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Le premier jour

- Lieutenant White, veuillez approcher !

      C'est le moment, ça y est. Tous les officiers sont là. Les hommes qui ont servi avec moi également. Tous sont réunis dans la salle de réception du bâtiment principal de la Cent-soixante-septième Division, non loin des premiers manoirs appartenant à la famille Yonesku. A la place des tables et des chaises, il n'y avait que des hommes en arme, l'uniforme impeccable. Les cadres sur les murs étaient bien visibles eux aussi : des représentations de Marie-Joie ; des portraits de figures clés du Gouvernement Mondial ; les mots "Justice", "Ordre" et "Devoir"... Et là, sous l'image des Maîtres du Don des Saints, se tient la sous-amirale Salih, autoritaire et sèche comme à son habitude. Ses yeux semblent tout voir, sauf la vie. Personne n'ose bouger, de peur de rompre le silence pesant qui s'installe suite à sa demande.
      Au centre de l'attention, il y a moi, pétrifié par l'atmosphère oppressante du lieu et, surtout, par la gravité de cette assemblée... Je vais devoir avancer si je ne veux pas aggraver les choses : certains soldats de ma connaissance serrent les dents en me fixant. Ils semblent m'inciter à obéir au plus vite pour en finir.

     Qu'il en soit ainsi, j'avance.
     Lentement mais sûrement, je me retrouve à portée de sabre de Menèroueh Salih, laquelle continue de me regarder sans trahir la moindre émotion. Elle sort alors son sabre et ordonne :

- Agenouillez-vous.

    Je m'exécute. Une perle de sueur glisse le long de ma tempe. La tête baissée, je n'arrive plus à soutenir son regard tant il me parait inhumain. J'ai la gorge sèche aussi... Finalement je décide de fermer les yeux. Pourvu que ça aille vite.
     Je sens le poids de son arme se poser non loin de ma nuque. Sans être lourde, je comprends que ma supérieure emploie sa force pour me maintenir dans cette position. Ce n'est pas agréable. Le pire, c'est qu'elle a d'autres choses à me dire :

- Depuis des siècles maintenant, la Marine sert le Gouvernement Mondial, fondé par nos souverains à tous, les Dragons Célestes. Peu importe l'endroit, peu importe l'âge, chaque homme et chaque femme rejoignant nos rangs fait vœu d'obéissance et de protection. Nous sommes le fer de lance et le bouclier du monde s'opposant au crime, au mensonge et à l'anarchie. Partout où nous nous rendons, nous ramenons l'ordre. Les jeunes recrues sont formées dans ce but. Et parmi ces recrues... Se trouve Eden White.

     D'abord solennel, le ton de sa voix est devenu plus personnel en prononçant mon nom. L'importance qu'elle y met donne de la force à son discours. Plus que visé, je me suis senti pointé du doigt. Autour de nous, pas un ne remue les lèvres. Puis tout à coup, je crois entendre comme une inspiration d'effroi. En relevant légèrement la tête, l'œil entrouvert, je frémis à mon tour en comprenant ce qu'il se passe. Une chose normalement impossible...
     La sous-amirale sourit :

- Ce jeune homme s'est enrôlé tôt, appuyé par l'officier Horse, de Kage Berg. Très vite, il fait preuve de discipline, d'intelligence et de compétences. Il est capable de prendre des décisions avec sang-froid. Il passe rapidement les tests pour monter en grade et les réussit haut la main, rendant jaloux bon nombre de ses pairs. Il est parmi les premiers sur le terrain et les derniers à se coucher, par souci du devoir. Sa progression, en plus d'être rapide, a permis à d'autres officiers d'alléger leur fardeau. En geste comme en apparence, Eden est le soldat parfait... Comment pourrions-nous douter de la véracité de son engagement ?

     Nouvelle pause insoutenable.

- Un tel potentiel n'est-il pas dangereux ? Un homme peut-il gravir les échelons et prendre la tête de nos hommes avec pour seule motivation le désir de servir ? Pourra-t-on faire pleinement confiance au lieutenant White lorsqu'il faudra combattre ensemble ? Devra-t-on suivre ses ordres ?

     Mon dos me fait mal. Mon cou aussi... La pression exercée semble plus forte. Il faut en finir vite où je ne pourrais plus tenir...

- Eh bien je pense que oui.

    J'ouvre les yeux. Le sabre se lève enfin, me délivrant du poids symbolique de mes responsabilités. Le sourire toujours présent, mais le regard inexpressif, Neméroueh Salih abaisse son sabre sur mon autre épaule et déclare enfin :

- En ma qualité de sous-amirale de la Marine, moi Neméroueh Salih, déclare l'officier White digne de son rang et de notre confiance. A présent relevez-vous.

      Sous les applaudissements de mes congénères, j'obéis à notre supérieure et me tient bien droit face à elle. Un soldat approche, un coffret dans les mains. Nemèroueh l'ouvre et en sort un insigne :

- Vous voici à présent promu Commandant de la Cent-soixante-septième Division de la Marine, félicitations.
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- Eh bien, eh bien... C'est une sacrée ascension, mon commandant !

       Le soldat Guy Moove, première casse de ma division, vient me saluer à la sortie des locaux. C'est un gars plutôt sympa, droit dans ses bottes. Il n'a jamais mal pris le fait d'être dirigé par plus jeune que lui. Ce qui m'a grandement facilité la tâche dans mon travail jusqu'alors :

- Merci Guy, mais je me serai bien passé de ce genre de cérémonie... C'est gênant en plus d'être dépassé.
- Que voulez-vous, c'est la tradition. Et il faut avouer que c'est mérité ! Vous faites parti des meilleurs aux tests d'aptitude et les supérieurs vous ont à la bonne. Quand on regarde les autres prétendants, c'est un choix logique.

     Je hausse les épaules. Je ne nie pas qu'il y a du vrai dans ce qu'il dit, mais je m'inquiète de ce qu'implique mon nouveau poste. J'ai beau rester subalterne, je suis désormais responsable de la sécurité d'un grand nombre de personnes : ce sera à moi de prendre des décisions en cas d'attaque extérieure, ou d'acte criminel important au sein de l'île... En cas d'échec, les Dragons Célestes sauront vers qui tourner leur courroux. Et l'on me juge capable ? Tant mieux.
     Ce qui me préoccupe vraiment, c'est l'absence d'expérience : le Don des Saints n'est officiel que depuis deux ans, suite aux évènements impliquant Tahar Tagel à Marie-Joie, et le remaniement de Troop Erdu par la famille Yonesku. Cela fait donc seulement deux ans que je suis ici et, à part une tentative d'assassinat déjouée par un certain Scott Landyard et l'enquêtrice Butterfly, je n'ai pas eu à faire mes preuves sur le terrain... Saurai-je gérer telle situation sans l'avoir déjà vécue ? L'inconnu est une chose terrifiante. Il faut être fou ou stupide pour croire le contraire.

- Vous allez assurer, mon commandant.

     Je lève un sourcil, étonné par son affirmation, mais content. Je souris.

- Tout ira bien, en effet. Après tout, j'ai la meilleure division derrière moi.

     Ravi du compliment, Guy Moove s'éloigne après m'avoir salué. Je prends moi aussi la route de mes appartements. Je repense aux paroles de mes instructeurs... Tous étaient d'accord sur un point : le plus important, c'est de faire corps en tant que groupe. Un soldat n'est jamais seul. A moi de faire en sorte que mes hommes s'améliorent pour chasser la peur et éviter le doute. Je progresserai encore, moi aussi, au nom de la justice.
      Un gémissement plaintif me sort de mes pensées. En tournant la tête, je vois un homme vêtu noblement, cravache en main, ainsi qu'un esclave, la chaîne au cou et les mains levées, suppliant qu'on lui pardonne. Ses bras sont maigres, ses joues creusées... Des sacs énormes en toile de jute sont à terre devant lui.

- Tu n'es vraiment qu'un bon à rien... Je devrai en parler à Dame Cassandre, je suis sûr que la garde prétorienne trouvera quoi faire de toi. Pour leurs entraînements par exemple !
- Pitié maître. Ayez pitié...
- La pitié, ça ne s'applique qu'aux personnes. Toi tu es ma chose.

     Alors que le noble s'apprête à frapper, je parviens à lui attraper le poignet. La rue dans laquelle nous nous trouvons, ce soir-là, est presque vide, aussi les rares individus alentours préfèrent ignorer la scène. Stupéfait, le maître se défait de mon emprise et recule d'un pas.

- Soldat, que signifie ceci ?!
- Je vous prie de m'excuser, cher Monsieur, mais vos actions dérangent l'ordre public. Veuillez vous abstenir d'offrir ce genre de spectacle à la vue de tous.

     L'homme observe notre entourage, qui tourne la tête en passant sa route encore plus vite, mal à l'aise.

- Vous vous moquez de moi ? Qui pourrai-je importuner ? Hein ? Et de quel droit vous occupez-vous de mes affaires ?
- Allons, tâchons de rester calme, comprenez bien que je ne fais que mon travail...

     Je souris calmement, le regard inflexible :

- ... Imaginez qu'un enfant passe. Si vous en avez, vous conviendrez, j'ose croire, que ce genre de violence intervient plus tard dans leur éducation. Tâchons de conserver leur innocence plus longtemps.
- De la violence ? Les enfants ne sont-ils pas les premiers à casser leurs jouets ? Vous devriez plutôt me remercier : si un enfant passe, il apprendra qu'il faut faire attention de bien choisir ce que l'on achète pour ne pas le regretter plus tard.
- Sans doute... Mais en attendant, vous avez des affaires à porter, je me trompe ? Qui le fera, une fois votre "jouet" cassé ?

     Aucune menace dans ma voix, aucune hostilité. Je me contente de sourire sans le lâcher des yeux. Le calme finit peu à peu par le contaminer :

- Si vous êtes pressé, souhaitez-vous que je vous apporte mon aide ?
- ... Non. Non merci, ça ira. Il finira bien par s'y mettre. Vous pouvez disposer, soldat. Je vais tâcher de garder mon sang-froid.
- Très bien, je vous souhaite une bonne soirée, Monsieur.

     Je lance un dernier regard à l'esclave qui, au bord des larmes, me fixe avec intensité. Il n'y a ni gratitude ni colère, juste de la tristesse et de la résignation... Je comprends très bien ce qu'il cherche à me dire.
      Arrivant enfin chez moi, je me déleste de ma veste d'uniforme, de ma casquette, de mes chaussures et de mes gants. Las, je me dirige vers le plan de travail où m'attendent un verre et une carafe d'eau. Je me sers et me laisse tomber sur une chaise.
     Je ne suis qu'un idiot. Jeune et plein de bonne volonté, mais un idiot tout de même. L'esclave que je pensais avoir aidé ne me remerciera jamais pour ça. Au contraire... Je me suis engagé pour aider mon prochain. Hors, au Don des Saints, lui n'est pas considéré comme une personne à aider. Je n'ai fait que retarder l'échéance : d'ici peu, il arrivera chez son maître et, une fois sa tâche remplie, sera puni pour ce qu'il s'est passé, sans doute frappé davantage, comme défouloir pour le noble qui estimera avoir perdu la face. Sans le vouloir, j'ai augmenté la peine de ce pauvre homme. Tout ça pour quoi ? Pour me sentir utile, me sentir bon. Quelle hypocrisie...
      Dans ma main, le verre commence à se fissurer.
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Pulupulupulupulu

      L'escargophone de fonction me réveille. Il commence à faire jour dehors... Il ne doit pas être plus de six heures. Je grimace un peu, m'étire et décroche :

- Lieut... Commandant White, j'écoute.
- Ah, notre étoile montante est réveillée ! Prêt pour votre première journée ?

     Il n'y a qu'une seule personne à m'appeler "étoile montante" depuis l'enchaînement de mes promotions : le lieutenant-colonel Bastos, à la tête de la Cent-soixante-sixième Division. Un officier supérieur presque aussi sanguin que John Horse de Kage Berg, plus imposant encore, mais tout autant respecté de ses hommes. Extraverti, le rire fort, impatient, il fait parti de ceux que j'estime et qui m'apprécient en retour.

- Ce n'est que toi, Damian... Qu'est-ce qui t'arrive ?
- C'est un appel officiel Eden, essaie d'y mettre les formes...
- Je suis vraiment obligé ?
- On se rattrapera ce soir autour d'une bouteille. C'est moi qui invite.

     Je soupire.

- Que me vaut cet appel de bon matin, lieutenant-colonel ?
- Votre présence est requise à la caserne. Une affaire particulière vient de nous parvenir dans la nuit, mais j'ai estimé que vos talents pouvaient être mis à contribution. Les hommes de votre Division, sous vos ordres, seront plus à même de réussir là où nous serions trop directs. Je vous attends dans vos bâtiments.


...


     Damian Bastos m'a tout expliqué dans mon bureau. Après avoir ordonné le rassemblement des soldats hors patrouille, je me retrouve dans la cour accompagné du lieutenant-colonel et d'un de ses adjudants. Très vite, les hommes rappliquent et se rangent. Lorsque plus un seul ne bouge, je prends la parole :

- Soldats, une mission nous est parvenue. Cette nuit, un homme s'est fait tué chez lui, dans le quartier des Hauteurs. Son esclave a quant à lui disparu. D'après le lieutenant-colonel Bastos, ce ne serait pas le premier cas. Il pense que quelque chose se prépare à l'encontre des Dragons Célestes. Alors pourquoi devrions-nous nous en occuper, me direz-vous ? Pourquoi ne pas laisser la garde prétorienne agir ? Tout simplement parce que leur rôle est de rester auprès de nos Seigneurs. La cent-soixante-sixième Division a jugé la nôtre plus apte à réagir. Et nous allons leur donner raison ! Jusqu'à présent, nous sommes ceux qui nous sommes le plus impliqués dans les affaires du peuple, nous sommes ceux qui les connaissons le mieux. En matière d'investigation, aucun ne rivalise avec nous ! Aujourd'hui encore, nous allons brillé.

    Je me tiens droit, aussi fier et confiant que possible, le sourire rayonnant face à l'assemblée :

- Montrons-leur ce que nous valons ! Faisons du Don des Saints un endroit plus radieux encore !

     Tous plaquent leur poing sur le torse et lâchent un "Ha !" à l'unisson. Tous sourient également, ce qui n'est pas anodin : j'ai proposé cette idée à mes supérieurs en devenant lieutenant. Le simple fait de sourire a des effets positifs sur le moral. Qu'ils parviennent à le faire aussi naturellement me rend fier : leur simple vue me donne confiance en la suite des opérations...
     Mais faire de cette cité un endroit radieux... Pas certain que cette opération seule suffise à changer la face de l'île.

- Je pars informer les autres Divisions. Contactez-les au besoin. A vous de jouer, commandant.
- A vos ordres, lieutenant-colonel. Je vous tiendrai au courant de notre avancée. Pour votre promesse, je pense qu'il faudra attendre.
- Ma promesse ?
- Je compte bien fêter la fin de la mission un verre à la main.
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