- C'est le moment.
Après avoir rassemblé les troupes présentes dans les quartiers de la Cent soixante-septième, j'ai fait mon discours et expliqué la mission qui nous incombait. Le lieutenant-colonel Damian Bastos nous avait "refilé le sale boulot", jugeant que notre expertise était légitime pour s'occuper de ce cas. Ce n'est pas pour rien qu'on surnomme notre division le bureau d'enquêtes : depuis mon intégration, et avec le soutien de mes supérieurs, nous ne nous sommes occupés que de travaux liés aux affaires civiles et aux délits non résolus. Si nous sommes des soldats, nous sommes avant tout au service de la population, et j'ai pu le rappeler à certains.
Concernant la mission, c'est une situation épineuse qui va nécessiter pas mal de moyens. J'ai peur que les habitants de la cité ne s'en inquiètent... Les rumeurs de la mort de plusieurs nobles du Don des Saints commencent à se répandre et la disparition de leurs esclaves n'arrange rien. Le traitement porté sur ces derniers empire d'heure en heure et, si nous n'agissons pas rapidement, cela risque de prendre des proportions dramatiques. Même sans le dire à mes hommes, je sais que la plupart s'en rendent compte. Ceux restés en patrouille sont les premiers à le remarquer de toute manière. Nous devons vite trouver un indice ou une piste menant à la prochaine cible. Mais en attendant :
- Formez plusieurs escouades : je veux un groupe pour surveiller le quartier des Hauteurs en permanence, un autre pour le quartier des Richesses, un pour celui des Textes et un pour la zone industrielle, près du Weatherport. Les autres interrogeront les passants de la rue du commerce. Je vais sur les lieux du dernier meurtre voir de quoi il en retourne. Deux hommes avec moi. Allons-y !
Pendant que les sous-officiers donnent leurs directives, je fais signe à deux soldats de m'accompagner et nous nous mettons en route vers les Hauteurs, là où un détenteur d'esclave a perdu sa propriété et la vie. Je ne peux m'empêcher d'avoir un mauvais pressentiment, me rappelant les événements de la veille...
Vingt minutes plus tard, nous arrivons devant la villa de monsieur Besmer, la victime. Une femme d'âge mûr, les yeux rouges et vêtue de noir se tient à l'entrée, effondrée. Ni ses joues mouillées, ni son maquillage coulant ne cachent la sévérité qu'évoque son visage : en temps normal, ce doit être une femme forte et autoritaire. il n'aura fallu que la perte de l'être aimé pour émousser sa lame et briser son armure. Une fois à portée, je m'incline :
- Madame Besmer, toutes mes condoléances.
La veuve ne répond pas tout de suite. Elle se redresse, s'essuie le coin des yeux avec son pouce, étalant de la peinture sombre sur ses rides naissantes. Se sentant plus abordable, elle dit :
- Merci... J'imagine que vous êtes là pour voir le... Pour le voir ?
- En effet madame. Nous voulons mettre tout ça au clair et empêcher le criminel de sévir à nouveau.
- Qu'y a-t-il de plus à savoir ? Notre esclave l'a tué ! Il s'est énervé, s'est rebellé contre ceux qui l'ont nourri et s'est enfui ! Quand je pense à tout le temps qu'il aura fallu pour l'éduquer... Quelle ingratitude. Si ça n'avait tenu qu'à moi, nous n'aurions jamais gaspillé notre argent dans pareille chose. Il m'aura coûté plus cher que l'enfer.
Je comprends qu'elle veuille déverser sa haine et son chagrin sur le premier fautif possible, mais je sens aussi qu'elle est sincère, qu'elle pense chaque mot prononcé...
- Etiez-vous sur les lieux lorsque ça s'est produit ?
- Oui, ça s'est produit dans la nuit, je dormais dans notre chambre.
- Avez-vous vu ce qu'il s'est passé ?
- ... Non. Ce n'est qu'en me réveillant que...
- ... Ce n'était donc pas dans la chambre ?
- Suivez-moi. Je vais vous montrer.
Elle parle sèchement, mais cela semble habituel. Madame Besmer nous ouvre ses portes et nous invite à la suivre du hall jusqu'à l'étage. En passant, je remarque la taille de l'entrée : elle seule peut accueillir l'entièreté de mon logement de fonction, ce qui me met mal à l'aise. Les deux autres semblent tout autant fascinés.
Les escaliers montés, nous longeons un couloir sur la gauche jusqu'à atteindre une porte fermée :
- La chambre est dans le couloir de droite, à l'autre bout. Avec les tapis, c'est difficile d'entendre marcher ou courir. Et ça ne résonne pas beaucoup... Voici son bureau, il y était la plupart du temps, même les fois où il n'arrivait pas à dormir. Je vous laisse ouvrir, je ne pense pas en avoir la force...
- Je comprends, merci. Nous nous en occupons. Allez donc boire quelque chose de chaud, ça ne peut que vous faire du bien. Je reviendrai certainement vous poser d'autres questions lorsque j'en aurai fini ici.
- Très bien...
Je parviens à la détendre avec ma voix la plus douce. C'est dans ces moments-là que je remercie le ciel de m'avoir offert ce genre de talent, même s'il ne fait pas particulièrement viril. On s'en est souvent moqué lorsque je n'étais qu'une recrue. Mais peu importe, il s'agit là de mon meilleur outil pour obtenir la confiance des civils. Une fois madame Besmer suffisamment éloignée, je décide d'ouvrir la porte.
Ce que j'y vois ne me plaît pas. Difficile de s'habituer à ce genre de scène quand on a pas connu l'horreur de la guerre. Au centre de la pièce, au beau milieu d'une énorme tâche sombre, des papiers éparpillés autour, le corps d'un homme que je reconnais très bien git, l'oeil entrouvert et sans vie. Et ce n'est pas la seule chose qui me dérange...
Après avoir rassemblé les troupes présentes dans les quartiers de la Cent soixante-septième, j'ai fait mon discours et expliqué la mission qui nous incombait. Le lieutenant-colonel Damian Bastos nous avait "refilé le sale boulot", jugeant que notre expertise était légitime pour s'occuper de ce cas. Ce n'est pas pour rien qu'on surnomme notre division le bureau d'enquêtes : depuis mon intégration, et avec le soutien de mes supérieurs, nous ne nous sommes occupés que de travaux liés aux affaires civiles et aux délits non résolus. Si nous sommes des soldats, nous sommes avant tout au service de la population, et j'ai pu le rappeler à certains.
Concernant la mission, c'est une situation épineuse qui va nécessiter pas mal de moyens. J'ai peur que les habitants de la cité ne s'en inquiètent... Les rumeurs de la mort de plusieurs nobles du Don des Saints commencent à se répandre et la disparition de leurs esclaves n'arrange rien. Le traitement porté sur ces derniers empire d'heure en heure et, si nous n'agissons pas rapidement, cela risque de prendre des proportions dramatiques. Même sans le dire à mes hommes, je sais que la plupart s'en rendent compte. Ceux restés en patrouille sont les premiers à le remarquer de toute manière. Nous devons vite trouver un indice ou une piste menant à la prochaine cible. Mais en attendant :
- Formez plusieurs escouades : je veux un groupe pour surveiller le quartier des Hauteurs en permanence, un autre pour le quartier des Richesses, un pour celui des Textes et un pour la zone industrielle, près du Weatherport. Les autres interrogeront les passants de la rue du commerce. Je vais sur les lieux du dernier meurtre voir de quoi il en retourne. Deux hommes avec moi. Allons-y !
Pendant que les sous-officiers donnent leurs directives, je fais signe à deux soldats de m'accompagner et nous nous mettons en route vers les Hauteurs, là où un détenteur d'esclave a perdu sa propriété et la vie. Je ne peux m'empêcher d'avoir un mauvais pressentiment, me rappelant les événements de la veille...
Vingt minutes plus tard, nous arrivons devant la villa de monsieur Besmer, la victime. Une femme d'âge mûr, les yeux rouges et vêtue de noir se tient à l'entrée, effondrée. Ni ses joues mouillées, ni son maquillage coulant ne cachent la sévérité qu'évoque son visage : en temps normal, ce doit être une femme forte et autoritaire. il n'aura fallu que la perte de l'être aimé pour émousser sa lame et briser son armure. Une fois à portée, je m'incline :
- Madame Besmer, toutes mes condoléances.
La veuve ne répond pas tout de suite. Elle se redresse, s'essuie le coin des yeux avec son pouce, étalant de la peinture sombre sur ses rides naissantes. Se sentant plus abordable, elle dit :
- Merci... J'imagine que vous êtes là pour voir le... Pour le voir ?
- En effet madame. Nous voulons mettre tout ça au clair et empêcher le criminel de sévir à nouveau.
- Qu'y a-t-il de plus à savoir ? Notre esclave l'a tué ! Il s'est énervé, s'est rebellé contre ceux qui l'ont nourri et s'est enfui ! Quand je pense à tout le temps qu'il aura fallu pour l'éduquer... Quelle ingratitude. Si ça n'avait tenu qu'à moi, nous n'aurions jamais gaspillé notre argent dans pareille chose. Il m'aura coûté plus cher que l'enfer.
Je comprends qu'elle veuille déverser sa haine et son chagrin sur le premier fautif possible, mais je sens aussi qu'elle est sincère, qu'elle pense chaque mot prononcé...
- Etiez-vous sur les lieux lorsque ça s'est produit ?
- Oui, ça s'est produit dans la nuit, je dormais dans notre chambre.
- Avez-vous vu ce qu'il s'est passé ?
- ... Non. Ce n'est qu'en me réveillant que...
- ... Ce n'était donc pas dans la chambre ?
- Suivez-moi. Je vais vous montrer.
Elle parle sèchement, mais cela semble habituel. Madame Besmer nous ouvre ses portes et nous invite à la suivre du hall jusqu'à l'étage. En passant, je remarque la taille de l'entrée : elle seule peut accueillir l'entièreté de mon logement de fonction, ce qui me met mal à l'aise. Les deux autres semblent tout autant fascinés.
Les escaliers montés, nous longeons un couloir sur la gauche jusqu'à atteindre une porte fermée :
- La chambre est dans le couloir de droite, à l'autre bout. Avec les tapis, c'est difficile d'entendre marcher ou courir. Et ça ne résonne pas beaucoup... Voici son bureau, il y était la plupart du temps, même les fois où il n'arrivait pas à dormir. Je vous laisse ouvrir, je ne pense pas en avoir la force...
- Je comprends, merci. Nous nous en occupons. Allez donc boire quelque chose de chaud, ça ne peut que vous faire du bien. Je reviendrai certainement vous poser d'autres questions lorsque j'en aurai fini ici.
- Très bien...
Je parviens à la détendre avec ma voix la plus douce. C'est dans ces moments-là que je remercie le ciel de m'avoir offert ce genre de talent, même s'il ne fait pas particulièrement viril. On s'en est souvent moqué lorsque je n'étais qu'une recrue. Mais peu importe, il s'agit là de mon meilleur outil pour obtenir la confiance des civils. Une fois madame Besmer suffisamment éloignée, je décide d'ouvrir la porte.
Ce que j'y vois ne me plaît pas. Difficile de s'habituer à ce genre de scène quand on a pas connu l'horreur de la guerre. Au centre de la pièce, au beau milieu d'une énorme tâche sombre, des papiers éparpillés autour, le corps d'un homme que je reconnais très bien git, l'oeil entrouvert et sans vie. Et ce n'est pas la seule chose qui me dérange...