La scène semblait si irréelle que la nouvelle intervenante divine aurait tout aussi bien pu dégainer ses excroissances avantageusement rebondis pour les agiter tout en imitant la faune simiesque. Les yeux ronds, un sourire crispé aux lèvres qui trahissait son extrême perplexité devant l’escalade incontrôlable de la honte. Miraculeusement sauvé par son passe-temps inavouable, le tricoteur venait de se dégoter un permis de vivre en échange de quelques promesses en l’air. Summum de la providence, la proclamée Championne du maître vaudou – autoproclamée Prêtresse Kaloula, visiblement arrivée trop tardivement pour connaître le rôle qu’on lui avait octroyé – rajoutait une couche de selle sur un gâteau à la boue. Rilas, depuis détaché de son bâton rôtisseur, contemplait avec sidération tous les efforts mis en œuvre pour survivre, lui qui avait les cartes (ou poupées) en main. Des cartes que Fenice lui ôtait violemment pour les lancer au loin dans une partie de Pieds-Plantés assez inattendue et tout aussi risquée. On lui avait toujours dit que le plus important au Poker menteur, ce n’était pas les cartes, c’était les vêtements que vous étiez prêt à enlever. Ou un truc dans le genre. La mafieuse de Manshon semblait condamné à se dévêtir pour sauver les miches d’un investisseur devenu muet, sans doute par réminiscence d’un évènement dramatique aux saveurs identiques.
« Grand sorcier Dures-Fesses et prêtresse-championne Kaloula, aller dans hutte du Chef »La pointe de la lance dressée en direction de la cabane la plus spacieuse du village, le duo de charlatans se voyait offrir une nouvelle opportunité de s’en tirer sans se mettre à nu, ainsi que de la fermer pour ne pas empirer la situation. Sans demander son reste, le chapeauté pris la direction indiquée en silence, encore déboussolé par cette succession d’évènements. Du coin de l’œil, il observait sa « protégée », épris de sentiments variés. Certes, son charabia compromettait leur évasion, mais le Phénix avait accouru jusqu’à lui pour déployer ses ailes maladroitement, encore trop bridée par son costume incomplètement apprivoisé. Étourdie, encore inélégante, son imprudence la rendait presque mignonne, elle qui suintait toujours autant la perfidie mafieuse malgré l’accoutrement.
Gravissant les marches en bois craquantes, moisies par le climat environnant, l’homme balayait un rideau de pailles tressées faisant office de porte. Bâtiment de fortune, l’intérieur de la masure était curieusement bien aménagé, décoré de façon citadine, le confort en moins. Seuls dans la modeste demeure, à l’abri des regards indiscrets et des oreilles trouées par des osselets, la tête du couple rompait finalement le silence avec une pointe d’agacement, se souvenant de la raison de leur venue sur ce maudit tas de boue flottant.
« Qu’est-ce qu’on fiche dans ce marécage madame Corsandre ? Je croyais que vous vouliez construire un complexe hôtelier. Pour les bains de gadoue, c’est du génie, mais pour attirer de la clientèle au milieu des moustiques j’ai connu meilleur investissement ! J’imagine que comme réseau de transport, vous avez pensé aux lianes, mh ? C’est du grand n’importe quoi, je ne reste pas un instant de plus ici. ON ne reste pas ici. D’ailleurs, à propos des dix millions... »Remonté comme un coucou de Clock Work Island, Rilas ne pouvait contenir son enragement à l’encontre de sa partenaire qui s’était bien gardée de lui avouer dans quel bourbier il mettrait les pieds. Pire, la brillante criminelle s’était peut-être mal renseignée sur l’îlot flottant et n’était pas plus au courant que l’agacé.
« Vous aussi vous cherchez à vous tirer de ce trou paumé puant ? »Déboulant à pas de loup au travers de la chaume d’entrée, le propriétaire de la hutte apparaissait aux yeux des deux comparses sous un nouveau jour. D’un bond, surpris, le grand blanc se réfugia derrière la femme aux cheveux nacrés. Il ne fallu qu’un bref instant pour que tout deux abaissent leur méfiances à l’égard du chef de tribu alphabète quoique odorant.
- Hé, pas de panique, on est dans le même camp. dit-il en tournant un loquet accroché la tige jaune de l’entrée (?), comme pour s’assurer que le trio aux envies d’ailleurs ne serait pas dérangé.
- Comment ça ? Vous êtes barbu et n’avez même pas de slip. Même s’il m’arrive parfois de ne pas en mettre, c’est par confort, pas parce qu’ils sont tous sales et que je n’ai pas envie de les laver !
- Pili-pili-pili. Ça m’arrivait aussi de ne pas en mettre sur Luvneel. Enfin je crois, ça commence à remonter loin tout ça.Les paupières de l’ex-bureaucrate se plissaient tout en adressant un regard suspicieux en direction de Fenice, incertain de pouvoir accorder sa confiance à un chef autochtone à la grammaire correcte. Ce dernier tournait le dos à ses invités pour fouiner dans une malle, cachée grossièrement sous la peau d’un animal dont il valait mieux ne pas connaître l’existence. Coincée entre le pouce et l’index, l’hôte tendait, à qui voulait bien la prendre, une petite carte de visite où étaient écrit les mots suivants, légèrement effacés par le temps : Du mal à communiquer ? Alain Kazam fait disparaître vos soucis de transmission.
« J’en ai une autre qui dit "Vous voulez lui rendre visite mais vous ne savez pas si son mari est rentré ?" mais je ne la trouve plus. Voyez-vous, avant d’atterrir ici, j’étais vendeur d’escargophone. Les affaires étaient florissantes sur Luvneel jusqu’au jour où ma merveilleuse moitié m’a judicieusement parlé d’une île où je pourrai devenir l’unique fournisseur. Tu m’étonnes que j’y serai l’unique. Ils utilisent pas de Den Den Mushi dans le coin ! Mais ça, je l’ai capté que trop tardivement, le navire qui m’avait emmené jusqu’ici s’était déjà tiré après une salve de lances, et avec mon pognon en plus. Je me suis juré de ne plus jamais payer l’intégralité du billet d’un coup. Enfin du coup je me suis retrouvé là et... »Le large panel des émotions non feints de Rilas donnait vie à son visage au gré de l’histoire du pauvre commerçant, coincé depuis des années sur ce petit lopin de bourbe au milieu de nul part. Doué en étude de marché et en charlatanisme, Alain pu se fondre dans la masse d’un des nombreux clans de l’île avec l’espoir d’un jour pouvoir s’échapper du marécage et se venger de sa garce. L’opérateur escargophonique parvint à se hisser parmi les hautes sphères de la peuplade indigène jusqu’à en devenir le souverain à la suite du premier référendum démocratique proposé et instauré par l’étranger bien intégré. Des idées novatrices qui avaient plu à la majorité, bien aidées par la crédulité des faibles d’esprit.
« J’ai fait croire que j’étais, moi aussi, un envoyé divin en plaçant des escargophones dans les arbres pour donner de la résonance à ma voix. Et ça à marché. Pili-pili-pili. Ils sont encore plus bêtes que les mollusques que je vendais. »Mais le bond dogmatique n’eut pas un succès incontesté, trop avant-gardiste et amical aux yeux du dénommé Cuit Jamb-on, fin amateur de despotisme qui parvint à récupérer quelques aliénés sous son joug. Tandis que l’un attirait pour sa paisibilité et ses droits de l’homme, l’autre ralliait par son goût pour la belligérance et l’expansion territoriale. D’abord idéologique, le conflit prit une tournure plus sanglante lorsque, fort d’un recrutement conséquent, la tribu antagoniste s’attaqua à la plus pacifiste des deux. Railleries, menaces et rackettes se succédèrent sans qu’Alain ne puisse se défendre, lui et les « siens ». Au royaume des faibles, le manipulateur est roi mais n’est pas forcément en mesure de les rendre plus forts.
Pourtant, toutes ces altercations n’étaient que le cadet des soucis du président, préoccupé par un but autrement plus égoïste que la survie ou le bien-être de son peuple : déguerpir. Et si son ingéniosité lui permit de se faire une place parmi les indigènes, le perdu se planta une lance dans le pied en se mettant l’un des rares charpentiers de l’île. Oppresseur hors pair, Jamb-on était aussi un excellent – toute proportion gardée avec les moyens du bord – constructeur, lui qui possédait une flottille de radeaux avec, en figure de proue, le navire présidentiel :
Le Propaganda.
Libérer l’opprimé n’était donc qu’un prétexte pour embarquer à bord de l’assemblage de poutres détériorées. Un plan autrefois impossible par manque de moyen physique mais qui, en raison de nouveaux bienfaiteurs, devenait un rêve réalisable.
« Voilà ce que je vous propose : vous m’aidez à botter les fesses de Cuit Jamb-on et on embarque tous les trois. Eh ? Vous avez entendu ? »Les plaintes vocales résonnaient au travers des murs perméables, incitant le trio curieux à passer leurs têtes par-delà le rideau de fortune pour découvrir l’instigatrice du vacarme geignard.
- Ah mais vous pouvez continuer, faites comme si je n’étais pas là, ça ne serait pas respectueux pour, euh… Kwalala ? C’est bien son nom ?
- C’est une amie à vous ?
- Eh.. une alliée, disons. Je crois ? Krikri…Dévalant les escaliers à la hâte pour rejoindre la terre molle, Rilas reconnaissait le visage familier de la caporale présente lors de son procès improvisé durant le briefing. Se pourrait-il que la sous-officière avait été alertée par la Sixième suite à la disparition du civil et qu’on l’avait sommé de le retrouver pour le punir. Un châtiment qui s’annonçait salé, ses iris verts découvrant les corps maltraités des locaux, aussi bien par la malnutrition que par les coups sévères portés par Helena qui s’en était débarrassé avec une facilité déconcertante. La partie de poker reprenait.
« Caporal-Chef Routeur, c’est ça ? Désolé de vous avoir caché tout ça, mais le Phénix et moi avons été mandés pour venir en aide à cette tribu. On ne voulait pas embêter la Marine avec notre mission, et on a pas vraiment eu le temps de vous en parler, alors on a fait bande à part. Les édentés autour de vous sont nos amis, inutile d’y aller trop fort... »Un petit sourire gêné venait de se diriger vers le chef imposteur pour présenter ses excuses en son nom après une petite raclée qui n’avantagerait pas le futur assaut sur le clan ennemi.
« On va s’attaquer à un autre village de cannibales moins chaleureux, et votre aide sera la bienvenue. Si jamais l’envie d’éliminer quelques sauvages vous tente... »Sa phrase n’était nullement anodine, cherchant à titiller de potentielles envies meurtrières réservées à l’élite de la Marine par une habile citation du soldat qui pourrait, l’espérait-il, faire un petit écart aux ordres pour prêter mains très fortes aux deux excentriques. Une réponse positive ne ferait qu’accélérer le processus tandis qu’un refus ne modifierait pas les desseins de la coiffe blanche face à son seul moyen d’en finir avec des vacances désastreuses. A compter qu’Helena ne se mette toutefois pas en tête de ramener le zigoto sur le navire et la volaille dans les rangs.
« Ouga Ouga ! Puissant sorcier et grande prêtresse Kaloula aider nous à tuer Cuit Jamb-on ! Prendre lance, ramasser dents et.. BAGARRE ! »Un discours clair, net et concis qui suffit à enhardir la maigre troupe nouvellement armée de bâtons de bois qui piquent, amplement acceptables pour transpercer des pagnes en feuilles séchées. La guerre était déclarée. Nul besoin d’une stratégie plus étoffée pour un conflit qui ne durerait pas plus d’une heure dans ce microcosme géopolitique au rabais qu’offrait ces sociétés primitives. Taper, et surtout taper fort.
Le petit attroupement venait de quitter le village avec la ferme conviction de revenir victorieux, parcourant une jungle dont ils connaissaient les moindres recoins et dangers. Une aubaine pour deux - trois ? - aventuriers qui s’épargnaient au maximum les affres de la grenouillère (l’endroit, pas le pyjama intégral et si mignon). Rilas enjambait les racines envahissantes des palétuviers desquels transparaissait la lumière orangée synonyme d’un crépuscule imminent. L’homme ne trahit son silence que pour se plaindre dans son bouc, pestant envers des culicidés importuns ou contre la boue projetée sur ses habits maculés par ceux qui le précèdent dans le groupe de marche. Un sacrifice nécessaire mais grandement désagréable dont l’entrepreneur se souviendrait à l’avenir.
A l’avant du cortège, une dextre armée se dresse au dessus des têtes pour sommer ces dernières d’arrêter net le mouvement général. Cachée derrière des abris naturels, la tribu faisait halte à une bonne cinquantaine de mètres de l’objectif. A cette distance, le grand sorcier pouvait apercevoir les huttes du village, plus nombreuses que celles qu’il venait de quitter plus tôt. Son désir irrépressible d’action l’avait quitté depuis son arrivée sur Manshon, persuadé que son rôle de gérant lui siérait à merveille. En ce sens, l’ancien col blanc du Cipher Pol ne prit la peine de s’entraîner au combat, pas même de s’équiper d’une arme à feu pour parer à l’éventualité où le directeur devrait affronter une horde de cannibales totalitaires. Un comble n’est-ce pas ?
« Dès que tout être noir, nous attaquer. »Nul racisme en ses termes, simplement une tactique datant de la nuit des temps qui offrait au civil le temps de discuter avec sa protectrice et de se préparer psychologiquement. D’un petit signe de main, il attirait Farore hors du groupement, à peine à l’écart pour éviter les mauvaises surprises, si tant est qu’on puisse faire plus mauvaise que toute cette vaste blague depuis son arrivée.
« Faites-nous sortir vivants de cette querelle et j’oublie que c’est à cause de vous qu’on est ici. Et tant qu’à faire, profitez-en pour montrer vos talents auprès des abrutis en pagne, je suis sûr qu’ils sauront être reconnaissants si d’avenir on revenait se fournir en gadoue pour commercialiser des masques hydratants. N’oubliez pas : toujours héroïque, jamais vulgaire. »Comme un symbole, les héros devaient prendre part à la guerre pour défendre la liberté. Celle d’un peuple persécuté. Et surtout celle de voyageurs mécontents de cette destination.
- RP:
Sera ajouté ici, à la suite du poste de Farore, les actions de Rilas lors du combat et son départ de l'île
- HRP pour Helena et Edd:
Navré de vous faire faux bond Edd et Helena, mais les réponses s'éternisant un peu, et ayant pas mal de choses sur le feu pour les projets du personnage, je préfère me retirer de la quête en bonne et due forme. Sans rancune, amusez-vous bien !