie de remords. Cette idée qu’elle avait eu soudainement pouvait également lui permettre de présenter ses excuses tardives à celles et ceux qui se souviendraient de cette époque.
Son amour propre était très fort et elle n’admettait ses erreurs qu’en dernier recours. Or, elle n’allait pas faire un détour par Torino pour présenter des excuses à des piafs, même si elle ne faisait pas de différence entre les humains et les autres animaux ! Et puis elle allait être ridicule ! De toute façon, elle imaginait que la plupart des gens, s’ils n’étaient pas morts, avaient oublié !
Mais pour autant, elle avait un sens de l’honneur marqué. Certes un peu moins que son orgueil, mais tout de même ! Alors c’était le moment idéal pour faire ce qu’elle s’était toujours juré de faire si elle en avait l’occasion !
C’était pour tout cela que leur barge barbotait tranquillement en direction de Torino. La météo avait été clémente et le voyage agréable.
Elles savaient qu’elles approchaient des côtes car déjà le piaillement des mouettes faisait son grand retour, mais elles surent qu’elles étaient arrivées à destination quand elles aperçurent l'immense arbre symbolique de l'île. D’immenses volatiles s'en envolèrent et se mirent à piqueter le ciel bleu.
Sasha ne put contenir son étonnement en voyant ces forces de la nature au loin, par dessus l'immense palissade en bois qui cernait et protégeait l'île. Mama souriait tendrement, entre la satisfaction de savourer un moment de répit et l’amusement de voir une trentenaire s’émerveiller comme un enfant.
Sasha avait vécu des choses atroces, et Mama l’en avait sauvée. A ce moment-là, elle était complètement brisée et elles avaient dû apprendre à s’apprivoiser pour qu’elle pût à nouveau accorder sa confiance à un humain, qui allait devenir un temps sa capitaine.
Pour faire face à ces horreurs, Sasha s’était créé des personnalités alternatives. Et ces deux choses avaient marqué à vie son physique. Les traits rudes et les cheveux courts, elle avait l’air d’un vrai garçon manqué, à la limite de l’androgynie. Elle aimait en jouer auprès des personnes qu’elle ne connaissait pas et laissait planer le doute avec délectation. Mama pensait même qu’elle n’aimait pas se définir clairement, puisqu’elle-même s’était sciemment inventé une personnalité masculine, Maxime. Et puis il y avait Alexis. Une jeune femme tempétueuse et dangereuse qui était née dans la brutalité et le désespoir. Elle avait autant sauvé la vie de Sasha qu’elle ne l’avait mise dans le pétrin.
Depuis peu, Sasha et ses deux alters égos s’étaient réunis sous sa réelle identité, plus ou moins intimement. Et donc, cela faisait toujours sourire Mama quand elle voyait son amie réagir comme une jeune adolescente. Elle était persuadée que sa vie psychologique avait repris lors de leur rencontre, ce qui expliquait ses réactions encore parfois puériles.
Leur moment de délassement et de contemplation fut subitement interrompu par une flèche en fer qui vint se loger dans le bois du pont dans un craquement sec. Sasha lâcha la barre de panique, et Mama fusilla du regard de l’oiseau géant qui grossissait dans le ciel à mesure qu’il se rapprochait d’eux.
C’était une mise en garde. La personne qui chevauchait le volatile avait visé juste et ne les ciblait pas directement.
— Sasha, maintiens le cap ! On va toujours s'amarrer au port !
Malgré l’inquiétude, elle opina du chef et Mama courut dans sa cabine.
Elle fouilla dans son armoire et regagna le pont, un vêtement blanc en main qu’elle agita le plus haut qu’elle pût. De par sa morphologie, son habit était suffisamment grand pour que le cavalier aviaire le vît.
Et c’était le cas. Mama le comprit quand l’oiseau bifurqua vers l’arbre géant qui paradait fièrement sur son caillou perdu en mer. La tranche de la main plaquée au-dessus des yeux pour se protéger du soleil, elle scrutait toujours Torino à la recherche d’une éventuelle autre réaction.
— Mes parents ne m’avaient pas menti. On ne s’invite pas à l’improviste sur Torino … Ça devrait aller, mais m’est avis qu’on aura quand même le droit au comité d’accueil.
— T’façon, c’est pas comme si on avait de mauvaises intentions ! Je m’en fais pas !
— Personne n’a jamais de mauvaises intentions avant de mouiller au port.
* * *
Et effectivement, la barge enfin à l’arrêt, un petit groupe de Néotribaux, les locaux de l’île, vint au devant des deux amies qui finissaient de préparer leur débarquement. Enfin … Sasha avait interrompu sa tâche, surprise de voir que toutes et tous étaient des colosses de la même trempe que sa capitaine officieuse.
— I-I-Ils sont tous comme toi ?!
— Nan, certains sont aimables.
— Non mais je veux dire …
— Je sais ce que tu veux dire, et oui, ils sont tous comme moi : grands, gros, et au cuir tanné par le soleil, décoré de tatouages.
— C’est pas très sympa, ça …
Mama leva la tête pour voir qui lui avait adressé la parole. Elle retourna à ses affaires sans plus porter d’attention à son interlocuteur qu’elle ne connaissait ou reconnaissait pas.
— T’es jamais parti d’ici, toi … C'est le genre de truc qu'on me fait péter dans les dents à chaque fois.
— Tu t’y es peut-être habituée, mais c’est un coup dur pour moi …
— Oh, t’es grand, va ! Tu t’en remettras ! Et puis ceux qui viennent là doivent bien vous le dire, non ?
— Ils ne sont pas si nombreux, et quand ils nous voient, ils se gardent bien de nous le faire savoir … Même s’ils n’en pensent pas moins.
Personne ne bougeait. Ils attendaient un peu trop patiemment que les deux déclinassent leur identité. Le silence commençait à s'installer, aux dépens de l’autorité que la troupe représentait. Il fallait donc que leur chef la rétablît.
— Et tu es ?
Elle se releva, les poings sur les hanches, le sourire crâne.
— Ma…
— …loma R’shmalo !
— SASHA !
Mama détestait son prénom et son nom. Elle trouvait qu’il sonnait trop mou. Si sa coéquipière pensait bien faire, son sourire sournois mais complice trahissait son envie de la taquiner.
— Sasha Poole, même ! Pour être plus précise …
Elle était rayonnante, fière d’avoir réussi son petit coup. Leur interlocuteur eut l’air sonné.
— Oh bah merde alors ! Si un jour on m’avait dit qu’on reverrait un R’shmalo ici …
Dernière édition par Mama Boutanche le Sam 2 Juil 2022 - 9:32, édité 2 fois