Sur Saint-Uréa, une nuit comme une autre, elle rit avec légèreté, faisant fuir à son tour les petits bruits de la nuit. Son son s'égrèna dans un silence presque parfait.
Avec un temps de retard, une de ses mains se fit difficilement active et vint chercher la joue du jeune homme allongé avec elle. Ses empreintes s’égratignèrent par la suite, faussement langoureuses, contre le début de barbe aimé.
Néanmoins, approximativement lorsque son souffle à elle se recalma, elles furent rejointes par une paume qui ne lui appartenait point, désireuse peut-être que la mignoterie stoppe. Sans demander d’accord, Lydia noua alors lentement ses cinq doigts à ceux étrangers et laissa ceux-ci la guider vers un coeur qui battait bel et bien.
« Raconte-moi. Encore. »
Ordonna-t-elle finalement d’une voix cajoleuse.
La chipie avinée refusait maintenant de davantage se faire mouvoir, quitte à transvaser un peu plus de son poids dans son bras pour l’en empêcher. Son regard saoul, un tiers rieur, un tiers endormi, un tiers rêveur, fixait sinon l’autre qu’elle voyait déjà tous les jours.
L’alcool et la fatigue avaient perclu leur corps, rendant leurs mouvements lents et patauds. Ils avaient aussi anesthésié toutes pensées, outre celles sans grand intérêt qu’ils se partageaient jusque-là, inspirées par les étoiles, les nuages et le ciel vus par le prisme de leur état peu glorieux.
Au début, quand l’effet des bouteilles vidées ne s’était pas encore installé, le duo avait commencé par s’envoyer quelques dires trop sérieux au milieu d’une multitude de moments mutiques. Des regards grincheux ou boudeurs, aussi, puisque leur dernier entraînement ensemble n’avait satisfait aucun des deux pour des raisons différentes. Et puis, la boisson piquée dans les armoires de la demeure familiale avait fini par délier leur langue, rappelant à leur âme déjà en partie cabossée un bout de leurs souvenirs d’enfants depuis longtemps oubliés.
À présent, son jumeau moitié souriant, moitié grognon, terminait de lui conter à sa manière (pleine de ronchonnements et de phrases courtes) un événement d’antan auquel elle n’avait pas participé.
C’était le récit d’une simple rencontre qui datait et qui n’aurait en temps normal rien eu d’amusant ; mais qu’il était facile de s’émerveiller d’un rien distordu en si bonne compagnie alcoolisée, perdus, incapables de bouger comme ils l’étaient, au milieu d’une des pelouses trop bien entretenues du coin. Le seul danger qui les guettait sur ce terrain propret était un hostile sermon de la matriarche. Si elle ne contemplait pas leurs deux corps apaisés sans méchanceté du haut de sa fenêtre, bien entendu. Après tout ses aînés ne faisaient rien de répréhensible.
L’homme finit par faire un faible signe négatif de la tête, le menton tourné vers les astres nocturnes. Sans mirer son interlocutrice, il signala ainsi qu’il en avait marre de causer.
« À toi. »
Elle ne se fit pas trop prier.
Jamâl, ivre, nourri et fourbu par les exercices quotidiens ne l’écouta hélas pas babiller longuement. De peu actif compagnon, il se fit bien vite statue aux paupières détraquées. Son silence habituel se transforma prestement ensuite en une multitude de ronflements, tandis que sa soeur continuait à déblatérer mille petites âneries.
Elle ne se rendit en effet pas tout de suite compte qu’elle l’avait bercé. Ce ne fut qu’en s’interrompant au milieu d’un propos incohérent de plus qu’elle compris enfin qu’elle était seule ; ses petits bruits à lui n’étaient pas des réactions vivaces à ses inepties à elle.
Gagnée alors par la même torpeur qui avait eu raison de lui, un air attendri sur le museau, elle vint poser son front contre son épaule et s’endormit sur le champ.
La tête en l’air oublia de nouveau pour aujourd’hui qu’elle devait annoncer à son frère chéri une nouvelle d’importance. Plus que peu de soirs, et elle partait pour une mission en solitaire.
Elle avait assez la frousse de tout faire foirer, s’inquiétait de délaisser son adelphe, tout en étant possédée par une hâte excessive de s’y essayer. En temps normal du moins. Cette nuit en particulier, Lydia ne se remémora rien de tout ça et dormit simplement formidablement bien.
De trop courts et sereins jours plus tard, ce fut bel et bien sans sa moitié d’âme qu’elle monta à bord du «Vacherin». Le capitaine du vaisseau de transport d’animaux et de bien rares passagers, qui faisait des allers-retours entre Kage Berg et les îles environnantes, ne lui posa strictement aucune question lorsqu’elle paya son billet.
Peut-être avait-il, tout de même et plus que prévu, l’habitude de transporter des touristes désireux de se dépayser, même si le confort de son antre laissait sacrément à désirer.
Quand on s'incruste sans façon chez autrui ou qu’on va le massacrer guillerettement, c’est sinon parce qu’on se sent généralement plus civilisé que lui, donc plus apte que sa personne à régler ses tracas ou ceux qu’il entraîne, c’est bien connu. L’ordre de mission délivré précédemment à la cipher pol esseulée n’amenait pas d’exception à cette règle.
Elle n’avait que deux buts à atteindre pour cette fois, lui avait affirmé son coordinateur qu’elle quittait à peine. Le premier était de trouver pourquoi un pourvoyeur de rumeurs sur place avait soudainement disparu de la circulation au lieu de continuer à s’occuper paisiblement de ses bovins. Le second consistait à régler le problème d’une manière ou d’une autre, soit en ramenant l’innocente ouaille égarée à son bétail avec une gentille explication qui conviendrait à tout le monde, soit en nettoyant proprement l’endroit afin de laisser la possibilité à un autre de venir s’installer sans donner l’air de débarquer de nul part. Ou tout cela à la fois.
C’était simple comme bonjour et le duo de raisons pour laquelle on l'envoyait elle, un membre du cp 9, sur ce terrain si peinard plutôt que de confier la mission à un local n’était pas plus compliqué. Le lien familial, très léger, qui unissait le nouvel absent à un pirate obscur inquiétait tout d’abord certains. Par sécurité, afin de s’assurer que le petit cousin germain du côté de la tante de la mère d’un vilain forban des mers à la prime ridicule (ou quelque chose du genre) n’avait pas décidé que le sang même dilué comptait finalement davantage que les serments faits, il fallait donc discrètement enquêter quitte à torturer gaiment le fermier évaporé ou ses proches si nécessaire.
L’indic, même depuis sa chaumière paumée, avait sinon visiblement un minimum d’importance pour un inconnu du gouvernement. Autant mort que vivant cependant ; à croire que le type avait dû moucharder à propos d’autre chose que des bouses de vaches ou des insectes collants.
Tapotant nerveusement sur le bastingage du bateau qui allait la mener à bon port, Lydia tenta de se repasser en mémoire et par le menu la couverture qu’on l’avait aidée à créer pour l’occasion. Le portrait était limité, à l’instar du reste des informations sur la situation qu’on lui avait gracieusement donné, mais la jeune femme doutait d’avoir besoin de plus.
Ce n’était après tout pas comme si on l’envoyait infiltrer un repaire révolutionnaire. Ou une haute société paranoïaque.
Pour les prochains jours, et dès maintenant, elle s'appelait Aya, 24 ans, et était originaire de Logue Town. Fille de deux boutiquiers morts heureux, ses parents l’avaient laissée avec un peu de sous en poche. Péronnelle toujours en manque de voyages, fouineuse en puissance, actuellement gratte-papier au fin fond d’un placard qui faisait office de bureau (du moins quand elle bossait réellement), la donzelle fabriquée de toute pièce s’estimait de son côté reporter, que disait-elle, star de l’écriture en devenir !
Elle rêvait éveillée de prix et de reconnaissance pour son travail qu’elle percevait déjà fort acharné, sans réussir à reconnaître que son niveau de compétence ne dépassait pas celui de la mégère malhabile du coin. La toute gentillette, là, à ranger dans la catégorie de celles à qui on demande une unique fois d’arroser notre plante carnivore, ou de jeter un coup d’oeil sur nos chiens, lorsque l’on part en vacances. Et qui, à notre retour, nous gavent de petits potins tous plus inutiles les uns que les autres, puisque n’ayant strictement aucun lien avec nos préférences ou ce qu’on a précédemment requis, tout en nous cachant très mal qu’elles ont pris le temps de fureter dans nos appartements, dans le but d’assouvir leur curiosité maladive.
Elle n’avait pour résumer aucune des qualités de l’oeil sur le monde qu’elle espérait être. S’il fallait rajouter un énième petit couac au tableau, son argent disparaissant uniquement dans ses envies de bourlinguer passagères ou dans ses fringales de nourriture de temps en temps, elle ne possédait guère de matériel pour s’entraîner véritablement à le devenir. Outre son grand regard, ses idées de scoops futiles qu’elle ne savait pas à qui vendre exactement et un petit carnet, pour sûr. Néanmoins, et au final grâce à cela, elle avait le profil presque parfait pour jouer à l’espionne amatrice en faveur d’une association de mères-grands de sa connaissance.
En effet, les mamies désiraient comprendre pourquoi les pétunias d’un petit village paumé au milieu de nul part poussaient mieux que les leurs. La nièce du mari de la fille du voisin de l’une d’entre elles leur avait soufflé cette douloureuse vérité, paraissait-il, en revenant au pays après sa lune de miel à Kage Berg. Les anciennes avaient donc réuni quelques gâteaux lors d’une réunion d’urgence, pris leur air le plus désespéré, puis avaient embauché à moindre frais la semi-vagabonde friande d’informations inutiles dans le but de mettre la main sur le pourquoi et le comment. Lui promettant tout de même au passage de lui faire une publicité abondante au sein de leur groupe si elle leur ramenait mieux que « C’est grâce au temps et au purin ! » comme explication logique, ce qui n’arriverait jamais.
Ni Aya, ni les mamies n’existaient donc, en vérité. Mais vérifier leur réalité prendrait du temps, trop, pour beaucoup de monde, et les faux documents qu’on lui avait remis tromperaient assez bien n’importe qui. Normalement.
La fausse journaliste-mais-pas-vraiment ouvrit la bouche, tout en remettant derrière une de ses oreilles une mèche de cheveux doucement battue par la brise. Referma bien vite son clapet après une hésitation, en jetant un coup d’oeil à côté d’elle. Elle sourit ensuite rapidement, penaude. Comme pour s’excuser auprès du vent, seul présent, de l’avoir futilement importuné.
L’interrogation blagueuse qui lui était venue n’obtiendrait aucune réponse compréhensible. Pas même un grognement. Jamâl n’était hélas en effet pas apparu soudainement sur le navire qui puait le foin, les bestiaux mal parqués et la sueur, malgré son désir éphémère de le pouvoir le mirer.
Se détournant vivement de la flotte qui ressemblait à n’importe quelle autre mer, elle se décida à finalement fixer son attention sur les mouvements à bord de la coque de noix qui la transportait.
C’était véritablement sa première fois en solitaire ; elle n’avait pas le droit de se louper. Autant alors se mettre sur l’instant à bosser et à chercher, dans le spectacle qui s’offrait à elle, de quoi inventer quelques ridicules ragots sans intérêt. Tout bien faire, pour ne pas déjà laisser à son jumeau le temps de vraiment lui manquer. - Il occuperait dans le cas contraire bien trop ses pensées.
Avec un temps de retard, une de ses mains se fit difficilement active et vint chercher la joue du jeune homme allongé avec elle. Ses empreintes s’égratignèrent par la suite, faussement langoureuses, contre le début de barbe aimé.
Néanmoins, approximativement lorsque son souffle à elle se recalma, elles furent rejointes par une paume qui ne lui appartenait point, désireuse peut-être que la mignoterie stoppe. Sans demander d’accord, Lydia noua alors lentement ses cinq doigts à ceux étrangers et laissa ceux-ci la guider vers un coeur qui battait bel et bien.
« Raconte-moi. Encore. »
Ordonna-t-elle finalement d’une voix cajoleuse.
La chipie avinée refusait maintenant de davantage se faire mouvoir, quitte à transvaser un peu plus de son poids dans son bras pour l’en empêcher. Son regard saoul, un tiers rieur, un tiers endormi, un tiers rêveur, fixait sinon l’autre qu’elle voyait déjà tous les jours.
L’alcool et la fatigue avaient perclu leur corps, rendant leurs mouvements lents et patauds. Ils avaient aussi anesthésié toutes pensées, outre celles sans grand intérêt qu’ils se partageaient jusque-là, inspirées par les étoiles, les nuages et le ciel vus par le prisme de leur état peu glorieux.
Au début, quand l’effet des bouteilles vidées ne s’était pas encore installé, le duo avait commencé par s’envoyer quelques dires trop sérieux au milieu d’une multitude de moments mutiques. Des regards grincheux ou boudeurs, aussi, puisque leur dernier entraînement ensemble n’avait satisfait aucun des deux pour des raisons différentes. Et puis, la boisson piquée dans les armoires de la demeure familiale avait fini par délier leur langue, rappelant à leur âme déjà en partie cabossée un bout de leurs souvenirs d’enfants depuis longtemps oubliés.
À présent, son jumeau moitié souriant, moitié grognon, terminait de lui conter à sa manière (pleine de ronchonnements et de phrases courtes) un événement d’antan auquel elle n’avait pas participé.
C’était le récit d’une simple rencontre qui datait et qui n’aurait en temps normal rien eu d’amusant ; mais qu’il était facile de s’émerveiller d’un rien distordu en si bonne compagnie alcoolisée, perdus, incapables de bouger comme ils l’étaient, au milieu d’une des pelouses trop bien entretenues du coin. Le seul danger qui les guettait sur ce terrain propret était un hostile sermon de la matriarche. Si elle ne contemplait pas leurs deux corps apaisés sans méchanceté du haut de sa fenêtre, bien entendu. Après tout ses aînés ne faisaient rien de répréhensible.
L’homme finit par faire un faible signe négatif de la tête, le menton tourné vers les astres nocturnes. Sans mirer son interlocutrice, il signala ainsi qu’il en avait marre de causer.
« À toi. »
Elle ne se fit pas trop prier.
Jamâl, ivre, nourri et fourbu par les exercices quotidiens ne l’écouta hélas pas babiller longuement. De peu actif compagnon, il se fit bien vite statue aux paupières détraquées. Son silence habituel se transforma prestement ensuite en une multitude de ronflements, tandis que sa soeur continuait à déblatérer mille petites âneries.
Elle ne se rendit en effet pas tout de suite compte qu’elle l’avait bercé. Ce ne fut qu’en s’interrompant au milieu d’un propos incohérent de plus qu’elle compris enfin qu’elle était seule ; ses petits bruits à lui n’étaient pas des réactions vivaces à ses inepties à elle.
Gagnée alors par la même torpeur qui avait eu raison de lui, un air attendri sur le museau, elle vint poser son front contre son épaule et s’endormit sur le champ.
La tête en l’air oublia de nouveau pour aujourd’hui qu’elle devait annoncer à son frère chéri une nouvelle d’importance. Plus que peu de soirs, et elle partait pour une mission en solitaire.
Elle avait assez la frousse de tout faire foirer, s’inquiétait de délaisser son adelphe, tout en étant possédée par une hâte excessive de s’y essayer. En temps normal du moins. Cette nuit en particulier, Lydia ne se remémora rien de tout ça et dormit simplement formidablement bien.
De trop courts et sereins jours plus tard, ce fut bel et bien sans sa moitié d’âme qu’elle monta à bord du «Vacherin». Le capitaine du vaisseau de transport d’animaux et de bien rares passagers, qui faisait des allers-retours entre Kage Berg et les îles environnantes, ne lui posa strictement aucune question lorsqu’elle paya son billet.
Peut-être avait-il, tout de même et plus que prévu, l’habitude de transporter des touristes désireux de se dépayser, même si le confort de son antre laissait sacrément à désirer.
Quand on s'incruste sans façon chez autrui ou qu’on va le massacrer guillerettement, c’est sinon parce qu’on se sent généralement plus civilisé que lui, donc plus apte que sa personne à régler ses tracas ou ceux qu’il entraîne, c’est bien connu. L’ordre de mission délivré précédemment à la cipher pol esseulée n’amenait pas d’exception à cette règle.
Elle n’avait que deux buts à atteindre pour cette fois, lui avait affirmé son coordinateur qu’elle quittait à peine. Le premier était de trouver pourquoi un pourvoyeur de rumeurs sur place avait soudainement disparu de la circulation au lieu de continuer à s’occuper paisiblement de ses bovins. Le second consistait à régler le problème d’une manière ou d’une autre, soit en ramenant l’innocente ouaille égarée à son bétail avec une gentille explication qui conviendrait à tout le monde, soit en nettoyant proprement l’endroit afin de laisser la possibilité à un autre de venir s’installer sans donner l’air de débarquer de nul part. Ou tout cela à la fois.
C’était simple comme bonjour et le duo de raisons pour laquelle on l'envoyait elle, un membre du cp 9, sur ce terrain si peinard plutôt que de confier la mission à un local n’était pas plus compliqué. Le lien familial, très léger, qui unissait le nouvel absent à un pirate obscur inquiétait tout d’abord certains. Par sécurité, afin de s’assurer que le petit cousin germain du côté de la tante de la mère d’un vilain forban des mers à la prime ridicule (ou quelque chose du genre) n’avait pas décidé que le sang même dilué comptait finalement davantage que les serments faits, il fallait donc discrètement enquêter quitte à torturer gaiment le fermier évaporé ou ses proches si nécessaire.
L’indic, même depuis sa chaumière paumée, avait sinon visiblement un minimum d’importance pour un inconnu du gouvernement. Autant mort que vivant cependant ; à croire que le type avait dû moucharder à propos d’autre chose que des bouses de vaches ou des insectes collants.
Tapotant nerveusement sur le bastingage du bateau qui allait la mener à bon port, Lydia tenta de se repasser en mémoire et par le menu la couverture qu’on l’avait aidée à créer pour l’occasion. Le portrait était limité, à l’instar du reste des informations sur la situation qu’on lui avait gracieusement donné, mais la jeune femme doutait d’avoir besoin de plus.
Ce n’était après tout pas comme si on l’envoyait infiltrer un repaire révolutionnaire. Ou une haute société paranoïaque.
Pour les prochains jours, et dès maintenant, elle s'appelait Aya, 24 ans, et était originaire de Logue Town. Fille de deux boutiquiers morts heureux, ses parents l’avaient laissée avec un peu de sous en poche. Péronnelle toujours en manque de voyages, fouineuse en puissance, actuellement gratte-papier au fin fond d’un placard qui faisait office de bureau (du moins quand elle bossait réellement), la donzelle fabriquée de toute pièce s’estimait de son côté reporter, que disait-elle, star de l’écriture en devenir !
Elle rêvait éveillée de prix et de reconnaissance pour son travail qu’elle percevait déjà fort acharné, sans réussir à reconnaître que son niveau de compétence ne dépassait pas celui de la mégère malhabile du coin. La toute gentillette, là, à ranger dans la catégorie de celles à qui on demande une unique fois d’arroser notre plante carnivore, ou de jeter un coup d’oeil sur nos chiens, lorsque l’on part en vacances. Et qui, à notre retour, nous gavent de petits potins tous plus inutiles les uns que les autres, puisque n’ayant strictement aucun lien avec nos préférences ou ce qu’on a précédemment requis, tout en nous cachant très mal qu’elles ont pris le temps de fureter dans nos appartements, dans le but d’assouvir leur curiosité maladive.
Elle n’avait pour résumer aucune des qualités de l’oeil sur le monde qu’elle espérait être. S’il fallait rajouter un énième petit couac au tableau, son argent disparaissant uniquement dans ses envies de bourlinguer passagères ou dans ses fringales de nourriture de temps en temps, elle ne possédait guère de matériel pour s’entraîner véritablement à le devenir. Outre son grand regard, ses idées de scoops futiles qu’elle ne savait pas à qui vendre exactement et un petit carnet, pour sûr. Néanmoins, et au final grâce à cela, elle avait le profil presque parfait pour jouer à l’espionne amatrice en faveur d’une association de mères-grands de sa connaissance.
En effet, les mamies désiraient comprendre pourquoi les pétunias d’un petit village paumé au milieu de nul part poussaient mieux que les leurs. La nièce du mari de la fille du voisin de l’une d’entre elles leur avait soufflé cette douloureuse vérité, paraissait-il, en revenant au pays après sa lune de miel à Kage Berg. Les anciennes avaient donc réuni quelques gâteaux lors d’une réunion d’urgence, pris leur air le plus désespéré, puis avaient embauché à moindre frais la semi-vagabonde friande d’informations inutiles dans le but de mettre la main sur le pourquoi et le comment. Lui promettant tout de même au passage de lui faire une publicité abondante au sein de leur groupe si elle leur ramenait mieux que « C’est grâce au temps et au purin ! » comme explication logique, ce qui n’arriverait jamais.
Ni Aya, ni les mamies n’existaient donc, en vérité. Mais vérifier leur réalité prendrait du temps, trop, pour beaucoup de monde, et les faux documents qu’on lui avait remis tromperaient assez bien n’importe qui. Normalement.
La fausse journaliste-mais-pas-vraiment ouvrit la bouche, tout en remettant derrière une de ses oreilles une mèche de cheveux doucement battue par la brise. Referma bien vite son clapet après une hésitation, en jetant un coup d’oeil à côté d’elle. Elle sourit ensuite rapidement, penaude. Comme pour s’excuser auprès du vent, seul présent, de l’avoir futilement importuné.
L’interrogation blagueuse qui lui était venue n’obtiendrait aucune réponse compréhensible. Pas même un grognement. Jamâl n’était hélas en effet pas apparu soudainement sur le navire qui puait le foin, les bestiaux mal parqués et la sueur, malgré son désir éphémère de le pouvoir le mirer.
Se détournant vivement de la flotte qui ressemblait à n’importe quelle autre mer, elle se décida à finalement fixer son attention sur les mouvements à bord de la coque de noix qui la transportait.
C’était véritablement sa première fois en solitaire ; elle n’avait pas le droit de se louper. Autant alors se mettre sur l’instant à bosser et à chercher, dans le spectacle qui s’offrait à elle, de quoi inventer quelques ridicules ragots sans intérêt. Tout bien faire, pour ne pas déjà laisser à son jumeau le temps de vraiment lui manquer. - Il occuperait dans le cas contraire bien trop ses pensées.