« J’invente des histoires lorsqu’il part seul.
_ Pour tenter de vous assurer qu’il reviendra sans plus de dégâts et en vie ? »
Lydia hocha la tête, confirmant son aveu douloureux. Les divinations qu’elle faisait ne lui suffisaient pas dans ce cas-là.
« Je comprends. Mais, si vous me le permettez, ça ne répond pas à mon autre question : pourquoi ne prenez-vous pas davantage de pauses ? Cela faisait des semaines que vous n’étiez pas revenue.
_ … Ces ineptes contes ne me suffisent guère plus. »
Il y eut un court silence, avant et après sa dernière réponse. La domestique finit par soupirer, une fois le regard légèrement mélancolique de sa jeune maîtresse rencontré dans le miroir auquel elles faisaient toutes deux face.
« Je suis désolée, mademoiselle.
_ Rien n’est de votre faute.
_ Peut-être que si nous avions fait quelque chose d’autre, un temps où…
_ Croyez-vous vraiment que cela aurait rendu Jamâl différent ?
_ Je ne sais pas.
_ Alors pourquoi vous en inquiétez-vous ? »
S’étonna doucement la fille de la famille en réponse, oubliant très temporairement qu’elle en faisait de même bien, bien trop souvent. Mais elle était la soeur jumelle du têtu idiot silencieux dont il était question. Alors elle, elle en possédait le droit, n’est-ce pas ?
« Avez-vous bientôt terminé votre ouvrage ? Dame Esenberg doit attendre seule. Encore. »
Le temps des confidences, avec la servante qui l’avait accompagnée faire ses quatre-cent coups d'adolescente, touchait là à sa fin. La femme avait déjà reçu de la donzelle qu’elle avait vu grandir plus d’informations que cette dernière n’en avait jamais donné à personne sur ce sujet qui la peinait. C’était assez.
Enfin. À choisir, Lydia aurait peut-être préféré continuer à déballer tous ses tourments à sa domestique personnelle, plutôt que de devoir se taper la présence de la connaissance de sa génitrice.
***
L’invitée avait été installée dans l’un des salons par le majordome rêvant de s’en débarrasser. L’homme avait, comme à son habitude, fait son travail parfaitement.
Il avait notamment fourni à cette personne non désirée de quoi se sustenter, le temps que n’importe quelle personne du coin portant le nom Lévi puisse se libérer afin d’essayer de la divertir, ou que la matriarche soit disponible pour la recevoir.
Lorsque sa jeune hôtesse éphémère pénétra dans la salle, la mégère avait déjà bien entamé le stock de petits gâteaux fins et de thé mis à sa disposition. Elle dût donc épousseter sa jupe en taffetas, dans le but d’en virer quelques traîtres miettes. Oublia les autres brisures qui parsemaient les contours de ses lippes, au même titre que quelques ulcères débutants.
Son épais maquillage, qui rendait les pustules presque invisibles, retenait également aisément la nourriture perdue collée dessus. Sans doute pour nourrir davantage sa propriétaire toujours affamée plus tard.
« Ah ! J’espérais bien vous voir ! »
Les civilités d’usage furent de même elles aussi vite balayées, devant l’air soudainement radieux de la noble en balade.
« Ne désiriez-vous vous entretenir avec Mère ?
_ Bien sûr que si. » Répliqua l’Esenberg d’un ton rempli d’une rapide commisération, tout en incitant Lydia à s’approcher d’un signe de la main. « Mais votre sort me préoccupe, nous devons donc en parler. Comme je le disais justement la dernière fois à votre si chère maman, depuis quelques temps vous m’avez l’air d’avoir bien grise mine. Il faut changer cela. »
Et la vieille, après avoir asséné un discours mixant des remarques peu flatteuses sur Jamâl ou sur la fin de leurs “vacances” en duo - Comment sait-elle cela ? -, des conseils sur la tenue de la plus jeune qu’elle jugeait charmante quoique trop peu pratique pour mettre assez ses charmes en valeur, des comparaisons juteuses avec son propre quotidien et d’autres dires disparates sans aucun lien, porta finalement son coup de grâce en offrant une piste qui permettrait soit-disant de régler une partie des tracas de l’âme infortunée qu’elle avait sous son regard aimant depuis peu de minutes.
« Employez-vous dans un premier temps à sortir souvent, mais pas seule. Uniquement en très bonne compagnie. Et puisqu’aucun riche sot de saint-Urea ne semble convenir ici pour cette dernière partie, je vous en ai trouvé un fort intéressant venu d'ailleurs. Il vous sera utile pour ce soir déjà, mais n’hésitez pas à l’utiliser autant que vous pourrez le désirer. Ce tant que la bougeotte ne vous reprendra pas, bien sûr.
_ Ce n’était… vraiment pas nécessaire.
_ Mais si, mais si. »
Elle tapota les doigts de la blondinette souriante, légèrement abasourdie par la vague d’informations qu’elle s’était prise en pleine poire. C’était voulu ; l’ancienne ne souhaitait aucune contradiction, elle qui, dans sa grande sagesse, avait pris les choses en main dans le but de mener Lydia vers la félicité même contre son gré.
“Parler d’un souci“ signifiait, en effet, dans son dictionnaire, donner des ordres ou des conseils, puis voir les choses évoluer ensuite comme elle les entendait. Sans interruption, qu’elle soit ou non de la part de la fille d’une amie.
« Pendant que nous sommes sur ce sujet… » Un reniflement souligna son commentaire à venir.
« Ne soyez pas radine envers vous-même, voulez-vous. Si ce jeune homme vous complaît au moins un peu, essayez-vous aux bagatelles avec. Cela devrait rafraichir au moins davantage légèrement votre teint, même si vous ne réitérez point cette expérience-ci. »
Silence. Il fut, étrangement peut-être, bien difficile pour la cipher pol de se retenir de grimacer. Ou de ne pas briser - fort, fort délicatement - un des doigts pâles qui osaient la toucher. L’envie de retourner boire revint déjà la hanter, à l’instar des précédentes visites de la dévoyée veuve.
« … Et s’il me déplaît ou qu'il m'ennuie mortellement ? »
S’enquit-elle cependant péniblement, en serrant les dents, puisqu’on attendait d’elle qu’elle fasse au moins un peu la discussion même si le sujet ne l’intéressait encore moins que les habituels.
Celle qui se voulait bonne fée, et qui n’avait pas perçu la deuxième depuis des semaines quoi qu’elle puisse dire, en rit fièrement.
« Ayez confiance en moi : cela n'arrivera pas. »
La veuve haussa rapidement les épaules, avant de se resservir une petite tartelette appétissante.
« Vous pourrez sinon toujours vous distraire à essayer une fois encore de vous faire aimer. » Un gloussement. « Cela vous occupera agréablement. »
Pour occuper son corps et éviter de faire lire son agacement, l’hôtesse des deux prit à son tour dans une de ses mains de quoi grignoter, se concentra une seconde dessus. L’autre, après une bouchée qui orna un peu plus ses lèvres de miettes, en profita pour continuer à soliloquer.
« Ce fabuleux garçon vous rejoindra pour l’heure du dîner ce soir, dans ce si charmant petit restaurant près de la muraille. Vous voyez lequel ? Celui avec les briques recouvertes de fleurs. »
Un de ses lieux préférés dans ce quartier luxueux, collé à l’entrée de l’enceinte bien gardée qu’elle utilisait habituellement pour fuir ses tracas. L’agent du gouvernement releva son menton en le notant.
« Co…
_ Ne soyez pas en retard, ou le pauvre homme en sera bien triste. Et remettez la petite robe que je vous avais vu la dernière fois. Elle vous va bien mieux que ces… Créations. »
Vu le ton dégoûté que la harpie employa pour parler de sa tenue actuelle, somme toute fort convenable et gentillette, ou ses précédentes remarques sur ce sujet précis, il n’était pas dur de déterminer que la “petite” Levi avait à son goût fait un faux pas en terme de mode.
Peu d’autres personnes auraient trouvé à redire, en vérité, sur le haut très lacé qui laissait son ventre à l’air. Ou sur l’espèce de jupon fendillé qui dévoilait la présence de longues bottes à talons, et d’un short juste assez court pour bien cacher ce qu’il fallait. Cependant, Esenberg classait de son côté les vêtements dans un ordre de praticité bien à elle. Tout ce qui s’enlevait très, très rapidement était donc bienvenu. Pour le reste, il valait mieux oublier.
« Ah ! Et un dernier conseil : laissez dans votre chambre votre horrible bestiole. Ce n’est pas elle qui fera la conversation en cette soirée. »
Gourmanda-t-elle sa nouvelle protégée, le tout accompagné d’un air éminemment satisfait.
L’enfant n’avait pas encore eu le temps de refuser, ou de trop la questionner sur qui l’attendrait. Tout devrait donc bien aller ; elle se carapaterait dans la bonne direction.
« Votre mère sera ravie de savoir que vous côtoyez quelqu’un, vous le savez. »
Susurra-t-elle encore, plus jovialement. Juste au cas où.
Cela permettait de rappeler à sa victime le pourquoi, officiellement, toutes deux s’étaient rencontrées aujourd’hui. Tout en sachant fort bien que la maman en question se contrefichait parfaitement des activités de son ainée, tant qu’elle ne créait pas d’affreux scandales ou n’embêtait pas son jumeau adoré.
***
Elle ne s’était pas présentée au restaurant et l’heure dite approchait. La possibilité d’y découvrir un “ami” de Dame Esenberg l’avait peu motivée à s’y précipiter. Parler avec d’autres sangs bleus, en dehors des missions du cipher pol, n’était de plus toujours pas exactement sa tasse de thé.
Peut-être était-ce là une occasion ratée de rencontrer quelqu’un de merveilleux. Peut-être pas. Quelle importance ? Il n’y avait pas spécifiquement de place pour un énième autrui dans sa vie.
Si la veuve avait été prolixe en propos, elle l’avait beaucoup moins été en détails sur le bonhomme qu’elle voulait lui faire rencontrer. Le fait que l’homme, d’âge et de situation exacte inconnus, avait potentiellement pu trouver sa place dans les activités conjugales de la riche gourgandine était en tout cas ce qui avait achevé de donner envie à Lydia de fuir à toutes jambes dans la direction opposée. Juste par sécurité.
Tomber dans les travers de ses parents n’était guère une chose qu’elle désirait. Et tant pis si, demain, Mère pour une fois faisait une réflexion au sujet de son manque de courtoisie et de tact eu égard à la considération amicale qu’on lui portait.
Mais qu’avaient d’ailleurs sinon presque toutes les femmes de son entourage à s’inquiéter pour elle, en ce moment ? C’était un tout petit peu charmant en cherchant bien, mais aussi complètement inutile et pesant. Elle n’avait vraiment pas besoin de cela ces derniers temps ; ces tendres sentiments venaient bien trop tardivement pour être utiles ou utilisables.
Ses habituels sourires évaporés ne fonctionnaient-ils plus, malgré tout ? Visiblement. Las. Il faudrait donc qu’elle les retravaille, à son prochain retour. Quand la mission de Zaun, qui n’allait pas tarder à débuter, serait terminée. Ou après la suivante. Ou celle d’ensuite. Ou… Bref, un jour futur. Lorsqu’elle ne serait pas occupée, ou posée dans un bar bien trop huppé, à se cacher d’un étranger et d’une mégère qui ne voulait que son bien et qui savait où elle habitait. À tout faire pour que l’absence de Jamâl, de nouveau, ne se ressente une fois encore pas trop.
Ses pensées s’envolèrent au reste vers son frère, courtement. Son imagination fit le reste. Elle se le représenta avec amour, flouté, penché sur une table semblable à celles dans ses alentours, inspectant une carte, grognant quelques palabres incompréhensibles, tendu et prêt à partir à l’aventure en solitaire.
Elle fixa le fond de son troisième verre ensuite, tentant de repérer dans la mousse paisible ce que l’homme de sa vie ferait dans les heures à venir. Se rata évidemment complètement ; le liquide ambré ne lui renvoya en effet que le début de faux air heureux qu’elle se forçait à garder. J’aurais dû prendre de l’encre.
Par vengeance, l’innocent breuvage fut rapidement happé dans son gosier. La cp s’essuya par la suite les lèvres en les tamponnant, reporta son attention sur son entourage, dans le but d’ignorer son coeur qui battait plus fort à l’idée que son adelphe était potentiellement en danger. La salle était ici assez calme pour se saouler en paix, bien qu’elle eut connu dans le passé de menues nuitées agitées.
Quelques personnes se pressaient gaiement autour de jeux, plus loin, vers le feu de la nouvelle année qui brûlait encore dans la cheminée. Nul n’embêtait autrui : on était là dans un monde trop civilisé pour les bagarres de bar, sauf quand l’alcool était trop renversé. Dommage. Regretta-t-elle, une seconde à peine.
Un signe fut offert au serveur. Légèrement éméchée, elle recommanda par mauvaise habitude un duo de boissons et ferma les paupières le temps qu’elles arrivent. Si elle devait véritablement se terrer ici pour la soirée, à l’autre bout de l’enceinte familiale, elle comptait bien se distraire, en plus d’abuser de choses alcoolisées. Il lui fallait juste trouver comment faire, sans pour autant avoir à subir trop de promiscuité.
Outre en imaginant continuellement, cela allait aussi de soi, et en oubliant toute culpabilité, son chevalier servant abandonné se faire réconforter autour d'une assiette de poulet par une Esenberg drôlement compatissante. Assez pour l'attirer dans ses draps surpeuplés, au fait ?
Alors qu’on s’approchait, l’image qui ne l’occuperait pas longtemps la fit lentement s'étirer sur sa chaise en équilibre et grimacer.
Pourquoi avait-elle écouté en partie l’amie de sa mère et laissé pour une fois son lézard à la maison encore ? Parce que la dernière fois que j’ai trop bu, il a failli tomber. C’est vrai. Se rappela-t-elle gentiment. Comme quoi, devoir supporter les diatribes d’Esenberg pouvait se révéler être utile parfois. Rarement. Juste ce qu’il fallait pour sauver l’un de ses aimés d’un tracas stupide, même si cela signifiait sans doute hélas tourner en rond et désespérément s’ennuyer toute seule jusqu’à l’aube naissante.
_ Pour tenter de vous assurer qu’il reviendra sans plus de dégâts et en vie ? »
Lydia hocha la tête, confirmant son aveu douloureux. Les divinations qu’elle faisait ne lui suffisaient pas dans ce cas-là.
« Je comprends. Mais, si vous me le permettez, ça ne répond pas à mon autre question : pourquoi ne prenez-vous pas davantage de pauses ? Cela faisait des semaines que vous n’étiez pas revenue.
_ … Ces ineptes contes ne me suffisent guère plus. »
Il y eut un court silence, avant et après sa dernière réponse. La domestique finit par soupirer, une fois le regard légèrement mélancolique de sa jeune maîtresse rencontré dans le miroir auquel elles faisaient toutes deux face.
« Je suis désolée, mademoiselle.
_ Rien n’est de votre faute.
_ Peut-être que si nous avions fait quelque chose d’autre, un temps où…
_ Croyez-vous vraiment que cela aurait rendu Jamâl différent ?
_ Je ne sais pas.
_ Alors pourquoi vous en inquiétez-vous ? »
S’étonna doucement la fille de la famille en réponse, oubliant très temporairement qu’elle en faisait de même bien, bien trop souvent. Mais elle était la soeur jumelle du têtu idiot silencieux dont il était question. Alors elle, elle en possédait le droit, n’est-ce pas ?
« Avez-vous bientôt terminé votre ouvrage ? Dame Esenberg doit attendre seule. Encore. »
Le temps des confidences, avec la servante qui l’avait accompagnée faire ses quatre-cent coups d'adolescente, touchait là à sa fin. La femme avait déjà reçu de la donzelle qu’elle avait vu grandir plus d’informations que cette dernière n’en avait jamais donné à personne sur ce sujet qui la peinait. C’était assez.
Enfin. À choisir, Lydia aurait peut-être préféré continuer à déballer tous ses tourments à sa domestique personnelle, plutôt que de devoir se taper la présence de la connaissance de sa génitrice.
***
L’invitée avait été installée dans l’un des salons par le majordome rêvant de s’en débarrasser. L’homme avait, comme à son habitude, fait son travail parfaitement.
Il avait notamment fourni à cette personne non désirée de quoi se sustenter, le temps que n’importe quelle personne du coin portant le nom Lévi puisse se libérer afin d’essayer de la divertir, ou que la matriarche soit disponible pour la recevoir.
Lorsque sa jeune hôtesse éphémère pénétra dans la salle, la mégère avait déjà bien entamé le stock de petits gâteaux fins et de thé mis à sa disposition. Elle dût donc épousseter sa jupe en taffetas, dans le but d’en virer quelques traîtres miettes. Oublia les autres brisures qui parsemaient les contours de ses lippes, au même titre que quelques ulcères débutants.
Son épais maquillage, qui rendait les pustules presque invisibles, retenait également aisément la nourriture perdue collée dessus. Sans doute pour nourrir davantage sa propriétaire toujours affamée plus tard.
« Ah ! J’espérais bien vous voir ! »
Les civilités d’usage furent de même elles aussi vite balayées, devant l’air soudainement radieux de la noble en balade.
« Ne désiriez-vous vous entretenir avec Mère ?
_ Bien sûr que si. » Répliqua l’Esenberg d’un ton rempli d’une rapide commisération, tout en incitant Lydia à s’approcher d’un signe de la main. « Mais votre sort me préoccupe, nous devons donc en parler. Comme je le disais justement la dernière fois à votre si chère maman, depuis quelques temps vous m’avez l’air d’avoir bien grise mine. Il faut changer cela. »
Et la vieille, après avoir asséné un discours mixant des remarques peu flatteuses sur Jamâl ou sur la fin de leurs “vacances” en duo - Comment sait-elle cela ? -, des conseils sur la tenue de la plus jeune qu’elle jugeait charmante quoique trop peu pratique pour mettre assez ses charmes en valeur, des comparaisons juteuses avec son propre quotidien et d’autres dires disparates sans aucun lien, porta finalement son coup de grâce en offrant une piste qui permettrait soit-disant de régler une partie des tracas de l’âme infortunée qu’elle avait sous son regard aimant depuis peu de minutes.
« Employez-vous dans un premier temps à sortir souvent, mais pas seule. Uniquement en très bonne compagnie. Et puisqu’aucun riche sot de saint-Urea ne semble convenir ici pour cette dernière partie, je vous en ai trouvé un fort intéressant venu d'ailleurs. Il vous sera utile pour ce soir déjà, mais n’hésitez pas à l’utiliser autant que vous pourrez le désirer. Ce tant que la bougeotte ne vous reprendra pas, bien sûr.
_ Ce n’était… vraiment pas nécessaire.
_ Mais si, mais si. »
Elle tapota les doigts de la blondinette souriante, légèrement abasourdie par la vague d’informations qu’elle s’était prise en pleine poire. C’était voulu ; l’ancienne ne souhaitait aucune contradiction, elle qui, dans sa grande sagesse, avait pris les choses en main dans le but de mener Lydia vers la félicité même contre son gré.
“Parler d’un souci“ signifiait, en effet, dans son dictionnaire, donner des ordres ou des conseils, puis voir les choses évoluer ensuite comme elle les entendait. Sans interruption, qu’elle soit ou non de la part de la fille d’une amie.
« Pendant que nous sommes sur ce sujet… » Un reniflement souligna son commentaire à venir.
« Ne soyez pas radine envers vous-même, voulez-vous. Si ce jeune homme vous complaît au moins un peu, essayez-vous aux bagatelles avec. Cela devrait rafraichir au moins davantage légèrement votre teint, même si vous ne réitérez point cette expérience-ci. »
Silence. Il fut, étrangement peut-être, bien difficile pour la cipher pol de se retenir de grimacer. Ou de ne pas briser - fort, fort délicatement - un des doigts pâles qui osaient la toucher. L’envie de retourner boire revint déjà la hanter, à l’instar des précédentes visites de la dévoyée veuve.
« … Et s’il me déplaît ou qu'il m'ennuie mortellement ? »
S’enquit-elle cependant péniblement, en serrant les dents, puisqu’on attendait d’elle qu’elle fasse au moins un peu la discussion même si le sujet ne l’intéressait encore moins que les habituels.
Celle qui se voulait bonne fée, et qui n’avait pas perçu la deuxième depuis des semaines quoi qu’elle puisse dire, en rit fièrement.
« Ayez confiance en moi : cela n'arrivera pas. »
La veuve haussa rapidement les épaules, avant de se resservir une petite tartelette appétissante.
« Vous pourrez sinon toujours vous distraire à essayer une fois encore de vous faire aimer. » Un gloussement. « Cela vous occupera agréablement. »
Pour occuper son corps et éviter de faire lire son agacement, l’hôtesse des deux prit à son tour dans une de ses mains de quoi grignoter, se concentra une seconde dessus. L’autre, après une bouchée qui orna un peu plus ses lèvres de miettes, en profita pour continuer à soliloquer.
« Ce fabuleux garçon vous rejoindra pour l’heure du dîner ce soir, dans ce si charmant petit restaurant près de la muraille. Vous voyez lequel ? Celui avec les briques recouvertes de fleurs. »
Un de ses lieux préférés dans ce quartier luxueux, collé à l’entrée de l’enceinte bien gardée qu’elle utilisait habituellement pour fuir ses tracas. L’agent du gouvernement releva son menton en le notant.
« Co…
_ Ne soyez pas en retard, ou le pauvre homme en sera bien triste. Et remettez la petite robe que je vous avais vu la dernière fois. Elle vous va bien mieux que ces… Créations. »
Vu le ton dégoûté que la harpie employa pour parler de sa tenue actuelle, somme toute fort convenable et gentillette, ou ses précédentes remarques sur ce sujet précis, il n’était pas dur de déterminer que la “petite” Levi avait à son goût fait un faux pas en terme de mode.
Peu d’autres personnes auraient trouvé à redire, en vérité, sur le haut très lacé qui laissait son ventre à l’air. Ou sur l’espèce de jupon fendillé qui dévoilait la présence de longues bottes à talons, et d’un short juste assez court pour bien cacher ce qu’il fallait. Cependant, Esenberg classait de son côté les vêtements dans un ordre de praticité bien à elle. Tout ce qui s’enlevait très, très rapidement était donc bienvenu. Pour le reste, il valait mieux oublier.
« Ah ! Et un dernier conseil : laissez dans votre chambre votre horrible bestiole. Ce n’est pas elle qui fera la conversation en cette soirée. »
Gourmanda-t-elle sa nouvelle protégée, le tout accompagné d’un air éminemment satisfait.
L’enfant n’avait pas encore eu le temps de refuser, ou de trop la questionner sur qui l’attendrait. Tout devrait donc bien aller ; elle se carapaterait dans la bonne direction.
« Votre mère sera ravie de savoir que vous côtoyez quelqu’un, vous le savez. »
Susurra-t-elle encore, plus jovialement. Juste au cas où.
Cela permettait de rappeler à sa victime le pourquoi, officiellement, toutes deux s’étaient rencontrées aujourd’hui. Tout en sachant fort bien que la maman en question se contrefichait parfaitement des activités de son ainée, tant qu’elle ne créait pas d’affreux scandales ou n’embêtait pas son jumeau adoré.
***
Elle ne s’était pas présentée au restaurant et l’heure dite approchait. La possibilité d’y découvrir un “ami” de Dame Esenberg l’avait peu motivée à s’y précipiter. Parler avec d’autres sangs bleus, en dehors des missions du cipher pol, n’était de plus toujours pas exactement sa tasse de thé.
Peut-être était-ce là une occasion ratée de rencontrer quelqu’un de merveilleux. Peut-être pas. Quelle importance ? Il n’y avait pas spécifiquement de place pour un énième autrui dans sa vie.
Si la veuve avait été prolixe en propos, elle l’avait beaucoup moins été en détails sur le bonhomme qu’elle voulait lui faire rencontrer. Le fait que l’homme, d’âge et de situation exacte inconnus, avait potentiellement pu trouver sa place dans les activités conjugales de la riche gourgandine était en tout cas ce qui avait achevé de donner envie à Lydia de fuir à toutes jambes dans la direction opposée. Juste par sécurité.
Tomber dans les travers de ses parents n’était guère une chose qu’elle désirait. Et tant pis si, demain, Mère pour une fois faisait une réflexion au sujet de son manque de courtoisie et de tact eu égard à la considération amicale qu’on lui portait.
Mais qu’avaient d’ailleurs sinon presque toutes les femmes de son entourage à s’inquiéter pour elle, en ce moment ? C’était un tout petit peu charmant en cherchant bien, mais aussi complètement inutile et pesant. Elle n’avait vraiment pas besoin de cela ces derniers temps ; ces tendres sentiments venaient bien trop tardivement pour être utiles ou utilisables.
Ses habituels sourires évaporés ne fonctionnaient-ils plus, malgré tout ? Visiblement. Las. Il faudrait donc qu’elle les retravaille, à son prochain retour. Quand la mission de Zaun, qui n’allait pas tarder à débuter, serait terminée. Ou après la suivante. Ou celle d’ensuite. Ou… Bref, un jour futur. Lorsqu’elle ne serait pas occupée, ou posée dans un bar bien trop huppé, à se cacher d’un étranger et d’une mégère qui ne voulait que son bien et qui savait où elle habitait. À tout faire pour que l’absence de Jamâl, de nouveau, ne se ressente une fois encore pas trop.
Ses pensées s’envolèrent au reste vers son frère, courtement. Son imagination fit le reste. Elle se le représenta avec amour, flouté, penché sur une table semblable à celles dans ses alentours, inspectant une carte, grognant quelques palabres incompréhensibles, tendu et prêt à partir à l’aventure en solitaire.
Elle fixa le fond de son troisième verre ensuite, tentant de repérer dans la mousse paisible ce que l’homme de sa vie ferait dans les heures à venir. Se rata évidemment complètement ; le liquide ambré ne lui renvoya en effet que le début de faux air heureux qu’elle se forçait à garder. J’aurais dû prendre de l’encre.
Par vengeance, l’innocent breuvage fut rapidement happé dans son gosier. La cp s’essuya par la suite les lèvres en les tamponnant, reporta son attention sur son entourage, dans le but d’ignorer son coeur qui battait plus fort à l’idée que son adelphe était potentiellement en danger. La salle était ici assez calme pour se saouler en paix, bien qu’elle eut connu dans le passé de menues nuitées agitées.
Quelques personnes se pressaient gaiement autour de jeux, plus loin, vers le feu de la nouvelle année qui brûlait encore dans la cheminée. Nul n’embêtait autrui : on était là dans un monde trop civilisé pour les bagarres de bar, sauf quand l’alcool était trop renversé. Dommage. Regretta-t-elle, une seconde à peine.
Un signe fut offert au serveur. Légèrement éméchée, elle recommanda par mauvaise habitude un duo de boissons et ferma les paupières le temps qu’elles arrivent. Si elle devait véritablement se terrer ici pour la soirée, à l’autre bout de l’enceinte familiale, elle comptait bien se distraire, en plus d’abuser de choses alcoolisées. Il lui fallait juste trouver comment faire, sans pour autant avoir à subir trop de promiscuité.
Outre en imaginant continuellement, cela allait aussi de soi, et en oubliant toute culpabilité, son chevalier servant abandonné se faire réconforter autour d'une assiette de poulet par une Esenberg drôlement compatissante. Assez pour l'attirer dans ses draps surpeuplés, au fait ?
Alors qu’on s’approchait, l’image qui ne l’occuperait pas longtemps la fit lentement s'étirer sur sa chaise en équilibre et grimacer.
Pourquoi avait-elle écouté en partie l’amie de sa mère et laissé pour une fois son lézard à la maison encore ? Parce que la dernière fois que j’ai trop bu, il a failli tomber. C’est vrai. Se rappela-t-elle gentiment. Comme quoi, devoir supporter les diatribes d’Esenberg pouvait se révéler être utile parfois. Rarement. Juste ce qu’il fallait pour sauver l’un de ses aimés d’un tracas stupide, même si cela signifiait sans doute hélas tourner en rond et désespérément s’ennuyer toute seule jusqu’à l’aube naissante.