La journée avait mal commencé.
La veille, Mama avait débarqué à Kage Berg depuis Tequila Wolf avec huit cents bagnards. Elle avait organisé la soirée pour les nourrir et pour leur trouver où loger dans les prés de son refuge animalier. Comme les siens et d’autres prisonniers qui s’étaient improvisés référents -comme Tempérance, une gamine et valet de l’Armée révolutionnaire qui avait orchestré la fuite massive- elle avait fait des quarts pour prévenir tout trouble. La nuit avait été courte mais le repos bienvenu.
Alors qu’elle venait de se lever, elle eut le malheur de s’apercevoir que le monde tournait déjà sans elle, et surtout pas comme elle l’avait prévu. Même si cela venait avec la bonne intention de lui venir en aide et de la décharger d’un énorme fardeau, cela lui mettait les nerfs en pelote. Parce que si elle n’aimait pas le pouvoir, une hiérarchie était nécessaire pour diriger un aussi grand nombre de personnes. Et par habitude, c’était elle la cheffe. D’ailleurs, elle était même la capitaine officieuse de son homme, Grant, et de son amie, Sasha, tout comme elle était la capitaine -officielle cette fois-ci- de la Barge des Barges, à l’époque où elle avait formé un équipage de Révolutionnaires indépendants.
Le petit déjeuner était déjà prêt : le café était coulé, les biscuits de marins confectionnés et cuits, et les propriétaires des vergers voisins leur avaient amené des cagettes entières de pommes !
Pire : les libérés s'étaient organisés d’eux même, et avec la complicité de la Marine locale ! Ils avaient décidé de prendre en main leur avenir. Si certains deviendraient fermiers ici même, d’autres partiraient avec le navire-abattoir à quai ou avec les bateaux qui feraient halte aujourd’hui, d’autres encore avaient réquisitionner la frégate avec laquelle ils s’étaient tous enfuis et sur laquelle ils s’étaient tous entassés pire que des marchandises sur un galion, et les derniers voulaient retrouver leurs proches. Elle n’avait plus rien à faire si ce n’était accompagner les orphelins et les parents sans avenir sur Innocent Island ! Il ne lui restait plus que la charge d’une centaine de personnes !
Mais le comble, c’était qu’une partie d’entre eux voulait la rejoindre dans son équipage !
Bien sûr, cela lui faisait énormément plaisir ! Et elle crevait d’envie d’en former un ! Mais elle avait toujours refoulé ce rêve pour ne pas l’imposer à son homme qui avait raccroché les gants du Révolutionnaire parcourant le monde pour sauver la veuve et l’orphelin.
Mais elle ne pouvait s’imaginer s’engager sans eux ni les forcer à le faire.
Cette déclaration lui faisait tellement chaud au cœur qu’il s’enflammait, que cela la meurtrissait profondément. Et elle en était d’autant plus douloureuse. D’autant plus frustrante.
En revanche, ce qu’elle ignorait, c’était que Grant et Sasha œuvraient derrière son dos pour monter un équipage révolutionnaire et lui dégoter un navire digne de ce nom ! Son amie timonière avait même pu discuter avec l’Atout Ragnar Ermutz, sur le Cuisino ! Pris d’affection et considérant leur parcours et leur volonté, l’Empereur avait accepté de devenir leur supérieur !
En fait, depuis ses mésaventures qui l’avaient conduites captive à Zaun -où elle avait été sauvée par l’Armée révolutionnaire sur un appel à l’aide de Sasha- les gris n’arrêtaient pas de se montrer insistants pour qu’elle les rejoignît. Elle avait toujours repoussé poliment leurs demandes, à contre-coeur. Grant et Sasha s’en étaient aperçus et avaient été peinés.
Mais ce n’était pas comme si elle jouait les gamines capricieuses en leur forçant la main quand quelque chose la faisait bondir et qu’elle voulait intervenir …
Alors c’était pour cela que l’ancien Révolutionnaire et la timonière voulaient lui réserver cette surprise.
Malgré ce début de journée qui avait mis de mauvais poil l’intéressée, c’était le bon moment pour la lui dévoiler !
Cela faisait de longues secondes que Mama restait mâchoire et poings serrés. Un référent des libérés, gonflé d’admiration et de volonté le veille au soir, lui avait annoncé son envie de former son équipage. Mais aujourd’hui, devant une Mama mal léchée, tout orgueil s’était débiné et avait été immédiatement remplacé par un déferlement d’appréhension et de doutes.
Grant regardait le spectacle d’un œil amusé, riant sous cape. Connaissant sa femme, il savait qu’il lui fallait intervenir pour tenter d’apaiser la situation. Mais connaissant sa femme encore plus, il ne put s’empêcher de l’asticoter davantage. De touiller les braises pour les raviver ! Au moins, si les flammes naissantes devaient dévorer quelqu’un, ce serait lui. Et lui, il était habitué à les éviter !
— Bah alors ? Tu dis rien ?!
Elle le fusilla du regard. Il n’aurait pas dû le savoir -sauf que Sasha lui avait raconté que sa femme s’était livrée à elle sur les raisons profondes de son refus d’engagement à bord du Cuisino- mais Mama le tenait responsable de ses refus d’engagement dans l’Armée révolutionnaire et le voilà qui venait fanfaronner ! Alors que plus que jamais elle rêvait que ce fût le cas autant qu’on la laissât tranquille. Plus que jamais le fil sur lequel elle marchait en équilibre était fin et le précipice sur lequel il donnait était profond ! Mais plus que jamais l’autre rive n’avait été aussi proche !
Et il venait la piquer avec un bâton alors qu’elle avait toujours œuvré à reculer, pour lui, malgré la tentation, sans tomber !
Si elle était souvent un taureau qui voyait facilement rouge, elle parvenait de mieux en mieux à s’intimer au calme. Et elle le fit. Miraculeusement !
Les yeux fermés, elle expira aussi longuement que profondément, en décrispant sa mâchoire et ses poings. Oublier tous les tracas depuis le réveil … Oublier la provocation … Répondre … Refuser poliment et expliquer …
C’était bon. Elle rouvrit les yeux et répondit aussitôt :
— Je suis désolée. J’en ai pas l’air à cause des circonstances qui me mettent en rogne, mais ta proposition me fait on-ne-peut-plus plaisir. Malheureusement, je me vois dans l’obligation de refu…
— MAMA ! MAMA ! VIENS VITE ! Y’A UN BATEAU CHELOU QUI ARRIVE !
Ni une, ni deux, Mama fonça tête baissée en direction du port. La seule perspective logique qu’elle avait en tête était alarmante : la Commandante Ambrosias venait lui capturer les fuyards.
Après tout, elle lui avait prêté main forte durant l’assaut des pirates et des zombies de Kutrosinski, avant d’aider les prisonniers à s’enfuir … Et la gradée savait où la trouver, puisqu’elle était venue lui accorder son savoir de vétérinaire quand les moutons du refuge animalier avaient contractés une maladie parente de la rouboule du mouton de Tanuki …
Une fois dépassée par sa capitaine officieuse qui se ruait au port, Sasha adressa un large sourire satisfait à Grant qui, pour toute réponse, opina du chef de manière entendue, le pouce levé en l’air.
Avant de talonner sa femme accompagné de leur amie, il dit au libéré un peu perdu émotionnellement :
— Tu devrais nous suivre, ça t’intéresse aussi !
Au large, une frégate à la coque verte se découpait rapidement de l’horizon. A la place du château, un immense dôme de verre plat brillait et reflétait le soleil. Mama, méfiante, fronçait les sourcils. Malgré son ordre d’éloigner les fuyards de Tequila Wolf d’une éventuelle chasse à l’homme pour les ramener de force au bagne, ces derniers s’étaient massés derrière elle, tout comme la Marine et nombre de locaux.
La seule bonne nouvelle, croyait-elle, c’était qu’il ne s’agissait pas de la Commandante Ambrosias.
La veille, Mama avait débarqué à Kage Berg depuis Tequila Wolf avec huit cents bagnards. Elle avait organisé la soirée pour les nourrir et pour leur trouver où loger dans les prés de son refuge animalier. Comme les siens et d’autres prisonniers qui s’étaient improvisés référents -comme Tempérance, une gamine et valet de l’Armée révolutionnaire qui avait orchestré la fuite massive- elle avait fait des quarts pour prévenir tout trouble. La nuit avait été courte mais le repos bienvenu.
Alors qu’elle venait de se lever, elle eut le malheur de s’apercevoir que le monde tournait déjà sans elle, et surtout pas comme elle l’avait prévu. Même si cela venait avec la bonne intention de lui venir en aide et de la décharger d’un énorme fardeau, cela lui mettait les nerfs en pelote. Parce que si elle n’aimait pas le pouvoir, une hiérarchie était nécessaire pour diriger un aussi grand nombre de personnes. Et par habitude, c’était elle la cheffe. D’ailleurs, elle était même la capitaine officieuse de son homme, Grant, et de son amie, Sasha, tout comme elle était la capitaine -officielle cette fois-ci- de la Barge des Barges, à l’époque où elle avait formé un équipage de Révolutionnaires indépendants.
Le petit déjeuner était déjà prêt : le café était coulé, les biscuits de marins confectionnés et cuits, et les propriétaires des vergers voisins leur avaient amené des cagettes entières de pommes !
Pire : les libérés s'étaient organisés d’eux même, et avec la complicité de la Marine locale ! Ils avaient décidé de prendre en main leur avenir. Si certains deviendraient fermiers ici même, d’autres partiraient avec le navire-abattoir à quai ou avec les bateaux qui feraient halte aujourd’hui, d’autres encore avaient réquisitionner la frégate avec laquelle ils s’étaient tous enfuis et sur laquelle ils s’étaient tous entassés pire que des marchandises sur un galion, et les derniers voulaient retrouver leurs proches. Elle n’avait plus rien à faire si ce n’était accompagner les orphelins et les parents sans avenir sur Innocent Island ! Il ne lui restait plus que la charge d’une centaine de personnes !
Mais le comble, c’était qu’une partie d’entre eux voulait la rejoindre dans son équipage !
Bien sûr, cela lui faisait énormément plaisir ! Et elle crevait d’envie d’en former un ! Mais elle avait toujours refoulé ce rêve pour ne pas l’imposer à son homme qui avait raccroché les gants du Révolutionnaire parcourant le monde pour sauver la veuve et l’orphelin.
Mais elle ne pouvait s’imaginer s’engager sans eux ni les forcer à le faire.
Cette déclaration lui faisait tellement chaud au cœur qu’il s’enflammait, que cela la meurtrissait profondément. Et elle en était d’autant plus douloureuse. D’autant plus frustrante.
En revanche, ce qu’elle ignorait, c’était que Grant et Sasha œuvraient derrière son dos pour monter un équipage révolutionnaire et lui dégoter un navire digne de ce nom ! Son amie timonière avait même pu discuter avec l’Atout Ragnar Ermutz, sur le Cuisino ! Pris d’affection et considérant leur parcours et leur volonté, l’Empereur avait accepté de devenir leur supérieur !
En fait, depuis ses mésaventures qui l’avaient conduites captive à Zaun -où elle avait été sauvée par l’Armée révolutionnaire sur un appel à l’aide de Sasha- les gris n’arrêtaient pas de se montrer insistants pour qu’elle les rejoignît. Elle avait toujours repoussé poliment leurs demandes, à contre-coeur. Grant et Sasha s’en étaient aperçus et avaient été peinés.
Mais ce n’était pas comme si elle jouait les gamines capricieuses en leur forçant la main quand quelque chose la faisait bondir et qu’elle voulait intervenir …
Alors c’était pour cela que l’ancien Révolutionnaire et la timonière voulaient lui réserver cette surprise.
Malgré ce début de journée qui avait mis de mauvais poil l’intéressée, c’était le bon moment pour la lui dévoiler !
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Cela faisait de longues secondes que Mama restait mâchoire et poings serrés. Un référent des libérés, gonflé d’admiration et de volonté le veille au soir, lui avait annoncé son envie de former son équipage. Mais aujourd’hui, devant une Mama mal léchée, tout orgueil s’était débiné et avait été immédiatement remplacé par un déferlement d’appréhension et de doutes.
Grant regardait le spectacle d’un œil amusé, riant sous cape. Connaissant sa femme, il savait qu’il lui fallait intervenir pour tenter d’apaiser la situation. Mais connaissant sa femme encore plus, il ne put s’empêcher de l’asticoter davantage. De touiller les braises pour les raviver ! Au moins, si les flammes naissantes devaient dévorer quelqu’un, ce serait lui. Et lui, il était habitué à les éviter !
— Bah alors ? Tu dis rien ?!
Elle le fusilla du regard. Il n’aurait pas dû le savoir -sauf que Sasha lui avait raconté que sa femme s’était livrée à elle sur les raisons profondes de son refus d’engagement à bord du Cuisino- mais Mama le tenait responsable de ses refus d’engagement dans l’Armée révolutionnaire et le voilà qui venait fanfaronner ! Alors que plus que jamais elle rêvait que ce fût le cas autant qu’on la laissât tranquille. Plus que jamais le fil sur lequel elle marchait en équilibre était fin et le précipice sur lequel il donnait était profond ! Mais plus que jamais l’autre rive n’avait été aussi proche !
Et il venait la piquer avec un bâton alors qu’elle avait toujours œuvré à reculer, pour lui, malgré la tentation, sans tomber !
Si elle était souvent un taureau qui voyait facilement rouge, elle parvenait de mieux en mieux à s’intimer au calme. Et elle le fit. Miraculeusement !
Les yeux fermés, elle expira aussi longuement que profondément, en décrispant sa mâchoire et ses poings. Oublier tous les tracas depuis le réveil … Oublier la provocation … Répondre … Refuser poliment et expliquer …
C’était bon. Elle rouvrit les yeux et répondit aussitôt :
— Je suis désolée. J’en ai pas l’air à cause des circonstances qui me mettent en rogne, mais ta proposition me fait on-ne-peut-plus plaisir. Malheureusement, je me vois dans l’obligation de refu…
— MAMA ! MAMA ! VIENS VITE ! Y’A UN BATEAU CHELOU QUI ARRIVE !
Ni une, ni deux, Mama fonça tête baissée en direction du port. La seule perspective logique qu’elle avait en tête était alarmante : la Commandante Ambrosias venait lui capturer les fuyards.
Après tout, elle lui avait prêté main forte durant l’assaut des pirates et des zombies de Kutrosinski, avant d’aider les prisonniers à s’enfuir … Et la gradée savait où la trouver, puisqu’elle était venue lui accorder son savoir de vétérinaire quand les moutons du refuge animalier avaient contractés une maladie parente de la rouboule du mouton de Tanuki …
Une fois dépassée par sa capitaine officieuse qui se ruait au port, Sasha adressa un large sourire satisfait à Grant qui, pour toute réponse, opina du chef de manière entendue, le pouce levé en l’air.
Avant de talonner sa femme accompagné de leur amie, il dit au libéré un peu perdu émotionnellement :
— Tu devrais nous suivre, ça t’intéresse aussi !
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Au large, une frégate à la coque verte se découpait rapidement de l’horizon. A la place du château, un immense dôme de verre plat brillait et reflétait le soleil. Mama, méfiante, fronçait les sourcils. Malgré son ordre d’éloigner les fuyards de Tequila Wolf d’une éventuelle chasse à l’homme pour les ramener de force au bagne, ces derniers s’étaient massés derrière elle, tout comme la Marine et nombre de locaux.
La seule bonne nouvelle, croyait-elle, c’était qu’il ne s’agissait pas de la Commandante Ambrosias.
Dernière édition par Mama Boutanche le Dim 31 Juil 2022, 17:57, édité 2 fois