Le labyrinthe
Trois jours étaient passés depuis le dernier entraînement martial de Tartuffe et Tartanfion. Durant ces trois journées de permission, accordées aux deux jeunes mousses afin de leur permettre de se reposer et de retrouver force et motivation, je m’étais attelé aux diverses tâches administratives propres à mon statut de Commandant. En soit, rien de bien passionnant. Comme tout officier subalterne ayant pour objectif d’atteindre le rang convoité de Lieutenant-Colonel, je m’efforçais à être le plus minutieux possible quant à mes obligations. Même si les tâches les plus rudimentaires me permettaient d’apprendre et de consolider ma position, je n’avais qu’une seule et unique chose en tête : atteindre le grade de Commodore, atteindre la liberté, la possibilité de prendre la mer et de naviguer au gré de mes envies, de parcourir le monde et de faire régner l’ordre et la justice sur toute les iles de Grand Line ainsi que du Nouveau Monde.
Mais l’heure n’était pas à la rêvasserie. Refermant mon dossier en cours après analyse scrupuleuse et signature, je me levai et me dirigeai à la fenêtre de mon bureau. Idéalement situé au second étage du QG de North Blue, il m’offrait la chance de pouvoir, en tout cas de lassitude, de déprime ou besoin d’évasion, de contempler le doux reflet du soleil vibrer à l’unisson et se mêler aux vagues de la mer bleutée. Cette mer qui, avec un calme olympien, s’étendait à perte de vue. Malgré le bruit provoqué par la vie perpétuelle qui régnait au sein de la base, il m’était particulièrement facile de leurrer mon esprit, de changer de vie l’espace d’un instant et de m’imaginer dériver paisiblement, allongé sur cette mer transparente. Je pouvais alors observer les nuages éphémères aux formes irrégulières défiler sous mes yeux.
Je retrouvai Tartuffe et Tartanfion, les deux frères jumeaux, dès la première heure du matin. Comme à leur habitude depuis plusieurs semaines maintenant, ils étaient prêts, impeccablement vêtus devant la porte de leur couche. Leur dortoir, parfaitement entretenu, ne méritait même plus que je m’y intéresse. Cette journée, qui se présentait comme un véritable challenge pour eux, allait être des plus délectables pour moi. Leur formation initiale à présent terminée, il était temps de passer aux choses sérieuses, il était temps de les pousser à se surpasser. Après tout, ce n’est pas leur avenir seul qui était en jeu. J’avais en effet misé ma réputation quant à la réussite de leur formation. Ils ne devaient pas simplement achever ces deux mois sur une validation de leurs acquis, je m’étais personnellement engagé à ce qu’ils écrasent sans difficulté la totalité des autres jeunes marins. Eux, qui étaient perçus comme des ratés par la totalité des sous-officiers et marins de la base et qui n’avaient subis que moqueries et humiliations, allaient finalement forcer le respect.
Nous retrouvâmes ainsi les portes de la ville pour débuter la première des épreuves que je leur réservais. La ville qui, au QG de North Blue, faisait partie intégrante du système de défense de la base. Des rues exiguës et irrégulières, construites à la manière d’un labyrinthe, offraient culs-de-sac, structures identiques en vue de simuler une impression de déjà-vu, maisons basses, postes de tirs dispersés et autres chemins adroitement dissimulés visant à rendre toute progression ennemie lente et confuse.
« Voici votre entraînement du jour. Je vais vous faire une visite guidée et une seule, à travers la ville. Je vous abandonnerai ensuite sur la place centrale, yeux bandés, et votre objectif sera d’en sortir. Attention cependant : vous devrez sentir, analyser et éviter toute attaque ennemie potentielle. A chaque échec, il vous faudra réitérer l’expérience. Si vous ne parvenez pas à vous évader du labyrinthe d’ici la fin de la semaine, tout s’arrêtera et vous serez banni de cette île. Sur ce, en avant. »
Le tour de la ville fut rapidement bouclé. Avant-même s’y faire le premier pas, j’avais mis un point d’honneur à suggérer aux jumeaux, et de manière très insistante, de mémoriser chaque virage, chaque recoin, chaque allée condamnée et jusqu’à la moindre brique de la ville. Bâtie de manière à pouvoir retenir l’ennemi durant plusieurs heures, il n’était en effet pas facile d’en sortir sans en connaître le chemin logique. En tant que première ligne de défense du QG, cette ville labyrinthique à liberté contrainte était un espace utopique à part entière, une espèce d’immense tricherie qui donnait à celui qui y était enfermé l’impression malaisante de posséder le don d’ubiquité. Une fois la vérité dévoilée, le mensonge, l’illusion, semblable à une forme de paradis artificiel, laissait place à une vérité que l’on avait envie d’accepter. « Il n’est pas possible de sortir de là ». Le message poétique de ce labyrinthe était un message de sursis. Le pari étant qu’avant la chute, l’intru s’engage dans un parcours inlassable, pathétique et dérisoire, une sorte de défi lancé à l’obscurité de sa propre destinée.
Une fois les yeux bandés, Tartuffe et Tartanfion s’engageaient dans une épreuve qui allait faire non-seulement appel à leur mémoire, mais également à leur instinct, leurs reflexes et à leur capacité d’analyse. La ville, construite selon le modèle des anciennes cités guerrières, regorgeait de pièges et de planques dissimulées, toutes reliées entre elles via un réseau souterrain tout aussi complexe que celui de la surface. J’avais demandé, en ma qualité de Commandant formateur, à quelques volontaires de prendre place ci et là, à des positions stratégiquement avantageuses, et d’initier des attaques surprises à l’aide de projectiles non létaux. Pour chaque simulation résultant par la mort de l’un ou l’autre des deux frères, l’épreuve recommençait.
Une fois la nuit tombée, alors que la lumière du soleil avait laissé place aux luminaires et autres éclairages artificiels, mes deux protégés n’avaient pas fait le moindre progrès. Ils avaient passé la journée à marcher, tâtant les murs de manière craintive et confuse. Probablement morts une dizaine de fois, ils passaient leur temps valide à emprunter les culs-de-sac, à revenir sur leurs pas, à trébucher sur la moindre marche, bref, à tourner en rond dans un cycle qui semblait alors sans fin. Cependant, et ce pour la première fois, ils restèrent inflexiblement positifs face à la défaite. « Demain on y arrivera. » « Ce n’est qu’une question de temps. » « Je pense avoir mémorisé toute la partie nord de la ville. » Leur discours, bien que modeste, reflétait leur assurance et leur confiance.
Le lendemain, aucune différence majeure n’était perceptible. Ils avaient l’air de se battre avec eux-mêmes pour trouver leurs repères, pour identifier et conserver en mémoires les positons desquelles ils étaient attaqué. Plus les journées avançaient, moins elles se ressemblaient. Jusqu’à ce que le sixième et dernier jour arrive.
Les yeux bandés, il commencèrent par se frapper mutuellement le poing en signe d’encouragement. Puis… à ma grande surprise, ils prirent la décision de se séparer. Le premier partait vers le nord alors que le second pris le chemin vers le sud. « Diviser pour mieux régner, hein ? » Mais, le plus étrange restait leur manière de faire. Ils avaient tous deux sensiblement la même façon de se repérer, de se déplacer dans ce labyrinthe au multiples facettes. Ils ne marchaient plus. Ils ne montraient plus la moindre once d’hésitation, il étaient concentrés et imperturbables. Ils couraient, ils filaient droit, évitant chaque cul-de-sac, chaque impasse, chaque variation de terrain. Et en guise de repère, ils se contentaient de poser la main sur certains murs. Une technique particulièrement redoutable et efficace se basant sur la mémoire photographique. Sur le principe, il suffit de cartographier la zone (ici, en l’occurrence, la ville) dans sa tête afin d’en créer une image mentale parfaitement nette. Toucher certains éléments comme un mur, un banc, un lampadaire, ci et là, permet simplement de confirmer sa bonne position.
Malgré les bruits, les distractions des marchands, des commerces, des habitants ou encore des patrouilles, malgré les enfants jouant dans les rues étroites de l’île, le chant des oiseaux et autres mouettes survolant le QG, ils parvenaient, non sans mal, à identifier les caches et à anticiper les attaques éventuelles des marins embusqués. En plus d’éviter au mieux les planques les plus évidentes, il parvenaient à modifier leur route au moindre son suspect. Après moins d’une heure d’épreuve, les deux jumeaux se dressaient face à moi et enlevaient leur bandeau.
Ils avaient réussi.
Mais l’heure n’était pas à la rêvasserie. Refermant mon dossier en cours après analyse scrupuleuse et signature, je me levai et me dirigeai à la fenêtre de mon bureau. Idéalement situé au second étage du QG de North Blue, il m’offrait la chance de pouvoir, en tout cas de lassitude, de déprime ou besoin d’évasion, de contempler le doux reflet du soleil vibrer à l’unisson et se mêler aux vagues de la mer bleutée. Cette mer qui, avec un calme olympien, s’étendait à perte de vue. Malgré le bruit provoqué par la vie perpétuelle qui régnait au sein de la base, il m’était particulièrement facile de leurrer mon esprit, de changer de vie l’espace d’un instant et de m’imaginer dériver paisiblement, allongé sur cette mer transparente. Je pouvais alors observer les nuages éphémères aux formes irrégulières défiler sous mes yeux.
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Je retrouvai Tartuffe et Tartanfion, les deux frères jumeaux, dès la première heure du matin. Comme à leur habitude depuis plusieurs semaines maintenant, ils étaient prêts, impeccablement vêtus devant la porte de leur couche. Leur dortoir, parfaitement entretenu, ne méritait même plus que je m’y intéresse. Cette journée, qui se présentait comme un véritable challenge pour eux, allait être des plus délectables pour moi. Leur formation initiale à présent terminée, il était temps de passer aux choses sérieuses, il était temps de les pousser à se surpasser. Après tout, ce n’est pas leur avenir seul qui était en jeu. J’avais en effet misé ma réputation quant à la réussite de leur formation. Ils ne devaient pas simplement achever ces deux mois sur une validation de leurs acquis, je m’étais personnellement engagé à ce qu’ils écrasent sans difficulté la totalité des autres jeunes marins. Eux, qui étaient perçus comme des ratés par la totalité des sous-officiers et marins de la base et qui n’avaient subis que moqueries et humiliations, allaient finalement forcer le respect.
Nous retrouvâmes ainsi les portes de la ville pour débuter la première des épreuves que je leur réservais. La ville qui, au QG de North Blue, faisait partie intégrante du système de défense de la base. Des rues exiguës et irrégulières, construites à la manière d’un labyrinthe, offraient culs-de-sac, structures identiques en vue de simuler une impression de déjà-vu, maisons basses, postes de tirs dispersés et autres chemins adroitement dissimulés visant à rendre toute progression ennemie lente et confuse.
« Voici votre entraînement du jour. Je vais vous faire une visite guidée et une seule, à travers la ville. Je vous abandonnerai ensuite sur la place centrale, yeux bandés, et votre objectif sera d’en sortir. Attention cependant : vous devrez sentir, analyser et éviter toute attaque ennemie potentielle. A chaque échec, il vous faudra réitérer l’expérience. Si vous ne parvenez pas à vous évader du labyrinthe d’ici la fin de la semaine, tout s’arrêtera et vous serez banni de cette île. Sur ce, en avant. »
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Le tour de la ville fut rapidement bouclé. Avant-même s’y faire le premier pas, j’avais mis un point d’honneur à suggérer aux jumeaux, et de manière très insistante, de mémoriser chaque virage, chaque recoin, chaque allée condamnée et jusqu’à la moindre brique de la ville. Bâtie de manière à pouvoir retenir l’ennemi durant plusieurs heures, il n’était en effet pas facile d’en sortir sans en connaître le chemin logique. En tant que première ligne de défense du QG, cette ville labyrinthique à liberté contrainte était un espace utopique à part entière, une espèce d’immense tricherie qui donnait à celui qui y était enfermé l’impression malaisante de posséder le don d’ubiquité. Une fois la vérité dévoilée, le mensonge, l’illusion, semblable à une forme de paradis artificiel, laissait place à une vérité que l’on avait envie d’accepter. « Il n’est pas possible de sortir de là ». Le message poétique de ce labyrinthe était un message de sursis. Le pari étant qu’avant la chute, l’intru s’engage dans un parcours inlassable, pathétique et dérisoire, une sorte de défi lancé à l’obscurité de sa propre destinée.
Une fois les yeux bandés, Tartuffe et Tartanfion s’engageaient dans une épreuve qui allait faire non-seulement appel à leur mémoire, mais également à leur instinct, leurs reflexes et à leur capacité d’analyse. La ville, construite selon le modèle des anciennes cités guerrières, regorgeait de pièges et de planques dissimulées, toutes reliées entre elles via un réseau souterrain tout aussi complexe que celui de la surface. J’avais demandé, en ma qualité de Commandant formateur, à quelques volontaires de prendre place ci et là, à des positions stratégiquement avantageuses, et d’initier des attaques surprises à l’aide de projectiles non létaux. Pour chaque simulation résultant par la mort de l’un ou l’autre des deux frères, l’épreuve recommençait.
Une fois la nuit tombée, alors que la lumière du soleil avait laissé place aux luminaires et autres éclairages artificiels, mes deux protégés n’avaient pas fait le moindre progrès. Ils avaient passé la journée à marcher, tâtant les murs de manière craintive et confuse. Probablement morts une dizaine de fois, ils passaient leur temps valide à emprunter les culs-de-sac, à revenir sur leurs pas, à trébucher sur la moindre marche, bref, à tourner en rond dans un cycle qui semblait alors sans fin. Cependant, et ce pour la première fois, ils restèrent inflexiblement positifs face à la défaite. « Demain on y arrivera. » « Ce n’est qu’une question de temps. » « Je pense avoir mémorisé toute la partie nord de la ville. » Leur discours, bien que modeste, reflétait leur assurance et leur confiance.
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Le lendemain, aucune différence majeure n’était perceptible. Ils avaient l’air de se battre avec eux-mêmes pour trouver leurs repères, pour identifier et conserver en mémoires les positons desquelles ils étaient attaqué. Plus les journées avançaient, moins elles se ressemblaient. Jusqu’à ce que le sixième et dernier jour arrive.
Les yeux bandés, il commencèrent par se frapper mutuellement le poing en signe d’encouragement. Puis… à ma grande surprise, ils prirent la décision de se séparer. Le premier partait vers le nord alors que le second pris le chemin vers le sud. « Diviser pour mieux régner, hein ? » Mais, le plus étrange restait leur manière de faire. Ils avaient tous deux sensiblement la même façon de se repérer, de se déplacer dans ce labyrinthe au multiples facettes. Ils ne marchaient plus. Ils ne montraient plus la moindre once d’hésitation, il étaient concentrés et imperturbables. Ils couraient, ils filaient droit, évitant chaque cul-de-sac, chaque impasse, chaque variation de terrain. Et en guise de repère, ils se contentaient de poser la main sur certains murs. Une technique particulièrement redoutable et efficace se basant sur la mémoire photographique. Sur le principe, il suffit de cartographier la zone (ici, en l’occurrence, la ville) dans sa tête afin d’en créer une image mentale parfaitement nette. Toucher certains éléments comme un mur, un banc, un lampadaire, ci et là, permet simplement de confirmer sa bonne position.
Malgré les bruits, les distractions des marchands, des commerces, des habitants ou encore des patrouilles, malgré les enfants jouant dans les rues étroites de l’île, le chant des oiseaux et autres mouettes survolant le QG, ils parvenaient, non sans mal, à identifier les caches et à anticiper les attaques éventuelles des marins embusqués. En plus d’éviter au mieux les planques les plus évidentes, il parvenaient à modifier leur route au moindre son suspect. Après moins d’une heure d’épreuve, les deux jumeaux se dressaient face à moi et enlevaient leur bandeau.
Ils avaient réussi.