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Pomme de reinette ou pomme d'api…


« Dites-lui encore qu’il n’y a personne, voulez-vous ? »
Demanda-t-elle distraitement au majordome revenu l’importuner alors qu’elle prenait consciencieusement soin de lames qui appartenaient à son frère jumeau.
« Je puis me targuer d’avoir essayé, mademoiselle, vous vous en doutez. »

Un petit soupir lui échappa. Pour se débarrasser une bonne fois pour toutes de l’inopportune qu’aucun d’eux deux ne souhaitait percevoir plus que nécessaire, quitte à la choquer, le servant ne pouvait-il guère prendre sur lui et lui expliquer que, par exemple, chaque membre de la famille Lévi était à ce moment précis sur un bout du nouveau monde, qu’ils dérivaient tous sur un navire presque totalement décomposé et ce après avoir dépensé la fortune familiale dans des arnaques qui les avaient ruinés ? Et qu’ils seraient potentiellement de retour dans peu d’heur… des années ?
Non. Sans doute pas. Le pauvre homme, trop sage pour ce genre de sorties, ferait hélas peut-être directement une crise cardiaque, si sa jeune maîtresse le lui suggérait réellement. Et à Mère de lui remonter sacrément les bretelles plus tard, quant à son manque cruel de savoir-vivre envers ses connaissances, en plus de souligner la perte d’un excellent élément qu’”on” avait perdu du temps à dresser. Ce serait tellement dommage…

Puisqu’elle avait un public, par habitude, elle se força à sourire, faussement mutine. Le sabre qu’elle frottait jusque-là fut ensuite posé avec un ménagement exagéré sur son bureau en bois.
« Cette dame, mademoiselle…
_ … Fait partie de la race de ceux qui n’acceptent vraiment pas les refus, n’est-ce pas ? »
L’agacement qu’elle pouvait ressentir s’assourdit en partie, tandis qu’elle levait le menton dans le but de mirer le vieux domestique guidé.

Pour l’heure, l’affection qu’elle ressentait envers le bonhomme aux traits ridés dépassait à peine celle qu’elle éprouvait pour les meubles familiaux qui trônaient dans ses appartements. Les morceaux de bois finement ouvragés et lui avaient, après tout et sans exception, tous toujours fait partie de sa vie.
Les seules différences qui existaient entre ces deux constantes rassurantes étaient que les commodes ne risquaient point de résumer à Mère qu’elle avait par deux fois refusé de recevoir en son absence une de ses invitées non annoncées ; et que les objets ne s’assuraient guère non plus, au contraire, qu’elle mangeait assez et avait tout ce qui lui fallait lorsqu’elle se trouvait dans le coin.

Si l’on passait outre ses devoirs filiaux qu’elle ne comptait pas réellement éviter, cette minuscule tendresse en plus (liée à la seconde différence, s’il fallait le préciser), se révélait suffisante pour que la fille Levi réponde, rarement, aux espérances du domestique.
Comme dans ce cas précis, où l’homme désirait simplement et clairement être rapidement débarrassé de la responsabilité que représentait la visiteuse indésirable. Sa manière de le reluquer le rendait à chacune de ses visites grandement inconfortable, vu les penchants de la femme en terme de soirées, un peu trop communs à ceux des parents Lévi. Il n’y avait pas besoin de faire de divination afin de le deviner.

« Très bien. » Capitula Lydia.
« Faites-la directement patienter dans le grand salon des invités. Mais promettez-moi de venir me faire chercher sous un prétexte ou un autre dans une demi… Une heure maximum. Oh. Et envoyez-moi ma servante, pour m’aider à m’apprêter. »
Il fallait s’assurer d’être plus que présentable, par sécurité. L’enquiquineuse risquait, sinon, de glisser dans son futur désagréable discours bien des remarques assassines.


***

« Il vous a donc quitté, l’ingrat que voilà ? » S’enquit-elle auprès de son interlocutrice, faussement outrée, après avoir reposé sans un bruit sa tasse de thé insipide. Pourrait-elle proposer, discrètement, à une domestique tout son futur héritage contre un nuage de rhum sans se faire prendre, la prochaine fois qu’elles en sonnaient une ?
« À cette heure, il se repose.
_ Est-ce lui aussi pour l’éternité, ma dame ?
_ Comme le précédent, il est raide comme un mât dans son entièreté. » Assura la matrone qui s’était imposée en hochant la tête, l’air davantage encore surpris par le décès de son deuxième époux qu’attristé.
Faisant appel au peu de compassion qu’elle ressentait envers l’âme nouvellement esseulée, Lydia serra le minuscule mouchoir qui servait à se tamponner délicatement les lèvres entre cinq de ses doigts, et l’y tyrannisa quelque peu. Ce fut, avec un regard et un ton plus doux, la seule marque de tristesse qu’elle offrit à la pauvrette endeuillée qui se tamponnait les yeux secs avec un train de retard frisant le théâtralisme.

« Vous m’en voyez navrée. » Ou pas tant que cela, vu comment vous le traitiez.
« Accepterez-vous, je vous prie, mes condoléances ? Où l’avez-vous fait enterrer ?
_ Dans une tombe commune. » Répondit l’autre avec un petit mouvement de poignet, comme si elle cherchait à chasser une inexistante quoique fort agaçante mouche.
« Quelle question ! Je n’allais tout de même pas me ruiner pour un ancien esclave si peu fidèle. Et puis cela lui va bien : son tombeau est ainsi aussi publique que son lit de son vivant. »

Son emprise sur la serviette de table fut discrètement relâchée, tandis que la nobliaute enchaînait récriminations et compliments désœuvrés à l’égard de son soi-disant enième tendre amour décédé, le tout après s’être servie d’un petit gâteau à émietter.
Car c’était bel et bien pour se faire plaindre que Dame Esenberg était venue, en plus de répandre son fiel et de grignoter gratuitement. Il ne fallait pas en douter et la fille Levi ne le fit plus.

Elle se prêta aux bagatelles épuisantes que sa position d’hôtesse temporaire imposait, comblant la connaissance de sa mère de petites moues, de soupirs plus ou moins délicats, d’exclamations prononcées peu fortement, de courtes notes de faux rire de gorge, et de sourires innocents lorsque celle-ci les quémanda. Interrogea, montra un intérêt qu’elle n’éprouvait absolument pas, relançant la conversation quand elle s’épuisait un minimum, déjà presque lasse de ce jeu de dupes alors que quelques minutes à peine s'étaient écoulées.
Il manquait ici le frisson des missions que son rôle de cipher pol lui procurait parfois, même lors de travail auprès d’autres nobles, ailleurs. Ou le plaisir que pouvaient de temps en temps amener des rencontres éphémères, autour d’un verre d’alcool offert. Non qu’elle ne se replierait pas à cet exercice de comédie chaque fois qu’il lui serait imposé ; mais entre s’entretenir ainsi avec du sang bleu de Saint-Uréa ou tuer quelqu’un pour le compte de sa famille si celle-ci le mandait un jour, elle n’était pas sûre, à choisir, de ne pas mille fois plus préférer la seconde proposition malgré son éducation. L’ennui la guettait monstrueusement.

Assassiner évitait au moins et en plus les questions difficiles, telle que celle que la pipelette curieuse ne manqua guère, au bout d’un moment, de poser.
« Êtes-vous revenue de vos dernières vacances sans votre frère ?
_ … Jamâl avait à faire de son côté. »
Résuma brièvement la damoiselle en retour.
Il était hors de question de parler boulot ici, surtout en une telle compagnie. Pour une petite partie de leur monde, dont cette invitée-ci, ils n’étaient de toute manière toujours que des enfants gâtés qui profitaient encore de la richesse de leurs aînés dans le but de voyager fréquemment, et c’était parfait ainsi.

En prononçant sinon le prénom aimé, la première image qui lui vint, à son sujet, fut celle de la nouvelle infirmité de son adelphe, recouverte d’un écrasant nuage de culpabilité. Elle la chassa avec difficulté ; - aucune vision ne lui était actuellement plus désagréable que celle-ci.
La tristesse qu’elle ressentit, dans le même temps, était tout aussi imposante que la responsabilité qu’elle s’imaginait avoir quant à la nouvelle blessure de son jumeau. Peut-être ne parvint-elle guère à cacher l’une ou l’autre complètement, puisque la veuve se pencha soudainement pour lui tapoter gentiment un poignet.

« Ne faites pas cette tête, jeune fille. Il ne va pas s’envoler. »
Non ma dame, il a juste perdu un bras dans des circonstances que vous n’imaginez pas. Se retint de balancer douloureusement la jeune fille en question. Qu’il me manque et m’inquiète ne sont véritablement que secondaires.
« J’ai toujours dit à votre mère qu’il fallait vous séparer. Dans quel état serez-vous, le jour où il se décidera à se marier ? Vu votre fortune, il se trouvera facilement quelqu’un, malgré l’air de reptile arrogant qu’il ne peut s’empêcher d’avoir souvent. Peut-être même est-il déjà en train de roucouler, maintenant qu’il vous a éloignée. »
Continua la plus vieille du duo, sans se douter un instant de ses pensées et en sentant sans doute l’afflux de sentiments négatifs augmenter chez son interlocutrice.

Impossible à dire. Et à imaginer correctement. Il n’était même pas sûr que Jamâl lui-même y ait jamais songé. Lydia papillonna des cils. Quelle importance ? Elle força finalement un début de sourire évaporé à revenir ourler ses lèvres, nonobstant l’impression désagréable que son coeur se tordait toujours.
« Vous avez raison. » Susurra-t-elle ensuite doucement, hochant la tête comme si l’Esenberg était la voix de la sagesse qu’elle entendait enfin. « Désirez-vous encore un peu de thé ? » Ailleurs que sur votre si joli chignon crêpé, peut-être ?
« Me raconterez-vous aussi comment vous comptez remplacer Hector ? » Point trop dans le détail par contre. S’il vous plaît.

Le reniflement qui lui répondit lui signala qu’elle avait ouvert une boite de Pandore, au lieu de blesser un minimum son interlocutrice comme elle l’avait escompté. La disparition de son dernier conjoint, qui avait tout essayé pour la supporter, des drogues, en passant par la religion, sans oublier la charité ou la syphilis conjointement attrapée dans d’autres bras surpeuplés, ne faisait décidément ni réellement chaud, ni réellement froid, à son ancienne épouse. Leur mariage n’avait été qu’une indécence convenue de plus ; on ne l’avait habillé en surface d’amour que pour éviter quelques menus scandales indélicats à traiter.
La veuve peu éplorée lui explicita donc, hélas, avec une passion nouvelle et dévorante, ses mille potentiels futurs projets débridés. Le tout entrecoupé de mots plus ou moins mordants liés à cent autres petits riens, dont ses deux idiots de maris disparus trop tôt, bien évidemment. Ou les occupations fort suaves qu’elle ne pouvait que suggérer à un autre cœur esseulé, pour ne citer que deux exemples concrets.


… Autant dire qu’il y avait un sacré paquet d’images qu’elle aurait bien aimé déjà faire disparaître de sa tête, lorsqu’enfin la donzelle se retrouva seule quelques heures plus tard. Et qu’entamer gaiement le bar de la pièce, en se servant par habitude les remontants deux par deux, ne suffit guère à toutes les effacer.
Revenir, ensuite, au récurage de lames ramena sur le devant de ses pensées les pires, celles qu’elle aurait souhaité avoir le pouvoir d’arranger. Il fallut donc chercher une autre occupation plus innocente et la trouver.

Puisqu’il n’était pas possible de repartir en mission sur l’instant, que l’idée qu’Esenberg puisse à loisir revenir la houspiller ne lui complaisait pas - elle avait eu tant de difficultés à s’en débarrasser poliment, malgré l’aide des domestiques. -, et que le majordome risquait, en venant s’assurer qu’elle allait bien, de bien trop vivement lui remémorer certaines possibilités que la matrone s’était envisagée, elle décida finalement de sortir se saouler.
Se carapater brièvement, pour un ailleurs qui ne lui rappelerait pas non plus tout de suite que Jamâl ne serait toujours pas là à son retour. Qu’il allait mal, sans doute aucun, et qu’elle ne pouvait rien y faire puisqu’il commençait, las, à outrageusement la rejeter. Dire que, pour une rare fois, elle aurait plus qu’adoré pouvoir partager avec lui un de ces entraînements violents dont il avait le secret. Ou même le sentir s’énerver.

Il vieillit. Chercha-t-elle à se rassurer à la sortie du premier bar qu’elle visita, aimante, attendrie par le début de sourire que son jumeau esquissait parfois dans ses réminiscences.
Bien, bien moins par les images qui se dessinèrent derrière dans son esprit, celles d’un aîné assidu à hypothétiquement conter fleurette à quelques pimbêches, à la manière très… pittoresque proposée par dame Esenberg, au milieu de l’énumération de ses nombreuses façons d’occuper ses journées de femme riche et seule.

Malheureusement, la visite de l’établissement select, niché au sein du troisième rempart, n’avait donc pas suffi non plus afin de la distraire totalement de ses songeries. Elle enchaîna alors avec un second, plus loin. À l’extérieur de la muraille réconfortante qui séparait plèbe d’ultra-riches, militaires des nobles au sang trop bleu pour être versés par leurs armes moins bien ciselées. À l’écart des lieux qu’elle fréquentait toujours de temps en temps avec son frère ces derniers ans.
« Tant qu’il ne tombe pas dans la folie…» Chuchota-t-elle cette fois avec douceur, à son animal de compagnie d’alors venu avec elle, quand la porte se fut une nouvelle fois refermée derrière sa personne. La deuxième enceinte finit finalement passée comme la première, possédée comme elle l’était toujours par l’envie de temporairement fuir et les circonstances de son frère, et ce qui avait provoqué la cinquantaine d’idées de meurtre qu’elle s’était imaginée en écoutant la matrone. De trouver un lieu qui accepterait de se faire vierge de tout souvenirs. Dur but, sur une île parcourue de long en large depuis une éternité, mais l’alcool qu’elle y trouverait aiderait sans nul doute à l’atteindre.

Vint la place de l'Obélisque. Lydia ne s’y arrêta guère ; les tavernes ici étaient beaucoup trop touristiques et populeuses à son goût. Hors, la fille Lévi n’avait toujours aucune envie de parler et moins encore d'apprécier une quelconque promiscuité.
Peut-être aurait-elle dû cependant se rappeler ce fait avant de partir de la maisonnée : sa tenue habillée faisait tache, au milieu des divers étals que la nuit avait fermé en partie. Personne ne se vêtait d’une adorable petite robe de créateur dans le but de battre le pavé de ce bas quartier à cette heure-ci. À part, peut-être, une accorte fille de joie qui l’aurait obtenue au rabais contre ses bons services.

Mais la femme aux moeurs légères n’aurait sans doute pas eu le salaire nécessaire afin de se payer les fabuleuses bottines de cuir allant avec, le colifichet de luxe retenant son chignon lâche, ou le fin collier qui disparaissait entre ses seins, porteur de sa bague adorée qui ne la quittait presque jamais. Ne parlons pas non plus de l’étrange gros lézard vert aux lunettes de soleil qui restait sagement posé sur une de ses épaules nues, le temps qu’elle se refasse une santé.
La bizarre petite bête, provenant d’une île fort fort lointaine, hochait parfois la tête au rythme de l’avancée désorganisée de sa porteuse, ou lorsque sa dite maîtresse tristement dégoûtée le flattait doucement, à la recherche d’un réconfort que presque aucun autre humain ne pouvait lui communiquer.

Si les noms de Ragglefield et de Levi lui apportaient une certaine protection, que les gardes de la cité veillaient au grain avec attention dans le coin, ou que Lydia avait bien pensé à glisser une de ses dagues dans le petit sac qu’elle se trimballait, cela ne suffisait point pour écarter tous les dangers. Saint-Urea n’était un havre de paix qu’en apparence, tout le monde le savait. Même elle, malgré son envie de se beurrer en paix.
Étaler ses richesses dans un quartier malfamé n’était donc pas obligatoirement la meilleure idée qu’elle avait eu de sa vie. Néanmoins, elle s’engagea d’un pas plus que volontaire dans une ruelle qui s’enfonçait vers un ailleurs moins rassurant, avec l’espoir même de s’éloigner de l’important point de vie protégé.

Elle se rêvait insouciante de presque tout ce qui n’était pas l’air frais sur ses joues, ou de la clarté des petites loupiottes ou étoiles qui lui paraissait provenir de plus loin que ces dernières ne l’étaient réellement. Comme si quelqu’un avait posé, entre eux, un verre trouble. Ou finement cratérisé aux déjections d’insectes, selon si elle papillonnait des cils ou non. Peut-être que me battre avec des inconnus me ferait vraiment du bien tout court, si je dois supporter d’autres présences.
Elle tenta de se motiver à vérifier cela au prochain lieu de beuverie qu’elle visiterait, si personne ne l’abordait sans gentillesse avant. À quand remonte ma dernière bagarre de comptoir ? À part à longtemps ? Ce n’était après tout pas comme si assommer quelques mécréants nuirait réellement à la réputation familiale. Tout le monde avait déjà fait pire et tant qu’elle ne perdait pas, même Mère n’y trouverait rien à redire. Mieux encore, le besoin d’ainsi se dépenser expliquerait parfaitement pourquoi une bien-née se promenait seule si tard dans les taudis de la cité, et éviterait de stupides et ineptes rumeurs.

Sa balade, en attendant, lui fit emprunter une vieille rue de misère. Une seconde. Une autre encore. Puis d’énièmes, toutes trop semblables. Son esprit décida enfin alors à s’essayer de se faire joueur. Il nota, bêtement, pour la cinquième fois sans doute, que toutes les bâtisses ici se ressemblaient assez dans la nuit. Malgré leur hauteur variable, c’était comme si elles ne formaient qu’un grand et unique tout, s’alliant, au brique à brique et en de variées nuances de bleu-gris noirci, pour constituer un couloir interminable à la forme de vague rugissante. - On aurait pu penser qu’une main, indifférente aux futurs habitants, les avait fait s’élever en un seul même temps, tant le paysage se faisait répétitif.
Quatre pas. Une fenêtre. Trois pas. Une porte en fer rouillé. Quatre pas. Une fen… Lézard hocha la tête quand un énième type comme tant d’autres passa à leur côté sans s’arrêter, la distrayant de ses nouveaux comptes pourtant si sérieux. Elle tapota le museau de l’animal agité. Les gens censés ne s’occupaient que de leurs problèmes, le tout sans essayer d’en créer, hélas.

Compter les cases dans laquelle la déchéance rangeait d’autres âmes parfaitement fut ensuite recommencé sur le champ. Tout pour éviter de penser, quoi. Cinq pas… Mal compté, reprend !. Trois pas. Une porte defoncée. Quatre de plus. Une fenêtre cradossée par les années et des substances qu’elle ne désirait pas étudier. Une odeur de patates et d’huile trop souvent usitée en provenait. Trois pas. Un seuil vierge de tout battant, si ce n’était un rideau rapiécé. Quatre pas. Des carreaux dégommés. Un rire mâle, fier et arrogant, suivi de froufrous endiablés. Et la vague qui n’en finissait jamais : c’était étrangement réconfortant, à force, à l’instar des boissons déjà ingurgitées qui lui donnaient l’impression de remplacer en partie son sang. Leur chaleur simple l’envahissait tendrement.
Sans se préoccuper des autres promeneurs, elle ferma les yeux, dodelina doucement de la tête. Son regard rouvert fut ensuite attiré par un fichu écarlate, qui pendait à une ouverture mal fermée. Trois pas. L’objet ne risquait-il pas d’être volé dans la nuit ? Et n’était-il pas censé y avoir une taverne, dans le coin ? S’était-elle perdue ? Cela l’amusa légèrement. Un couloir. Qua… Non, tiens, un seul cette fois-là.

Et voilà alors qu’une énième personne s’approchait, que la terre lui parut gigoter sous ses pieds, la nuit recommencer à l’envers. Si son instinct lui souffla quelque chose, ce fut à retardement. Et merc… !
Ses yeux venaient en effet de se ficher sur une affichette. Le truc était en partie déchiré, comme si quelqu’un s’était emparé du bas du parchemin pour ses intérêts personnels. À peine éclairé, par la lueur blafarde d’une lampe de la rue. Mais c’était une affichette tout de même.

Ce n’était pas la première qu’elle percevait en cette soirée. Ni la dernière, sans doute aucun. Cependant, c’était bien la seule qu’elle ne s’attendait pas jusque-là à rencontrer. Elle s’était précédemment empêchée de mirer dans la direction de panneaux de primes, afin d’éviter le piège dans lequel elle venait de se fourrer. Par habitude, elle avait aussi détourné le regard en percevant un ou deux papiers froissés voleter. N’avait guère non plus touché aux journaux à disposition dans ses divers points de chute, ou levé les mirettes dans le but de lire le nom de boutiques inconnues. Tout ça pour éviter que sa capacité ne s’enclenche.
Mais, dans ce bouge aux relents de crasse, l’encre de la prime piquée ailleurs, et qui ornait grotesquement la peinture défraîchie de la demeure mal isolée, réussit là où les autres avaient échoué. L’objet s’amusa donc à l’éblouir en se mouvant follement.

En conséquence, la fille Lévi resta les bras totalement ballants, tandis qu’une main agile commençait à la délester de ses objets précieux. De plus en plus verte - ou blanche, selon la luminosité - alors que les secondes passaient, elle se mit soudainement à tanguer.
Quand la vision fut passée, l’alcool qu’elle avait ingurgité accentua son habituelle sensation désagréable, celle qu’elle n’avait perdu un sens, ou ici, le besoin de la vue. Elle tituba encore, toujours en partie déconnectée de la réalité, croissant un truc se rapprochant d’un : « Jeu de fous… », tout en cherchant tout de même désespérément à se raccrocher à quelque chose pour ne pas tomber. Ou pour ne pas vomir, peut-être. Ou les deux à la fois.
Paisiblement installé son épaule, le lézard, lui, ne broncha presque pas. Il se contenta simplement de hocher la tête, au rythme de la démarche chancelante de sa propriétaire en mauvais état.
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Pomme de Reinette ou Pomme d’Api


Flashback 1627
✘ Feat. Lydia




Les premières lueurs du matin passèrent par la fenêtre, venant frapper mes paupières de plein fouet. Vision rougeoyante des beaux jours ensoleillés. La lumière qui vous sort d’un sommeil insuffisant, c’était de ces matins-là. J’ouvrais difficilement les yeux, plaçant une main devant mon visage. Me glissant hors du lit aussi discrètement que possible, les doux draps fins se froissèrent. Si j’avais pu, j’y aurais bien passé la journée, goûter à un semblant de richesse et de luxe. Et couvrir de milles plaisirs la jeune femme endormie de l’autre côté du lit, la couverture enroulée autour de son cou, laissant seulement ses longs cheveux roux tomber en bouclettes sur les draps, couvrant sa joue vers laquelle je me penchais pour y déposer un baiser. Elle gémit légèrement, toujours endormie, incorporant le contact de mes lèvres à ses rêves.

Je me revêtis face à la fenêtre, observant la vie reprendre son cours quotidien dans les rues de la cité intérieure de Saint-Uréa. Les différences étaient drastiques entre la frange et cette partie de la ville, plus riche, plus propre et bien mieux gardée. Rien que l’heure à laquelle les commerçants et citoyens se réveillaient. Plus aisés, la cité intérieure s’activait à l’arrivée du soleil là où la frange était déjà levée depuis plusieurs heures, travaillant ardemment pour une bouchée de pain. C’est alors que, seulement vêtu de mon pantacourt, mon sweat-shirt en main, quelqu’un se mit à tambouriner à la porte.

« Je sais que vous êtes là !! » hurla une voix masculine, son poing continuant de frapper frénétiquement la porte. « Comment tu as pu faire ça, Rosa ! »

Le regard rivé vers l’entrée, je m’étais arrêté, mon sweat-shirt à moitié enfilé. Dans le lit, la belle s’éveillait en panique, enroulant son corps nu dans les draps pour chercher ses vêtements étalés au sol. Elle se tourna alors vers moi, m’adressant un petit sourire gêné.

« Désolé, Ren, mais je crains que tu ne doive t’en aller. » me dit-elle doucement en se serrant contre moi, se mettant sur la pointe des pieds pour joindre nos lèvres.

« Ouvrez-moi cette porte ! » continuait de crier la voix derrière la porte, des bruits de pas suivant ses ordres avant que le martèlement ne prenne de l’ampleur.

Les gonds grinçaient à chaque assaut, menaçant de se briser d’un instant à l’autre. Terminant ma courte étreinte avec la jolie rouquine, j’ouvris la fenêtre, commençant à l’enjamber pour m’apprêter à bondir dans la rue. C’est à ce moment-là que la porte s’écrasa au sol dans un fracas, dévoilant trois hommes en costumes noirs chics. Un homme assez grand et costaud, un air patibulaire et une grosse barbe rousse fournie, s’avança dans la pièce, le visage écarlate et une veine gonflée sur son front marquant très clairement son énervement. Le lien de parenté entre le nouvel arrivant et la jeune femme était flagrant, bien que niveau charisme c’était sa fille qui remportait la palme.

« Rosa ! Comment as-tu pu faire ça ! » s’exclama-t-il en faisant de grands gestes, s’approchant de sa fille en joignant les mains comme s’il la suppliait. « Tu vas te marier la semaine prochaine, et tu fais ça ?! Avec lui ? » criait-il, finissant par me pointer du doigt. « Mazino...tu vas m’le payer sale blanc-bec, on t’a accueillit parmi nous et voilà comment tu remercie la famille ?! Les gars, fumez-moi cette chiure de mouette ! »

« Non ! Père, je vous en prie ! » s’interposa Rosa devant son paternel.

Ce dernier la repoussa gentiment pour dégager la ligne de mire, ses deux gorilles sortant des revolvers. J’eus à peine le temps de bondir de la fenêtre, que les coups de feu détonnèrent, une balle me frôlant sous le bras. Prenant appui sur le bord du toit, je m’élançais alors de l’autre côté de la rue, m’accrochant à la gouttière. Les projectiles continuaient d’éclater les ardoises des toitures sur mon passage. Je lâchais alors pour me laisser chuter sur la toile tendue d’un étale de fruits et légumes. La tenture s’écrasa sur le pauvre commerçant tandis que je roulais de côté pour me réceptionner accroupi au sol. J’attrapais une pomme sur l’étal, croquant goulûment dedans avant de me retourner et de faire signe à Rosa et son père, penchés à la fenêtre.

« À la prochaine Rosa. » roucoulais-je en lui adressant un clin d’œil enjôleur.

À ses côtés, son père bouillait de rage, ordonnant à ses hommes de me prendre en chasse. Sans demander mon reste, je pris mes jambes à mon cou. Privilégiant les petites ruelles sombres et étroites, j’entendais les pas lourds de mes poursuivants marteler le pavé derrière moi. Je n’étais pas particulièrement familier avec les rues de la cité intérieure mais, une fois la frange atteinte, je serais capable de disparaître tel un fantôme.

Faisant habilement montre de mon agilité, je sautais sur un empilement de caisses, m’en servant comme un escalier avant de bondir, d’attraper le rebord d’un toit et me balancer dans les airs. Une pirouette plus tard, mes pieds rencontraient les ardoises des toits et je continuais ma course. Les hommes en costume à ma poursuite tentèrent de m’y suivre, mais eurent plus de mal à atteindre les hauteurs. D’autres continuaient de courir dans les rues, ce bon vieux Charles Dicolone avait appelé du renfort.

J’avais bossé pour lui pendant plusieurs mois, ce vieux rouquin mafieux malicieux qui était à la tête d’une famille ayant la main-mise sur de nombreux commerces de la frange et de la cité intérieure. Un mafieux qui avait des liens avec les usuriers de Saint-Uréa, et avec Sal Véol envers qui j’avais une vengeance à prendre. J’avais ainsi pu obtenir quelques informations importantes, lui subtiliser un peu d’argent et, cerise sur le gâteau, fricoter avec sa fille magnifique. D’une pierre trois coups. Toutefois, c’étaient là de nouveaux ennemis que je m’étais fais, et il faudrait à présent que je trouve un endroit où me planquer.

 


Essoufflé à avoir couru si longtemps, je poussais enfin la porte de l’établissement. L’endroit était quelques peu lugubre, à l’image du quartier dans lequel il était niché, un lieu qui, même au sein de la basse ville, semblait pauvre. Une musique d’ambiance était jouée par un groupe dans un coin sur une scène improvisée à base de planches posées et clouées sur des palettes alourdies de parpaings. Des lampes à huile illuminaient la taverne, leurs flammes dansant au gré des courants d’air constants dans l’établissement. Je m’avançais alors dans l’allée, me dirigeant droit sur le comptoir et son barman qui nettoyait des verres à l’aide d’un torchon sans doute plus vieux que lui.

« Tiens, tiens, mais qui voilà ! Si ce n’est pas ce cher Mazino ! » me salua Karon en levant les yeux de ses verres, son visage fermé jusque-là s’illuminant en me voyant.

« Salut mon vieux. » répondis-je simplement, claquant ma main contre la sienne, prenant place sur un tabouret. « Je vois que les affaires vont bien depuis la dernière fois. »

« Ouais, ça s’améliore, ça faisait quoi deux, trois mois qu’on t’a pas vu ici ? » demanda-t-il, me servant machinalement une bière qu’il déposa devant moi, faisant de même pour lui.

« Ça doit être à peu près ça...un peu après Ivar et toute cette histoire. » soufflais-je tristement, observant un instant mon reflet dans le liquide ambré dans ma choppe.

« Sale histoire. Il était comme un père pour nous aussi, et comme un sage grand-père pour tous les gamins. »

Tout deux marquions une légère pause, trinquant à la mémoire du vieil Ivar, mort quelques mois plus tôt. Cet homme qui avait été mon mentor pendant une douzaine d’année, représentant une figure paternelle pour moi comme pour tous les orphelins de la frange qu’il avait aidé. J’avais moi-même été un de ces enfants perdus, et m’étais élevé dans les sphères les plus sombres, trempant dans tout ce qui pouvait me rapporter de l’argent pour contribuer au bien-être des orphelins de Saint-Uréa. Réunis par moi et Karon à une époque où nous nous battions quotidiennement pour nous assurer les meilleurs endroits où mendier, les gamins de la frange n’étaient plus seuls à présent. Et, grâce au bar de Karon, nous avions mis en place tout un système de contrebande d’objets et d’informations pour les aider dans cette voie. Leur fournissant abris et sécurité, les choses se mettaient doucement en place pour améliorer le train de vie des orphelins.

« Alors qu’est-ce qui t’amène, Ren ? De qui tu te caches cette fois ? » demanda-t-il, un sourire mesquin sur le visage.

« C’était si évident ? » ricanais-je en prenant une longue gorgée de bière.

« On se connaît depuis quoi, dix sept piges ? T’es bon acteur, mais quand même, tu m’la fera pas à moi. »

« Hahaha t’as raison, comme d’habitude. » je marquais une pause, faisant tourner le liquide dans ma choppe. « Il se pourrait qu’une des filles de Charles Dicolone n’ait pas été tout à fait...euh...fidèle ? » déclarais-je, prenant un air innocent en sifflotant, évitant le regard noir de Karon.

« C’était laquelle, Maria ? »
« Non. »
« Sofia ? »
« Non plus. »
« Non...me dis pas que tu as... »
« J’ai bien peur que si... »
« T’es vraiment un salopard. »
« Je sais... »

Le silence se fit pesant entre nous, on entendait même une mouche voler. Il était notoire que l’une des filles de Charles, Rosa Dicolone allait épouser le fils d’une famille, rivale avec eux depuis des années et qui aurait fait régner la paix dans leurs territoires respectifs. Mais, ma petite incartade romantique avec la future mariée menaçait cette paix naissante, promesse à demi-mot de nouveaux affrontements sanglants entre les deux familles. Karon était très au fait de tout cela, s’étant même acheté un nouveau costume pour la réception des Dicolone, avec l’espoir de forger de nouvelles connexions pour toutes ses idées de business lucratifs.

De concert, nous brisions le silence en nous mettant à ricaner de plus en plus fort, nous attirant les regards curieux des clients du rade. Trinquant en nous esclaffant, nous continuions de discuter ainsi pendant des heures. Karon était probablement mon plus vieil ami, et le meilleur malgré notre passif d’ennemis jurés quand nous étions enfants. J’avais confiance en peu de monde, mais j’aurais pu confier ma vie à cet homme sans hésiter une seule seconde.

Les heures, et les verres, défilèrent en un instant, partant finalement de la taverne de Karon en le laissant à moitié saoul à son comptoir. Il m’avait prêté les clés d’un petit appartement qui m’avait déjà servit de planque par le passé, et me permettrait de me cacher le temps que les choses se tassent et que la colère des Dicolone s’estompe. Moi-même, j’étais bien entamé, titubant en chantonnant des airs paillards. Si l’on m’avait fournit un accordéon, j’aurais été bon pour un concert en plein air au grand déplaisir des voisins, jusqu’au bout de la nuit. Je ricanais bêtement en pensant à cela, parcourant les rues de la frange. Les ruelles étaient étroites, majoritairement sordides, les toits si proches qu’ils se touchaient presque.

Le temps était passé tellement vite que le soleil amorçait déjà sa descente inexorable vers l’horizon, disparaissant presque au-dessus des toits biscornus de la basse-ville. Les rues étaient encore bien animées, des chants, des rires et de la musique provenant de tous les bouges lugubres du quartier. Quelques bandes mal-intentionnées rôdaient ci et là, n’osant pourtant pas s’en prendre à moi. Il faut dire que, pour la plupart, je les connaissais, et ils savaient d’expérience qu’il ne fallait pas trop me chercher.

Je quittais finalement ces quartiers des plus malfamés, même au sein de la frange, retrouvant ces ensembles d’habitations un peu plus ordonnés. La nuit prenait place, quelques torches s’allumant dans certaines rues à des intervalles irréguliers. L’obscurité se fit plus présente, oppressante par endroits. Bien qu’éméché, je restais attentif, aux bruits de froissement ou de pas de ce côté-ci, au miaulement d’un chat bondissant sur les toits de ce côté-là, et à ce couloir à demi-éclairé juste en face de moi. Les mains dans les poches, je m’avançais, observant attentivement une personne en particulier. Comme tétanisée, elle ne bougeait pas d’un cil, seules quelques mèches de ses cheveux étaient en mouvement, dansant dans la légère brise. Je m’approchais d’un nouveau pas, détaillant discrètement ses atours dénotant drastiquement avec le décor. Une toilette tellement soignée qu’elle avait dû nécessiter une aide, des bijoux pour lesquels les femmes du quartier se seraient damnées, même sa posture dénotait d’une certaine éducation noble.

La jeune femme aux cheveux de blés semblait avoir une absence momentanée, ses yeux rivés sur une affichette. Une prime placardée sur un mur, attirant son regard comme hypnotisée. Encore un pas et je fus assez proche, profitant de son inconscience pour lui subtiliser habilement ses bijoux. Je défis le fermoir de son collier sans qu’un doigt ne frôle sa nuque, suivis du regard par cette bestiole sur son épaule. Un lézard qui, pleinement conscient de ce que je faisais, ne réagit pas tandis que je faisais glisser le collier hors du décolleté de la dame. De deux doigts, d’un geste à la fois doux et habile, je retirais la bague à son doigt, lui faisant alors brièvement les poches avant de m’intéresser à l’objet le plus à même de la sortir de sa torpeur. Me préparant à partir, j’enlevais délicatement la broche ornementée qui retenait son chignon, laissant sa chevelure se déployer. J’eus alors un pincement au cœur, la beauté sauvage de la jeune femme avec les cheveux volants ainsi au vent m’inspira soudain quelques tendres sérénades.  

Empochant mon larcin, je fis volte-face pour prendre discrètement la tangente, mais un murmure m’interrompit. Me retournant à moitié, le regard fixé sur la noble blonde, je la vis bouger les lèvres sans qu’aucun son n’en sorte. Revenant sur mes pas, j’entendis finalement ses mots marmonnés.

« « Jeu de fous ; l’éclair ambré se fait cueillir avec le sourire. La ronce ancienne le fait saigner. Son pion l’aide à se relever. » déblatéra-t-elle sans aucun sens, m’interpellant néanmoins à tenter de trouver la solution à l’énigme. Ou peut-être était-ce là un code, une information importante, ou bien cette femme était complètement ivre.

Elle tituba alors, me tirant de mes pensées. Réagissant par pur réflexe, je la rattrapais d'une main retenant ses épaules alors qu’elle commençait à pencher dans un angle dangereux, manquant de chuter grâce à moi. J’étais pris en tenaille entre l’envie de disparaître et d’empocher mon vol, ou rester là à l’aider. Jusqu’à me dire que l’un n’empêchait pas l’autre, elle ne m’avait pas vu après tout, j’espérais seulement que le lézard n’était pas doué de parole.

« Mademoiselle ? Excusez-moi de mon impolitesse, mais vous étiez sur le point de tomber. Tout va bien ? » lui demandais-je en la secouant légèrement afin de la sortir de sa torpeur.





© Fiche par Ethylen sur Libre Graph'


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Si la cipher pol alcoolisée sentit bien un truc se poser entre ses épaules alors qu’elle tanguait violemment, ses doigts aveuglés cherchèrent tout de même eux aussi un lieu où s’entortiller afin de la stabiliser davantage.
Après un raté - ou deux, ou trois. -, ils se crispèrent donc avec force, tremblants, sur un bout de tissu providentiel qu’ils finirent par rencontrer et qui ne lui appartenait obligatoirement pas.

Le subséquent secouement dont elle fut soudainement victime n’arrangea de son côté cependant guère ses affaires. Il put sembler à son sauveur qu’elle se mit à pâlir davantage, tandis qu’il s’essayait ainsi délicatement à finir de la réveiller de sa mauvaise torpeur.
Le temps que dura l’action pourtant gentillette du voleur, pendant qu’elle peinait toujours à tenir sur ses deux pieds, ses lèvres se transformèrent également en une ligne fine. Dans une ultime tentative pour ne vraiment pas dégobiller peut-être.

Tout allait pour le mieux, oui. Cela se voyait, non ? C’était sans doute ce qu’elle aurait répondu avec un sourire menteur et bravache, si elle avait été sûre d’avoir compris la question, ou avait bêtement été en état de parler correctement. Ou même avait simplement eu la capacité de rester convenablement debout, sans l’aide bienvenue d’un homme trop galant pour l’abandonner là.
Malheureusement pour elle, et même si son héros arrêta rapidement de la faire se balancer de plus belle, ouvrir la bouche dans le temps suivant ne fut pas une option acceptable. Pas davantage que d’arrêter de battre des cils telle une gamine effarouchée. Ainsi que de ne plus se tenir à cet inconnu, de ne plus déglutir par à-coups forcenés, ou de…

Plus tard, quand il lui parut voir moins noir quoique toujours trouble, un souffle tenant d’un micro soupir soulagé finit fort heureusement enfin par réussir à passer ses lippes sans trop de danger. Un « … Merci ? » poli et interrogatif fut ensuite difficilement croassé tout bas, de peur sans doute que causer trop haut puisse réveiller l’envie de vomir qui commençait à refluer.
Si ce n’était sinon parce que ses cordes vocales n’avaient pas terminé leur réveil forcé, et qu’un goût sec et peu agréable lui restait sur la langue malgré le fait qu’elle avait enfin récupéré de la salive propre.

Sa main emprisonnée dans la tenue ne s’en défit point avant qu’elle n’eût papillonné des paupières un bon moment de plus.
En gros, lorsque les petits tremblements qui agitaient son poignet se furent eux aussi plus ou moins calmés.

« ‘Suis navrée. »
Assura-t-elle finalement, au lieu de répondre aux interrogations que pouvait avoir le méconnu futur Sandstorms. Elle marmonnait toujours à moitié, encore inconsciente d’avoir été pillée.

La mèche de cheveux rebelles, qui venait maintenant jouer à chatouiller son nez, ne suffit guère sur l’instant à lui faire entendre ce fait. L’alcool abrutissait bel et bien toujours sa réflexion, à l’instar des restants de sa vision.
Au contraire, ses dernières ressemblances avec une coque de noix paumée sur une mer ivre paraissaient, elles par contre, se faire rapidement la malle tour à tour à présent. Même si, clairement, vu son trépignement pataud, elle n’était, dans la minute, toujours pas en état de naviguer seule longuement.

Par habitude, Lydia tenta maladroitement de lisser, une seconde à peine, les plis que sa poigne avait pu provoquer sur le vêtement amical.
Elle leva enfin son regard clair quoique troublé vers le faciès de son pilier temporaire, quitte à se tordre le cou pour le percevoir. Battit de nouveau des cils.

« Pourriez-vous… »
Personne ne saurait sans doute ce qu’elle avait désiré demander, elle incluse.
Une deuxième fois, la demoiselle Levi se remit en effet brièvement à chanceler. Sans être la seule, cependant : son compagnon fut lui aussi pris à partie par le raz-de-marée de têtes blondes qui, inopinément, les entoura et les importuna.

La nuée de similis d’insectes radieux et grouillants, provenant de nul part, se pressa à leur contact avec une affection démesurée. Des « Bonsoir ! » rieurs, presque insouciants, se mêlèrent à des demandes de piécettes répétées en cascade et furent agrémentés de fausses déclarations crève-coeurs et de peu justes compliments. Des menottes se tendirent au passage en masse, joyeuses et amicales, toucheuses de tout si on ne leur fournissait rien, avant de s’enfoncer en rythme dans des poches rapiécées.
Aussi prestement et gentiment qu’il était venu et les avait interrompus, le groupe de chérubins s’éloigna finalement avec des « Au revoir ! » à la limite du chanté.

***

Impossible de savoir depuis combien de temps ils avançaient, s’entraidant quand nécessaire. Était-ce plus proche des cinq minutes, des dix, ou des cent ? Dans tous les cas, cela lui paraissait une éternité qui atteindrait, avec de la chance, bientôt sa fin.
La sensation de chaleur douce, ressentie avant la vision, lui manquait sans qu’elle le sache vraiment. Ses veines étaient maintenant plutôt habitées par un feu douloureux, bien que motivant à se dépasser. Le vent, pourtant calme, lui claquait aussi les joues sans s’arrêter.

À bout de souffle, zigzaguant dans une énième ruelle qu’elle était presque sûre qu’ils avaient déjà passé vingt fois tant le taudis sur un côté ressemblait aux précédents croisés, Lydia ne se rappelait plus non plus déjà qui avait motivé l’autre à prendre les moujingues en chasse.
Peut-être était-ce elle. Ou lui. Ou les deux à la fois, d’un accord commun. Lorsqu’ils s’étaient chacun aperçus, avec un temps de retard, que leurs objets personnels avaient disparu suite au passage de la horde, aucun n’avait été fort heureux. Dans ses souvenirs confus, elle s’était même écriée un : « Oh bordel, les sales mômes ! Ils ont piqué ma bague ! » venu du fin fond du coeur. L’éloignement du restant de ses bijoux ou trésors la peinait en effet bien moins que la perte de ce petit bidule en particulier. Tous pouvaient se remplacer, contrairement à cet anneau-ci tant aimé. Jamâ…

Bref. Toujours était-il qu’ils couraient à présent. Ou marchaient en se tirant les bras, ce n’était pas franchement clair non plus et dépendait de l’instant. Oublié le moment gênant où un inconnu l’avait trouvée à marmonner un truc pas net à cause de symboles tous aussi peu clairs, mis de côté les angoisses et questionnements qu’elle avait. Il y avait à faire et c’était urgent.
L’alcool et la situation avaient beau leur avoir refilé des semblants d’ailes mal emplumées, divers aléas avaient malgré tout déjà eu raison d’une partie de leur endurance surprenante, ou les avaient empêchés de tomber jusque-là à bras raccourci sur les bambins excités.

Outre qu’elle n’avait pas eu le temps de totalement, totalement finir de récupérer comme leur duo s’était décidé à s'activer, les routes peu entretenues sur lesquelles ils s’acheminaient sans assez de précautions étaient les premières responsables de leur état à tous deux de moins en moins frais.
Les crevasses présentes se transformaient en des ennemis dangereux pour des gens au minimum pompettes, au maximum bourrés. - Leurs jambes avinées s’étaient plusieurs fois aperçues avec retard que le sol n’était pas obligatoirement très, très bien nivelé dans ce coin malfamé.

Parmi d’autres faits, il y avait de même eu une rencontre avec une pancarte vierge, mobile et abandonnée qui ne s’était pas très bien terminée pour l’objet. Le bleu qui s’étalait sur une de ses cuisses lui remémorerait demain qu’elle n’avait guère aimé non plus ce câlin-ci de son côté, s’il ne la faisait pas déjà boiter de temps en temps.
Il ne fallait pas oublier non plus l’espèce d'échoppe de rue nocturne, aussi, qui les fit maintenant et soudainement s’alentir. À force de foncer plus ou moins droit devant, ils embrassèrent ou caressèrent en effet en coeur de pauvres paniers mal tressés qui n’avaient rien demandé. Les dires peu ravis du marchand toujours en activité les invitèrent à presser temporairement le pas, une fois leur erreur dûment comprise. Juste par sécurité. S’évertuer à ramasser un à un les bidules en osier qui avaient chuté en cascade de l’étal sur leur passage brutal leur aurait fait perdre un temps trop précieux. Prendre le risque de devoir s’expliquer avec la garde ensuite, si elle osait venir par ici, les aurait trop retardé.

À l’instar de la fois où il s’étaient royalement plantés de direction, s’acoquiner avec les bannes (au point donc de presque les transformer en chausses et en simili de matelas peu agréable) les amena malencontreusement bel et bien à s’égarer dans leur poursuite héroïque. En conclusion, les chapardeurs les perdirent.
Incapables peut-être de songer qu’ils pourraient se faire aider par les soldats dans leur traque s’ils en croisaient, ou réellement peu désireux encore de s’y frotter, après une courte pause nécessaire bien cachés dans une ruelle, nos deux héros n’abandonnèrent cependant point leur quête personnelle. Et leur volonté paya, comme toujours, si ce n’était purement un fabuleux coup de chance de plus. On finit par retrouver sans faillir les traces laissés par un marmot en particulier.

Précédemment, une voix les avait attirés. Pour le coup, quelques piécettes s’étant échappées d’une poche mal reprisée servirent de miettes de pain dorées.
Pour résumer : sur la piste des enfants, les adultes avançaient donc de leur mieux. Presque inlassablement. Vaillamment. Formidablement. Ou pas vraiment.


***


« À droite. Non. L’autre droite. »
Chuchota-t-elle en tendant l’oreille, pour percevoir d’où provenaient les rires des gosses qu’ils entendaient de nouveau.
Ils prirent à gauche pourtant, sur une bonne intuition du jeune homme. En témoigna la forme floue de nains ou de gamins qui se dévoila brièvement à l’horizon.

Réussir à tenir tout le long du trajet avait étrangement redonné un tout, tout petit peu de lucidité à Lydia. Pas assez pour bien se concentrer ou taper un sprint, surtout en robe et vu sa fatigue, mais juste ce qu’il fallait pour penser maintenant à maintenir son regard assez fréquemment scotché au sol ou presque et éviter ainsi le plus possible certains problèmes qui risquaient de la faire tout bonnement s’évanouir à terme.
Au lieu de prendre le risque de le mirer dans les yeux, elle jeta donc un regard aux pieds de son compagnon de route. Ren. Il s’appelait Ren avait-il notamment dit, lorsqu’ils avaient échangé leurs prénoms après s’être côtoyés quelques minutes à la poursuite de leur but commun.

« Ils vont s’arrêter, un jour ? »
Bougonna-t-elle doucement, pas très fort, une vingtaine de pas plus tard.
Ce n’était pas qu’elle ne se sentait pas héroïquement capable de rattraper les joyeux courts sur pattes larrons quoi qu’ils fassent, non. Si on le lui avait demandé, elle se sentait toujours apte à cour… Marcher rapidement toute la nuitée. Sans doute. Avec des pauses toutes les quelques minutes. Peut-être. Au minimum. Ou un peu plus fréquents encore, les arrêts.
Son corps était bien peu en accord avec sa tête évidemment, mais ce n’était pas l’important. Si ?

Ce qu’elle voulait dire avec sa question, en tout cas, c’était qu’elle commençait à en avoir un petit peu marre de visiter les quartiers pauvres de leur magnifique cité pour pas grand, grand chose de satisfaisant, à part de menues notes de rire nerveux et une compagnie pas si désagréable.
Ce serait bien de pouvoir repartir se siffler quelques verres en paix, une fois leurs biens récupérés. Pourquoi pas à deux. Mais vite fait à présent, s’il vous plait.

Un truc qui ressemblait au feulement d’un chat peu content d’être importuné, dans la noirceur d’un coin paumé, la fit soudainement sursauter. Elle se retint une sempiternelle fois de tomber.
Le lézard sur son épaule, toujours bêtement muet, resta pour le coup complètement inamovible. Comme dépité.
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