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Feu Follet

-Bonjour!
-’lut.
-Salut, tu vas bien ?
-Ouais, et...
-… Eh, Mimi, regarde!

Il lui montre le journal ; puis son Denden.

-Ahahahah, sérieusement.
-Bon, vous vous sortez les doigts du cul ? Moi je vous préviens, j’ai le compte des planches à faire, je gère pas le reste, vous vous démerdez ! En plus j’ai mal à la tête et j’ai des hémorroïdes, ça me casse les couilles !
-En fait, je venais vous voir, pour savoir où en était Guy Le Loup. Pour mon bateau.
-Mmmf.
-Moi je suis claqué, je vais dormir un moment.
-Putain Mimi tu saoules, t’es encore arrivé à la bourre ce matin, c’est chiant !
-Qu’est-ce que tu veux que je te dises ?
-… vous êtes du coin ?
-Bah ouais, pourquoi ?
-De l’île où y’avait les courses de wavers, mais on va pas tarder à partir avec mes parents, y’a plus rien ici. Même si j’arrive encore à pécho, euheuheuh !
-Ah, ça a marché hier?

Le gros fait un truc dégueu avec sa bouche. Je commence à me demander avec qui je suis tombée. Trois jours que j’essaye d’avancer avec cette équipe, et je le sens déjà plus du tout. Hier, ils disaient déjà plus tous bonjour ; m’envoyaient chier ailleurs si j’y suis à la moindre demande d’explication technique. Et bordel ! Vu le projet, il y a moyen que j’en ai, des questions, des attentes, des doutes, non ? Un bateau arc-en-ciel, capable de croître en naviguant, et capable d’affronter Grand Line comme si c’était une putain d’armada ! Mais non, ils s’en foutent, voient ça comme remplir un registre de présence dans une caserne de la marine. La gamine, qu’a l’air mille fois plus hargneuse que moi, finit par me répondre.

-Guy est rentré plus tôt aujourd’hui. Il a mal au dos.
-Et du coup, vous faites quoi ?
-Non mais tu as vu comment tu me parles ! Merde, deux jours qu’on bosse avec toi et on peut déjà plus te blairer, tu réalises??

BEIGNE DANS TA GUEULE...

Pas retenue celle là. Eclatée, elle est, la gamine. Raide. Sur le carreau, les yeux qui se disent bonjour entre eux, fini, je l’entendrai plus gueuler. Ça a réveillé l’autre gland, là, avec son physique d’asperge et sa petite gueule de prétentieux. Voit pas le danger. Se pointe trop prêt. L’ouvre.

-Ça se fait pas ce que tu as fait, là, la marine va arriver, et tu sais ce que tu risques ? Non ? Et bah il serait temps de t’y intéress...

ET TU BAIGNES…

Celle la non plus. Dans la bouche, pour plus l’entendre, le camé donneur de leçons, le branleur qui se prend pour le sel de la terre, le putain de coton tige qui s’imagine en tigre à grosses couilles ! Il rejoint sa pote dans la poussière, j’ai les mains rouges. Les yeux aussi, que je fixe sur l’autre gros tas de merde, toujours en train de bouffer de la merde, toujours en train de dire de la merde, pas foutu d’être poli, bordel, c’est compliqué d’être poli ? Même moi j’en suis capable ! Je vais me le faire ! Je vais me le faire, et pas comme il aimerait le salaud ! Il cause encore moins que d’habitude tellement il est blanc, au moins il dit moins de conneries !

DANS TON SANG !

Coup de coude dans les cotes, direct mâchoire, il s’effondre sous son poids comme une charpente sous l’incendie. J’ai les pieds collés dans une mare de sang, l’envie me monte de m’acharner sur eux. Je vais pour céder à la pulsion, à cogner comme une masse, comme la putain de justice qu’est pas de ce monde, mais quand je me retourne, la forêt est en feu. Je suis en feu. Bordel je suis en feu ! C’est pas possible avec le sheitan, le démon de la mer, mais je suis en feu ! Et les corps brûlent aussi, et l’île, et l’archipel, et la Sans-Nom crie :

« LE TEMPS PRESSE ! RÉVEILLE TOI ! »
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Ah que de beuh putain de quoi ?

-Serena, lève toi, tu veux ? Une grosse journée t’attend.

… La Sans-Nom. Un cauchemar. Le temps presse pas du tout au final, c’est ma tête qu’est toute pressée. Elle est même toute douce, la Sans-Nom, surtout depuis que je suis devenue officiellement une fille de l’archipel. Je dormais sur un lit de feuilles, à moitié à poil, à moitié en treillis, des colliers faits du bois de l’île enchevêtrés sur la poitrine. Hier, on a fait la fête, j’ai du trop forcer sur la gnôle. Ça me réussit pas la gnôle, ça me ramène à des visages ennemis quand ça m’en fabrique pas. J’ai un goût d’huile rance dans la bouche, que je chasse d’une gorgée de thé bien brassée. J’en crache même un peu, autant par respect pour le sol vivant que pour oublier ma nuit.

Je remets les cases en place.

Ça fait déjà plusieurs mois que les planches de mon bateau ont été taillées dans les arbres désignés (et sans doute un peu auto-désignés, même si le concept me semble toujours un peu exotique, d’autant qu’ils ne se sont plus jamais manifestés à moi. Je rêve plus d’humains que d’arbres ces jours, à mon grand regret), et mises à sécher à l’abri. La construction peut enfin commencer. Elle va durer un mois, au moins, et pendant ce temps, il faut que je finisse de convaincre du monde de prendre part à ce nouveau chapitre qui s’ouvre. Il y a des candidats ; mais pas dit que leurs promesses en soient vraiment. Ici, tout le monde est attaché au sol, et l’idée d’aller vers l’incertain, peut-être vers la violence aussi, ne ravit personne.

Il va aussi falloir que je bosse avec les charpentiers, que j’apprenne tout sur ce bateau pour pouvoir le comprendre, l’observer, en prendre soin. Que je travaille au corps certains chasseurs, qui ont l’écoute et le doigté pour devenir de bons navigateurs. La navigation, je connais un peu, j’en ai bouffé quand j’étais jeune recrue, mais pas au point de pouvoir sentir les vents tourner et les mouvements subtils de l’océan sous le pont. Et bordel, que j’aimerais que la Sans-Nom en soit !

-Prends ta tasse de maté, tu veux ?

Façon de parler, elle en a qu’une, qu’elle remet à niveau et qu’elle me tend. Je bois, rempli de nouveau, lui redonne. Le va et vient de la tasse dure un moment, pendant lequel je concasse des noix géantes que je grignote par petits morceaux. Le silence s’étend autant que les bruissements de la forêt prennent de la place.

-La Sans-Nom, viens avec moi.
-Non.
-S’il te plait.
-C’est toujours non.

Je plonge mon regard dans le sien, mais je me sens vite, mais alors très vite très très con. Je hausse les épaules, ramasse ma chemise que je passe en vitesse, et je descends de la petite montagne où vit la Sans-Nom. Il faut que je passe au village, voir les chasseurs, et essayer de ramener autre chose que des curieux sur le chantier.

Je débaroule sur le sentier, en faisant voler le gravier et l’humus dans les fougères. Mes pieds nus sont devenus plus fiables que des santiags, j’ai l’impression de voler.

Mais quand j’arrive au village, paf, personne. Mes deux mains à jeter à la mer qu’ils sont tous déjà là-bas, intéressés, curieux, connaisseurs, enfants avec leurs parents, chiens et tortues avec leurs chasseurs, la totale. Même les insectes ont l’air d’avoir pris leurs baluchons et d’avoir levé le camp. Tant pis pour l’anticipation, j’accélère le rythme, quand je bute dans un truc mou. Tellement mou que mon pied se prend dedans et paf, la gravité, le sol toujours trop près de la tête, la bosse qui pousse instant’. Grah.

-Tourterelle !
-… non ?

Je viens de calculer que je suis en train de refaire le puzzle de mes neurones sur un énorme chien adipeux et plein de poils, qui a pas l’air de se formaliser des masses du fait qu’il me serve de tapis, puisqu’il me lèche la figure avec tellement d’entrain que j’ai l’impression de me noyer dans la bave. Je le repousse, mais ça me fait marrer au fond.

-Tourterelle, sérieusement ?
-Mon chien. Tu vas bien ?
-Au poil. Serena, si jamais. Je crois pas t’avoir déjà vu au village.
-Samok ! Je suis le fils de Naya et Krain, le chasseur. J’étais parti en voyage, je viens de revenir. Des explorateurs m’ont déposé, l’archipel était sur leur route. Ils doivent recharger leur log pose pas loin de l’avant poste.

On se serre pas la main, on se prend à l’épaule et on s’enlace en riant, selon les habitudes du coin. Moi qu’on pouvait pas toucher avec un bâton, ça m’a soignée façon vas-y que je t’apprends à nager en te balançant à l’eau du haut d’un galion de vingt mètres de haut. Et puis, je lui raconte tout, le nettoyage de l’archipel, la place que j’y ai trouvé, les voix des arbres dans ma tête ; lui me raconte un peu une face de Grand Line que je connais pas plus que ça, à base de poissons et de bêtes rares, de barrières de corail, de paysages. Il ressemble aux chasseurs de l’île, mais habillé d’un uniforme de marin malgré ses pieds nus. Et il porte la barbe, là où son père et les autres sont les seuls du village à se raser de près et à garder les cheveux courts, pour ne pas être gênés en bataillant dans les embruns. Il a tout du contemplatif rigolo, pas prise de tête, mais qui a du mal à rester en place. Il me faut pas longtemps pour me dire que lui, son énorme bestiole et ses histoires, tout ça aurait une place sur mon bateau.

Parce que, et je lui explique d’ailleurs chemin faisant, ce bateau, c’est mieux qu’un bateau, c’est une république indépendante ; on y respecte des lois qui ne sont celles d’aucun état, et n’importe qui peut aussi s’y réfugier et trouver un ordre nouveau. C’est un Grey T. inversé. Ni statique, ni injuste, ni ultra-violent, ni dominé par des cracks complètement débiles ; toujours libre et en mouvement, habité par des gens biens, et accueillant. Une putain d’oasis qui se promènerait sur Grand Line pour y faire du bien dans tous les rangs, en faisant comme si les clivages n’existaient pas, comme s’il y avait que l’humanité et le sang.

Et en plus, cette oasis, elle grandirait avec son équipage et ses réfugiés. Jusqu’à devenir, au fil des ans, une arche, immense, digne du nouveau monde.
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En suite à ce post-là.

Aimé a écrit:Nous sommes arrivés sur cet Archipel le cœur serré de l’évidence qu’il s’agissait de notre dernier espoir.

Cela avait commencé quelques semaines plus tôt. Le punk n’allait pas bien. Du tout. Le point de départ avait été son retour de la petite île où ils étaient allés chercher des provisions pour l’attrape-rêve avec Lilou. Nous les avions attendu seulement deux jours. Deux jours. Et puis, tout magistralement Kiril, lorsqu’il avait posé le pied sur la couverte avait déclaré d’un sourire triomphant qu’il arrêtait la gnôle. Si j’avais cru à une blague ? Non. Mes sourcils se croisaient presque lorsque mon cœur bondit. Je le connaissais assez pour être surpris, parce que je savais plus que personne qu’il n’y avait jusque-là jamais même songé. Il acceptait goulument sa dépendance. Elle faisait partie de son identité. Elle était son style de combat, son accent, son argot, sa manière d’habiter le monde. Honnêtement et étrangement vous me direz, je n’avais même pas été heureux de cette déclaration soudaine. J’avais du mal à croire qu’il s’agissait d’une bonne chose. C’était étrange n’est-ce pas ? Je sentais l’os sous le tapis. Mais j’avais tout de même soutenu mon ami. Je le soutiendrais toujours. Yarost, lui, marquait sur son front une ride d’inquiétude que je ne lui connaissais pas. Je n’aurais pas dû l’oublier. Après tout, le petit lézard était sans doute l’être vivant qui comprenait le plus Kiril.

Et puis, nous avions bien été obligé de constater que le punk tenait parole. C’était un tout nouvel homme. A vrai dire, il avait un tout nouvel objet de passion. C’était L. Ils avaient finalement passé le cap. Ils brûlaient ensemble d’un feu doux et chaleureux. Une romance qui parfumait la couverte de la double-coque d’autre chose enfin que l’odeur trop forte du Panaché de l’île de l’Impasse. Désormais c’était L&K, ivres de leur récente confession (tant attendue de tous, d’ailleurs, parce que nous n’en pouvions plus d’être les spectateurs de leur comédie.)

Le problème, c’était justement que Kiril n’avait fait que remplacer l’objet de sa dépendance. Désormais, il était enivré d’L. Que se passerait-il quand… ?

Mais j’avais baissé ma garde. Tous, nous l’avions. L’homme qu’il était rempli de l’amour pour et de Lilou m’avait convaincu. Il me parlait de ses sentiments et de ses rêves très ouvertement, avec la sincérité du cœur brûlant. Et puis il s’intéressait de plus en plus à autre chose qu’à la fuite : nous lisions ensemble les astres, avec Linus les livres de chimie et il nous racontait même des épisodes de son enfance jusque-là gardée secrète sur Lynbrook. Les conversations se terminaient simplement lorsqu’il tombait de fatigue. Je le ramenais dans sa cabine et découvrais toujours ce même visage. Celui d’un homme que je ne reconnaissais pas.

Cela a duré quelques semaines.

Et puis, un jour. Certainement lorsque vint le temps pour la pure passion de laisser sa place à l’étape prochaine, celle où ne peut plus seulement s’enivrer, celle où il faut désormais construire le foyer de confiance, les fondations qui permettront la solidité prochaine, ce jour les délires de Kiril ont commencé.

Son organisme physique et cérébrale cherchaient et ne trouvaient plus aucune source d’ivresse.

Nous étions tous fautifs. Nous étions trop heureux. Lilou comprit très vite ce qui était en train de se passer, ce qu’il s’était passé, et qu’elle avait profité d’un état de lui absolument temporaire, et qu’elle avait été un substrat à son poison quotidien, et je voyais bien que mon amie ne savait plus du tout quoi penser. J’ai dit à la Rousse qu’elle ne devait pas s’en vouloir d’être tombée en amour, qu’après toutes ces années d’attente elle l’avait plus que personne mérité, et que j’avais personnellement été heureux de voir K ouvrir autre chose que le bouchon de sa topette. Tout cela ne pouvait en aucun cas être facile. Jeliev ? C’était un gros morceau. Il ne s’était pas arrêté une seule fois de boire depuis son départ de Lynbrook en 1622.

Avant que les tremblements arrivent, j’avais vu Kiril conscient. Il s’était dirigé lentement vers la cale du bateau. Il avait réuni ses dernières forces pour remonter les derniers tonneaux sur le pont. Il avait regardé longuement Lilou et il lui avait dit « Je te l’ai promis ma Rousse. » et puis il avait jeté par-dessus bord tout ce qu’il restait d’alcoolisés sur le bateau. Dans la poche intérieure de sa redingue, il avait regardé sa topette, il allait pour l’offrir à la mer quand Yarost l’arrêta avant de filer avec Rosita. K s’écroula par terre.

Le jour qui suivait, son feu s’était transformé en violente fièvre. Il transpirait et vomissait, il se plaignait d’être cogné au crâne avec un marteau, il hurlait qu’on arrête. Le jour suivant, nous étions devenus ses bourreaux. Il se transformait en Komodo et menaçait de tous nous faire baigner dans notre sang. Il était persuadé que nous étions les responsables de ses migraines. Lilou arrivait à le maîtriser par la force mais je voyais que tout ça lui faisait violence.

Un jour, Kiril faillit atteindre le point de non-retour : le Monster Point. Il était devenu noir d’Haki et puis il commençait graduellement à augmenter en taille. Il avait failli nous couler tous avant que Linus ne balance une énorme bassine d’eau de mer sur lui. Il s’était effondré sur place. Nous avions décidé de nous relayer constamment au cas où cela arriverait encore. Après tout, nous étions au milieu de l’océan, en fuite, sans nulle part où aller, nulle part où rentrer.

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