- La forteresse d'Hexiguel:
- Hexiguel ressemblait à une montagne. Un grand cône de basalte, dressé au beau milieu de nulle part. La base de la marine était troglodyte, creusée à même la roche. Ainsi, on pouvait distinguer sous le phare une multitude de postes de tir et d’observation. La roche extraite lors de la construction des installations avait servi à établir d’énormes digues autour de la base du cône. Cette organisation permettait de ceindre Hexiguel d’une étendue d’eau relativement plus calme les jours de tempêtes : en effet, les quais accueillant les navires de la Marine étaient situés dans des grottes creusés dans la montagne, il fallait donc un minimum de stabilité pour éviter que les embarcations ne finissent fracassées contre les flancs de la montagne.
Et c’était tout. Hexiguel n’était que ça : une grosse base de la Marine taillée dans un pic rocheux dépassant de l’océan. Pas d’île au sens propre, pas de ville à protéger, rien, juste une grosse base posée au beau milieu de nulle part. Très exactement au beau milieu, d’ailleurs. En effet, Hexiguel avait en charge la protection et le maintien de l’ordre dans les Confins. Une vaste zone d’eau, saupoudrée d’îles clairsemées habitées par de petites communautés éparses – dont la grosse majorité ne méritent même pas le nom de village – située dans l’un des coins de la grande carte de North Blue, près de la bordure, où il n’y a tellement rien d’intéressant à faire figurer que les artistes facétieux préféraient dessiner de gros monstres marins ou des roses des vents, faute de mieux.
Les Confins avaient longtemps causé un épineux problème à la Marine. D’un côté, la zone était si vaste qu’il aurait fallu installer plusieurs bases pour en assurer la sécurité avec rigueur. D’un autre côté, la zone était si vide et dépeuplée qu’il était difficilement justifiable de mobiliser autant d’effectifs pour garder essentiellement du rien. Sauf que la nature ayant horreur du vide, si la Marine ne déployait pas une présence régulière en ces lieux, pirates et révolutionnaires de tout poil se passeraient rapidement le mot pour essayer d’y faire des trucs discrètement en toute quiétude. Raison pour laquelle la Marine se devait de maintenir une présence : pour s’assurer que ce gros tas de rien le reste.
C’est là qu’entrait en jeu Hexiguel et l’opiniâtreté de la Marine. Bien qu’inhabité et inhabitable, le l’énorme pic de basalte présentait l’incommensurable avantage de se situer au centre des Confins. Au sein de la hiérarchie de la Marine, quelqu’un, quelque part, décida donc de transformer ce gros cailloux inutile en une base opérationnelle. Certes, les patrouilles devraient mettre les bouchées doubles pour couvrir l’intégralité de la zone, mais en terme de ratio effectifs mobilisés-efficacité, il était difficile de faire mieux.
- Dans les épisodes précédents:
- « Permettez-moi de vous souhaitez officiellement la bienvenue à Hexiguel ! Annonça le colonel Trevor. Vous et votre compagnie serez intégrés à la section Alpha, sous les ordres de la commandante de Castelcume. »[...]
« Bienvenue au sein de la section Alpha, sous-lieutenante Rachel Syracuse, déclara l'officier. Je suis la commandante Bethsabée de Castelcume, responsable de cette section. Les autres officiers présents sont : le lieutenant Matthias Jaeger, le vice-lieutenant Bartolomé Tolosa et le sous-lieutenant Mark Severn. »[...]
« C’est une arène, constata Rachel.
_ Exact, approuva Bethsabée. Étant dépourvue de terres, Hexiguel possède son propre terrain de manœuvre en intérieur. C’est ici que les officiers s’affrontent de façon codifiée à la tête de leur troupe. »[...]
« Bah, il est temps d’oublier l’Arène, Rachel, fit le colonel Trevor. Tu y as acquises toute l’expérience que tu pouvais. Et maintenant que tu as trouvé tes marques à la forteresse ainsi qu’à la tête de ta compagnie, je vais pouvoir t’envoyer en missions. Tu verras, tu vas t’y aguerrir bien plus rapidement qu’au travers de ces affrontements factices.
L’île était minuscule. Le genre d’île qu’on traverse de part en part en vingt minutes à tout casser. Une large bande de sable sur les bords, une petite forêt pittoresque au centre et pas grand-chose de plus à en dire. Un de ces innombrables confettis typiques et sans intérêt comme les Confins en comptaient beaucoup trop.
Sur l’est de l’île s’étendait un petit hameau d’une vingtaine de bâtiments. Les choses étant ce qu’elles étaient dans les Confins, ledit hameau avait été abandonné et réinvesti plus souvent qu’à son tour. En ce jour, il semblait qu’il soit habité : de la fumée s’élevait de quelques cheminées et un gros bâtiment tout neuf avait été construit près de la plage. Un gros bâtiment qui ressemblait clairement à un entrepôt. Quelles que soient les personnes qui étaient venus s’implanter, elles comptaient visiblement sur un soutien extérieur.
Les habitants du village étaient d’ailleurs tous réunis auprès dudit l’entrepôt. Une cinquantaine de personnes rassemblés autour d’un étrange énergumène négligemment assis par terre, contre le mur.
L’homme était bâti comme un tonneau, avec des jambes torses et des bras musclés un peu trop long. Le visage carré et volontaire, les cheveux bruns rassemblés en un chignon très déstructuré, le regard vif, ses mains et ses avant-bras étaient couvertes de bandes, comme les lutteurs ou les pugilistes, et il était vêtu d’un genre de salopette en fourrure. En vraie fourrure de vraie bête sauvage. Du genre gros prédateur. Qu’il avait très probablement chassé et abattu lui-même. L’indice le plus subtil poussant à cette supposition était la hache qu’il tripotait nerveusement. Une hache énorme. Gigantesque. Effroyable.
Le manche était aussi long que l’homme lui-même debout. Et il était coiffé d’une immense tête de hache à deux fers. Chacun d’entre eux était aussi large que l’homme lui-même. L’envergure totale de la tête de hache devait être supérieur à celle de l’homme s’il écartait les bras. Sans rire, on aurait pu poser la hache à l’envers et s’en servir comme d’un pavois pour s’abriter ! Clairement pas le genre d’outils utilisable par le premier venu. Et ça tombait bien, parce que l’homme n’était pas le premier venu. Il s’appelait Sagara Kazumochi.
Et c’était un Valet de la Révolution.
Kazumochi était un homme simple. Pour lui, rien ne valait une bonne baston pour régler les problèmes. Et à ceux qui faisaient remarquer que certains problèmes ne pouvaient se résoudre de cette manière, il rétorquait qu’ils n’avaient juste pas encore trouver le bon truc à tataner pour arriver à leurs fins. Simple et sans subtilité, donc. Pour autant, ses hommes l’adoraient. Certes, Kazumochi avait la beigne facile, mais d’abord, il était facile à vivre, et ensuite, c’était quelqu’un qu’on était très heureux d’avoir à ses côtés quand les choses viraient à la castagne. Une assurance fort appréciable lorsqu’on se dédiait une carrière au sein de la Révolution.
Personne, Kazumochi encore moins que les autres, ne savait vraiment pourquoi quelqu’un quelque part au sein de la Révolution avait décidé d’implanter un petit camp de base au sein des Confins. L’endroit était vide, il n’y avait rien d’intéressant et la majorité du groupe ci-présent n’avait même jamais entendu parler du coin avant d’y être envoyée : c’était dire l’importance stratégique de la zone.
Mais Kazumochi était quelqu’un de simple. Si un Cavalier lui demandait de réhabiliter des baraques abandonnées sur un îlot perdu et de commencer à y stocker vivres, armes et matériels divers en vue d’opérations futures, hé bien il s’exécutait, c’était aussi simple que ça.
Simple et sans subtilité. Sa caraque était censée venir lui livrer de nouvelles fournitures aujourd’hui même et elle était pas là à l’heure dite !
« Ben alors, kesskèfou !? Il est presque midi, là ! S’emporta Kazumochi. J’vais aller en coller une au pilote, ça sera vite réglée, cette affaire !
_ Il est à peine dix heures, en fait, signala Tibert. Un peu de patience…
_ Gna gnagna gnagna… »
Tibert était un homme de taille moyenne et d’apparence banale. Son seule signe particulier était l’absence totale de signes particuliers. Il était l’incarnation même de monsieur tout-le-monde. Ses cheveux noirs étaient semblables à la majorité des gens présents, de même pour ses grands yeux marrons. Jusqu’à sa coupe de cheveux ou sa tenue vestimentaire, qui s’accordaient totalement à celles du plus grand nombre. Une allure absolument et complètement banale. S’il devait faire un jour la une des journaux, ce serait probablement titré par : « le citoyen lambda existe et il s’appelle Tibert ! ».
Mais sous cette apparence terriblement quelconque se cachait un esprit nettement plus complexe et calculateur que celui de Kazumochi. Les deux hommes s’étaient rencontrés il y avait maintenant deux ans. Au début, Tibert avait fâcheusement tendance à donner des avis non-sollicités et à lâcher des critiques acerbes quant aux décisions du Valet, ce qui lui avait valu son content de beignes pour lui apprendre où était sa place. Ces traitements à répétition n’avaient pas entamé le moins du monde les ardeurs de Tibert, bien au contraire. Et puis, une fois, Kazumochi l’avait écouté. Puis une autre plus tard. Puis encore une autre. Puis de fil en aiguille, Tibert se mit à officier comme bras droit et logisticien officieux du Valet et les deux larrons devinrent les meilleurs amis du monde. Tout le monde en convenait : tout marchait quand même nettement mieux quand Tibert était dans le coin pour s’en occuper.
Kazumachi les muscles, Tibert le cerveau.
« N’empêche qu’ils avaient dit qu’ils seraient là dans la matinée ! Se plaignit le Valet.
_ Non, non, non, ils ont dit qu’ils arriveraient en milieu de matinée, ils seront dans les temps, un peut de patience, affirma son aide-de-camp. C’est toi qui t’es mis en tête d’attendre ici depuis ce matin.
_ Maiheeeeu, j’m’ennuie, moi, j’en ai marre !! J’veux faire quelque chose ! S’agita Kazumachi tout en bougonnant. J’aime pas rester à rien faire !
_ D’accord, d’accord, capitula Tibert. Je vais te chercher un truc à grignoter, ça t’occupera. Reste-là bien sagement, hein ?
_ Bon, mais fais vite, alors, affirma Kazumachi.
_ Vous autre, tenez-le à l’œil et ne le laissez pas faire de bêtises, hein ! » Signala Tibert aux Révolutionnaires avant de filer vers le village.
*
* *
* *
« Mon lieutenant, mon lieutenant ! Chuchota le sergent-chef Jürgen Krieger de façon tonitruante. On en tient un !! »
Rachel posa un regard circonspect sur le Nordique à l’indéboulonnable casque à cornes discrètement caché sous la réglementaire casquette de Marine. Le brave sergent était frétillant de bonheur et faisant immanquablement penser à un chien tout content de rapporter la baballe.
Au détail près qu’elle n’avait lancé aucune baballe.
« Bien joué, sergent, le félicita néanmoins l’imposante albinos en souriant. Mais vous tenez quoi ?
_ On tient l’un de ces sales types ! Regardez, regardez ! »
Et Tibert déboula, poussé par un marine qui lui tenait fermement les mains dans le dos et lui couvrait la bouche de la paume.
« Heu… Vous m’expliquez ? S’alarma la sous-lieutenante.
_ C’était presque trop facile, jubila le sergent. Il s’est pointé comme une fleur aux abords de la forêt, pas sur ses gardes pour deux sous. Alors, tchac ! On lui est tombé dessus direct ! Hé, hé ! Ça, c’est de l’efficacité !
_ D’accord. Eeeet… à tout hasard, il n’aurait pas donné le mot de passe ? S’inquiéta Rachel.
_ Non, non, alors on a bien fait gaffe de le museler pour pas qu’il alerte ses petits copains, précisa fièrement le Nordique.
_ Je veux dire, est-ce qu’il a eu une occasion de donner le mot de passe entre le moment où vous êtes apparu et celui où vous l’avez "muselé" ? Précisa explicitement l’imposante albinos.
_ Ben non, on a été rudement efficace, tcha… Oooh, réalisa subitement Jürgen. Ah ben merde, vous croyez que c’est le notre ?
_ Ben laissez-le en caser une, pour voir ? » Soupira Rachel avec fatalisme.
Krieger fit signe au Marine qui enleva la main pour permettre à Tibert de parler.
« Je préfère les mouettes aux cormorans. »
La sous-lieutenante se passa la main sur le visage en grognant dans sa barbe tandis que Jürgen jetait un regard suspicieux au type.
« Non mais c’est peut-être juste un coup de bol ? Proposa le Nordique. Il a dit ça au hasard, si ça se trouve ?
_ Jürgen… Je me charge du reste, assura gentiment Rachel. Retournez garder un œil sur le village. Tygon ? Veuillez libérer notre allié, voulez-vous ? M. l’Agent ? Je vous prie d’accepter mes plus humbles excuses pour ce malheureux cafouillage. Je vous assure que le sergent-chef Krieger ne pensait pas à mal. »
L’agent de catégorie III du Cipher Pol 6, chargé de l’infiltration des activités de la Révolution, haussa les épaules.
« Pas de mal, grommela l’agent. Ce n’était qu’une petite farce pas bien méchante en comparaison de ce que j’ai du enduré tout ce temps avec Kazumachi.
_ Merci pour votre indulgence. » Affirma néanmoins l’imposante albinos.
La dernière fois qu’il y avait eu un malentendu avec le CP, elle s’était retrouvée à se foutre sur la gueule avec M. Fletcher, un type monstrueux. Ç’avait été aussi laborieux que douloureux et elle avait finalement perdue, en plus. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’était absolument pas prête à recommencer l’expérience si elle pouvait l’éviter.
« Voici le topo, sous-lieutenant, enchaîna l’agent. La caraque ne devrait plus tarder. Le village compte quarante-huit Révolutionnaires, présentement tous en train d’attendre devant l’entrepôt pour effectuer le déchargement le plus vite possible. Ils ne devraient guère poser de problèmes à l’exception de Kazumachi. C’est un Valet…
_ Un valet ? Y’a des nobles, dans la Révo ?
_ C’est son grade. Comme dans un jeu de tarot : Atout, as, cavalier et valet. Il s’agit du gros morceau de la troupe, le plus à même de vous donner du fil à retordre, prévint le CP. J’aimerai pouvoir vous donner son point faible, malheureusement, au combat, il n’en a pas. Force, endurance, vitesse, détermination, tout est au top. Il n’est peut-être pas très malin, mais c’est un dur et rien ni personne ne l’a jamais fait reculer.
_ Je m’en occuperai, affirma Rachel.
_ Il manie une hache monstrueusement grande, vous ne devriez pas le louper. Très bien, alors je vous confie le reste, acquiesça l’agent.
_ Merci encore pour votre aide, assura l’imposante albinos. Conformément aux instructions reçues, il y a une barque à voile à votre disposition, au nord. Elle contient des vivres pour une semaine ainsi qu’un paquet scellé de vos supérieurs à votre intention.
_ Mon dieu, j’avais oublié ce que ça faisait de bosser avec des gens efficaces… Bon courage pour la suite, sous-lieutenant. Sur ce… »
L’agent du CP esquissa un vague salut, puis tourna les talons et s’en fut vers le nord, sans un regard en arrière. Celui qui avait incarné Tibert pendant deux longues années n’éprouvait absolument aucun regret ni scrupule à trahir ses anciens compagnons d’armes. Tout au plus ressentait-il une pointe de regret face à tout ce temps perdu.
En coachant correctement Kazumachi, il avait pensé pouvoir le faire monter dans l’organisation jusqu’à approcher les hautes sphères de la Révolution, mais ce bougre d’imbécile s’était retrouvé à devoir établir une tête de pont dans les Confins. Hélas, ses ordres étaient clairs : il était hors de question de laisser la Révo s’implanter dans de nouveaux endroits. Agir dans leur sphère d’influence habituelle, oui, leur permettre d’étendre leur influence malsaine, non, peu importe les enjeux portés par l’infiltration.
Il lui fallait donc maintenant tout reprendre à zéro. Dommage…
De son côté, Rachel organisa sa troupe à l’orée de la forêt, la séparant en deux. La première ligne totalisait cinquante Marines, dirigés par elle-même avec le soutien du sergent-chef Krieger. Au signal, ils chargeraient en pointe et enfonceraient le bloc des révolutionnaires pour les couper en deux. La seconde ligne, dirigée par l’adjudant Edwin Marlow, resterait en retrait, déployée en arc de cercle. Leur tâche était de couvrir par un feu roulant l’avancée de la première ligne ; une fois le contact établi, ils maintiendraient le feu sur les flancs de la formation Révo et les empêcheraient de rompre le combat.
Autour de l’imposante albinos, les hommes vérifiaient une dernière fois leurs armes, leurs munitions, le fil de leurs lames… Rachel les observa un instant, puis se détendit. Ses Marines étaient nerveux juste ce qu’il fallait : suffisamment pour qu’ils prennent cette affaire au sérieux, mais pas assez pour que cela les paralyse.
Au loin, la caraque apparut et commença à s’approcher, filant le long de la plage en direction du village. Rachel évacua rapidement l’information. Intercepter et neutraliser le navire était la tâche de la compagnie du vice-lieutenant Bartolomé Tolosa. L’objectif était clair : ne laisser aucun Révolutionnaires passer entre les mailles du filet. Aux yeux des rebelles, l’avant-poste devait disparaître purement et simplement, sans explication.
Une explosion retentit, frappant de plein fouet le gouvernail de la caraque. C’était le signal ! Tandis que la clameur de la Fanfare s’élevait dans les airs, la première ligne arma et fit feu, forçant les Révolutionnaires abasourdis à se jeter au sol tout en essayant de comprendre ce qu’il se passait. Rachel dégaina son sabre d’abordage et le confia à Jürgen, au grand ravissement du Nordique : deux armes signifiaient mathématiquement deux fois plus de fun. Puis l’imposante albinos entrechoqua ses poings et…
« COMMANDO !! »
… chargea tête baissée en direction du bloc rebelle, cinquante Marines bien décidés à en découdre sur ses talons. Derrière elle, la seconde ligne commandée par Edwin se mis en position et entreprit de couvrir l’approche de leurs collègues.
La charge des Marines avalait la distance à une vitesse folle, les Révolutionnaires n’avaient pas eu le temps de se ressaisir et n’en auraient maintenant plus l’opportunité. L’issue semblait déjà jouée lorsque qu’un coup de tonnerre retentit. Le sable tourbillonna en ligne droite et une bourrasque monumentale envoya bouler un dizaine de Marines sur la gauche de Rachel.
Mais qu’est-ce que…
En face, Kazumachi releva sa hache bien haut, avant de l’abattre à nouveau devant lui. La force et la vitesse de l’attaque fendirent le vide, propulsant une puissante lame d’air en direction des Marines.
Rachel vit venir l’onde de choc qui balayait le sable et se cala solidement dans le sol, s’abritant derrière ses bras croisés et s’arc-boutant pour le choc. L’impact fut violent. C’était comme se retrouver pris au beau milieu de la pire des tempêtes. N’eût été sa masse, l’imposante albinos aurait probablement été envoyée valdinguer au loin. Et même en s’étant préparée à l’impact, elle fut repousser d’au moins trois bons mètres, ses pieds laissant un profond sillon dans le sable.
À tout le moins, elle avait suffisamment fait barrage pour que ses hommes derrière elle ne soient pas affectés.
Néanmoins, la charge des Marines marqua le pas en même temps que les prouesses de Kazumachi rassérénaient les Révolutionnaires. Ceux-ci eurent le temps de se ressaisir et contre-chargèrent vaille que vaille la première ligne de Marines, tablant intuitivement – à raison – que la seconde ligne n’oserait pas tirer dans le tas.
Une hache monstrueusement grande. Ça ne pouvait être que ce Kazumachi, songea l'imposante albinos.
Rachel se jeta droit sur son adversaire désigné. Le Valet ne manqua pas de noter l’imposante albinos au manteau d’officier qui le chargeait. Le révolutionnaire afficha un grand sourire de joie sauvage et frappa à nouveau dans le vide. Rachel fit vivement un bond sur le côté et poursuivit sa course sans ralentir : le temps qu’il relève sa lame et arme un nouveau coup, elle serait déjà sur l…
Kazumachi releva brusquement sa hache à double tranchant, déclenchant dans le même mouvement une nouvelle onde de choc. Rachel la reçut de plein fouet sans pouvoir se préparer et fut brutalement éjectée une dizaine de mètres plus loin.
« Bwahaha !! Exulta le Valet. Cette hache est le symbole de la puissance de la Révolution ! Personne ne peut nous arrêter ! Hardi, les gars ! Écrasez-moi ces pantins du Gouvernement ! »
Rachel se releva en crachant du sable. Nom de nom ! Elle ne savait pas comment il s’y prenait pour produire ça, mais ç’allait pas être de la tarte. Les mots de l’agent du CP revinrent lui trotter en tête.
"J’aimerai pouvoir vous donner son point faible, malheureusement, au combat, il n’en a pas. Force, endurance, vitesse, détermination, tout est au top. Il n’est peut-être pas très malin, mais c’est un dur et rien ni personne ne l’a jamais fait reculer."
Ouais, ben ça, ça reste à voir, bonhomme !
Rachel chargea à nouveau. Kazumachi frappa encore dans le vide. Nouvelle onde de choc. Esquive. Revers de hache. Seconde onde de choc. L’imposante albinos se jeta désespérément sur le côté pour l’éviter, s’écrasant par terre. Le temps qu’elle se relève, le Valet s’était remis en garde, prêt à recommencer.
Ça pourrait durer un moment comme ça, songea Rachel. Au moins, elle était parvenue à focaliser son attention et orienter ses bourrasques loin de ses hommes. C’était déjà ça.
Trois séries plus tard et le statu quo devint évident même pour Kazumachi.
Alors, qu’est-ce que tu vas faire maintenant, bonhomme ?
La réponse ne tarda pas : le Valet la chargea, bondit et frappa un monumental coup de taille pour la trancher en deux dans le sens de la longueur. Rachel esquiva et…
Revers !
Exploitant de nouveau le double tranchant de son arme, Kazumachi délivra une nouvelle bourrasque à bout portant, éjectant Rachel jusqu’à la lisière du village.
Merde !
L’imposante albinos n’avait pas songé à cette combinaison. Avec une charge normale, il la forçait à esquiver un coup titanesque, étouffant toute velléité de contre-attaque. Et avec son revers, il attaquait réellement avant qu’elle ne puisse l’éviter. Avantage au Révolutionnaire.
Non, il devait forcément y’avoir une parade.
"Il n’a pas de points faibles."
Ta gueule, je vais trouver quelque chose !
Kazumachi, le bond, la frappe monumentale, tout pareil. Cette fois-ci, Rachel tenta d’esquiver de justesse pour rester au plus près – non sans une certaine appréhension tant il était vrai que c’était un coup à finir avec un bout de membre en moins – mais malheureusement sans succès : l’impact au sol était si puissant qu’elle en fut déséquilibrée. Immédiatement, elle amorça un pas de placement pour restaurer sa posture. Hélas, elle n’eût pas le temps de placer une contre-attaque qu’elle fut de nouveau fauchée par une lame d’air.
Cette fois-ci, l’imposante albinos vola beaucoup moins loin : sa course fut brutalement interceptée par la façade d’une maison. Rachel pulvérisa la robuste cloison de bois mais en fut suffisamment ralentie pour simplement s’écraser sur le plancher d’une cuisine.
Cela fit tilt.
Elle avait un plan.
Étape une, l’attirer ici.
"Il n’est peut-être pas très malin, mais c’est un dur et rien ni personne ne l’a jamais fait reculer."
Rachel dégaina son pistolet, visa rapidement et fit feu. La balle siffla à l’oreille du Valet sans l’inquiéter pour aller se ficher plus loin dans le sable. Pas grave, de toute façon, ce n’était probablement pas une petite balle de rien du tout qui l’aurait arrêté.
De son côté, Kazumachi ne chercha ni le comment ni le pourquoi. Il ignorait que l’officier ne possédait qu’un bon vieux pistolet à silex qui prenait bien dix minutes à se recharger – bon, peut-être un peu moins, mais dans le feu de l’action, ça ne faisait pas grande différence. Craignant de se faire canarder de loin, le Valet fit donc ce qu’il faisait toujours dans ces circonstances – ainsi que dans toutes les autres, d’ailleurs.
Charger.
Le forcené se fraya un chemin à travers la cloison pour atterrir dans la cuisine. Plus d’officier. Mouvement vif sur le côté. Deux projectiles !
D’un geste, sa hache traça un arc de cercle dans les airs, pulvérisant les deux… paquets de farines ? Mais qu’est-ce que… ?
Étape deux, l’immobiliser.
Le bruit du frottement d’une allumette ramena aussitôt le Valet à la réalité. Un piège ! Trop tard, Rachel lança l’allumette enflammée dans le nuage de particules, le transformant aussitôt en une vague embrasée qui progressa instantanément vers Kazumachi, beaucoup trop près. Beaucoup, beaucoup trop près pour son bien.
Le Valet réagit avec l’énergie du désespoir, inversant sa prise sur sa hache, plantant l’énorme tête au sol, de sorte à pouvoir s’abriter derrière. La manœuvre fut couronnée de succès, la vague incandescente se heurtant au métal sans pouvoir le passer ni roussir ne serait-ce qu’un cheveu du Révolutionnaire.
Le sourire de Kazumachi s’évanouit lorsqu’une grande ombre le recouvrit. Le Valet se redressa le plus vite possible, mais ne fut pas assez rapide : Rachel lui tomba dessus, abattant sa main gauche sur le pommeau de la hache, la bloquant à l’envers, au sol. Dans le même temps, son pied droit écrasa allègrement le pied gauche de son homologue pour l’empêcher de reculer.
Là, le Révolutionnaire était coincé.
Étape trois… lui défoncer sa race !!
À peine eût-elle touché le sol que le poing droit de Rachel entra en action, s’écrasant lourdement sur la pommette du Révolutionnaire. Un autre coup fulgura dans la mâchoire avant que Kazumachi ne réagisse et ramène son bras pour se défendre. Peine perdue, le coude de l’imposante albinos balaya sa défense avant de lui en recoller une en pleine poire par ricochet. Le pauvre Valet n’y comprenait plus rien : d’un seul et même mouvement, son adversaire l’empêchait de mettre en place sa défense et lui en collait régulièrement une. Et alors qu’elle avait moins d’une demi-douzaine de centimètres d’amplitudes, ses coups étaient aussi lourds et percutants que si elle armait une frappe avec élan !
Une partie de l’esprit du Révolutionnaire soupçonnait qu’il y avait un lien avec la façon dont l’officier lui concassait le pied à chaque frappe. Et pour cause : pour produire autant de puissance, Rachel exploitait le moindre muscle de son corps tel un ressort, tournoyant à demi sur elle-même à chaque frappe.
Un puissant uppercut au menton sonna Kazumachi, mais il était encore suffisamment d’attaque pour saisir sa chance et exploiter la puissance ascendante de l’impact pour soulever son immense hache, la dégageant brutalement dans un cri de haine et de rage mêlées.
« Graaaaaaaaaahhh… !! …gné ? »
Rachel n’avait pas cherché à l’en empêcher, sa main gauche lâchant immédiatement le pommeau. Mais quand le valet avait relevé sa hache à l’endroit, ce fut la main droite de la jeune femme qui vint s’appuyer sur le pommeau par en-dessous, calant la tête de hache contre le plafond, l’immobilisant à nouveau.
Profitant de la confusion, Rachel repassa à l’offensive, lâchant une pluie de coups lourds sur le pauvre Révolutionnaire, complètement embarrassé avec son arme immobilisé. Arcade, œil, gorge, clavicule, diaphragme, côte flottante puis, pour terminer, un puissant direct du gauche au foie. Cette dernière frappe, particulièrement douloureuse, cassa en deux le Valet. Kazumachi profita néanmoins de cette marge de manœuvre inespérément retrouvée pour abattre à grand coup sa hache sur l’imposante albinos, bien décidé à la trancher en deux d’un seul coup d’un seul !
Rachel se jeta genou droit à terre, se tordant sur sa gauche pour éviter le coup. Dans le même mouvement, elle balaya le manche du mieux qu’elle le put avec son avant-bras droit, déviant la trajectoire de quelques centimètres. L’énorme hache la manqua de peu et vint s’enfoncer profondément dans le sol à un doigt de sa jambe. Prenant appui de sa main droite sur le manche, l’imposante albinos se releva vivement, pesant de tout son poids sur l’arme pour empêcher le Valet de la dégager. Elle arma son poing gauche et frappa au beau milieu du visage, brisant le nez de son adversaire dans un craquement écœurant. Encore. Et encore. Et encore. Sans s’arrêter. Quand le Révolutionnaire se mit à vaciller, Rachel ouvrit sa main et frappa un dernier coup de paume sur le front de son adversaire. L’impact ébranla directement le cerveau, le sonnant pour le compte et Kazumachi s’effondra en arrière comme une masse.
"Personne ne l’a jamais fait reculer."
Et c’était bien ce qui l’avait mené à sa perte, songea Rachel. À partir du moment où elle l’avait coincé, ça n’avait plus été un combat mais un massacre à sens unique. L’intérieur de la baraque ne constituait absolument pas un terrain propice pour l’énorme hachoir qu’il se trimballait. S’il était ressorti, il aurait repris l’avantage. S’il avait seulement songé à abandonner son arme et reculer, il aurait au moins pu opposer une résistance digne de ce nom. Son incapacité à faire marche arrière l’avait irrémédiablement condamné.
L’imposante albinos s’approcha du pauvre Valet, étendu à terre et gémissant faiblement de douleur. Son pif était devenu gros comme une mandarine, ses yeux étaient pochés et son visage commençait à gonfler de partout. Elle ne l’avait pas loupé, en définitive.
Mais il lui restait une dernière chose à faire malgré tout.
« Je suis sincèrement désolée pour ce qui va suivre, lui murmura Rachel avec douceur. Mais je vous promets que c’est vital que je le fasse. »
L’imposante albinos attrapa Kazumachi par le col, le souleva puis commença à tourner sur elle-même, encore et encore et encore, de plus en plus vite, avant de le projeter par la brèche dans le mur dans un grognement d’effort titanesque.
Le pauvre Valet vola haut dans les airs avant de retomber lourdement une cinquantaine de mètres plus loin, là où la bataille entre Marines et Révolutionnaires faisait rage. Néanmoins, son arrivée ne passa pas inaperçu.
« Cessez le feu ! Kazumachi est vaincu ! Annonça Rachel d’une voix forte et claire en sortant de la maison. Je suis la sous-lieutenante Rachel Syracuse et j’ai battu votre champion sans efforts ! »
C’était un petit mensonge : elle avait mal partout après qu’il l’ait fait voler en tout sens. Mais comme ça n’était pas visible à l’œil nue, c’était crédible. Et si ça pouvait laisser penser aux Révolutionnaires qu’elle l’avait emporté sans se fouler, c’était carrément bon à prendre.
« Si l’un d’entre vous pense pouvoir faire mieux que lui, qu’il s’avance et m’affronte ! Poursuivit l’imposante albinos. Autrement, renoncez à ce combat futile : cette bataille n’a qu’une issue possible et vous ne pourrez rien y faire ! Poursuivre le combat n’y changera plus rien, c’est fini ! »
Bras croisés, Rachel les toisa de son air le plus sévère possible – elle s’était longtemps entraînée devant un miroir pour en imposer aux nouvelles recrues si nécessaire. La résolution des Révolutionnaires vacilla.
Et puis l’un d’entre eux lâcha son arme, désespéré.
Ce fut comme une cascade de dominos, le découragement et la résignation se répandirent comme une traînée de poudre à travers les rangs de l’ensemble des rebelles et, bientôt, il n’y eut plus personne pour continuer ce combat perdu d’avance. La bataille était terminée.
Une bonne chose de faites.
« Marines, mettez-moi tout ce petit monde aux fers, ordonna Rachel. Et lésinez pas sur la dose pour Kazumachi, on est jamais trop prudent, hein… Sergent Krieger ? Assurez-vous que tous les blessés, sans distinctions, reçoivent des soins digne de ce nom le plus rapidement possible. Hâtez-vous tous, nous devons rejoindre la compagnie du lieutenant Tolosa dans les plus brefs délais. »
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Rachel mena sa petite troupe et leurs prisonniers sur la plage en direction de la caraque échouée. L’imposante albinos n’était pas bien sûre de comment le vice-lieutenant Tolosa avait fait son compte, mais le pauvre navire gisait à une cinquantaine de mètres du rivage, échoué de guingois, le flanc éventré, l’un de ses deux mâts éclaté et traînant partiellement dans l’eau. Est-ce que la troupe de Tolosa avait pris d’assaut le navire depuis le rivage ou bien est-ce que le vice-lieutenant était parvenu à forcer l’équipage a tenté une sortie à terre ? Et dans les deux cas, comment s’y était-il pris ? Mystère…
Sûrement un truc de vice-lieutenant.
Les lieux grouillaient d’activités diverses, hormis un petit oasis de calme, là où une petite vingtaine de prisonniers étaient rassemblés sous bonne garde. Plusieurs d’entre eux étaient blessés, nota Rachel en fronçant des sourcils. Voilà qui n’était pas très correct. Il faudrait qu’elle en touche deux mots au vice-lieutenant Tolosa, sur lequel elle avait justement mis le cap.
Bartolomé Tolosa. Deux mètres vingt de rondeurs, de bourrelets et d’embonpoint. Mais sous cette armure de graisse ostentatoire se cachait en fait une imposante charpente musculaire. Du genre qui lui permettait de se trimballer un fût de canon de 42 dans le dos. Et de s’en servir comme massue le cas échéant.
Malgré ses bajoues et ses grosses lèvres charnues, le vice-lieutenant n’avait rien de la caricature du gros jovial et bonhomme. C’était au contraire un homme austère et abrupt, qui n’était pas particulièrement renommé pour son sens de la diplomatie ou son indulgence. Sans compter une nette tendance à la rancune. Au point que, Rachel l’ayant battu dans l’Arène, le colonel Trevor avait préféré attendre quelques temps voir comment il digérait la chose avant d’envisager de la placer sous ses ordres. Juste au cas où… Ce qui en disait somme toute long sur sa réputation.
Bref, pas un supérieur facile à vivre, mais Rachel s’était aperçue que tant qu’on exécutait ses ordres, tout se passait finalement très bien. Chose d’autant plus aisée que Bartolomé avait passé ces derniers mois à travailler en tandem avec le lieutenant Jaeger, la dilettante notoire d’Hexiguel. Par contraste, Rachel ressemblait forcément au parfait officier modèle.
« Mon Lieutenant, salua l’imposante albinos. Nous contrôlons le village et l’adjudant Marlow est en train de voir comment démanteler l’entrepôt au mieux, conformément à vos ordres.
_ Très bien, opina le corpulent colosse. Qu’il se dépêche, on aura besoin de lui pour faire la même chose avec la caraque. Des pertes ?
_ Aucune, signala Rachel. Ni chez nous, ni chez eux. Quelques blessés de notre côté, beaucoup plus en face, mais on a soigné tout le monde, aucune complication en vue.
_ Humpf... Une perte de temps et de ressources, grommela Tolosa.
_ Je vous demande pardon, mon lieutenant ?
_ Rien… Vous avez fait du bon travail, sous-lieutenante, affirma le corpulent colosse. Mais par décret gouvernemental, tous ces révolutionnaires ont d'ores et déjà été jugés coupables de leurs crimes et condamnés à la peine de mort. L’adjudant Plume doit avoir fini de creuser la fosse commune, occupez-vous du peloton d’exécution. Ce sera tout. »
Le vice-lieutenant Tolosa s’éloigna de sa démarche chaloupée sous le regard interdit de la jeune femme.
« Je refuse ! »